Expo en ligne : « Dis-moi un Po-Aime »… Aujourd’hui la contribution de Léa B.

Pour la troisième année consécutive, l’exposition « Dis-moi un Po-aime » est de retour ! Les classes de Première S2 et Première STMG2 du Lycée en Forêt sont fières de vous présenter cette édition 2017 qui a tout d’un grand millésime : l’exposition a été l’occasion d’un travail soutenu mêlant inspiration, invention et revendications intellectuelles ou esthétiques.

Chaque poème est accompagné d’une note d’intention dans laquelle les auteur-e-s expliquent leurs choix esthétiques, précisent le fil conducteur méthodologique, éclairent certains aspects autobiographiques… Le travail ainsi entrepris permet de pousser la lecture de la poésie au-delà des lieux communs pour en faire une authentique quête de vérité. Loin de la lire de l’extérieur, le lecteur curieux pourra au contraire chercher le sens profond que les jeunes auteur-e-s ont voulu conférer à cette expérience esthétique et littéraire. 

Plusieurs fois par semaine jusqu’au début du mois de juillet, les élèves vous inviteront à partager une de leurs créations poétiques…

Bonne lecture !

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Aujourd’hui, samedi 10 juin, la contribution de Léa (Première S-2)
 
Dimanche 11 juin : Ajar Z. et Asmaa O. (Première STMG2)

« La Vague »

par Léa B.
Classe de Première S2

Devant l’immense océan céleste
Elle flotte jusqu’à perdre connaissance
Et s’évanouir dans les cieux.
C’est cette infinité qui la nourrit
Bercée par les constellations de la nuit
Comme des taches de rousseur
Virevoltant d’heure en heure
Dans un élégant élan de pur azur
Elle connaît l’immense
L’inimaginable
Et le parfait.
Le ciel
La mer
Tout s’unit pour créer un vaste désert bleu
Qui nous engloutit
Pour mieux nous rendre immortels…

Illustration : Katsushika Hokusai, « La Grande Vague de Kanagawa ». Japon, ukiyo-e vers 1830 ou 1831.
New York, Metropolitan Museum of Art

Le point de vue de l’auteure…

Pour écrire ce poème, je me suis souvenue de ces moments à la plage, quand je me retrouvais face à la mer, immense. Dans ces instants, on se sent intensément petit à côté de cette mer infinie, où l’horizon se confond avec le ciel. C’est de cet « immense océan céleste » dont je parle : où commence le ciel ? Où finit l’étendue de la mer ? Quelles en sont les limites ?

C’est ce sentiment d’infinité que j’ai voulu retranscrire dans « La Vague ». Si la mer est fascinante, c’est qu’elle est inconnue. La vague, désignée par le pronom « elle » dans le poème, est la métaphore de l’infinité de la mer et des océans. Elle en fait partie, elle ne meurt jamais.

À travers ce poème, on suit son itinéraire, son existence : elle flotte et s’évanouit dans l’eau après avoir atteint sa hauteur maximale, « l’immense » (vers 9). Pourtant, les vagues se recréent sans cesse : naissance, mort et transfiguration.

En parlant de l’infinité de l’océan, je parle aussi de sa fusion avec le ciel, car « tout s’unit pour créer un vaste désert bleu » (vers 14). Quand on regarde l’horizon, on ne saurait dire jusqu’où l’étendue d’eau continue. On se sent happé, « englouti » (vers 15) par cet ensemble gigantesque. Et pourtant, c’est cette force tranquille qui nous rend invincible, qui nous rend « immortels », comme les vagues, qui apparaissent ainsi comme une métaphore de la vie elle-même.

Le début du poème a un rythme lent, comme pour entrer doucement dans la mer. Les mots sont longs, les trois premiers vers se suivent et créent ainsi grâce aux enjambements un effet d’allongement. Cette amplitude accompagne les mots et l’image de la vague qui « flotte jusqu’à perdre connaissance » (vers 3). Les sonorités présentes dans le premier vers « Devant l’immense océan céleste » (assonance en [an] et allitération en [s]) suivent également l’effet de souffle lyrique, donnant toujours plus de grandeur et d’intensité au texte :

Devant l’immense océan céleste
Elle flotte jusqu’à perdre connaissance
Et s’évanouir dans les cieux.

Puis, à partir du vers 6, le rythme s’accélère. Les mots sont plus courts, plus hachés, afin de donner une sensation de précipitation propre à suggérer la rythmique des vagues. Les lignes se rétrécissent jusqu’à ne comporter qu’un seul mot : la vague atteint son apogée, son point culminant avant d’être engloutie. Ce point culminant est marqué par les noms « immense » (vers 9), « inimaginable » (vers 10) et « parfait » (vers 11) qui marquent l’exagération, le grandiose, l’hyperbole, comme si ce point culminant dépassait tout entendement, comme s’il transcendait la réalité pour toucher le ciel.

En outre, le jeu des sonorités dans « La Vague » est important car il traduit le mouvement des vagues : les mots sont la danse des vagues. Les allitérations en [an] et en [u] au vers 8 « Dans un élégant élan de pur azur » ainsi que les rimes « nourrit » et « nuit » (vers 4 et 5) et « rousseur » et « heure » (vers 6 et 7) créent un rythme et des parallélismes sonores particulièrement intéressants. Le vers 8 apporte, comme les trois premiers vers, un souffle dans le poème, une profonde amplitude rythmique et sonore.

Enfin, si j’ai refusé de me limiter à des vers de même longueur, c’est pour évoquer ce mouvement discontinu des vagues. De même, j’aurais réduit mes possibilités d’écriture si j’avais fait rimer tous les vers. « La Vague » est écrit en vers libres afin de suggérer le foisonnement de la mer qui en fait quelque chose d’unique. Au contraire d’une forme fixe, cette déconstruction et ce non respect des formes traditionnelles participent au mouvement infini des vagues. Avec l’absence d’une ponctuation importante, le poème laisse libre interprétation au lecteur, qui peut choisir où débute une phrase, où elle se termine et où il peut placer les enjambements. Il est ainsi aussi libre que la mer.

« La Vague » est un poème qui se raccroche aux poèmes symbolistes. Il joue avec l’imagination du lecteur pour créer un monde qui ne correspond plus au réel, mais à un univers nouveau, plein de symboles. La mer n’est plus seulement la mer, le ciel n’est plus seulement le ciel, c’est un tout, un mélange harmonieux qui tend vers une autre réalité, bien au-delà des contingences.

C’est cette autre réalité que j’ai voulu déchiffrer dans « La Vague », ce monde caché qu’il faut découvrir en se faisant, comme aurait dit Rimbaud, « voyant », en percevant l’invisible derrière une réalité toujours jugée de façon matérielle et objective. Les Symbolistes cherchaient à découvrir l’Idéal et le Spirituel, « La Vague » suit leur sillage. Car il ne suffit pas de voir le monde d’une manière objective, il faut y laisser une part de subjectivité. C’est d’ailleurs pour cela que ce poème a pour point de départ mes propres souvenirs et sensations.

© Léa B., classe de Première S2 (promotion 2016-2017), juin 2017.
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