La citation de la semaine… Olympe de Gouges…

« Femme, réveille-toi ! »

Femme, réveille-toi ! Le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l’univers ; reconnais tes droits. Le puissant empire de la nature n’est plus environné de préjugés, de fanatisme, de superstition et de mensonges. Le flambeau de la vérité a dissipé tous les nuages de la sottise et de l’usurpation. L’homme esclave a multiplié ses forces, a eu besoin de recourir aux tiennes pour briser ses fers. Devenu libre, il est devenu injuste envers sa compagne. Ô femmes ! Femmes, quand cesserez-vous d’être aveugles ? Quels sont les avantages que vous avez recueillis dans la révolution ? Un mépris plus marqué, un dédain plus signalé. Dans les siècles de corruption vous n’avez régné que sur la faiblesse des hommes. Votre empire est détruit ; que vous reste-t-il donc ? La conviction des injustices de l’homme. La réclamation de votre patrimoine fondée sur les sages décrets de la nature ! Qu’auriez-vous à redouter pour une si belle entreprise ? Le bon mot du Législateur des noces de Cana ? Craignez-vous que nos Législateurs français, correcteurs de cette morale, longtemps accrochée aux branches de la politique, mais qui n’est plus de saison, ne vous répètent : « Femmes, qu’y a-t-il de commun entre vous et nous ? » —Tout, auriez vous à répondre. S’ils s’obstinaient, dans leur faiblesse, à mettre cette inconséquence en contradiction avec leurs principes ; opposez courageusement la force de la raison aux vaines prétentions de supériorité ; réunissez-vous sous les étendards de la philosophie ; déployez toute l’énergie de votre caractère, et vous verrez bientôt ces orgueilleux, non serviles adorateurs rampants à vos pieds, mais fiers de partager avec vous les trésors de l’Être Suprême. Quelles que soient les barrières que l’on vous oppose, il est en votre pouvoir de les affranchir ; vous n’avez qu’à le vouloir.

Olympe de Gouges (1748-1793)
Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne
« Postambule » (1791)

Illustration : © 2021, B. R.
Photomontage d’après Alexandre Kucharski (attribué à), portrait d’Olympe de Gouges. Pastel sur parchemin, vers 1788 (coll. privée) ; J. Howard Miller, “We Can Do It!”, 1942.

Rédigée le 14 août 1791, la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne est non seulement un plaidoyer fondateur de la cause féministe, mais plus largement un testament emblématique de notre démocratie. Dédiée à Marie-Antoinette pour affirmer que la question des femmes dépasse les clivages sociaux et politiques, la Déclaration de Gouges féminise entièrement la Déclaration des Droits de l’Homme du 27 août 1789. Comme le note Nicole Pellegrin, « c’est là un moyen proprement renversant de prendre au mot les révolutionnaires et de les placer face à leurs contradictions en matière d’égalité »¹. De fait, les femmes sont les grandes perdantes de la Révolution. Avec une ironie féroce, Olympe de Gouges n’hésite pas à stigmatiser ce dénigrement du féminin : « Les femmes ont le droit de monter à l’échafaud. Elles doivent également avoir celui de monter à la tribune ».

Négligée et incomprise de ses contemporains, Olympe de Gouges combattit l’esclavage, le sexisme, les violences faites aux femmes et s’engagea pour la reconnaissance juridique et l’émancipation politique des femmes à travers une œuvre littéraire très riche, et proprement réformatrice. C’est ainsi que la quatrième partie de la Déclaration « propose un « contrat social » qui redéfinit le mariage à la manière de notre PACS actuel »². Sans doute parce qu’elle s’attaquait à tant de préjugés et d’injustices, elle fut jetée en prison par la Terreur révolutionnaire, jugée sommairement et condamnée à l’échafaud. Je vous laisse méditer ces propos tenus par un rédacteur du Moniteur universel : « Elle voulut être homme d’État et il semble que la loi ait puni cette conspiratrice d’avoir oublié les vertus qui conviennent à son sexe »³.

Portrait présumé d’Olympe de Gouges, par Madame Aubry.
Aquarelle conservée au musée Carnavalet (Paris).

Ainsi que le remarque Yannick Ripa dans un ouvrage remarquable, « Olympe de Gouges est guillotinée pour avoir enfreint, par un manifeste en faveur des Girondins, la loi du 29 mars 1793 interdisant les écrits contre-révolutionnaires ; son élimination est aussi une condamnation sans appel des femmes révolutionnaires ; le procureur Chaumette la condamne en tant que “femme-homme”, “virago” qui “abandonne les soins de son ménage, voulut politiquer et commit des crimes »⁴.

Par sa force oratoire et la portée de ses idées, la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne est un texte visionnaire qui se doit de figurer aujourd’hui au Panthéon des Lettres françaises.

Bruno Rigolt

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NOTES
(1) Nicole Pellegrin, Écrits féministes de Christine de Piran à Simone de Beauvoir. Coll. “Champs classiques”, Flammarion, Paris 2010, page 76.
(2) ibid. page 77.
(3) Le Moniteur Universel, 29 brumaire an II (19 novembre 1793), t. XVIII, numéro 59. J’aurais pu aussi citer ces propos (sur Olympe de Gouges, Marie Antoinette et Marie-Jeanne Roland) qui vont dans le même sens : “En peu de temps, le tribunal révolutionnaire vient de donner aux femmes un grand exemple qui ne sera pas perdu pour elles : car la justice toujours impartiale, place sans cesse la leçon à côté de la sévérité”.
(4) Yannick Ripa, Les Femmes, actrices de l’histoire. France, de 1789 à nos jours. Armand Colin, collection U “Histoire”, Paris 2002, page 23. Voici les propos exacts du Procureur Chaumette rapportés par Elisabeth Badinter : “Rappelez-vous cette femme hautaine d’un époux perfide, la Roland, qui se crut propre à gouverner la République, et qui concourut à sa perte. Rappelez-vous, hier cette virago, cette homme-femme, l’impudente Olympe de Gouges, qui la première, institua des assemblées de femmes, voulut politiquer et commit des crimes. Tous ces êtres immoraux ont été anéantis sous le fer vengeur des lois”. Elisabeth Badinter, Condorcet, Prudhomme, Guyomar : Paroles d’hommes (1790-1793), P.O.L. Paris 1989, pages 181-182.

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brunorigolt

- Agrégé de Lettres modernes - Docteur ès Lettres et Sciences Humaines (Prix de Thèse de la Chancellerie des Universités de Paris) - Diplômé d’Etudes approfondies en Littérature française - Diplômé d’Etudes approfondies en Sociologie - Maître de Sciences Politiques