Un été en Poésie (saison 2) 22 juillet-22 août 2014… Aujourd’hui : Léopold Sédar Senghor


UAEP 2014 accroche
Pour la deuxième année consécutive, du mardi 22 juillet 2014 au vendredi 22 août inclus, découvrez une exposition inédite :
« Un été en poésie »

Chaque jour, un poème sera publié. Cette année, quinze pays seront représentés dans ce tour du monde poétique, mêlant écriture et arts visuels. Conformément au cahier des charges éditorial de ce blog de Lettres, le principe de la parité sera strictement respecté.

 

Aujourd’hui… Léopold Sédar Senghor ♂
1906, Joal (Sénégal) — Verson (France), 2001… SÉNÉGAL

Hier, jeudi 24 juillet : Emily Dickinson… ÉTATS-UNIS
Demain, samedi 26 juillet : Nâzik al Malâïka…  IRAK

Congo
(guimm pour trois kôras et un balafong)

Oho ! Congo oho ! Pour rythmer ton nom grand sur les eaux sur les fleuves sur toute __mémoire
Que j’émeuve la voix des kôras Koyaté ! L’encre du scribe est sans mémoire.

Oho ! Congo couchée dans ton lit de forêts, reine sur l’Afrique domptée
Que les phallus des monts portent haut ton pavillon
Car tu es femme par ma tête par ma langue, car tu es femme par mon ventre
Mère de toutes choses qui ont narines, des crocodiles des hippopotames
Lamantins iguanes poissons oiseaux, mère des crues nourrice des moissons.
Femme grande ! eau tant ouverte à la rame et à l’étrave des pirogues
Ma Saô mon amante aux cuisses furieuses, aux longs bras de nénuphars calmes
Femme précieuse d’ouzougou, corps d’huile imputrescible à la peau de nuit diamantine.

Toi calme Déesse au sourire étale sur l’élan vertigineux de ton sang
Ô toi l’Impaludée de ton lignage, délivre-moi de la surrection de mon sang.
Tamtam toi toi tamtam des bonds de la panthère, de la stratégie des fourmis
Des haines visqueuses au jour troisième surgies du potopoto des marais
Hâ ! sur toute chose, du sol spongieux et des chants savonneux de l’Homme-blanc
Mais délivre-moi de la nuit sans joie, et guette le silence des forêts.
[…]

Mon amante à mon flanc, dont l’huile fait docile mes mains mon âme
Ma force s’érige dans l’abandon, mon honneur dans la soumission
Et ma science dans l’instinct de ton rythme. Noue son élan le coryphée
À la proue de son sexe, comme le fier chasseur de lamantins.
Rythmez clochettes rythmez langues rythmez rames la danse du Maître des rames.
Ah ! elle est digne, sa pirogue, des chœurs triomphants de Fadyoutt
Et je clame deux fois deux mains de tam-tams, quarante vierges à chanter ses gestes.
Rythmez la flèche rutilante, la griffe à midi du Soleil
Rythmez, crécelles des cauris, les bruissements des Grandes Eaux
Et la mort sur la crête de l’exultation, à l’appel irrécusable du gouffre.

Mais la pirogue renaîtra par les nénuphars de l’écume
Surnagera la douceur des bambous au matin transparent du monde.

Léopold Sédar Senghor (1906-2001)
Éthiopiques, 1956
Œ
uvre poétique, Paris éd. du Seuil, 2006, pages 101-103

Congo_Bruno Rigolt_pastel numérique_2014« … eau tant ouverte à la rame et à l’étrave des pirogues… »

Crédit iconographique : © Bruno Rigolt, juillet 2014
Photomontage et peinture numérique

Publié par

brunorigolt

- Agrégé de Lettres modernes - Docteur ès Lettres et Sciences Humaines (Prix de Thèse de la Chancellerie des Universités de Paris) - Diplômé d’Etudes approfondies en Littérature française - Diplômé d’Etudes approfondies en Sociologie - Maître de Sciences Politiques