Un été en Poésie… 22 juillet-22 août 2013… Aujourd’hui : Marguerite Duras

 

En été, hydratez votre cerveau au maximum !

Du lundi 22 juillet au jeudi 22 août inclus, découvrez une exposition inédite : “Un été en poésie : chaque jour, un poème sera publié. En tout, plus de vingt pays seront représentés dans ce tour du monde poétique. Conformément au cahier des charges éditorial de ce blog de Lettres, le principe de la parité sera strictement respecté.

 

Aujourd’hui… Marguerite Duras
(1914, Saigon — 1996, Paris)… FRANCE

Hier, mardi 20 août : Marie-Claire Bancquart… FRANCE ; Robert Frost… ÉTATS-UNIS

Ce matin : Georges Séféris… GRÈCE

Demain, jeudi 22 août : 3 livraisons
– Nicole Barrière… FRANCE (livraison du matin)
– Paul Valéry… FRANCE (livraison de l’après-midi)
– Marie Noël… FRANCE ( livraison de la nuit : dernière livraison de l’édition 2013 d’
Un été en Poésie).

 

Les Mains négatives

On appelle mains négatives, les peintures de mains trouvées dans les grottes magdaléniennes de l’Europe Sub-Atlantique. Le contour de ces mains —posées grandes ouvertes sur la pierre— était enduit de couleur. Le plus souvent de bleu, de noir. Parfois de rouge. Aucune explication n’a été trouvée à cette pratique.

       

Devant l’océan
sous la falaise
sur la paroi de granit

ces mains
ouvertes

Bleues
Et noires

Du bleu de l’eau
Du noir de la nuit

L’homme est venu seul dans la grotte
face à l’océan
Toutes les mains ont la même taille
il était seul

L’homme seul dans la grotte a regardé
dans le bruit
dans le bruit de la mer
l’immensité des choses

Et il a crié

Toi qui es nommée toi qui es douée d’identité je t’aime

Ces mains
du bleu de l’eau
du noir du ciel

Plates

Posées écartelées sur le granit gris

Pour que quelqu’un les ait vues.

Je suis celui qui appelle
Je suis celui qui appelait qui criait il y a trente mille ans

Je t’aime

Je crie que je veux t’aimer, je t’aime

J’aimerai quiconque entendra que je crie

Sur la terre vide resteront ces mains  sur la paroi de granit face au fracas de l’océan

Insoutenable

Personne n’entendra plus

Ne verra

Trente mille ans
Ces mains-là, noires

La réfraction de la lumière sur la mer fait frémir
la paroi de la pierre

Je suis quelqu’un je suis celui qui appelait
qui
criait dans cette lumière blanche

Le désir
le mot n’est pas encore inventé

Il a regardé l’immensité des choses dans le fracas des vagues, l’immensité de sa force

et puis il a crié

Au-dessus de lui les forêts d’Europe,
sans fin

Il se tient au centre de la pierre
des couloirs
des voies de pierre
de toutes parts

Toi qui es nommée toi qui es douée d’identité
je
t’aime d’un amour indéfini

Il fallait descendre la falaise
vaincre la peur

Le vent souffle du continent il repousse
l’océan
Les vagues luttent contre le vent
Elles avancent
ralenties par sa force
et patiemment parviennent à la paroi

Tout s’écrase

Je t’aime plus loin que toi
J’aimerai quiconque entendra que je crie que je t’aime

Trente mille ans
J’appelle
J’appelle celui qui me répondra

Je veux t’aimer je t’aime

Depuis trente mille ans je crie devant la mer le spectre blanc

Je suis celui qui criait qu’il t’aimait, toi.

Marguerite Duras
Les Mains négatives, 1978
Marguerite Duras, Le Navire Night – Césarée – Les Mains négatives – Aurélia Steiner
Mercure de France, Paris 1979, page 97 et suivantes.

La Cueva de las Manos (la Grotte des mains)
Patagonie, Argentine

Le court métrage réalisé en 1979 par Marguerite Duras
Sur les images de Paris la nuit, désert, Marguerite Duras interprète comme un appel les traces de mains peintes dans les grottes préhistoriques d’Espagne

Publié par

brunorigolt

- Agrégé de Lettres modernes - Docteur ès Lettres et Sciences Humaines (Prix de Thèse de la Chancellerie des Universités de Paris) - Diplômé d’Etudes approfondies en Littérature française - Diplômé d’Etudes approfondies en Sociologie - Maître de Sciences Politiques