La citation (ou anti-citation) de la semaine… Paul Flat…

“La femme littéraire est un monstre…”

La Femme littéraire est un monstre, au sens latin du mot (*). Elle est un monstre, parce qu’elle est anti-naturelle. Elle est anti-naturelle parce qu’elle est anti-sociale, et si elle est anti-sociale, dernier terme du raisonnement, c’est qu’elle reproduit, comme en un saisissant microcosme, la plupart des ferments de dégénérescence qui travaillent notre monde moderne.

[…] Par la plus étrange interversion, qui modifie sa nature en l’élevant au rang littéraire, sera-ce peu de dire [que la Femme-auteur est] antimorale. C’est amorale qu’il faut substituer.

Pour ce qui est du point de vue social, on voit assez maintenant quel ferment [son] œuvre représente dans la dissolution des idées morales qui jadis ont mené le monde, et vers lesquelles il faudra bien qu’il se retourne un jour, faute d’une meilleure lumière pour le guider!

Paul Flat, Nos femmes de lettres, Paris, Perrin 1908

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Dr Syntax with a Blue Stocking Beauty” (Dr Syntaxe avec une Beauté en “Bas-bleus“). Détail, 1812.
Dans la continuité du philosophe allemand Arthur Schopenhauer qui prétendait que la femme était “un animal à cheveux longs et à idées courtes”, le critique, homme de lettres et chroniqueur Paul Flat (1865-1918) rédige en 1908 un essai intitulé Nos femmes de lettres (**). Dans cet ouvrage à visée didactique autant que moralisatrice, l’auteur interprète le phénomène de l’écriture féminine et plus largement de l’émancipation des femmes comme une perversion qui irait à l’encontre de la nature du “deuxième sexe”. Témoin cette métaphore du monstre, qui ressortit d’ailleurs plus à l’affectivité qu’à la raison, pour rendre compte de l’anormalité de la femme de lettres, par définition “contre-nature” puisqu’elle cherche à s’affranchir en quelque sorte d’une détermination biologique et sociologique la cantonnant à la futilité et à la passivité. Or la vision idéologique que donne l’ouvrage de Paul Flat de ces “bas-bleus“, est d’autant plus remarquable qu’elle reflète parfaitement la structure intellectuelle de la société.
De fait, à partir du dix-neuvième siècle surtout (Madame de Staël, George Sand…), les femmes vont investir le champ littéraire et social, contribuant autant à l’essor et à la démocratisation du genre romanesque qu’à la constitution d’une sensibilité et d’un lectorat nouveaux. Mais paradoxalement, le développement de l’écriture féminine puis des mouvements féministes à la fin du dix-neuvième siècle se doublent d’un virulent conservatisme social (***). Époque révolue… Quoique… Il faut déplorer combien, à notre époque encore, nombre d’ouvrages de littérature, pourtant soucieux de s’actualiser en renouvelant leurs contenus intellectuels, peinent à mentionner les écrivaines. Cette situation discriminante, relevant sans doute de clichés ou de stéréotypes inconscients, contribue à perpétuer des modèles de représentation qui accréditent des images volontairement sexistes de la femme, et portent préjudice au renouvellement de l’enseignement des littératures que ces ouvrages prétendaient pourtant mettre en évidence (****).

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(*) Du latin “monstrum” : créature étonnante qui “donne à voir” (montre=monstre) l’insolite, l’anormal. (**) Paul Flat, Nos femmes de lettres, Librairie académique Perrin, Paris 1909. L’ouvrage est accessible gratuitement par téléchargement (Project Gutenberg EBook) en cliquant ici. (***) Anne-Marie Thiesse fait remarquer par exemple qu’au début du vingtième siècle, les femmes ne peuvent prétendre à une carrière littéraire “qu’à deux conditions fort restrictives : associer à des ambitions littéraires (et un talent certain) une vie privée publiquement scandaleuse ou cacher du mieux possible cette honteuse association de la féminité et de la plume”. Anne-Marie Thiesse, Le Roman du quotidien, lecteurs et lectures populaires à la Belle Époque, éd. Le Chemin vert, Paris, 1984. Cité par Monique De Saint Martin, “Les “femmes écrivains” et le champ littéraire“, Actes de la recherche en sciences sociales, 1990, volume 83, p. 54. (****) Voir à ce sujet : Les Femmes dans les livres scolaires (collectif, éd. Mardaga, Wavre 1995) ou La Représentation des hommes et des femmes dans les livres scolaires : rapport au Premier ministre (La Documentation française, Paris 1997).

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brunorigolt

- Agrégé de Lettres modernes - Docteur ès Lettres et Sciences Humaines (Prix de Thèse de la Chancellerie des Universités de Paris) - Diplômé d’Etudes approfondies en Littérature française - Diplômé d’Etudes approfondies en Sociologie - Maître de Sciences Politiques