La citation de la semaine… Georges Bernanos…

« La civilisation des machines a-t-elle amélioré l’homme ? Ont elles rendu l’homme plus humain ? »

« La tragédie de la nouvelle Europe, c’est précisément l’inadaptation de l’homme et du rythme de la vie qui ne se mesure plus au battement de son propre cœur, mais à la rotation vertigineuse des turbines, et qui d’ailleurs s’accélère sans cesse… Une machine fait indifféremment le bien ou le mal. À une machine plus parfaite, c’est-à-dire de plus d’efficience, devrait correspondre une humanité plus raisonnable, plus humaine. La civilisation des machines a-t-elle amélioré l’homme ? Ont-elles rendu l’homme plus humain ? Je pourrai me dispenser de répondre, mais il me semble cependant plus convenable de préciser ma pensée. Les machines n’ont, jusqu’ici du moins, probablement rien changé à la méchanceté foncière de l’homme, mais elles ont exercé cette méchanceté, elles leur en ont révélé la puissance et que l’exercice de cette puissance n’avait, pour ainsi dire, pas de bornes. […] Nous n’assistons pas à la fin naturelle d’une grande civilisation humaine, mais à la naissance d’une civilisation inhumaine qui ne saurait s’établir que grâce à une vaste, à une immense, à une universelle stérilisation des valeurs de la vie. […] Obéissance et responsabilité, voilà les deux mots magiques qui ouvriront demain le Paradis de la Civilisation des machines. »

Georges Bernanos, La France contre les robots, Rio de Janeiro 1944
Éditions Robert Laffont Paris 1947

L’œuvre de Georges Bernanos (1888-1948) a renouvelé, au firmament des Lettres françaises, la vision de l’univers et de l’âme. Pèlerin de l’Absolu, l’auteur du Journal d’un Curé de campagne ou de Monsieur Ouine a mis sa foi au service de l’Esprit. Ce qui lui tient à cœur, c’est l’Homme, l’humanité de l’homme. Dans la France contre les robots, il porte un regard sévère sur ce siècle des machines, selon lui source du déclin de l’Occident et annonciateur du monde de demain, rationalisé et totalitaire.

Il ne s’agit pas pour Bernanos d’anéantir les machines bien sûr mais de rappeler à l’homme sa responsabilité morale dans l’avènement de ce qui pourrait être une contre-civilisation. Comme il le dira dans le journal La Croix du 13 janvier 1945, « ce n’est pas la science qu’il faut incriminer, mais l’usage qu’on en fait »… Sa réflexion est toujours d’actualité : l’homme cybernétique que préfigure le postmodernisme n’est-il pas la triste allégorie de cette civilisation inhumaine qu’évoque ici Bernanos ?

« Contre les robots », le salut réside sans doute dans l’homme lui-même, et dans sa capacité à repenser notre modernité et nos modèles civilisationnels. La réflexion de Bernanos est aujourd’hui plus que d’actualité : en ce vingt-et-unième siècle, il est nécessaire de rappeler combien une société, qui ne résulterait que de la « civilisation des machines » et totalement indifférente à l’humain, ne peut humainement survivre, du fait même de sa limitation intrinsèque. 

La faiblesse d’un tel système réside en effet dans sa contradiction interne : la société technicienne est en fait une société muette : elle décrit une histoire dans laquelle manque le problème historique ; c’est à une dévitalisation du social que nous sommes confrontés. Dans un monde multipolaire où « tout va en tous sens », la grande force de Bernanos est justement de nous obliger à la recherche d’un sens… C’est-à-dire notre capacité à repenser la problématique sociale.

Bruno Rigolt

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- Agrégé de Lettres modernes - Docteur ès Lettres et Sciences Humaines (Prix de Thèse de la Chancellerie des Universités de Paris) - Diplômé d’Etudes approfondies en Littérature française - Diplômé d’Etudes approfondies en Sociologie - Maître de Sciences Politiques