La citation de la semaine… Assia Djebar…

Une écriture “contre” : le “contre” de l’opposition, de la révolte… mais c’est aussi tout contre… le besoin d’être auprès de…

Je ne me sais qu’une règle, apprise et éclaircie certes, peu à peu, dans la solitude et loin des chapelles littéraires : ne pratiquer qu’une écriture de nécessité. Une écriture de creusement, de poussée dans le noir et l’obscur ! Une écriture “contre” : le “contre” de l’opposition, de la révolte, quelquefois muette, qui vous ébranle et traverse votre être tout entier. Contre, mais c’est aussi tout contre, c’est-à-dire une écriture du rapprochement, de l’écoute, le besoin d’être auprès de…, de cerner une chaleur humaine, une solidarité, besoin sans doute utopique car je viens d’une société où les rapports entre hommes et femmes, hors les liens familiaux, sont d’une dureté, d’une âpreté qui vous laissent sans voix !

[…] Non, décidément, l’écriture – je veux dire, l’écrit de toute littérature, ainsi que la parole illuminante – n’est pas un faire-part de deuil ou de crime ; non, elle n’est pas une plaque funéraire bavarde, simplement projetée dans l’espace vide, le temps que circulent quelques milliers d’exemplaires de vos pattes de fourmi tracées sur papier, lancés comme un paquet-cadeau à la mort. Non, l’écriture à laquelle je me vouais dans ce malheur algérien […] est le dialogue suspendu avec l’ami sur lequel est tombée la hache, dans la tête de qui a sonné la balle, tandis que vous, vous survivez, tandis que vous, vous questionnez sur les tout petits détails, juste avant que celui – ou celle – que vous avez connu soit pétrifié en victime, en cadavre, en silence !

[…] Edmond Jabès, arraché de son Egypte natale, au milieu de son âge, remarquait : “Les chemins d’encre sont des chemins de sang !” Il l’écrivait à Paris et je dirais, presque à voix basse. Seule cette force-là, si peu visible, si impalpable, si peu propice aux projecteurs, me semble-t-il, qui devrait me redresser : la seule force, transparente ou friable, de l’écriture.”

Assia Djebar (pseudonyme de Fatma-Zohra Imalhayène), écrivaine algérienne de langue française, élue à l'Académie française en juin 2005. 
À propos de cette citation…

En octobre 2000, Assia Djebar reçoit le “Prix pour la Paix” décerné par les éditeurs et libraires allemands. Elle prononce à cette occasion un discours célèbre intitulé “Idiome de l’exil et langue de l’irréductibilité”. Le texte, qui se présente sous la forme d’une autobiographie littéraire, est l’occasion pour l’auteure de rendre un vibrant hommage aux écrivains algériens victimes du terrorisme : le romancier Tahar Djaout, le poète Youssef Sebti, le dramaturge Abelkader Alloula, assassinés en 1993 et 1994. Ce vibrant plaidoyer invite aussi à réfléchir à la mission de l’écrivain, au statut de la femme algérienne et musulmane, et d’évoquer le contexte culturel mouvant, migratoire, ambivalent de la littérature algérienne de langue française, fortement marqué par la crise des identités.

Le site Remue.net propose le téléchargement de ce discours dans sa version intégrale et corrigée : vous pouvez télécharger le texte dans son intégralité. Les passages les plus significatifs du texte ont été repris par Le Monde du 26 octobre 2000 sous le titre “Le désir sauvage de ne pas oublier”. Pour lire l’article, cliquez ici. Assia Djebar possède un site Internet, pour y accéder, cliquez ici.

Crédit photographique : G.A.F.F. / SIPA

Publié par

brunorigolt

- Agrégé de Lettres modernes - Docteur ès Lettres et Sciences Humaines (Prix de Thèse de la Chancellerie des Universités de Paris) - Diplômé d’Etudes approfondies en Littérature française - Diplômé d’Etudes approfondies en Sociologie - Maître de Sciences Politiques