La citation de la semaine… Michel Houellebecq…

« Les actions humaines sont aussi libres et dénuées de sens que les libres mouvements des particules élémentaires »…

Aux humains de l’ancienne race, notre monde fait l’effet d’un paradis. Il nous arrive d’ailleurs parfois de nous qualifier nous-mêmes —sur un mode, il est vrai, légèrement humoristique— de ce nom de « dieux » qui les avait tant fait rêver.

L’histoire existe ; elle s’impose, elle domine, son empire est inéluctable. Mais au-delà du strict plan historique, l’ambition ultime de cet ouvrage est de saluer cette espèce infortunée et courageuse qui nous a créés. Cette espèce douloureuse houellebecq.1262687004.jpget vile, à peine différente du singe, qui portait en elle tant d’aspirations nobles. Cette espèce torturée, contradictoire, individualiste et querelleuse, d’un égoïsme illimité, parfois capable d’explosions de violence inouïes, mais qui ne cessa jamais pourtant de croire à la bonté et à l’amour. Cette espèce aussi qui, pour la première fois de l’histoire du monde, sut envisager la possibilité de son propre dépassement ; et qui, quelques années plus tard, su mettre ce dépassement en pratique. Au moment où ses derniers représentants vont s’éteindre, nous estimons légitime de rendre à l’humanité ce dernier hommage ; hommage qui, lui aussi, finira par s’effacer et se perdre dans les sables du temps ; il est cependant nécessaire que cet hommage, au moins une fois, ait été accompli. Ce livre est dédié à l’homme ».

Michel Houellebecq, Les Particules élémentaires, « Épilogue » (dernière page). Éditions Flammarion, Paris 1998, p. 394

Peut-on parler d’une littérature « fin de siècle » ? De même que la fin du dix-neuvième sera marquée par le pessimisme et l’idée de décadence, c’est sur fond de crise et de peurs millénaristes qu’il faut appréhender la littérature mais plus largement l’art de la fin du vingtième siècle. À ce titre, l’œuvre de l’écrivain français Michel Houellebecq (né en 1958 à La Réunion) traduit très bien la décadence sociologique et morale de notre société, et les angoisses des générations actuelles face à la pérennité des civilisations (*). C’est dans ce contexte que l’auteur publie en 1998 Les Particules élémentaires, roman volontairement transgressif et provocateur sur le désenchantement du monde : tout ne serait qu’illusion dans les rapports humains…

Au-delà des vifs débats qu’a suscités la parution de ce roman (sulfureux par houellebecq1.1262789512.jpgailleurs), il faut reconnaître à Houellebecq d’avoir peint la crise de la société actuelle. Crise d’autant plus violente que notre modernité est un archipel infini d’idées, de croyances, de rites, de changements macro et micro-sociaux qui imposent la vision nouvelle d’un monde plus fragmenté que jamais… “Dégénération » (**), “génération perdue”, “35 heures”, mobilité sociale, familles recomposées, crise des valeurs, “génération Internet”, “réseaux sociaux”, mondialisation… Autant d’expressions qui évoquent certes d’autres lieux, d’autres temps, d’autres façons de parler, de consommer, mais plus globalement l’idée d’un monde en archipel, confronté désormais à une histoire et à une géographie sociales faites de fragmentations et de ruptures (***).

Le passage présenté pourrait être utilement mis en relation avec cet extrait d’une étude que Houellebecq a consacrée à l’un des grands maîtres du Fantastique, l’écrivain américain Howard Philips Lovecraft (Contre le monde, contre la vie, éd. du Rocher, Paris 2005, page 13) : « L’univers n’est qu’un furtif arrangement de particules élémentaires. Une figure de transition vers le chaos. Qui finira par l’emporter. La race humaine disparaîtra. D’autres races apparaîtront, et disparaîtront à leur tour. Les cieux seront glaciaux et vides, traversés par la faible lumière d’étoiles à demi-mortes. Qui, elles aussi, disparaîtront. Tout disparaîtra. Et les actions humaines sont aussi libres et dénuées de sens que les libres mouvements des particules élémentaires« …

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(*) L’écrivain américain Bret Easton Ellis est caractéristique de ce nihilisme social. Voyez aussi cette citation très célèbre de Paul Valéry sur la mort des civilisations. (**) « Dégénération » : titre d’une chanson de M. Farmer. (***) B. Rigolt, « Questions de “Génération(s)”… Crises, changement social et ruptures…« 
Crédit photographique : B.R. Photomontages à partir de clichés de presse modifiés numériquement.

Pour aller plus loin…
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brunorigolt

- Agrégé de Lettres modernes - Docteur ès Lettres et Sciences Humaines (Prix de Thèse de la Chancellerie des Universités de Paris) - Diplômé d’Etudes approfondies en Littérature française - Diplômé d’Etudes approfondies en Sociologie - Maître de Sciences Politiques