La classe de Première S2 du Lycée en Forêt est fière de vous présenter une exposition exceptionnelle : “Dis-moi un Po-aime“… Chaque jour, un(e) élève vous invitera à partager l’une de ses créations poétiques… Bonne lecture !
Textes déjà publiés : Auréline G. “Je me souviens” ; Sybille M. “Une forêt de béton” ; Oscar P. “D’ailleurs” ; Manon B. “Peine naturelle” ; Alexia D. “Énigmatique forêt” ; Charlotte L. et Clémentine L. “L’Isula di Capezza” ; Slimane H.-M. “Le Royaume” ; Camille V. “Voyage mélancolique” ; Héla G. “Noël robotique” ; Arthur M. “La lune tombe“…
Dimanche 16 mars, Arthur M.
Aujourd’hui, lundi 17 mars, la contribution de Manon
Après-demain, mercredi 19 mars : Louis A.
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« Compagne impromptue »
par Manon B.
Classe de Première S2
Le plaisir qui embaumait mes jours passés
A laissé place à la solitude.
L’enracinement s’installe en moi,
Je ne peux m’abandonner à suivre le pas,
Asservi de tous côtés,
Dans vos rangs, je ne me résignerai.
Devrais-je maintenant tourner la page ?
Vous semblez heureux, pris dans cet engrenage.
Je vous regarde, je vous observe,
Vous êtes les mêmes, les mêmes pantins,
Je ris de vous, ma distraction,
Sourire seul ? Mais à quoi bon ?
Ensemble vous êtes forts,
Je ne suis qu’une goutte ; vous incarnez l’océan,
Ensemble vous êtes morts,
Je ne me suis jamais senti aussi vivant !
Le bonheur a fait son temps
L’ailleurs m’attend à présent.
Alors que je me pensais assez mûr pour m’envoler
Je sens sur mon épaule, une main se poser
Je n’avais remarqué derrière moi
Ces empreintes volages : elle marchait dans mes pas,
Faisait s’envoler la brume d’un sourire rayonnant,
Illuminait ma voie en un instant.
Désormais la seule à me suivre dans mes insomnies,
Je ne peux m’assoupir loin de son parfum exquis,
Compagne de mes ivresses nocturnes
Nos rêves s’envolent à l’unisson,
Lorsque dans nos têtes, un seul mot danse : partons !
« Nos rêves s’envolent à l’unisson,
Lorsque dans nos têtes, un seul mot danse : partons… »
Composition : Bruno Rigolt (peinture numérique, 2014)
d’après Alphonse Osbert (1857-1939), “Soir antique” (hst, 1908). Paris, Musée du Petit Palais
Le point de vue de l’auteure…
Particulièrement sensible à l’inspiration poétique puisée dans le romantisme, j’ai souhaité à travers ce texte exprimer un certain nombre de caractéristiques et de valeurs défendues par les romantiques, chères à mes yeux. Le fait de pouvoir écrire une poésie sensible, dans laquelle les sentiments de l’auteur se bouleversent et s’épanchent, me plaît. C’est ainsi que j’ai essayé de faire passer dans mon poème la notion de « poète maudit », en peignant un personnage qui rejetterait les dictats de la société de manière provocante, enfermé qu’il est dans la solitude de sa tour d’ivoire, seul refuge contre la médiocrité du vulgaire :
Asservi de tous côtés,
Dans vos rangs, je ne me résignerai.
Devrais-je maintenant tourner la page ?
Vous semblez heureux, pris dans cet engrenage.
Comme nous le voyons, le narrateur est la figure même du poète maudit : comparable aux grands incompris dont les livres romantiques vantaient l’inaccessible solitude, il apparaît sous les traits du héros tragique : tour à tour élu et maudit, ange ou bête, isolé et moqué des gens de son époque, il aspire à un monde qui lui permettrait de s’élever intellectuellement et spirituellement. N’est-il pas, au fond, la figure exacerbée du génie individuel de l’artiste romantique, exclu du monde étriqué de la société ? Ce Maldoror ressent en premier lieu un sentiment de regret, de nostalgie. Il déclare que la joie qu’il éprouvait dans le passé (lorsqu’il était encore jeune et naïf) a disparu et a été remplacée par une profonde solitude :
Le plaisir qui embaumait mes jours passés
A laissé place à la solitude.
Comme si, après avoir évolué, après avoir grandi, il s’était détaché de ce à quoi il appartenait, comme si, ayant ouvert les yeux sur le monde fini et décadent, il s’en était retranché. Voilà pourquoi il compare ensuite la société dans laquelle il vit à une sorte de machine, où les gens se sont eux-mêmes pris dans les engrenages, au point d’être prisonniers du nihilisme du monde. Bien au contraire, le poète refuse d’appartenir à la masse, il refuse d’être comme tout le monde et de « suivre le pas ». Ainsi le texte est-il un hymne à la différence.
À ce titre, le poète pense être le seul à pouvoir se comprendre. Il ne souhaite pas vivre dans un monde, où il ne pourrait être vraiment lui-même et se dresse en quelque sorte seul contre tous, comme s’il leur faisait face, prêt à assumer son mal du siècle. On sent un profond sentiment de supériorité lorsque le personnage de mon texte déclare se moquer de la ressemblance des gens qu’il côtoie, en les assimilant à des pantins : “Je vous regarde, je vous observe, / Vous êtes les mêmes, les mêmes pantins”…
Certes, il affirme se rire d’eux, mais réalise que lui-même est ridicule dans sa quête quelque peu vaine de transcendance car personne, et peut-être pas même lui, ne semble pouvoir partager son irréductible point de vue, ce qui renforce le sentiment de solitude qui le hante. Tel un Narcisse piégé par son image, il pense, sans doute à tort, qu’il ne faut compter sur personne d’autre que soi-même :
Ensemble vous êtes forts,
Je ne suis qu’une goutte ; vous incarnez l’océan,
Ensemble vous êtes morts,
Je ne me suis jamais senti aussi vivant.
Mais cet isolement ne risque-t-il pas de causer sa perte ? Ce n’est qu’à la cinquième strophe que le déclic du poème survient : une mystérieuse personne, muse et idéale, entre en jeu. Initiatrice de la quête artistique, médiatrice de l’infini, elle va être la délivrance du poète, sa renaissance, sa transfiguration. Qui est-t-elle ? D’où vient-elle ? Je laisse libre cours à votre imagination. On apprend qu’elle le suivait depuis longtemps, mais qu’aveuglé par ses pensées spleenétiques, il n’avait pas porté attention à sa présence. Pourtant, elle marche dans ses traces depuis toujours… Comme lui, elle est comparable à un soleil, mais non un soleil noir ; plutôt un soleil lumineux, qui fait “s’envoler la brume d’un sourire rayonnant”.
La muse est ainsi l’inspiration du poète et sa protectrice, elle en épouse les goûts et les aspirations : grâce à elle, peut-être va-t-il partir ? S’évader avec elle loin de cette société qui l’oppresse ? Partir dans un rêve où partir réellement ? Eux seuls ont la réponse. On voit ainsi tout au long du texte, naître une progression des sentiments du personnage : étouffé, puis libéré… Sa vie reprend un sens grâce à ce rôle nourricier du personnage féminin. On sent le poète plein d’espoir, même si cela ne change rien à son ressenti vis à vis des autres, au contraire, cela le renforce. Mais désormais il n’est plus seul, il a trouvé son idéal ; elle peut seule déchiffrer son cœur. Une femme plus qu’aimée : aimante…
© Manon B., classe de Première S2 (promotion 2013-2014), mars 2014.
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