Un été en Poésie (saison 2) 22 juillet-22 août 2014… Aujourd’hui : Ingeborg Bachmann


UAEP 2014 accroche
Pour la deuxième année consécutive, du mardi 22 juillet 2014 au vendredi 22 août inclus, découvrez une exposition inédite :
« Un été en poésie »

Chaque jour, un poème sera publié. Cette année, quinze pays seront représentés dans ce tour du monde poétique, mêlant écriture et arts visuels. Conformément au cahier des charges éditorial de ce blog de Lettres, le principe de la parité sera strictement respecté.

 

Aujourd’hui… Ingeborg Bachmann ♀
1926, Klagenfurt (Autriche) — Rome (Italie), 1973… AUTRICHE

Hier, mardi 29 juillet : Pierre Reverdy…  FRANCE
Demain, jeudi 31 juillet : Georges Rodenbach…  BELGIQUE

Dunkles zu sagen

Wie Orpheus spiel ich
auf den Saiten des Lebens den Tod
und in die Schönheit der Erde
und deiner Augen, die den Himmel verwalten,
weiß ich nur Dunkles zu sagen.

Vergiß nicht, daß auch du, plötzlich,
an jenem Morgen, als dein Lager
noch naß war von Tau und die Nelke
an deinem Herzen schlief,
den dunklen Fluß sahst,
der an dir vorbeizog.

Die Saite des Schweigens
gespannt auf die Welle von Blut,
griff ich dein tönendes Herz.
Verwandelt ward deine Locke
ins Schattenhaar der Nacht,
der Finsternis schwarze Flocken
beschneiten dein Antlitz.

Und ich gehör dir nicht zu.
Beide klagen wir nun.

Aber wie Orpheus weiß ich
auf der Seite des Todes das Leben
und mir blaut
dein für immer geschlossenes Aug.

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Dire l’obscur

Comme Orphée je joue
sur les cordes de la vie la mort
et de la beauté de la terre
et de tes yeux qui règnent sur le ciel
je ne sais dire que l’obscur.

N’oublie pas que toi aussi, soudain,
ce matin-là, alors que ta couche
était encore tout humide de rosée et que l’œillet
était endormi sur ton cœur,
tu vis le fleuve obscur
qui passait près de toi.

La corde de silence
tendue sur la vague de sang,
je saisis ton cœur résonnant.
Transformée fut ta boucle
en cheveux d’ombre de la nuit,
des ténèbres les noirs flocons 
enneigèrent ton visage.

Et je ne t’appartiens pas.
Tous deux à présent nous nous plaignons.

Mais comme Orphée je sais
du côté de la mort la vie
et pour moi bleuit à l’horizon
ton œil à jamais fermé.

Ingeborg Bachmann (1926-1973)
Le Temps en sursis (Die gestundete Zeit), 1953
Poème traduit de l’allemand par Françoise Rétif¹.
Le Temps en sursis est paru chez Actes Sud en 1989 (traduction française : François-René Daillie).

→ Pour écouter Ingeborg Bachmann lire son poème en allemand, cliquez ici.

1. Poème cité dans : Françoise Rétif, “Le retour des enfers : Ingeborg Bachmann en quête d’une autre écriture” (page 141 et s.) in Austriaca n°43, décembre 1996 : numéro consacré à Ingeborg Bachmann, Publications de l’Université de Rouen, 1996, page 150.  Nous utilisons ici une traduction légèrement différente proposée par Françoise Rétif dans le dossier “Ingeborg Bachmann” de la revue Europe (n°892-893, août-septembre 2003). Voir aussi : Ingeborg Bachmann, Le Temps en sursis, Œuvres ouvertes, page 2.

Jean_Delville_Orphee_mort_1893« et pour moi bleuit à l’horizon
ton œil à jamais fermé
. »

Jean Delville (1867-1953), « Orphée mort », 1893
Huile sur toile. Acquis de Roland et Anne-Marie Gillion Crowet, Bruxelles, 2008
© SABAM, Belgique

Publié par

brunorigolt

- Agrégé de Lettres modernes - Docteur ès Lettres et Sciences Humaines (Prix de Thèse de la Chancellerie des Universités de Paris) - Diplômé d’Etudes approfondies en Littérature française - Diplômé d’Etudes approfondies en Sociologie - Maître de Sciences Politiques