Paroles menottées : Écriture et engagement

Maxime C. présente… Confession véridique d’un terroriste albinos de Breyten Breytenbach

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“Si vous avez de la chance…, vous pouvez avoir une lueur, un soupçon, un reflet de soleil en certaines saisons…”

Il n’est pas naturel de ne jamais voir les étoiles ou la lune —c’est aussi cruel que de priver quelqu’un de bruit. Je n’ai revu la lune que le 19 avril 1976 quand à environ quatre heures moins vingt-trois minutes de l’après-midi je me retrouve dans la plus grande des trois cours, entouré de hauts murs qui la font ressembler à un puits. J’ai levé les yeux et à mon plus grand étonnement, j’ai vu dans un morceau de ciel, une forme blanche et ridée […] ce ne pouvait être que la lune. Et ils m’ont dit qu’on l’avait pendue, qu’elle était morte !

Le soleil et son absence sont devenus le pivot de notre existence quotidienne. Vous attendez. Vous construisez votre journée sur la demi-heure pendant laquelle on vous autorisera à sortir dans la cour pour dire bonjour au soleil. Vous suivez sa course dans l’univers derrière vos paupières. Vous devenez son disciple. Le soleil ne sait rien de la justice des hommes. Vous savez exactement jusqu’où il descend et à quel moment —hiver, automne, ou été— et si vous avez de la breyten-breytenbach.1289707715.jpgchance, comme cela m’est arrivé pendant quelque temps, d’être dans une cellule du couloir principal, avec des fenêtres donnant sur la passerelle qui n’est pas fermée vers l’extérieur, vous pouvez avoir une lueur, un soupçon, un reflet de soleil en certaines saisons, mais qui ne va jamais assez loin pour que vous puissiez le sentir. Je grimpais sur mon lit, puis sur les montants et, pendant quelque chose comme deux minutes par jour, un rayon jaune me caressait les cheveux. Évidemment, vous finissiez par avoir une conscience aigüe, comme un sens en vous-même jusqu’ici inexploré, du moment exact où le soleil se lève et se couche sans même ne jamais le voir. Aux premiers frissons de l’aube, avant même qu’on sonne le réveil, je me levais et j’essayais de m’installer dans le coin de la cellule où le gardien ne pouvait pas me voir et pendant une demi-heure je restais assis en zazen, et je sentais naître en moi une profonde source de lumière qui, inexorablement, dénuitait le monde ; les yeux à demi fermés, je pouvais sentir ses premiers rayons éclairer le toit fait de fibre de verre, donner forme aux arbres que nous savions tout près parce que les oiseaux parlaient, puis sauter les murs de brique rouge et investir le jour…

Breyten Breytenbach, Confession véridique d’un terroriste albinos, (1975). Traduit de l’anglais par Jean Guiloineau. Texte cité dans Écrivains en prison (p. 62-65), Labor & Fides, 1997.
       
Breyten Breytenbach (1939-) est un écrivain, poète et artiste d’origine sud-africaine. Naturalisé Français depuis 1983, cet Afrikaner a lancé à Paris le mouvement Okhela contre le régime de l’apartheid. Son engagement a valu à Breytenbach d’être arrêté en 1975 lors d’un séjour clandestin en Afrique du sud. Évitant de peu la peine de mort,  il est condamné à sept ans de réclusion. De ces terribles années d’incarcération, rendra compte l’ouvrage dont est tiré ce passage :  Confession véridique d’un terroriste albinos, (The True Confessions of an Albino Terrorist), récit autobiographique poignant sur l’enfermement.
Ce qui domine à la lecture du texte est le sentiment de profonde solitude du prisonnier, qui doit se cacher de ses gardiens pour réussir à se constituer un jardin secret. Ce jardin, si infime soit-il, est un peu une échappatoire : “je me levais et j’essayais de m’installer dans le coin de la cellule où le gardien ne pouvait pas me voir […]. Je sentais naître en moi une profonde source de lumière qui, inexorablement, dénuitait le monde…”. Le verbe “dénuitait” traduit bien ce passage des ténèbres à la lumière que seul permet le rêve. Le poète s’évade du cachot pour rêver aux arbres pourtant si proches, au paysage splendide à portée de mains… Mais si loin quand il y a les barreaux. Seul le rêve permet ainsi de “donner forme aux arbres”,  de “sauter les murs de brique rouge” et d'”investir le jour”.
Ce qui est particulièrement touchant aussi dans cet extrait, ce sont ces vaines tentatives pour apercevoir le soleil, ou un coin de ciel bleu : “vous pouvez avoir une lueur, un soupçon, un reflet de soleil en certaines saisons […] sans même ne jamais le voir. C’est cet espoir infime qui permet au prisonnier de se dire qu’il fait encore partie du monde des vivants, et qu’il peut ainsi oublier sa souffrance physique et psychique. Pendant ces longues années d’enfermement, Breyten Breytenbach se servira de l’écriture pour survivre et s’accrocher à un seul espoir : la liberté.
Maxime C. Classe de Seconde 7, Lycée en Forêt (Montargis, France, mars 2010)
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Texte extrait de l’anthologie Écrivains en prison (Labor & Fides, 1997). Pour lire l’intégralité du texte, cliquez ici. Pour accéder aux parties librement consultables de l’ouvrage sur Google-livres, cliquez ici. Vous pouvez aussi feuilleter cet ouvrage (Michael Walzer, La Critique sociale au vingtième siècle) rempli de documents, de photographies permettant de mieux comprendre l’ininéraire de Breyten Breytenbach :