Exposition de poésies… 1ère ES2 : Dis-moi un « poaime ». Aujourd’hui, la contribution d’Alyssa et Ninon

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La classe de Première ES2 du Lycée en Forêt est fière de vous présenter une exposition exceptionnelle : « Dis-moi un Po-aime »… Plusieurs fois par semaine, les élèves vous inviteront à partager l’une de leurs créations poétiques…
Bonne lecture !

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Aujourd’hui, mardi 10 mai, la contribution d’Alyssa et Ninon
Précédentes publications : Vendredi 6 mai, Aymeric ; dimanche 8 mai, Aymmy
Prochaines publications : samedi 14 mai, Céline ; dimanche 15 mai : Furkan ; mardi 17 mai : Marie.

« Fruit de la passion »

par Alyssa G. et Ninon V.-N.
Classe de Première ES2

L’abstrait brûlant de désir
Se déplaçait le long de mes formes
Le long de mes paroles

À l’aube fraîche et calme
Dans les draps du ciel
Dominés par l’intense lilas

Je repense à cette nuit éveillée
À ses courbes bleues,
Au souffle du vent contre ta peau

Tendres et douces pulsions
De naissances successives,
Toutes submergées de passions dissidentes

Matisse_Nu-bleu-II_1952_aIllustration : Henri Matisse, « Nu bleu II », 1952
Papiers gouachés, découpés et collés sur papier marouflé sur toile
Paris, Centre Pompidou

 

Le point de vue des auteures…

« Le désir, seul ressort du monde », écrivait André Breton dans L’Amour fou
De fait, le désir, chez les Surréalistes, est le point de convergence où se rassemblent les zones mystérieuses de l’inconscient, et l’enchantement du rêve. Tel a été le point de départ de ce poème qui évoque, à travers son titre, « Fruit de la passion », ce qui relève de la sensibilité, de l’émotion. Cette tonalité affective est ainsi suggérée dans le texte par l’évocation sensuelle d’un souvenir amoureux idéalisé, capable de modifier notre perception de la réalité.

Les vers libres, l’absence de ponctuation, et surtout les associations insolites de mots et d’images nous ont paru aller de soi, lors de la création de ce texte, afin de toucher à l’irréel même, qui est l’essence de tout poème. Les sentiments notamment se nourrissent d’émotions : voici pourquoi la forme du texte devait rendre compte de cette nature complexe du phénomène passionnel. Ainsi, cette irréalité suggérée dès le début du poème par « l’abstrait brûlant de désir » (v. 1) mêle le plus intime du moi ( « le long de mes formes / Le long de mes paroles ») à la lumière de l’autre (« Au souffle du vent contre ta peau »). Les nombreuses personnifications associent la nuit à un univers intimiste et magique, à la fois démystification de la raison et du réel, mais aussi revendication des profondeurs du désir, quête mystique et onirique de la Vérité dans la lignée de Rimbaud, Paul Eluard, André Breton ou René Crevel

Ce n’est donc pas un hasard si le poème s’achève sur l’idée de mouvement, de désordre, voire de transgression. La passion devient ressort, énergie, source de vie :

Tendres et douces pulsions
De naissances successives,
Toutes submergées de passions dissidentes

Face à la réalité monotone, ces « douces pulsions », ces « naissances successives […] submergées de passions dissidentes » traduisent un dynamisme, un souffle : la forme exalte en effet le mouvement et fait ressortir le fond : la révélation d’une dimension spirituelle, dissidente, apte à métamorphoser la réalité. La poésie est parole, commandée par les mouvements humains les plus fondamentaux : battement du cœur, rythme de la respiration. Le Verbe poétique, parce qu’il permet de toucher l’inaccessible, apparaît comme le signe d’une transfiguration, d’un désir, d’une liberté « submerg[ée] de passions dissidentes ».

Ce lyrisme mouvementé, libéré de toute entrave, ouvre véritablement à l’altérité : il interroge, autant qu’il interpelle, sous les traits d’une identité énigmatique, les motifs du corps féminin comme métaphore du monde : « formes » (v.2) ; « courbes » (v.8) ; « peau » (v.9)… De même, les allitérations en |s|, très présentes tout au long du poème, créent l’illusion de mouvement : « se déplaçait » (v.2) ; « ciel » (v.5) ; « intense » Paysage_bleu_Chagall_a(v.6) ; « repense » (v.7) ; « souffle » (v.9) ; « pulsions » (v.10) ; « naissances successives » (v.11) ; « submergées » ; « passions dissidentes » (v.12). Ces allitérations donnent aussi une expression musicale et ludique, propre à suggérer le désir amoureux.

Marc Chagall, « Le Paysage bleu » →
gouache sur papier, 1949

(Wuppertal, Von der Heydt Museum)

Terminons cette brève présentation par quelques remarques plus générales sur la forme. C’est l’antithèse voire l’oxymore (v. 10) qui dominent souvent dans le texte, de manière à mettre en valeur l’intensité même des sentiments, qui passe par la revendication du corps comme paradigme de liberté et d’affranchissement. Voici pourquoi le langage doit épouser cette violence sentimentale, conformément à l’esthétique surréaliste. Mais qu’on ne se méprenne pas : cette “douce violence” du désir traduit surtout l’intensité de la jeunesse, dont les désirs sont faits d’hyperboles, d’exagérations, de serments bien plus que de sermons… À ce titre, les « les draps du ciel / Dominés par l’intense lilas » (v.5-6), expriment métaphoriquement la quête paradisiaque d’un pur Éden dans « l’aube fraîche et calme » qui confère à l’amour une dimension à la fois de refuge et de pureté : ainsi, les « draps du ciel » semblent faire écho à ces « merveilleux nuages » qu’évoquait Baudelaire…

© Alyssa G. et Ninon V.-N., classe de Première ES2 (promotion 2015-2016), mai 2016.
Espace Pédagogique Contributif


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brunorigolt

- Agrégé de Lettres modernes - Docteur ès Lettres et Sciences Humaines (Prix de Thèse de la Chancellerie des Universités de Paris) - Diplômé d’Etudes approfondies en Littérature française - Diplômé d’Etudes approfondies en Sociologie - Maître de Sciences Politiques