Exposition de poésies… 1ère ES2 : Dis-moi un « poaime ». Aujourd’hui, la contribution de Furkan

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La classe de Première ES2 du Lycée en Forêt est fière de vous présenter une exposition exceptionnelle : « Dis-moi un Po-aime »… Plusieurs fois par semaine, les élèves vous inviteront à partager l’une de leurs créations poétiques…
Bonne lecture !

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Aujourd’hui, dimanche 15 mai, la contribution de Furkan
Précédentes publications : samedi 14 mai : Céline ; mardi 10 mai : Alyssa et Ninon ; dimanche 8 mai, Aymmy ; vendredi 6 mai, Aymeric ;
Prochaines publications : mardi 17 mai : Marie ; vendredi 20 mai : Agatha et Léa

« L’écume de l’amour »

par Furkan M.
Classe de Première ES2

Mon amour pour toi est aussi beau que le bleu d’outremer, d’azur
Ou de Neptune. Tes yeux colorés mettaient en valeur la brume
De tes cheveux, aussi longs que la mer au toit de dunes.
Mais tu cachais tes sentiments envers moi telles ces étoiles, comme cette lune

Chaque matin, ta beauté ressemblait aux nuits épanouies
Notre joie était encore plus belle que le bonheur du jour
Et je repense à cette nuit : tu étais en robe comme Cendrillon avant minuit
Mais tu cachais tes sentiments envers moi telles ces étoiles, comme cette lune

Nos regards se sont croisés si longtemps que le monde entier ne pouvait
Douter de notre amour. Ton sourire aux mille éclats me faisait rougir,
Et ton rire m’a fait parfois penser au chant du grand réveil
Mais tu cachais tes sentiments envers moi telles ces étoiles, comme cette lune

On s’est perdu de vue. J’étais encore plus perdu qu’une étoile sans nuit,
Un silence sans bruit. Sache que mon amour, que la beauté de ton visage
Ne seront jamais gravés en moi de manière temporelle
Mais tu cachais tes sentiments envers moi telles ces étoiles, comme cette lune

Je trempe ma plume dans mon cœur pour te montrer l’écume de mon amour,
Pour lutter contre les battements de tambour de mon chagrin,
Mon cœur n’appartiendra à personne jusqu’à mon dernier souffle
Mais tu cachais tes sentiments envers moi telles ces étoiles, comme cette lune

Chavannes_Recueillement_détailPierre Puvis de Chavannes (1824-1898), « Le recueillement » (1866)
Huile sur toile, (détail). Paris, Musée d’Orsay

Le point de vue de l’auteur…

Ce poème d’inspiration très personnelle est caractéristique de l’esthétique symboliste. De fait, le texte est guidé par une quête d’idéal et d’amour absolu : c’est cette quête au terme de laquelle l’être aimé devient le symbole d’un bonheur presque inaccessible, qui permet de transcender le quotidien, et de donner un sens à la vie. 

Dans ce poème, le grand amour est l’objet de la quête du poète : il veut l’idéal, l’union parfaite. Poétisée à l’extrême, la femme est également associée à un personnage de conte (« tu étais en robe comme Cendrillon avant minuit », « ton sourire aux mille éclats me faisait rougir ») : dans le silence de la nuit étoilée et la magie du clair de lune, la jeune fille est comme un appel aux voix de l’infini permettant de dépasser le quotidien :

« Sache que mon amour, que la beauté de ton visage
Ne seront jamais gravés en moi de manière temporelle »

Grâce à l’amour que porte le poète à l’être aimé, l’univers semble s’agrandir : la femme est bien ici l’allégorie de la poésie comme en témoignent les jeux de l’imaginaire et de l’idéal, qui font penser à la poésie de Baudelaire, par exemple « l’invitation au voyage » :

« Mon enfant, ma sœur,
songe à la douceur
aller là-bas vivre ensemble ! »

De même, dans le texte, le pays rêvé est avant tout un pays métaphorique, illusoirement réel, comme le suggère le début du texte : « Mon amour pour toi est aussi beau que le bleu d’outremer, d’azur/Ou de Neptune ». L’enjambement accentue encore plus la dimension onirique et légendaire de cet univers où le bleu évoque à la fois le rêve mais aussi le voyage vers l’ailleurs.

Odilon_Redon_Ophélie_2Odilon Redon (Bordeaux 1840 – Paris 1916), « Ophélie », vers 1900-1905
Pastel sur papier sur carton. New York, Dian Woodner Collection

Voyage d’autant plus nostalgique qu’il semble d’un autre temps, comme le suggèrent les verbes au passé (imparfait et passé composé). Le texte est en effet tout sauf réaliste : la nostalgie, qui est à la fois disposition d’esprit et quête poétique, plonge le lecteur dans un univers irréel et mystérieux. La nostalgie revêt ainsi deux aspects : celui de la recréation (faire revivre le passé par la mémoire) et celui de la quête d’absolu, quête de l’idéal. Et l’idéal commence avec le « Grand Amour » conçu dans le poème comme un engagement, un don total de soi, comme l’ont si bien chanté les Romantiques, notamment Alphonse de Lamartine. Cet amour est d’autant plus beau qu’il apparaît presque comme impossible.

D’ailleurs le plus bel amour n’est-il pas l’Amour irréalisable et interdit ? Celui qu’on rêve plutôt que de le vivre ! La fin du texte suggère cet ancrage de la poésie dans une sorte d’absolu, presque en dehors de toute réalité :

On s’est perdu de vue. J’étais encore plus perdu qu’une étoile sans nuit,
Un silence sans bruit. Sache que mon amour, que la beauté de ton visage
Ne seront jamais gravés en moi de manière temporelle
[…]
Mon cœur n’appartiendra à personne jusqu’à mon dernier souffle

La vie en effet amène souvent à des désillusions, tandis que l’idéal est le chemin qui mène à l’imaginaire et à la poésie, seule capable de faire revivre cette pureté de l’amour, qui est gage tout à la fois de paix et de communion spirituelle avec l’univers.

J’ajouterai pour terminer qu’un texte de Paul Éluard m’a profondément marqué quand je l’ai lu : c’est L’amour la poésie publié en 1929. Plus particulièrement, le très célèbre poème « La terre est bleue » qui évoque les amours d’Éluard et de sa muse Gala, nostalgie d’un temps où l’amour n’était que poésie. De même qu’Éluard a pu décrire Gala telle « une Chagall_hommage au passé_détailétoile nommée azur », j’ai quant à moi voulu associer l’être aimé à un secret, un mystère caché comme en témoigne ce vers : « Mais tu cachais tes sentiments envers moi telles ces étoiles, comme cette lune ». Le retour continuel à la fin de chaque strophe de ce même vers crée une sorte de refrain, destiné à rappeler le passé en jouant sur les effets musicaux : de même que la musique est rythme et son, le poème grâce à ce refrain établit une sorte de musicalité quasiment surréaliste.

← Marc Chagall (1887-1985), « Hommage au passé », 1944 (détail). Collection particulière. |Source|

Je parlerai même ici d’une « musicalité du silence » : « telles ces étoiles, comme cette lune », l’être aimé devient la révélation d’une vérité intérieure et silencieuse qu’il faut savoir déchiffrer. Le but du texte est ainsi d’amener à une réflexion sur le « symbole » qui doit conduire à un déchiffrement à la fois métaphysique et mystique du monde, irréductible au matérialisme. De fait, à la mission de déchiffrement que les Symbolistes assignent à la poésie, correspond bien l’aspect mystique du texte. L’Amour devient ainsi une quête vers un autre univers : univers absolu conduisant à la révélation d’un monde qui doit guider l’homme vers une connaissance spirituelle, comme le suggère le titre du poème. « L’écume de l’amour », c’est un peu « l’écume inconnue » dont parle Mallarmé dans « Brise marine » : écume spirituelle qui permet de dépasser le chagrin amoureux dans l’art poétique, conçu d’abord comme une quête du sens…

© Furkan M., classe de Première ES2 (promotion 2015-2016), mai 2016.
Espace Pédagogique Contributif

Publié par

brunorigolt

- Agrégé de Lettres modernes - Docteur ès Lettres et Sciences Humaines (Prix de Thèse de la Chancellerie des Universités de Paris) - Diplômé d’Etudes approfondies en Littérature française - Diplômé d’Etudes approfondies en Sociologie - Maître de Sciences Politiques