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La classe de Première ES2 du Lycée en Forêt est fière de vous présenter une exposition exceptionnelle : « Dis-moi un Po-aime »… Plusieurs fois par semaine, les élèves vous inviteront à partager l’une de leurs créations poétiques…
Bonne lecture !
Aujourd’hui, jeudi 12 mai, la contribution de Céline
Précédentes publications : Vendredi 6 mai, Aymeric ; dimanche 8 mai, Aymmy ; mardi 10 mai, Alyssa et Ninon
Nouvelles publications cette semaine : dimanche 15 mai : Furkan ; mardi 17 mai : Marie
« L’Amour d’un troubadour »
par Céline V.
Classe de Première ES2
ette femme est fleur mélodieuse
Elle soupire au fond du cœur à l’ombre
Des nuages argentés.
Belle dame éloignée de son preux chevalier,
Languit dans une longue attente
Ruisselle dans le mystère poudreux
Du soir venu lui parler,
Comme scintillement de pierres précieuses.
Fleur de beauté porteuse de grâce
Son sombre talent la rend capricieuse
L’attire au pays des anges
Comme un aigle majestueux s’en est allé
Son bonheur reviendra parmi la rosée où la fleur éclot,
Car la vie est un jeu semé de paliers :
Sources de lumière, abîmes de l’amour
Qui feront grandir et devenir qui nous sommes.
Illustration : Jean Pichore et atelier, «Phyllis guettant le retour de Démophon »
Peinture sur parchemin, Paris, vers 1500 (détail), Paris, BNF
Image figurant à la page 43 du livre Le Moyen Âge flamboyant, Poésie et peinture, Diane de Selliers Éditeur)
Sélection des poèmes, biographies et répertoire : Lucile Desmoulins ; Iconographie et notices sur les manuscrits illustrés : Chrystèle Blondeau. Préface de Michel Zink. Ouvrage consultable au CDI du LEF sous la cote 840-1 “11/14” MOY
Le point de vue de l’auteure…
J’ai souhaité à travers ce poème rendre hommage à l’amour courtois que les troubadours au Moyen Âge nommaient le fin’amor, c’est-à-dire « amour fin, affiné, épuré, comme l’or fin est épuré par le feu. Rien plus que ce feu de l’amour, ce feu où s’épure l’amour, ne permet de dire le Moyen Âge flamboyant. Mais il n’existe, cet amour, que dans son expression poétique, il est le produit de la poésie nouvelle qui le forge »¹. Ces propos de Michel Zinc qui préfacent le bel ouvrage Le Moyen Âge flamboyant, Poésie et peinture, me semblent parfaitement correspondre à l’esprit de ce texte.
De fait, entre forme et symbole, la poésie lyrique est l’expression du sentiment amoureux. « L’Amour d’un troubadour » se réfère donc à l’amour courtois du Moyen Âge : la lettrine « C » avec son enluminure, de même que le choix du lexique éveilleront chez le lecteur des réminiscences de la poésie du fin’amor, inventée par les troubadours : poésie courtoise habile à jouer des rimes et des rythmes. Ainsi, même si les vers sont libres, ils obéissent cependant à une structure qui privilégie le lyrisme musical et poétique. Le poème étant un chant, la structure de certains vers se répète pour permettre le retour de la mélodie (par exemple, les vers 3, 7 et 11 qui sont des heptasyllabes).
Quelques vers pairs, souvent employés dans la poésie classique, se retrouvent dans mon texte, notamment l’alexandrin du vers 4, rythmé 6/6 et dont la régularité est propre à suggérer la mesure, l’équilibre et la vertu chevaleresque. Certains vers en revanche sont plus longs comme le vers 13 : « Son bonheur reviendra parmi la rosée où la fleur éclot ». Il s’agissait pour moi d’évoquer par ces changements de rythme toute la force du sentiment amoureux. Comme le note Michel Zinc, « Le chant est une manifestation de joie et l’élan sensuel qui emplit la nature au printemps invite au champ de l’amour, mais l’affolement douloureux du désir emplit ce champ de ses contradictions, si bien qu’il le nourrit et l’éteint à la fois. La pierre de touche du véritable amour et la qualité du poème qu’il inspire, et ce poème doit incarner dans son langage même les tensions de l’amour. C’est pourquoi la langue des troubadours est tendue, la syntaxe contournée, le lexique recherché, voire détourné, l’expression elliptique ou heurtée »² : il s’agissait donc pour moi de jouer sur la fluidité des rythmes et des sonorités. Aux vers 10 et 13 par exemple, les allitérations en |r| me semblent évoquer ces contradictions de l’amour, « fait de joie et d’angoisse, c’est pourquoi la satisfaction amoureuse est la pire des souffrances en même temps qu’une source d’exaltation »³.
Venons-en justement à la thématique du texte : le thème traditionnel de la célébration de la femme associé à l’expression du sentiment amoureux, oriente en effet mon poème. La femme est l’objet et le destinataire du poète qu’elle inspire. Le troubadour s’adresse à elle à la troisième personnelle du singulier : « elle soupire » (v. 2), « languit dans une longue attente » (v. 5), ce qui marque une distance envers cette « belle dame éloignée de son preux chevalier » (v. 4). Toute la thématique de l’amour courtois se trouve ici suggérée : la poésie amoureuse tient à cet égard une place essentielle dans le cœur de l’amant-poète qui chante la femme telle une « fleur de beauté porteuse de grâce ». Le troubadour Bernard de Ventadour écrivait à ce titre : « Ce n’est pas merveille si je chante mieux que tout autre chanteur ; c’est que, plus que tous les autres, je me soumets à Amour et lui obéis : cœur et corps, savoir et sens, pouvoir et force, je lui ai tout donné » |source|. Le fin’amor fait ainsi de la femme la suzeraine de l’homme.
La représentation de la femme est donc associée ici à l’amour idéal que lui porte le poète. Cette expression de l’amour s’appuie également sur des phrases déclaratives mettant en avant par le présent gnomique le lien entre la femme et la réflexion plus métaphysique sur la condition humaine. Un aspect essentiel de l’élégie sentimentale apparaît ici : la romance troubadour privilégie en effet une tonalité à la fois intime et solennelle qui s’épanouit à la fin du texte dans une réflexion sur le destin et le sens de la vie :
Car la vie est un jeu semé de paliers :
Sources de lumière, abîmes de l’amour
Qui feront grandir et devenir qui nous sommes.
Écrire une poésie établit ainsi un rapport au monde, qu’il s’agit de représenter, de déchiffrer et d’analyser. En écrivant mon poème, j’ai voulu montrer surtout cette quête d’un idéal à travers le fin’amor pour la femme aimée. Cette idéalisation de la vie par l’amour, nul mieux que les troubadours du Moyen Âge ne l’ont exprimée à travers la poésie courtoise.
© Céline V., classe de Première ES2 (promotion 2015-2016), mai 2016.
Espace Pédagogique Contributif
- Michel Zinc, préface de l’ouvrage Le Moyen Âge flamboyant, Poésie et peinture, Diane de Selliers Éditeur, op. cit. page 21. Ouvrage consultable au CDI du LEF sous la cote 840-1 “11/14” MOY
- ibid.
- ibid.
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