Ce support ainsi que le programme de cours s’adressent prioritairement aux sections dont j’ai la charge, mais ils intéresseront bien évidemment les étudiant/es préparant l’épreuve de culture générale et expression en deuxième année de BTS.
L’extraordinaire
nouveau thème BTS 2017-2018
Présentation du thème et du programme de cours
Bruno Rigolt
Pieter Brueghel l’Ancien, « Tour de Babel », c. 1563
Rotterdam, Museum Boijmans Van Beuningen
Les Instructions officiellesProblématique La vie quotidienne se caractérise par son rythme régulier et rassurant, parfois monotone. L’habitude émousse la vue, l’ouïe, l’odorat et le goût. Tout semble s’affadir et ne plus mériter l’intérêt. A l’inverse, l’extraordinaire a un véritable pouvoir de révélation. Il fait surgir des réalités hors du commun aussi bien que des sensations nouvelles. L’événement rompt le fil continu du temps et donne à l’instant une intensité qui suscite des émotions fortes : joie, surprise, émerveillement… Il donne le sentiment d’une plénitude qui justifie tous les superlatifs. Parfois, l’événement surgit spontanément – à l’occasion d’une découverte inattendue, d’une initiative improbable, d’un trait de génie. Mais ne faut-il pas aussi susciter l’extraordinaire, le chercher puisqu’il est difficile de se satisfaire de la plate répétition du quotidien ? Faut-il alors créer le moment inédit qui fait date ? Notre société se plaît dans la production de l’événement, en fait même une pratique si courante qu’elle frise la banalité. La recherche permanente de l’inédit, de la sensation, la surenchère organisée dans l’extraordinaire ne nous assujettissent-elles pas à une autre forme de monotonie ? L’extraordinaire se manifeste aussi dans son extrême violence. Loin d’exciter, il anéantit. Loin de favoriser le verbe et l’hyperbole, il coupe le souffle et la parole. C’est alors le traumatisme qui prévaut et l’habitude retrouvée peut apparaître nécessaire et apaisante. Il est difficile de juger d’un quotidien auquel on s’est accoutumé, mais il s’avère tout aussi difficile de penser l’extraordinaire, car les émotions jouent contre la prise de distance que demande l’exercice de la raison. Comment rendre compte du banal ? Comment construire un jugement sur ce dont on finit par oublier le sens et la saveur ? Comment rendre justice à ce que l’usage et l’usure ont voué à la discrétion ? Inversement, comment penser l’exceptionnel tout en gardant de la mesure ? Comment préserver sa lucidité sans pour autant faire preuve de détachement insensible, de sécheresse de cœur ? Comment trouver les mots qui sonnent juste, restaurer le pouvoir de la parole et éviter les excès d’un verbe affolé face à l’événement qui sidère ? Mots clés Acte d’héroïsme, aventure, catastrophe, événement, exceptionnel, extraordinaire, fulgurant, hasard, imprévisible, imprévu, ineffable, inouï, insolite, merveilleux, miracle, original, paroxysme, prodige, séisme, spectaculaire, surprise… Carnaval, chef-d’œuvre, coup de théâtre, drame, édition spéciale (breaking news), événementiel, fantastique, fête, morceau de bravoure, péripéties, rebondissement, rencontre, rite de passage, romanesque, scoop… Anéantissement, choc, déconcertant, effroi, étonnement, extase, horreur, intensité, ivresse, ravissement, sensationnel, sidération, sublime, surprise, terreur, traumatisme… Anodin, banal, classique, coutume, ennui, familier, habitude, insignifiant, insipide, monotone, normal, ordinaire, platitude, quelconque, quotidien, rebattu, régulier, répétition, tradition, usage… Accoutumance, apaisement, calme, confort, dégoût, ennui, indifférence, lassitude, sérénité… Indications bibliographiques Ces indications ne sont en aucun cas un programme de lectures. Elles constituent des pistes et des suggestions pour permettre à chaque enseignant de s’orienter dans la réflexion sur le thème et d’élaborer son projet pédagogique. Littérature
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L’EXTRAORDINAIRE : UNE NOTION COMPLEXE ET PROTÉIFORME
chappez à l’ordinaire. Soyez particulier ». Ces propos, extraits de la bande-annonce canadienne du film de Tim Burton, Miss Peregrine et les Enfants Particuliers, valent presque définition : par rapport au quotidien, l’irruption de l’extraordinaire crée en effet des conditions d’exception qui relèvent du surgissement événementiel, de l’inattendu, de l’imagination, de la fantaisie, de l’étrangeté voire du surnaturel. Ainsi que le rappellent les IO, « la vie quotidienne se caractérise par son rythme régulier et rassurant, parfois monotone. […] Tout semble s’affadir et ne plus mériter l’intérêt. A l’inverse, l’extraordinaire a un véritable pouvoir de révélation. Il fait surgir des réalités hors du commun aussi bien que des sensations nouvelles ».
Ce « pouvoir de révélation » qui est comme un renversement de l’épistémologie cartésienne, postule un profond renouvellement des savoirs qui questionne le désir et se rapporte à l’étonnement, à l’émerveillement. En tant que manque, fascination pour l’inconnu, l’extraordinaire apparaît comme une quête de sens permettant de mieux comprendre le monde dans sa complexité.
Jean-Bruno Renard, professeur à l’université Paul-Valéry de Montpellier et sociologue de l’imaginaire, notait ainsi très justement : « L’extraordinaire est de tous les temps et de toutes les cultures. Dans les encyclopédies qui résument le savoir d’une époque, la rubrique « prodiges », « énigmes » ou « mystères » est une constante culturelle, même si son contenu est variable. Au VIème siècle après J.-C., Isidore de Séville consacrait aux prodiges et aux merveilles le livre XI de ses Étymologies, sommes du savoir profane et religieux de son temps. De nos jours, l’encyclopédie Quid réserve plusieurs colonnes aux « énigmes » (archéologiques, historiques, zoologiques, OVNI, etc.) et aux « miracles » religieux (apparitions, stigmates, etc.). Le merveilleux apparaît donc comme secteur particulier de la connaissance »¹ : en suscitant la curiosité, le savoir et l’admiration, il est une source d’émulation dont a besoin le corps social.
Face au « désenchantement du monde » pour reprendre une expression célèbre de Max Weber, l’extraordinaire fait écho à la quête de rationalisation de toutes les sphères sociales, particulièrement dans les sociétés occidentales. En ce sens, du fait qu’il agrandit et amplifie les événements, l’extraordinaire bouleverse les repères habituels du temps et forge un imaginaire original et puissant qui est comme un réenchantement, une idéalisation du réel : il est ce qui se passe, lorsque rien ne se passe.
Le dictionnaire Larousse précise que c’est « ce qui sort de l’usage ordinaire », « qui étonne par sa bizarrerie : singulier, insolite » ; qui est « hors du commun, remarquable, exceptionnel », « très grand, intense, immense ». Quant à Jean-Bruno Renard, il propose la définition suivante : « Au travers d’études nombreuses et variées, on peut relever cette même idée de l’extraordinaire comme écart à la nature des choses, que ces choses soient naturelles, sociales, etc. […]. Quels que soient les mots utilisés —merveilleux, fantastique, insolite, incongru, étrange, monstrueux, incroyable, inexplicable, prodigieux, invraisemblable, etc.— le concept d’extraordinaire est mobilisé lorsque le réel ne « colle » plus à la réalité, c’est-à-dire lorsque des événements ou des phénomènes s’écartent de notre perception ordinaire du monde »².
En tant que « surgissement de l’inhabituel dans le champ social et culturel d’un groupe ou d’un individu »³, l’extraordinaire dénote ainsi une prise de conscience des pouvoirs de l’imaginaire : si notre modernité tend à évoluer vers un espace technicien assez contraignant pour les populations dans la mesure où le cadre institutionnel que nous connaissions tend de plus en plus à disparaître au profit d’un cadre économico-sécuritaire : fusion entre technique et domination, entre rationalité et oppression, l’extraordinaire s’impose donc comme nécessité. Sur le plan épistémologique, il oblige ainsi à une mise en question de notre modernité et de nos modèles civilisationnels.
Face à la vision instrumentale d’un monde où tout tendrait à être évalué en termes de « fonctionnement » et de « rationalité », comme contestation de la rationalité, l’extraordinaire relève du discontinu, de l’accidentel, du démesuré, de l’exceptionnel, du merveilleux, de l’incroyable. Autant de qualificatifs qui lui confèrent une dimension symbolique héritée du mythe, du conte et plus généralement de l’univers sacré.
Bruno Rigolt
© août 2016, Bruno Rigolt/Espace Pédagogique Contributif
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PROGRAMME DES COURS 2016-2017 © Bruno Rigolt
Programme de cours semestriels. Premier cours en ligne : 11 septembre 2016
1. De l’ordinaire à l’extraordinaire
_A/ Sociologie de l’extraordinaire
_B/ Le banal, l’ordinaire, l’ennui
_C/ Le « parti pris des choses » ou la métamorphose mythique du quotidien
_D/ L’extraordinaire, l’invraisemblable et l’incongru
2. L’extraordinaire et le merveilleux
_A/ L’extraordinaire dans les contes : transgression, quête initiatique et révélation
_B/ Extraordinaire, monstruosité et métamorphose
_C/ Voyages dans le quotidien : le « merveilleux d’altérité »
_D/ Le vertige de la fête ou l’abolition du temps ordinaire
3. L’extraordinaire à l’épreuve du réel
_A/ La perception de l’extraordinaire, entre regard objectif et construction mentale
_B/ Les villes imaginaires. De l’utopie à la cité infernale : Eldorado, Metropolis…
_C/ Guerre et Extraordinaire : la guerre entre déshumanisation et sublimation de l’humanisme
_D/ Futur post-apocalyptique et guerres interstellaires : le cinéma de science-fiction
4. Les événements médiatiques et la quête de l’extraordinaire
_A/ Affabulations, rumeurs, faits divers : rendre vraisemblable l’invraisemblable
_B/ Faire voir l’extraordinaire : l’espace médiatique et la fabrique de l’événement
_C/ Mythes et images de l’héroïsme : les destins extraordinaires
_D/ En attendant demain : le marketing de l’extraordinaire comme vecteur de réenchantement
Conclusion : Où va le monde ? L’extraordinaire n’a de sens que s’il est en quête de sa propre rationalité…
L’extraordinaire dans l’imaginaire japonais :
Katsushika Hokusai (1760-1849), « Le spectre aux assiettes » (estampe, 1831)
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NOTES
1. Jean-Bruno Renard, Le Merveilleux, Sociologie de l’extraordinaire, Paris, CNRS Éditions 2011, page 42.
2. ibid. pp. 22-23.
3. Jean-Marie Seca, « Compte rendu du livre de Jean-Bruno Renard, 2011, Le Merveilleux. Sociologie de l’extraordinaire, Paris, CNRS éditions », Les Cahiers de psychologie politique, n°20, Janvier 2012.
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TRAVAUX DIRIGÉS
- Autoexercice 1 : réalisez une fiche de synthèse regroupant les principales définitions proposées par le Centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRTL).
- Autoexercice 2 : en vous aidant du support de cours et en exploitant vos réponses à l’autoexercice 1, analysez les documents ci-dessous : quels aspects de l’extraordinaire véhiculent-ils ?
Fernand Khnopff, « Une-ville-abandonnée », 1904
Pastel et crayon sur papier. Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique
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Détail de la couverture de l’album Le Voyage extraordinaire, tome 2
Denis-Pierre Filippi (scénariste), Silvio Camboni (illustrateur), éd. Vents d’Ouest, 2013
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Publicité Perrier, « Drink Extraordinaire, Drink Perrier »
Campagne publicitaire France et International, 2016
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« Ogni pensiero vola » (« Toutes les pensées volent »)
Parco dei Mostri (Parc des monstres), Bomarzo, province de Viterbe (Latium, Italie)
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« Tout à coup, un inconnu vous offre des fleurs. Ça, c’est l’effet magique d’Impulse. »
Publicité pour le déodorant Impulse, 1981
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Bande annonce France du film Miss Peregrine et les enfants particuliers, 2016
Réalisateur : Tim Burton (20th Century Fox. Distrib. Gaumont-Pathé)

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