Entraînement n°2 à l’épreuve de Culture générale et expression du BTS « Invitation au voyage » : imaginaires portuaires

Entraînement à l’épreuve de Culture générale et expression du BTS

Thème 2023-2024 : “Invitation au voyage”

Entraînement n°2
Thème au programme : Invitation au voyage

Sujet complet conforme au BTS
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→ Voir l’entraînement n°1 [La route : une invitation au voyage. Du vagabondage territorial à la quête existentielle…]

Imaginaires portuaires

(Crédit iconographique : © Bruno Rigolt, 2018)

Le port, une porte ouverte sur l’imaginaire…

Shangaï, Rotterdam, Marseille-Fos, Le Havre… les ports sont des vecteurs essentiels de la mondialisation. Pour autant, au-delà des enjeux économiques, environnementaux et géopolitiques qu’ils représentent, les ports traduisent un véritable rapport de fascination avec le voyage. Depuis la multiplication des traversées facilitée par le passage de la voile à la vapeur sous la Révolution industrielle, la littérature et la peinture maritimes mais aussi le cinéma ou la chanson ont bien mis en évidence l’imaginaire du port et la part de mystère, de mélancolie, de dépaysement qu’il inspire. Le corpus proposé pour ce deuxième entraînement est très représentatif de cette attirance pour les ports maritimes : en quoi sont-ils déclencheurs de rêve et d’imaginaire ?

Parce qu’il a un rapport étroit avec l’élément marin, le port exprime tout d’abord l’ivresse du départ et la féérie du voyage : voyage réel, accompli par goût de la découverte et désir d’aventure, mais plus encore voyage imaginaire, fantasmé, source de création artistique, espace de rêverie et d’illumination… C’est ainsi que la célèbre toile de Claude Monet “Impression, soleil levant” (doc. 1) retranscrit par touches subtiles d’impressions capturées sur le vif, l’atmosphère industrielle du port du Havre, toute en verticalité avec ses grues et ses cheminées fumantes. Délaissant la fonction ornementale de l’art, le peintre nous invite à un étrange voyage parmi la fumée des usines se dissolvant en volutes dans la lumière humide et changeante du matin.

Cette représentation de l’imaginaire portuaire par le biais du réel se retrouve également dans le poème d’Anna de Noailles, “Le port de Palerme” (doc. 2). Si la valeur du quotidien mérite pour l’autrice d’être représentée, la description du monde réel s’efface progressivement au profit du rêve et de l’imaginaire. La description du port devient l’occasion d’exprimer la nostalgie du voyage et l’aspiration à un au-delà spirituel. Le port exprime donc toute une idéalisation du réel fortement liée à la valeur symbolique de la mer. Dans un monde dominé par l’uniformité et le conformisme, le spectacle du port est au contraire l’occasion de questionner notre besoin d’échapper à la société et notre désir de s’aventurer dans les territoires inconnus du voyage. 

Tel est le sens du voyage entrepris par Nicolas Delesalle (doc. 4) qui fait le choix de s’embarquer depuis Anvers pour un périple jusqu’à Istanbul sur un cargo porte-conteneurs : le port devient une métaphore du voyage intérieur, ouvrant aux questionnements ultimes de l’homme en quête d’authenticité et de vérité. Aude Mathé (doc. 3) a remarquablement mis en valeur cette attirance pour l’imaginaire portuaire, qui amène à réfléchir sur le sens même de la vie. Parce qu’elle est associée à de fortes valeurs symboliques ou philosophiques, la fascination pour les ports s’accompagne ainsi d’une recherche du sens et d’un questionnement sur soi. Comme si, au-delà de sa matérialité, le port se transformait en lieu de contemplation et de déchiffrement… B. R.

NIVEAU DE DIFFICULTÉ : *** 
(* ACCESSIBLE ; ** MOYENNEMENT DIFFICILE ; ***DIFFICILE)

Activités d’écriture : 

♦ Synthèse : Vous réaliserez une synthèse concise, ordonnée et objective des documents suivants :

  1. Claude Monet, “Impression, soleil levant”, 1872
  2. Anna de Noailles, “Le port de Palerme”, 1913
  3. Aude Mathé, “Le port, un seuil pour l’imaginaire : la perception des espaces portuaires”, Les Annales de la recherche urbaine, N°55-56, 1992
  4. Nicolas Delesalle, Le Goût du large, éd. Préludes (Le Livre de Poche), 2016.

♦ Écriture personnelle :

Selon vous, le tourisme de masse a-t-il détruit l’imaginaire du voyage ?
Vous répondrez à cette question d’une façon argumentée en vous appuyant sur les documents du corpus, vos lectures de l’année et vos connaissances personnelles.

Document n°1 : Claude Monet, “Impression, soleil levant”, 1872.

Claude Monet (1840, Paris – 1926, Giverny) est un peintre mondialement connu. Il a peint ce célèbre tableau au Havre en une matinée de novembre 1872 depuis la fenêtre de sa chambre à l’hôtel de l’Amirauté. Fondateur de la peinture impressionniste, Monet a marqué un tournant dans l’histoire de l’art. C’est en effet l’aspect industriel et portuaire, avec ses grues, ses cheminées fumantes, qui sollicite l’imagination de l’artiste…

Claude Monet, “Impression, soleil levant” (huile sur toile), 1872
Paris, musée Marmottan Monet

Document n°2 : Anna de Noailles, “Le port de Palerme”, 1913.

Romancière, autobiographe et poétesse, Anna de Noailles (Paris, 1876 – Paris, 1933) a joué un rôle de tout premier plan dans la vie culturelle et mondaine parisienne. Publié dans le recueil Les Vivants et les morts (1913), « le Port de Palerme » témoigne du lyrisme passionné et de la recherche d’une langue pure qui parcourent les œuvres d’Anna de Noailles. À travers la contemplation du port et des bateaux, l’autrice reprend le thème romantique du voyage et amène finalement le lecteur à investir un monde imaginaire, dominé par l’idéalisation du réel.

Je regardais souvent, de ma chambre si chaude,
Le vieux port goudronné de Palerme, le bruit
Que faisaient les marchands, divisés par la fraude,
Autour des sacs de grains, de farine et de fruits,
Sous un beau ciel, teinté de splendeur et d’ennui…

J’aimais la rade noire et sa pauvre marine,
Les vaisseaux délabrés d’où j’entendais jaillir
Cet éternel souhait du cœur humain : partir !
— Les vapeurs, les sifflets faisaient un bruit d’usine
Dans ces cieux où le soir est si lent à venir…

C’était l’heure où le vent, en hésitant, se lève
Sur la ville et le port que son aile assainit.
Mon cœur fondait d’amour, comme un nuage crève.
J’avais soif d’un breuvage ineffable et béni,
Et je sentais s’ouvrir, en cercles infinis,
Dans le désert d’azur les citernes du rêve. 

Anna de Noailles, “Le port de Palerme”, Les Vivants et les morts, Paris Arthème Fayard, 1913, p. 143.
|https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k109786v/f143.item|

 

Document n°3 : Aude Mathé, “Le port, un seuil pour l’imaginaire : la perception des espaces portuaires”, Les Annales de la recherche urbaine, n°55-56, 1992.

Aude Mathé est architecte, chercheure, responsable du programme Photographie et vidéo à la Cité de l’architecture et du patrimoine. Dans cet article de fond, elle interroge l’identité maritime des villes portuaires. Elle réfléchit en particulier aux interactions entre le port, la ville et la mer. L’article est illustré par une réflexion approfondie sur la perception des espaces portuaires par les artistes (poètes, peintres, cinéastes…).

Les ports font partie de ces lieux magnétiques qui attirent : ils parlent aux sens et à l’imagination, y font sonner mille échos, fascinent les regards et font vivre des mythes. C’est sur le mode du sensible qu’ils s’appréhendent le mieux. Rien d’étonnant, alors, à ce que l’imaginaire qui s’est développé autour du port ait trouvé un épanouissement considérable dans les formes de son expression artistique. Poèmes, romans, chansons, films, photographies, peintures font parler, donnent à voir, et définissent un espace comme aucune considération objective ne saurait le faire. Par les correspondances qu’ils n’hésitent pas à établir entre l’espace vécu, l’espace organisé et l’espace rêvé, ces regards particuliers font apparaître de façon plus intense et plus explicite le jeu des confrontations inhérentes au port.

Il en est une qui retient l’attention, pour la force de son inscription et dans les lieux et dans les esprits, et parce que ses ramifications sont innombrables : dans le port se rassemblent tout à la fois l’idée de la clôture la plus étroite et celle de l’ouverture la plus vaste ; l’intimité de l’abri et l’infini de l’horizon, l’enfermement et la liberté, le lien et la rupture. Ce lieu puissamment métaphorique, qui conjugue, sur place, les données du dedans et du dehors est une porte étonnante entre la mer et la ville.

Le seuil occupe, dans la réflexion sur l’espace architectural, une place prépondérante. Compromis entre l’ouvert et le fermé, passage entre l’intérieur et l’extérieur, lieu qui rassemble les départs et les arrivées, point de jonction entre deux mondes, le port a tout lieu d’être pour sa ville un espace de référence en tant que porte. […]

Ouverture visuelle, mais ouverture de tous les sens, que Joseph Conrad décrit avec ferveur en évoquant le débouché d’un estuaire : « Puis soudain, à un coude de la rivière, on eût dit qu’au loin une grande main avait sou¬ levé un lourd rideau, avait brusquement ouvert tout grand un immense portail. La lumière elle-même parut s’animer, le ciel au-dessus de nous s’élargit, un murmure lointain atteignit nos oreilles, une fraîcheur nous enveloppa, emplit nos poumons, stimula notre pensée, notre sang, aviva nos regrets. […] Je respirai à pleins poumons : je me délectai de l’immensité du large horizon, de cette atmosphère différente qui semblait toute palpitante du travail créateur de la vie, de l’énergie d’un monde sans péché. Le ciel et cette mer s’ouvraient à moi. »[1]

[…]

Si les ports inspirent le désir de départ et si leur beauté réside dans les portes qu’ils ouvrent sur le monde, comme le dit Cendrars à propos d’Anvers (« Mais c’est ça la beauté d’ un port, c’ est que sorti de ses estacades un navire peut vous mener partout, aux antipodes… »[2]), ils permettent aussi ce plaisir ambigu de la contemplation du départ tout en restant les pieds au sec, entretiennent des illusions savamment élaborées, inspirées peut-être par une certaine lucidité qui fait comprendre que l’outre-mer n’est pas forcément le paradis et qu’il advient qu’on parte pour ne jamais arriver. Les ports peuvent être ainsi le prétexte à une vie basée sur un provisoire qui se prolonge, comme si l’on devait s’y trouver toujours, comme les bateaux, en instance de départ […].

Le départ comme état permanent, mais jamais vécu, apparaît aussi dans le mouvement continu des activités de chargement et de déchargement qui accompagnent les mouvements des bateaux. Mouvement symbolique de la vie des ports, et qui leur a longtemps donné leur dimension humaine, lorsque les dockers peuplaient les quais et travaillaient selon les aléas des arrivages et des départs, sans pour autant quitter ces lieux dont les noms mêmes font souvent référence à des destinations lointaines. […]

Le port concentre ainsi une quantité d’ailleurs virtuels, signes d’ouverture, mais aussi promesses de lointains espérés qui ne sont pas toujours géographiques mais sont souvent synonymes d’une autre vie. Une autre vie qui n’existe pas encore mais qui, parce que le port est là, pourrait exister. Tout se passe en imagination, les environnements portuaires les plus sordides provoquent parfois les plus fortes espérances et favorisent la croisée des destins et de la fatalité. […]

Le thème du port tire donc sa force et son attrait du fait qu’il permet d’exprimer, dans une même formulation, la plus tangible des réalités parce que c’est celle d’un lieu, et les idéaux les plus immatériels, les chimères les plus impalpables […]

Qu’il vienne d’autres mondes où se façonnent les rêves ou d’un univers de démesure que l’on part conquérir, un vent d’ailleurs balaie les quais des ports. Son impact a la même puissance dans les faits et dans l’imaginaire. Le regard, qui va d’ “ici” à “là-bas”, parcourt la distance que lui permet la portée de sa vision sur l’horizon, arpente la profondeur d’un espace en bondissant de repère en repère jusqu’à ce que rien ne l’arrête, s’apprête à la traversée qu’il va imaginer ou qu’il va vivre. Ce jeu des distances, de l’éloignement et du guet, qu’induit l’observation de la mer, va dans le sens d’une ouverture qui s’élargit. Parce qu’il a cette capacité de révéler le proche, le lointain et l’infini, le port recèle dans l’intimité de ses pierres l’immensité à laquelle elles ouvrent le passage et que les digues contiennent en se refermant sur un monde intérieur. […].

Après avoir erré librement, pendant la navigation, entre ciel et mer, l’œil bute, à l’arrivée, sur les premiers reliefs. On passe d’un univers horizontal et sans limite à un monde borné qui s’impose comme un obstacle. C’est l’apparition du vertical, du solide, du plein, du fixe, des limites, et cela peut se vivre comme un rétrécissement. […] La liberté de manœuvre se réduit de plus en plus, les repères deviennent visibles, matériels et immobiles. Les ondes s’entrechoquent et se parasitent, celles de l’eau comme celles des sons. Quantité d’odeurs nouvelles assaillent les narines. Partout surgissent des objets, les contacts créent des heurts qui résonnent.

[1] Joseph Conrad, Lord Jim, Folio, Gallimard, 1982.
[2] Blaise Cendrars, « Gênes », Bourlinguer, Folio, Denoël, 1989.

Aude Mathé, “Le port, un seuil pour l’imaginaire : la perception des espaces portuaires”.
Les Annales de la recherche urbaine, n°55-56, 1992, p. 182-191.
|https://www.persee.fr/doc/aru_0180-930x_1992_num_55_1_1687|

 

Document n°4 : Nicolas Delesalle, Le Goût du large, 2016.

Dans ce récit autobiographique, Nicolas Delasalle (journaliste et grand reporter à Télérama) raconte son voyage d’Anvers à Istanbul à bord d’un cargo : le MSC Cordoba, énorme porte-conteneurs de 275 mètres de long. Le passage présenté se situe au début du livre.

Le soleil est tombé au loin entre les deux cheminées de la centrale nucléaire du port industriel d’Anvers, près d’un champ planté d’éoliennes. À travers les hublots de ma cabine, j’ai observé le spectacle extraordinaire du chargement. Trois portiques hauts comme des immeubles de vingt étages nourrissaient le ventre du navire, en laissant glisser vers le sol des filins de métal torsadés au bout desquels des mains mécaniques et crochues agrippaient un par un les conteneurs pour les remonter à toute vitesse et les déposer sur le cargo avec une facilité déconcertante. C’était un jeu de Lego géant, un Tetris colossal, des pièces de vingt tonnes volaient comme des mouettes graciles.

Sur les jetées immenses, à côté des cargos avachis, grouillaient d’étranges créatures à huit roues, moins des véhicules que des insectes de métal jaune aux longues pattes élancées qui parcouraient des dizaines d’hectares de conteneurs empilés en clignotant de tous leurs feux pour choisir la bonne boîte, l’emporter et la donner en offrande au MSC Cordoba, jamais repu. Le même spectacle se jouait sur la jetée d’en face et sur celle d’après. Tout autour de ma cabine, ce n’étaient que grues, bigues, liners, rouliers, tankers, vraquiers, remorqueurs, fret, conteneurs, élévateurs, cavaliers, palans, palettes, dragues, silos, darses, ferrailles et pas un homme visible. Mais partout des mots nouveaux ou fantasmatiques qui organisaient un chaos titanesque avant le grand large.

Le ballet se jouait dans des bruits de poulies, de métal choqué, de klaxons et de sirènes sous les halos jaune d’œuf des lumières du port marchand. Je me suis allongé sur mon lit, j’ai branché mon casque sur mon smartphone et je me suis endormi vers 22 heures en écoutant « L’Océan » de Dominique A, moi qui ne me couche jamais avant deux heures du matin. Je crois que j’étais en état de choc, sidéré par le gigantisme du navire et du port et puis par tout ce temps qui s’entassait soudain devant moi.

Je me suis réveillé quand le cargo s’est éloigné de son quai, à 3 heures du matin. Le monstre de métal était guidé par les bateaux-pilotes du port belge. J’avais la sensation d’être à bord de ma propre vie et de m’éloigner de son cours normal pour une parenthèse fascinante, une cure de déconnexion, ou plutôt une tentative de reconnexion avec la nature, les éléments, et peut-être avec moi-même. Le Cordoba, ses 275 mètres de long et ses 60 000 tonnes se sont glissés avec grâce dans une écluse à leur mesure. C’était la dernière étape avant l’océan, le silence et le vent. Plus de téléphone portable, plus d’Internet, plus de réseaux sociaux, plus de femme, plus d’enfant, plus de parent, plus de famille, plus d’ami, plus rien que l’horizon infini, le bourdonnement du moteur, la houle, les odeurs de graisse, de fuel et l’ennui.

Il est 23 heures. Après cette première journée de navigation, j’ai l’impression d’être entré dans un sas de décompression au bout duquel commencera vraiment le voyage. Je vais bientôt naître à la mer. 

Nicolas Delesalle, Le Goût du large, 2016, éd. Préludes (Le Livre de Poche), 2016, p. 14-16.
|source : https://medias.hachette-livre.fr/media/contenuNumerique/041/469567-001-C.pdf|

Entraînement à l’épreuve de Culture générale et expression du BTS “Invitation au voyage”. La route : une invitation au voyage.

Entraînement à l’épreuve de Culture générale et expression du BTS

Thème 2023-2024 : “Invitation au voyage”

Entraînement n°1
Thème au programme : Invitation au voyage

Sujet complet conforme au BTS
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La route : une invitation au voyage

Crédit iconographique : © Bruno Rigolt, 2009.
(photomontage et peinture numérique)

Du vagabondage territorial à la quête existentielle…

Qu’est-ce qu’une route ? Comme le rappelle Régis Debray, c’est tout d’abord une “trace tangible inscrite matériellement dans le sol”1. Le CNRTL précise ainsi la définition : “Voie de communication importante (par opposition à chemin) qui permet la circulation de véhicules entre deux points géographiques donnés, généralement deux agglomérations”.

Mais à ce déplacement spatial, géographique, horizontal, se superpose un déplacement vertical : en ce sens la route, loin de se limiter à une vision purement utilitaire destinée à relier les villes, à organiser les territoires, occupe une place à part dans nos imaginaires. Face à l’engluement dans le conservatisme, les stéréotypes et les clichés, la route, c’est d’abord l’affranchissement, la liberté.

De fait, le voyage ne saurait s’apparenter à un simple déplacement. Faire ses valises, partir, c’est accepter de voir le monde différemment, s’arracher de son quotidien, changer de façon de vivre pour découvrir le monde et se confronter à l’inconnu afin de se découvrir soi-même, loin des pressions sociales et familiales.

Comme le rappelle le dictionnaire Littré, la route signifie en effet la rupture (étymologie de route = ruptus2), elle fait perdre tout contact avec l’enracinement sédentaire et ses normes. Parce qu’elle s’inscrit dans l’imaginaire des grands espaces propre à la civilisation de la voiture, la route permet d’ouvrir son regard sur le monde, sur d’autres modes de vie.

De fait, le mythe fondateur de la route, c’est l’exploration de l’inconnu, le désir d’aventure, qui permet une autre relation au monde et à la réalité des choses. Des chemins de Saint-Jacques de Compostelle à la célèbre route 66, la route édifie toute une mythologie qui impose une façon d’être : rompre avec ses racines, se dégager de sa condition sociale, parfois de la morale.

Le vagabondage renvoie ainsi à la jeunesse, au héros aventurier, synonyme d’errance et de désir d’anti-conformisme par opposition à la norme sociale. Comme vous le verrez en parcourant les documents de ce corpus, le voyage par la route devient un besoin physique de fuite en avant et de découvertes : c’est un état d’esprit permettant de réfléchir sur le sens de la vie.

Le succès américain du livre de Jon Krakauer, Into the Wild : voyage au bout de la solitude2, met en évidence cette dimension initiatique du voyage, comme le révèle le pseudonyme d’Alexander Supertramp, le vagabond3. Un tel choix suppose l’acceptation d’un certain dénuement : renouvellement de la personne, quête quasi existentielle. À travers le voyage initiatique, il s’agit de chercher à se découvrir afin de se construire pour atteindre la vérité.

Loin des bonheurs superficiels, la route est ainsi le miroir d’un ailleurs fantasmé, qui passe plus ou moins par le rejet de la terre-mère, le rêve de liberté et la volonté d’échapper à l’ordre établi, aux préjugés et à l’hypocrisie d’un monde de compromis. Quête mystique, perte des repères, voyage intérieur… la route s’apparente à une sorte de quête impossible de la Terre promise… B. R.

NOTES

1. Régis Debray, « Rhapsodie pour la route », Les Cahiers de médiologie, 2, 1996, p. 6. Cité par Caroline Courbières dans “La route, milieu mythique”, Communication & langages 2018/1 (N° 195). |lien|
2. Bourguig. rôte ; du bas-lat. via rupta, voie rompue, voie qu’on a faite en rompant la forêt et le terrain (voy. ROMPRE). Source : https://www.littre.org/definition/route
3. Le livre a été magnifiquement adapté au cinéma par Sean Penn en 2007 (Into the Wild).

NIVEAU DE DIFFICULTÉ : ** (* ACCESSIBLE ; ** MOYENNEMENT DIFFICILE*** DIFFICILE)

Activités d’écriture : 

♦ Synthèse : Vous réaliserez une synthèse concise, ordonnée et objective des documents suivants :

  1. Isabelle Eberhardt, “Vagabondages”, 1902. Œuvres complètes : Écrits sur le sable, Tome I, Grasset 1989, p. 25-26.
  2. Jack Kerouac, Sur la route (On the road), 1957
  3. Jean-Jacques Goldman, “On ira”, 1997
  4. Eric Bournot, Joana Boukhabza, Road trips en van : Itinéraires sauvages et bucoliques sur les plus belles routes de nos régions, 2022

♦ Écriture personnelle :

  • Sujet 1 : Dans quelle mesure le dépaysement permet-il de réfléchir différemment sur soi ?
  • Sujet 2 : Vous est-il arrivé de vouloir tout quitter pour partir sur les routes ?

Vous répondrez à cette question d’une façon argumentée en vous appuyant sur les documents du corpus, vos lectures de l’année et vos connaissances personnelles.

Document n°1 : Isabelle Eberhardt, “Vagabondages”, 1902.

Isabelle Eberhardt (Genève, 1877 – Aïn-Sefra, Algérie, 1904) est une exploratrice, journaliste et écrivaine née suisse de parents d’origine russe, et devenue française par son mariage. Morte accidentellement lors de la crue d’un oued à la frontière algéro-marocaine, c’est une femme de lettres d’une très grande érudition. Polyglotte accomplie, elle se passionne pour le Maghreb, la culture arabe et la civilisation islamique. Très critique à l’égard de la colonisation française, elle mène une vie de nomade, mêlant son existence à celle des peuples de l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie auxquels elle vouait une véritable admiration. Vous pouvez consulter sur Gallica un de ses ouvrages majeurs, Pages d’Islam, et plus particulièrement cette nouvelle : “Cheminot”, dont la lecture (très brève) est judicieuse pour le thème (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5516207x/f160.item).

[…] le vagabondage, c’est l’affranchissement, et la vie le long des routes, c’est la liberté.
Rompre un jour bravement toutes les entraves dont la vie moderne et la faiblesse de notre cœur, sous prétexte de liberté, ont chargé notre geste, s’armer du bâton et de la besace symboliques, et s’en aller !
Pour qui connaît la valeur et aussi la délectable saveur de la solitaire liberté (car on n’est libre que tant qu’on est seul), l’acte de s’en aller est le plus courageux et le plus beau. Égoïste bonheur peut-être, mais c’est le bonheur pour qui sait le goûter.
Être seul, être pauvre de besoins, être ignoré, étranger et chez soi partout, et marcher, solitaire et grand à la conquête du monde.
Le chemineau solide, assis sur le bord de la route, et qui contemple l’horizon libre, ouvert devant lui, n’est-il pas le maître absolu des terres, des eaux et même des cieux ?
Quel châtelain peut rivaliser avec lui en puissance et en opulence ?
Son fief n’a pas de limites, et son empire pas de loi.
Aucun servage n’avilit son allure, aucun labeur ne courbe son échine vers la terre qu’il possède et qui se donne à lui, toute, en bonté et en beauté.
Le paria, dans notre société moderne, c’est le nomade, le vagabond, « sans domicile ni résidence connus ».
En ajoutant ces quelques mots au nom d’un irrégulier quelconque, les hommes d’ordre et de loi croient le flétrir à jamais.
Avoir un domicile, une famille, une propriété ou une fonction publique, des moyens d’existence définis, être enfin un rouage appréciable de la machine sociale, autant de choses qui semblent nécessaires, indispensables presque à l’immense majorité des hommes, même aux intellectuels, même à ceux qui se croient le plus affranchis.
Cependant, tout cela n’est que la forme variée de l’esclavage auquel nous astreint le contact avec nos semblables, surtout un contact réglé et continuel.
J’ai toujours écouté avec admiration, sans envie les récits de braves gens qui ont vécu des vingt et trente ans dans le même quartier, voire dans la même maison, qui n’ont jamais quitté leur ville natale.
Ne pas éprouver le torturant besoin de savoir et de voir ce qu’il y a là-bas, au-delà de la mystérieuse muraille bleue de l’horizon….Ne pas sentir l’oppression déprimante de la monotonie des décors…regarder la route qui s’en va toute blanche, vers les lointains inconnus, sans ressentir l’impérieux besoin de se donner à elle, de la suivre docilement, à travers les monts et les vallées, tout ce besoin peureux d’immobilité, ressemble à la résignation inconsciente de la bête, que la servitude abrutit, et qui tend le cou vers le harnais.

Isabelle Eberhardt, “Vagabondages”, 1902.
Œuvres complètes : Écrits sur le sable, Tome I, Grasset 1989, p. 25-26.

Document n°2 : Jack Kerouac, Sur la route (On the road), 1957.

Chef de file de la « Beat Generation », Jack Kerouac (1922-1969) est un écrivain américain d’origine canadienne-française. Très représentative de la Contreculture et largement controversée de son vivant, son œuvre est anticonformiste et annonce la période de contestation sociale qui bouleversera la fin des années Soixante aux États-Unis. Sur la route (rédigé en 1951 mais publié en 1957) se présente à ce titre comme une ode audacieuse à la liberté et au “dérèglement de tous les sens”, pour reprendre une expression de Rimbaud. L’impression qui ressort à la lecture de cette immense fresque, partagée entre les paysages uniques de l’Amérique et les dérives de toute sorte, est le don poétique de Kerouac, apte à nous faire ressentir, à travers l’exil des routes, l’immensité même du « paysage humain ». De fait ce roman, largement autobiographique, se lit un peu comme un road movie : la route elle-même devient intrigue et le voyage cheminement spirituel, moyen de s’emparer, en le parcourant, du monde qui nous entoure. 

Il y eut de la bruine et du mystère dès le début du voyage. Je me rendais compte que tout cela allait être une vaste épopée de brume. « Hou ! » gueula Dean. « En route ! » Et il se coucha sur le volant et écrasa le champignon ; il était de nouveau dans son élément, c’était visible. On était tous aux anges, on savait tous qu’on laissait derrière nous le désordre et l’absurdité et qu’on remplissait notre noble et unique fonction dans l’espace et dans le temps, j’entends le mouvement. Et quant à se mouvoir, on le faisait ! On passa dans un éclair, quelque part dans la nuit du New Jersey, les mystérieux symboles blancs qui indiquent : SUD (avec une flèche) et OUEST (avec une flèche) et on bifurqua au Sud. La Nouvelle-Orléans ! Elle flamboyait dans nos têtes. Quittant les neiges fangeuses1 de […] New York, […] on roulait vers la végétation et le parfum fluvial de la vieille Nouvelle-Orléans aux confins délavés de l’Amérique ; ensuite ce serait l’Ouest. Ed était sur le siège arrière ; Marylou, Dean et moi étions assis devant et tenions les discussions les plus passionnées sur l’excellence et les charmes de la vie. Dean devint tendre tout à coup. « Eh bien, bon Dieu, tenez, tous autant que vous êtes, nous devons reconnaître que tout est beau et qu’il n’y a aucune nécessité en ce monde de se faire du souci et, de fait, nous devrions nous rendre compte de ce que signifierait pour nous la COMPRÉHENSION de ceci, que nous n’avons RÉELLEMENT AUCUN souci. N’ai-je pas raison ?» On était tous d’accord.« Allons-y, on est tous ensemble… Qu’est-ce qu’on a foutu à New York ? Passons l’éponge. » Nous avions laissé derrière nous toutes nos querelles. « Tout ça est dans notre dos, il suffit d’allonger les milles et descendre nos penchants naturels. Nous avons mis le cap sur la Nouvelle-Orléans pour savourer Old Bull Lee2 : ne sera-ce pas formidable, non ? et puis écoutez, voulez-vous, ce vieil alto crever le plafond – il fit si fort gueuler la radio que la bagnole en vibrait – et écoutez-le raconter son histoire, nous dire ce que c’est, le vrai repos et la pure connaissance.» On était tous d’accord pour la musique et en pleine harmonie. La pureté de la route. La ligne blanche du milieu de l’autostrade se déroulait et léchait notre pneu avant gauche comme si elle avait collé à notre étrave. […] Tout seul dans la nuit, je m’abandonnais à mes pensées et maintenais l’auto le long de la ligne blanche de la route sacrée. Qu’est-ce que je faisais ? Où j’allais ? Je le découvrirais bientôt. J’étais claqué après Macon3 et je réveillai Dean pour qu’il me relaie. On sortit de l’auto pour prendre l’air et soudain on fut tous deux abasourdis de joie quand on se rendit compte que, dans l’obscurité autour de nous, s’étendaient de verts pâturages embaumés et montaient des relents de fumier frais et d’eaux tièdes. « On est dans le Sud ! On a grillé l’hiver ! » L’aube pâle illumina des arbustes verdoyants au bord de la route. Je gonflai d’air mes poumons; une locomotive hurla dans l’obscurité, filant sur Mobile4. Nous aussi, nous y filions. J’enlevai ma chemise, plein d’allégresse. Dix milles plus loin, Dean entra dans une station d’essence, les gaz coupés, vérifia que l’employé dormait à poings fermés sur le bureau, sortit d’un bond, remplit tranquillement le réservoir d’essence, prit garde que la sonnette ne tinte pas, et mit les voiles comme un Bédouin avec un réservoir plein de cinq dollars d’essence pour notre pèlerinage.
Je m’endormis et m’éveillai au bruit d’une musique loufoque et triomphante; Dean et Marylou discutaient tandis que défilait l’immensité verdoyante. « Où on est ?

— On vient de traverser le bout de la Floride, mon pote… Flomaton5, ça s’appelle. » La Floride ! On roulait vers la plaine côtière et Mobile ; droit devant nous, de grands nuages planaient sur le Golfe du Mexique. Il y avait seulement trente-deux heures qu’on avait quitté nos amis dans la neige du Nord. […] À l’entrée de Mobile, sur la longue route inondée aux grandes marées, on enleva toutes nos fringues d’hiver et on savoura la température du Sud.

Jack Kerouac, Sur la route (On the road), 1960 pour la traduction française.
© Folio Gallimard 2022. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jacques Houbart. Préface de Michel Mohrt. pages 189-190 ; 195-196.

1. fangeuses : boueuses.
2. Old Bull Lee : William S. Burroughs (1914-1997), un des écrivains majeurs de la Beat Generation. Ce mouvement symbole de l’Amérique des années 50-60 revendiquait des engagements politiques extrêmes à l’opposé de toutes les conventions sociales et refusait le capitalisme sous toutes ses formes.
3. Macon : ville située au centre de la Géorgie.
4. Mobile : ville de l’Alabama située au centre de la Côte du Golfe du Mexique.
5. Flomaton : ville du comté d’Escambia, en Alabama.
 

Document n°3 : Jean-Jacques Goldman, “On ira”, 1997.

On partira de nuit, l’heure où l’on doute

Que demain revienne encore
Loin des villes soumises, on suivra l’autoroute
Ensuite on perdra tous les Nords

On laissera nos clés, nos cartes et nos codes,
Prisons pour nous retenir
Tous ces gens qu’on voit vivre comme s’ils ignorent
Qu’un jour il faudra mourir

Et qui se font surprendre au soir
Oh belle, on ira
On partira toi et moi, où ? Je sais pas
Y’a que les routes qui sont belles
Et peu importe où elles nous mènent
Oh belle, on ira
On suivra les étoiles et les chercheurs d’or
Si on en trouve, on cherchera encore

On n’échappe à rien, pas même à ses fuites
Quand on se pose on est mort
Oh j’ai tant obéi, si peu choisi petite
Et le temps perdu me dévore

On prendra les froids, les brûlures en face
On interdira les tiédeurs
Des fumées, des alcools et des calmants cuirasses
Qui nous ont volé nos douleurs

La vérité nous fera plus peur
Oh belle, on ira
On partira toi et moi, où ? Je sais pas
Y’a que des routes qui tremblent
Les destinations se ressemblent
Oh belle, tu verras
On suivra les étoiles et les chercheurs d’or
On s’arrêtera jamais dans les ports, jamais

Oh belle, on ira
Et l’ombre ne nous rattrapera peut-être pas
On ne changera pas le monde
Mais il ne nous changera pas
Oh ma belle, tiens mon bras
On sera des milliers dans ce cas, tu verras
Et même si tout est joué d’avance,
On ira, on ira

Même si tout est joué d’avance
À côté de moi
Tu sais y’a que les routes qui sont belles
Et crois-moi, on partira, tu verras
Si tu me crois, belle
Si tu me crois, belle
Un jour on partira
Si tu me crois, belle
Un jour…

© Jean-Jacques Goldman, Album En passant, 1997.

Clip réalisé par Gérard Namiand (comédienne : Élodie Navarre)

Document n°4 : Eric Bournot, Joana Boukhabza, Road trips en van : Itinéraires sauvages et bucoliques sur les plus belles routes de nos régions, 2022.

Joana & Éric, voyageurs à plein temps en van(s) aménagé(s), créateurs et auteurs du site ” Des Fenêtres sur le Monde”

Originaires tous deux du sud de la France, nous sommes passionnés de nature, de voyage et de vieille mécanique mais surtout de Combis Volkswagen.
Nous nous sommes rencontrés pendant nos études et nous avons cette chance d’être à la fois similaires et complémentaires. Nous nous retrouvons autour de mêmes passions et mêmes envies, de regards semblables mais différents sur ce qui nous entoure, et une soif intarissable d’apprendre et de découvrir.
[…] Architectes de formation, en 2015, nous avons fait le choix de quitter un schéma de vie « classique » pour une vie un peu plus à notre image… aventureuse, créative ! Une vie faite d’Ailleurs, d’inattendu et de rencontres.

Nous avons donc rendu notre appartement, vendu nos affaires et quitté la France pour le Canada où nous avons acheté notre van « Popo », un Volkswagen T3 de 1984, et effectué un premier road trip de plus de 77 000 km à travers le pays des caribous et les États-Unis.

À force de randonnées, bivouacs, observations d’animaux sauvages, paysages de carte postale, incroyables rencontres et, il faut le dire aussi, quelques galères, nous sommes devenus totalement accros à ce style de voyage. Et au fil des kilomètres, le road trip s’est transformé en un mode de vie que l’on appelle désormais le vanlife.

Presque 200 000 km et plusieurs années après, nous vivons/ voyageons à temps plein sur les routes, avec l’envie d’aller toujours plus loin. Ce petit van orange ne nous a plus quittés. De l’Alaska au Guatemala, notre compagnon de route est devenu, au-delà de notre maison sur roues, un membre de notre famille, un cocon, symbole des possibles.

Nous passons notre vie que la route à découvrir ce qui nous entoure, mais aussi à nous découvrir nous-mêmes.
[…] Une obsession du voyage, de l’outdoor et de la découverte, une nécessité d’être toujours en mouvement qui nous poussent à vouloir en voir toujours plus à travers les fenêtres de nos vans. Parce que le voyage est sans nul doute une fabuleuse ouverture sur le monde, impossible maintenant pour nous d’enclencher la marche arrière…

Rien n’est linéaire, et si nous avons appris une chose toutes ces années de vie sur la route, c’est qu’il faut s’adapter, oser et vivre.


Pour aller plus loin…

Afin de nourrir votre réflexion pour l’écriture personnelle, inspirez-vous de ces références culturelles…

“Song of the Open Road” (I) (1856)
Walt Whitman (1819-1892)

Afoot and light-hearted I take to the open road,
Healthy, free, the world before me,
The long brown path before me leading wherever I choose.

Henceforth I ask not good-fortune, I myself am good-fortune,
Henceforth I whimper no more, postpone no more, need nothing,
Done with indoor complaints, libraries, querulous criticisms,
Strong and content I travel the open road.

The earth, that is sufficient,
I do not want the constellations any nearer,
I know they are very well where they are,
I know they suffice for those who belong to them.

(Still here I carry my old delicious burdens,
I carry them, men and women, I carry them with me wherever I go,
I swear it is impossible for me to get rid of them,
I am fill’d with them, and I will fill them in return.)

Chanson de la grand-route

Debout et le cœur léger je pars sur la grand-route,
En pleine santé, libre, le monde est devant moi,
Le long sentier brun devant moi me mène où bon me semble.

Désormais je ne demande pas la chance, je suis moi-même la chance,
Désormais je ne pleurniche plus, je n’ajourne plus, je n’ai plus besoin de rien,
Fini les plaintes routinières, les bibliothèques, les critiques querelleuses,
Fort et content, je voyage sur la grand-route.

La terre, ça suffit,
Je ne veux pas que les constellations se rapprochent,
Je sais qu’elles sont très bien là où elles sont,
Je sais qu’elles suffisent à ceux qui les habitent.

(Encore ici je porte mes précieux fardeaux d’autrefois,
Je les porte, hommes et femmes, je les porte partout où je vais,
Je jure qu’il m’est impossible de m’en débarrasser,
J’en suis rempli, et je les remplirai en retour.)

[traduction : BR]

Bernard Lavilliers, “On the road again” (1988)
Album If (Barclay). Paroles : B. Lavilliers. Musique : Sebastian Santa Maria.

Jack Kerouac, Sur la route

« Nos bagages cabossés étaient de nouveau empilés sur le trottoir ; nous avions encore bien du chemin à faire. Mais qu’importait, la route, c’est la vie. »

Our battered suitcases were piled on the sidewalk again; we had longer ways to go. But no matter, the road is life.

Jack Kerouac, Sur la route, Folio Gallimard, p. 300.

Jean-Jacques Goldman, “Là-bas” (1987)
Album : Entre gris clair et gris foncé. Paroles et musique : Jean-Jacques Goldman 

Là-bas
Tout est neuf et tout est sauvage
Libre continent sans grillage
Ici, nos rêves sont étroits”

BTS blanc AG-PME mars 2017 Des merveilles ordinaires… Sujet inédit

Présentation du corpus

Le banal est-il digne d’intérêt ? Derrière ce paradoxe se cache l’une des exigences les plus fondamentales de nombreux écrivains, artistes, philosophes, qui ont choisi d’introduire le banal dans le monde de l’esthétique et de montrer que le quotidien le plus ordinaire est la condition nécessaire de l’extraordinaire.

Honorer la banalité, aller vers « le parti-pris des choses » relève ainsi d’une démarche consistant à réinvestir le corps social en montrant combien l’ordinaire est extraordinaire : le présent corpus est caractéristique de cette démarche visant à célébrer le transcendant dans l’immanent, autrement dit le bonheur d’être au monde…

Corpus

  1. Bertrand Vergely, Retour à l’émerveillement, éd. Albin Michel, Collection « Essais clés », 2010.
  2. Charles Trénet, « Le jardin extraordinaire », Pathé Marconi, 1957.
  3. Marie Rouanet, Balade des jours ordinaires, éd. Payot, coll. « Voyageurs Payot », 1999.
  4. Johannes Vermeer, « La laitière », huile sur toile, vers 1658. Tableau exposé au Rijksmuseum d’Amsterdam (Pays-Bas).

Synthèse |40 points|

Vous réaliserez une synthèse objective, concise et ordonnée des documents contenus dans le présent corpus.

Ecriture personnelle |20 points|

  • Sujet 1 : En quoi s’émerveiller permet-il selon vous de s’ouvrir au monde ?
  • Sujet 2 : Marie Rouanet affirme (doc. 3) : « Je ne suis aventureuse que dans les voyages des jours ordinaires ». Ces propos s’accordent-ils avec votre propre conception de l’émerveillement ?

Vous répondrez à cette question de façon argumentée en vous appuyant sur les documents du corpus, vos lectures de l’année ainsi que vos connaissances personnelles.

Pour accéder au corrigé de la synthèse, cliquez ici.

  • Document 1. Bertrand Vergely, Retour à l’émerveillement, 2010.

Il est beau de s’émerveiller. Il est tragique de ne pas en être capable. Qui s’émerveille n’est pas indifférent. Il est ouvert au monde, à l’humanité, à l’existence. Il rend possible un lien à ceux-ci. Qui ne sait pas s’émerveiller est fermé au monde, à l’humanité, à l’existence. Il rend impossible un quelconque lien à ceux-ci. On comprend donc que la faculté de s’émerveiller soit jugée comme la chose la plus précieuse au monde. On peut être pauvre mais si l’on sait s’émerveiller, on est riche. On peut être riche mais si l’on ne sait pas s’émerveiller, on est pauvre. On passe à côté de l’essentiel, on manque la beauté du monde, la richesse des êtres humains, la profondeur de l’existence. Cet essai voudrait pouvoir montrer comment il est possible de retrouver son émerveillement devant l’existence quand on l’a perdu. Il y a pour cela un certain nombre de choses qu’il importe de comprendre. La première d’entre elles est que tout part de la beauté. Le monde est beau, l’humanité qui fait effort pour vivre avec courage et dignité est belle, le fond de l’existence qui nous habite est beau.

Beauté du monde, nous en avons tous fait l’expérience, nous la faisons. Plus que nous ne le pensons. Le monde est très matériel. Et pourtant il est très spirituel. Une montagne l’hiver a beau être un tas de cailloux avec de la neige comme le dit un matérialiste ordinaire, ce n’est pas un tas de cailloux avec de la neige, c’est de la beauté. On fait un avec le monde quand on vit cette beauté. On expérimente le réel comme le Tout vivant. On se sent vivre et l’on s’émerveille de vivre. Mystère du monde, parfois si muet, parfois si parlant. Un village morne sous la pluie dans une fin de journée triste comme un jour de Toussaint, une odeur de bûche qui brûle dans une cheminée, et soudain le miracle. Non plus le vide. Non plus le vide et la tristesse, mais un sentiment de vie qui résonne dans les profondeurs de l’intime. « Il y a des moments où la lumière pense », dit Gilles Deleuze. Beauté du monde. Les Anciens voyaient la Nature comme Logos. L’émerveillement nous fait remonter à cette intuition première, source de vitalité, on ne vit pas dans un univers vide et muet, on vit parce que l’univers est saisissant. Erik Sablé en rend bien compte dans son Petit manuel d’émerveillement lorsqu’il écrit : « J’ai plein mes tiroirs des mots expliquant la vie, le temps, l’espace, la formation de l’univers, mais le mystère est là, dans ce passage d’automne qui se fane et se froisse avant la grande immobilité de l’hiver » ; « S’émerveiller, c’est oublier tous les savoirs, tous les systèmes […]. C’est être là, face au monde, comme au premier jour, comme au premier instant, pur, neuf, nu et regarder, regarder jusqu’au moment où les apparences basculent. Alors, on est foudroyé par ce simple fait. Il y a de l’être. J’existe. Je suis. »

Moment ultime, moment bouleversant parce que moment de découverte : il y a une vie qui vit en nous, il y a une vie qui appelle en nous. On vit une étonnante libération de soi quand on répond à cet appel, on souffre quand on l’étouffe. Beauté du dialogue avec la vie que l’on sent vivre en soi. Beauté d’écouter cette vie, d’en faire son maître, de se laisser guider, inspirer par elle. Beauté de sentir qu’elle est l’écho intérieur de la beauté rencontrée à l’extérieur dans le monde, dans les visages des hommes, dans le courage de vivre. Beauté de sentir à cette occasion ce que l’on est venu faire sur terre. La vie a un sens, elle a plus que du sens. Nous ne sommes pas là pour rien, nous avons un rôle à jouer dans ce monde. Un rôle lié à la beauté, un rôle de témoin d’une vie venue de la beauté pour la beauté. 

Ce texte a été repris dans le n°22 de la revue Art sacré sous le titre « Une révolution appelée émerveillement » (pages 21-22).

  • Document 2. Charles Trenet, « Le jardin extraordinaire », Pathé Marconi, 1957. 

Charles Trenet, né le 18 mai 1913 à Narbonne et mort le 19 février 2001 à Créteil, est un poète auteur-compositeur-interprète français. Surnommé « le Fou chantant », il est l’auteur de près de mille chansons, dont certaines, comme La Mer, Y’a d’la joie, L’Âme des poètes, ou encore Douce France, demeurent des succès populaires intemporels, au-delà même de la francophonie. |Source : Wikipedia|

C’est un jardin extraordinaire,
Il y a des canards qui parlent anglais.
J’leur donne du pain, Ils remuent leur derrière
En m’disant « Thank you very much, Monsieur Trenet ! »
On y voit aussi des statues
Qui se tiennent tranquilles tout le jour, dit-on.
Mais moi je sais, que dès la nuit venue,
Elles s’en vont danser sur le gazon.
Papa, c’est un jardin extraordinaire,
Il y a des oiseaux qui tiennent un buffet.
Ils vendent du grain, des petits morceaux de gruyère.
Comme clients ils ont monsieur l’maire et l’sous-préfet.

Il fallait bien trouver, dans cette grande ville maussade
Où les touristes s’ennuient au fond de leurs autocars,
Il fallait bien trouver un lieu pour la promenade.
J’avoue que ce samedi-là, j’suis entré par hasard
Dans, dans, dans…

Ce jardin extraordinaire,
Loin des noirs buildings et des passages cloutés,
Y avait un bal qu’donnaient des primevères.
Dans un coin d’verdure, des petites grenouilles chantaient
Une chanson pour chanter la lune,
Dès qu’cell’-ci parut, toute rose d’émotion,
Elles entonnèrent, je crois, la valse brune.
Une vieille chouette me dit : « Quelle distinction ! »
Maman, dans ce jardin extraordinaire,
J’vis soudain passer la plus belle des filles.
Elle vint près d’moi, et là m’dit sans manières :
« Vous m’plaisez beaucoup, j’aime les gens dont les yeux brillent ! »

Il fallait bien trouver, dans cette grande ville perverse,
Une gentille amourette, un p’tit flirt de vingt ans
Qui me fasse oublier que l’amour est un commerce
Dans les bars de la cité,
Oui mais, oui mais, pas dans,
Dans, dans, dans…

Mon jardin extraordinaire.
[…]
Pour ceux qui veulent savoir où le jardin se trouve,
Il est, vous le voyez, au cœur d’ma chanson.
J’y vole parfois quand un chagrin m’éprouve.
Il suffit pour ça d’un peu d’imagination !
Il suffit pour ça d’un peu d’imagination !
[…] Il suffit pour ça d’un peu d’imagination !

 

  • Document 3 : Marie Rouanet, Balade des jours ordinaires, éd. Payot, coll. « Voyageurs Payot », 1999.

« ‘Partir loin n’est pas nécessaire au voyage’, affirme Marie Rouanet dans ce recueil de balades qui sont comme autant de nouvelles. Certes il s’agit bien d’aller ailleurs, mais l’ailleurs est partout où l’on aborde avec les sens et l’âme aiguisés […], l’important n’est pas ce que l’on voit. C’est tout ce que le lieu, le moment et les gens rencontrés éveillent de résonances, de nostalgies, d’émotions, de désirs et de faims. ‘Je ne suis aventureuse, dit Marie Rouanet, que dans les voyages des jours ordinaires.’ » (présentation de l’éditeur)

Dès que je quittais la portion de rue où j’habitais, j’étais frappée par la totale nouveauté du monde. Il avait suffi d’un pas pour créer une distance radicale entre mon univers familier et l’étranger alors aussi étrange qu’un lointain situé à des kilomètres.

De ce boulevard d’Angleterre qui passait au bas de ma rue, de la place de la Poste guère plus éloignée, j’ai le souvenir d’un exotisme total. Si bien que dans ma mémoire, ils ont les couleurs des pays les plus lointains. Les vitres de la salle des sports « La Vigilante » brillent d’un éclat cinématographique, la maison de la vieille Jalade et son linge lumineux on des allures d’Italie, le talus inculte sous les remparts est un tel ailleurs que je n’eusse pas été surprise d’en voir sortir des singes et que les pies et les écureuils qui y logeaient étaient autant d’animaux d’au-delà des mers. Lorsque je pense à Canterelle, cette rue très pentue qui descend tout droit jusqu’au bord de la rivière évoque l’aventure dangereuse. Un jour mon doigt fut pris dans la porte de fer d’un magasin. Longtemps je pleurai assise sur le trottoir bordé de granit, la main dans une cuvette d’eau salée que le commerçant prépara pour me soulager. Le cœur au bout du doigt, les yeux pleins de larmes, je perçus le couchant éblouissant, le pavage de la rue, les gens qui passaient comme la plus dangereuse des expéditions africaines.

Ces impressions m’ont suivie longtemps et demeurent toujours.

Les objets qui me restent de ces lieux – si proches et pourtant si neufs, seulement par la nouveauté du regard – me sont bibelots ramenés du bout du monde. Ils ne sont jamais pourtant que des objets de pacotille, de ces souvenirs que l’on pouvait acquérir dans les boutiques à Carcassonne, Lamalou ou Valras-la-Plage. Il y a un canif branlant totalement inutilisable, une vierge de métal haute d’un demi-doigt logée dans un étui de buis, un centimètre de ruban qu’on enroulait dans un tonneau d’os à l’aide d’une manivelle en miniature – il y était inscrit « Cité de Carcassonne » –, une coquille Saint-Jacques ornée d’une barque à voile.

Il me suffit parfois de marcher sur un trottoir dans une rue archiconnue pourtant, pour que le monde soit naissant. À explorer donc. […] Tout est mystère à déchiffrer, découverte à ne pas manquer. Chaque détail, chaque seconde deviennent remarquables. […]

C’est ma façon de voyager. C’est celle que j’aime et dont je retire une jubilation d’usage ordinaire sans avoir à attendre les moments de ce que l’on nomme d’habitude le dépaysement.
Me dé-payser, changer de pays, me dé-saisonner, changer de saison, vivre l’été à l’autre bout du monde alors que le lieu où je vis est pétrifié par l’hiver, ne m’intéresse pas. De la même façon, j’aime les vêtements de tous les jours, la cuisine du quotidien, les êtres du vécu. Je ne suis aventureuse que dans les voyages des jours ordinaires.

  • Document 4. Johannes Vermeer, « La laitière », huile sur toile, vers 1658. Tableau exposé au Rijksmuseum d’Amsterdam (Pays-Bas).

Crédit iconographique : https://artsandculture.google.com/partner/rijksmuseum?hl=fr

Culture Générale et Expression BTS L’extraordinaire : entraînement à la synthèse et à l’écriture personnelle. Sujet inédit

Entraînement BTS : synthèse + écriture personnelle

Poétique du lieu, vision de l’inconnu
et quête de l’extraordinaire

Pour accéder au corrigé de la synthèse, cliquez ici.

Préparation
Avant d’entreprendre ces exercices, notamment l’écriture personnelle, il est recommandé d’avoir assimilé les cours suivants :

Présentation du corpus

Le corpus à l’étude propose des documents de genres variés : deux extraits de romans (Le Lys dans la vallée ; Le Grand Meaulnes), un extrait de poème (« Le bateau ivre ») ainsi qu’une photographie contemporaine. Les textes, très littéraires, privilégient le romanesque (Balzac, Alain-Fournier), le côté imaginatif, le souci d’aventures, et particulièrement chez Rimbaud la transgression des codes moraux de la société bourgeoise, transgression vécue comme expérience d’un recouvrement cognitif et identitaire.

En outre, l’évocation du monde de l’enfance dans tous les textes se conjugue à une quête de l’inconnu qui allie le merveilleux à la liberté : d’où le symbolisme signifiant des documents. Même la photographie suggère l’idée d’une fuite du monde connu pour s’aventurer du côté de l’émerveillement, du secret, de ce qui est caché : en insufflant de l’inédit, du mystérieux et de l’extraordinaire, la nature et le voyage permettent ainsi un nouveau rapport au monde qui est autant un questionnement qu’une réponse…

Afin de bien problématiser les documents, soyez attentifs aux paratextes, qui fournissent de précieuses indications.

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♦ Synthèse de documents
Vous rédigerez une synthèse concise, ordonnée et objective des documents suivants :

  • Document 1 : Honoré de Balzac, Le Lys dans la vallée, 1836
  • Document 2 : Arthur Rimbaud, « Le bateau ivre », 1871
  • Document 3 : Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes, 1913
  • Document 4 : Sally Mann, « Deep South » (Southern landscapes), 1998

♦ Écriture personnelle
Dans quelle mesure la quête de l’extraordinaire permet-elle d’accéder à d’autres dimensions de l’être ?
Vous répondrez dans un travail argumenté en appuyant votre réflexion sur les documents du corpus, vos lectures de l’année et vos connaissances personnelles.

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  • Document 1 : Honoré de Balzac, Le Lys dans la vallée, 1836

Félix de Vandenesse, jeune homme romantique, fragile et délaissé par sa mère, tombe éperdument amoureux lors d’un bal de la belle madame de Mortsauf, mariée et plus âgée que lui. Mais cet amour est celui d’un amour impossible… Le passage présenté est celui où Félix, bien des années plus tard, se remémore son arrivée à pied depuis Tours dans la vallée de l’Indre : il acquiert tout à coup la conviction que la jeune femme rencontrée lors du bal habite dans la vallée qui s’offre à son regard. C’est l’occasion pour le narrateur (mais c’est bien Balzac qui parle ici) de se livrer à une suggestive comparaison entre le paysage de la Touraine, tout en galbes et en arrondis, et la femme aimée. De fait, le but pour l’auteur n’est pas tant de décrire la réalité que d’amener à une lecture symbolique du lieu, métamorphosé et poétisé par le désir amoureux…

Là se découvre une vallée qui commence à Montbazon, finit à la Loire, et semble bondir sous les châteaux posés sur ces doubles collines ; une magnifique coupe d’émeraude au fond de laquelle l’Indre se roule par des mouvements de serpent. A cet aspect, je fus saisi d’un étonnement voluptueux que l’ennui des landes ou la fatigue du chemin avait préparé. — Si cette femme, la fleur de son sexe, habite un lieu dans le monde, ce lieu, le voici ? À cette pensée je m’appuyai contre un noyer sous lequel, depuis ce jour, je me repose toutes les fois que je reviens dans ma chère vallée. Sous cet arbre confident de mes pensées, je m’interroge sur les changements que j’ai subis pendant le temps qui s’est écoulé depuis le dernier jour où j’en suis parti. Elle demeurait là, mon cœur ne me trompait point : le premier castel que je vis au penchant d’une lande était son habitation. Quand je m’assis sous mon noyer, le soleil de midi faisait pétiller les ardoises de son toit et les vitres de ses fenêtres. Sa robe de percale produisait le point blanc que je remarquai dans ses vignes sous un hallebergier¹. Elle était, comme vous le savez déjà, sans rien savoir encore, LE LYS DE CETTE VALLÉE où elle croissait pour le ciel, en la remplissant du parfum de ses vertus. L’amour infini, sans autre aliment qu’un objet à peine entrevu dont mon âme était remplie, je le trouvais exprimé par ce long ruban d’eau qui ruisselle au soleil entre deux rives vertes, par ces lignes de peupliers qui parent de leurs dentelles mobiles ce val d’amour, par les bois de chênes qui s’avancent entre les vignobles sur des coteaux que la rivière arrondit toujours différemment, et par ces horizons estompés qui fuient en se contrariant. Si vous voulez voir la nature belle et vierge comme une fiancée, allez là par un jour de printemps, si vous voulez calmer les plaies saignantes de votre cœur, revenez-y par les derniers jours de l’automne ! Au printemps, l’amour y bat des ailes à plein ciel ; en automne on y songe à ceux qui ne sont plus. Le poumon malade y respire une bienfaisante fraîcheur, la vue s’y repose sur des touffes dorées qui communiquent à l’âme leurs paisibles douceurs. En ce moment, les moulins situés sur les chutes de l’Indre donnaient une voix à cette vallée frémissante, les peupliers se balançaient en riant, pas un nuage au ciel, les oiseaux chantaient, les cigales criaient, tout y était mélodie. […] Sans savoir pourquoi, mes yeux revenaient au point blanc, à la femme qui brillait dans ce vaste jardin comme au milieu des buissons verts éclatait la clochette d’un convolvulus², flétrie si l’on y touche. Je descendis, l’âme émue, au fond de cette corbeille, et vis bientôt un village que la poésie qui surabondait en moi me fit trouver sans pareil.

1. Hallebergier : variété d’abricotier (l’orthographe exacte est : albergier).
2. Convolvulus : liseron.

 

  • Document 2 : Arthur Rimbaud, « Le bateau ivre », 1871

Rédigé en septembre 1871, quelques mois après la célèbre « Lettre du voyant », « Le bateau ivre » est l’occasion pour Rimbaud de mettre en pratique son programme poétique. Selon l’auteur, le poète doit en effet « se faire voyant » : cette expression signifie qu’il faut dépasser les apparences afin de voir l’invisible pour avoir la révélation merveilleuse de l’inconnu. Comme il l’écrit : « Et j’ai vu quelquefois ce que l’homme a cru voir ». Le poème évoque un bateau, représentation métaphorique du poète fugueur, qui va faire naufrage. S’en suit un voyage extraordinaire vers l’inconnu : véritable allégorie de la révolte adolescente, ce voyage qui ravit littéralement celui qui en fait l’expérience, est autant une conquête qu’une jouissance – sur le plan émotionnel et cognitif– de la liberté…

Le bateau ivre
extrait

Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs¹ :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.

J’étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m’ont laissé descendre où je voulais.

Dans les clapotements furieux des marées,
Moi, l’autre hiver, plus sourd que les cerveaux d’enfants,
Je courus ! Et les Péninsules démarrées²
N’ont pas subi tohu-bohus³ plus triomphants.

La tempête a béni mes éveils maritimes.
Plus léger qu’un bouchon j’ai dansé sur les flots
Qu’on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l’œil niais des falots⁴ !

Plus douce qu’aux enfants la chair des pommes sûres⁵,
L’eau verte pénétra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin.

Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d’astres, et lactescent⁶,
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;

Où, teignant tout à coup les bleuités⁷, délires
Et rythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l’alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de l’amour !

Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs et les courants : je sais le soir,
L’Aube exaltée ainsi qu’un peuple de colombes,
Et j’ai vu quelquefois ce que l’homme a cru voir !

J’ai vu le soleil bas, taché d’horreurs mystiques,
Illuminant de longs figements violets,
Pareils à des acteurs de drames très antiques
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets !

J’ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,
Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,
La circulation des sèves inouïes,
Et l’éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs !

[…]

1. Haleur : personne qui hale, qui tire un bateau à l’aide d’un câble, pour le faire avancer.
2. démarrées : antonyme de « amarrées »
3. tohu-bohu : chahut, agitation
4. falot : terme de marine qui désigne une grosse lanterne
5. sûre : aigre
6. lactescent : qui évoque la couleur blanche du lait
7. bleuités : néologisme créé par Rimbaud. Le suffixe -ité- qui s’ajoute à l’adjectif “bleu” forme un nom abstrait exprimant la qualité de ce qui est bleu.

  • Document 3 : Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes, 1913

Rédigé en 1913, un an avant la mort d’Alain-Fournier (pseudonyme d’Henri-Alban Fournier) à Verdun en août 1914, Le Grand Meaulnes s’est imposé comme un classique littéraire qui n’a cessé de fasciner des générations de lectrices et de lecteurs. L’histoire débute dans une petite école d’un village de Sologne à la fin du 19ème siècle, quand la vie des élèves et surtout celle de François Seurel, le narrateur, est soudainement bouleversée par l’arrivée d’Augustin Meaulnes, un jeune garçon énigmatique et aventurier apportant avec lui le dépaysement, la poésie, la fraîcheur, et cette quête de l’extraordinaire qui caractérise l’enfance… S’égarant au soir d’une escapade en forêt, Meaulnes s’introduit dans un château troublant, à la fois réel et fantastique, ancré dans le décor intemporel et mystérieux de la Sologne…

CHAPITRE XI
LE DOMAINE MYSTÉRIEUX

Dès le petit jour, il se reprit à marcher. Mais son genou enflé lui faisait mal ; il lui fallait s’arrêter et s’asseoir à chaque moment tant la douleur était vive. L’endroit où il se trouvait était d’ailleurs le plus désolé de la Sologne. De toute la matinée, il ne vit qu’une bergère, à l’horizon, qui ramenait son troupeau. Il eut beau la héler, essayer de courir, elle disparut sans l’entendre.
Il continua cependant de marcher dans sa direction, avec une désolante lenteur… Pas un toit, pas une âme. Pas même le cri d’un courlis dans les roseaux des marais. Et, sur cette solitude parfaite, brillait un soleil de décembre, clair et glacial.
Il pouvait être trois heures de l’après-midi lorsqu’il aperçut enfin, au-dessus d’un bois de sapins, la flèche d’une tourelle grise.
— Quelque vieux manoir abandonné, se dit-il, quelque pigeonnier désert !…
Et, sans presser le pas, il continua son chemin. Au coin du bois débouchait, entre deux poteaux blancs, une allée où Meaulnes s’engagea. Il y fit quelques pas et s’arrêta, plein de surprise, trouble d’une émotion inexplicable. Il marchait pourtant du même pas fatigué, le vent glacé lui gerçait les lèvres, le suffoquait par instants ; et pourtant un contentement extraordinaire le soulevait, une tranquillité parfaite et presque enivrante, la certitude que son but était atteint et qu’il n’y avait plus maintenant que du bonheur à espérer. C’est ainsi que, jadis, la veille des grandes fêtes d’été il se sentait défaillir, lorsqu’à la tombée de la nuit on plantait des sapins dans les rues du bourg et que la fenêtre de sa chambre était obstruée par les branches.
— Tant de joie, se dit-il, parce que j’arrive à ce vieux pigeonnier, plein de hiboux et de courants d’air !…
Et, fâché contre lui-même, il s’arrêta, se demandant s’il ne valait pas mieux rebrousser chemin et continuer jusqu’au prochain village. Il réfléchissait depuis un instant, la tête basse, lorsqu’il s’aperçut soudain que l’allée était balayée à grands ronds réguliers comme on faisait chez lui pour les fêtes. Il se trouvait dans un chemin pareil à la grand-rue de La Ferté, le matin de l’Assomption !… Il eût aperçu au détour de l’allée une troupe de gens en fête soulevant la poussière comme au mois de juin, qu’il n’eût pas été surpris davantage.
— Y aurait-il une fête dans cette solitude ? se demanda-t-il.
Avançant jusqu’au premier détour, il entendit un bruit de voix qui s’approchaient. Il se jeta de côté dans les jeunes sapins touffus, s’accroupit et écouta en retenant son souffle. C’étaient des voix enfantines. Une troupe d’enfants passa tout près de lui. L’un d’eux, probablement une petite fille, parlait d’un ton si sage et si entendu que Meaulnes, bien qu’il ne comprît guère le sens de ses paroles, ne put s’empêcher de sourire :
— Une seule chose m’inquiète, disait-elle, c’est la question des chevaux. On n’empêchera jamais Daniel, par exemple, de monter sur le grand poney jaune !
— Jamais on ne m’en empêchera ! répondit une voix moqueuse de jeune garçon. Est-ce que nous n’avons pas toutes les permissions ?… Même celle de nous faire mal, s’il nous plaît…
Et les voix s’éloignèrent, au moment où s’approchait déjà un autre groupe d’enfants.
— Si la glace est fondue, dit une fillette, demain matin, nous irons en bateau.
— Mais nous le permettra-t-on ? dit une autre.
— Vous savez bien que nous organisons la fête à notre guise.
— Et si Frantz rentrait dès ce soir, avec sa fiancée ?
— Eh bien, il ferait ce que nous voudrions !… »

« Il s’agit d’une noce, sans doute, se dit Augustin. Mais ce sont les enfants qui font la loi, ici ?… Étrange domaine ! »
Il voulut sortir de sa cachette pour leur demander où l’on trouverait à boire et à manger. Il se dressa et vit le dernier groupe qui s’éloignait. C’étaient trois fillettes avec des robes droites qui s’arrêtaient aux genoux. Elles avaient de jolis chapeaux à brides. Une plume blanche leur traînait dans le cou, à toutes les trois. L’une d’elles, à demi retournée, un peu penchée, écoutait sa compagne qui lui donnait de grandes explications, le doigt levé.
— Je leur ferais peur, se dit Meaulnes, en regardant sa blouse paysanne déchirée et son ceinturon baroque de collégien de Sainte-Agathe.
Craignant que les enfants ne le rencontrassent en revenant par l’allée, il continua son chemin à travers les sapins dans la direction du « pigeonnier », sans trop réfléchir à ce qu’il pourrait demander là-bas. Il fut bientôt arrêté à la lisière du bois, par un petit mur moussu. De l’autre côté, entre le mur et les annexes du domaine, c’était une longue cour étroite toute remplie de voitures, comme une cour d’auberge un jour de foire. Il y en avait de tous les genres et de toutes les formes : de fines petites voitures à quatre places, les brancards en l’air ; des chars à bancs ; des bourbonnaises démodées avec des galeries à moulures, et même de vieilles berlines dont les glaces étaient levées.
Meaulnes, caché derrière les sapins, de crainte qu’on ne l’aperçût, examinait le désordre du lieu, lorsqu’il avisa, de l’autre côté de la cour, juste au-dessus du siège d’un haut char à bancs, une fenêtre des annexes à demi ouverte. Deux barreaux de fer, comme on en voit derrière les domaines aux volets toujours fermés des écuries, avaient dû clore cette ouverture. Mais le temps les avait descellés.
— Je vais entrer là, se dit l’écolier, je dormirai dans le foin et je partirai au petit jour, sans avoir fait peur à ces belles petites filles.
Il franchit le mur, péniblement, à cause de son genou blessé, et, passant d’une voiture sur l’autre, du siège d’un char à bancs sur le toit d’une berline, il arriva à la hauteur de la fenêtre, qu’il poussa sans bruit comme une porte.
Il se trouvait non pas dans un grenier à foin, mais dans une vaste pièce au plafond bas qui devait être une chambre à coucher. On distinguait, dans la demi-obscurité du soir d’hiver, que la table, la cheminée et même les fauteuils étaient chargés de grands vases, d’objets de prix, d’armes anciennes. Au fond de la pièce des rideaux tombaient, qui devaient cacher une alcôve.
Meaulnes avait fermé la fenêtre, tant à cause du froid que par crainte d’être aperçu du dehors. Il alla soulever le rideau du fond et découvrit un grand lit bas, couvert de vieux livres dorés, de luths aux cordes cassées et de candélabres jetés pêle-mêle. Il repoussa toutes ces choses dans le fond de l’alcôve, puis s’étendit sur cette couche pour s’y reposer et réfléchir un peu à l’étrange aventure dans laquelle il s’était jeté.
Un silence profond régnait sur ce domaine. Par instants seulement on entendait gémir le grand vent de décembre.
Et Meaulnes, étendu, en venait à se demander si, malgré ces étranges rencontres, malgré la voix des enfants dans l’allée, malgré les voitures entassées, ce n’était pas là simplement, comme il l’avait pensé d’abord, une vieille bâtisse abandonnée dans la solitude de l’hiver.
Il lui sembla bientôt que le vent lui portait le son d’une musique perdue. C’était comme un souvenir plein de charme et de regret. Il se rappela le temps où sa mère, jeune encore, se mettait au piano l’après-midi dans le salon, et lui, sans rien dire, derrière la porte qui donnait sur le jardin, il l’écoutait jusqu’à la nuit…
— On dirait que quelqu’un joue du piano quelque part ? pensa-t-il.
Mais laissant sa question sans réponse, harassé de fatigue, il ne tarda pas à s’endormir…

Alain-Fournier (1886-1914), Le Grand Meaulnes, 1913
Chapitre XI « Le domaine mystérieux »
Texte entier consultable sur Wikisource.

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Sally Mann (1951- ) est une photographe américaine, fortement marquée par les paysages du sud des États-Unis, notamment la Virginie où elle a grandi. Ses travaux, qui privilégient la technique de la chambre et le recours aux procédés du dix-neuvième siècle (photographie argentique sur plaque de verre au gélatino-bromure d’argent), témoignent d’images hors du temps, mystérieuses, presque irréelles…

Sally_Mann_Deep South© Sally Mann

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BTS 2017-2018 L’extraordinaire Cours en ligne : Section 1-B Le banal, l’ordinaire, l’ennui


Cours précédents :

  • Niveau de difficulté de ce cours : difficile

 


B/ Le banal, l’ordinaire, l’ennui


D

ans nos cours précédents, nous avons défini l’extraordinaire à la fois comme un écart à travers lequel le surnaturel émerge dans le quotidien, et comme ce qui ne relève pas d’une explication déterministe ou dont le caractère inexpliqué élimine le déterminisme de l’explication ou de la prévision. En ce sens, l’extraordinaire est d’ordre événementiel et narratif : comme nous l’avons dit, il est ce qui se passe lorsque rien ne se passe.

Par opposition, le monde de l’ordinaire esquisse un univers routinisé, normalisé, dominé par la banalité et l’ennui : « La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres » se lamentait Mallarmé en 1865… S’écoulant sur un rythme monotone, ce premier vers du célèbre poème « Brise marine » fait entrer dans le texte plusieurs éléments biographiques traduisant bien l’existence banale et le sentiment de déchéance qui s’empare de l’âme du poète. 

Comme l’a bien exprimé le philosophe français Vladimir Jankelevitch¹, « non seulement on s’ennuie faute de soucis, faute d’aventures et de dangers, faute de problèmes, mais il arrive aussi qu’on s’ennuie faute d’angoisse : un avenir sans risques ni aléas, une carrière de tout repos, une quotidienneté exempte de toute tension sont parmi les conditions les plus ordinaires de l’ennui… Parmi les diverses maladies du temps, l’ennui n’est certes pas la plus aiguë, mais c’est la plus commune. Désespoir en veilleuse, mauvaise conscience chronique, souci insouciant et malheur dérisoire, il est le monstre délicat qui obsède les pessimistes, Leopardi, Schopenhauer, Laforgue et Baudelaire […]. » 

1. Vladimir Jankelevitch, L’Aventure, l’ennui et le sérieux, Paris, Aubier Montaigne 1963, page 71.
Walter Richard Sickert_EnnuiWalter Richard Sickert (1860-1942), « Ennui », huile sur toile, c. 1914. Londres, Tate Gallery

Véritable expression depuis les Romantiques de l’homme déchu et du mal du siècle, l’ennui renvoie en effet à l’immobilisme, au désenchantement, et à la fuite vaine dans la rétrospection : on pourrait évoquer ici le philosophe allemand Schopenhauer (1788-1860) qui a fait de l’ennui le pendant de la souffrance inhérente à chaque homme. Pour Schopenhauer en effet, l’existence est une « éternullité » (= une nullité prolongée), pour reprendre un mot-valise inventé par Jules Laforgue. Représentation de la désespérance et de la finitude, l’ennui traduit bien le mal de vivre et le pessimisme, caractéristiques de la deuxième moitié du XIXème siècle. 

Le spleen baudelairien est très représentatif de ce temps désespérément vide :

Le monde, monotone et petit, aujourd’hui,
Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image
Une oasis d’horreur dans un désert d’ennui !

« Désert d’ennui » s’écrie ainsi Baudelaire dans « Le voyage ». De fait, l’ennui étouffe l’espérance : « L’Espoir,/Vaincu, pleure »… Le Spleen LXXVIII, archi connu (« Quand le ciel bas et lourd… ») exprime parfaitement cette dualité entre spleen et idéal, entre vacuité existentielle et impossible quête du bonheur. Dans le même ordre d’idée, l’« extraordinaire étranger » dans le célèbre poème en prose s’oppose au questionneur, représentant du monde de l’ordinaire, de la platitude niaise, et dont les interrogations traduisent une très nette dépendance à l’égard d’un ordre naturel soumis au déterminisme qui le déborde de toutes parts :

Définition de l’ennui
« Quel que soit l’âge, quel que soit le milieu, l’ennuyé a l’impression d’un animal en cage. Tout se décolore, tout se désagrège, s’appauvrit, perd en signification. Apathie, inertie, monotonie, ou encore engourdissement, nivellement, anéantissement : ces mots expriment assez bien le malaise qui envahit l’ennuyé […]. »
Madeleine Bouchez, L’Ennui de Sénèque à Moravia, Paris Bordas, page 17

 

Charles Baudelaire « L’étranger » (1862)

– Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ? Ton père, ta mère, ta sœur ou ton frère ?
– Je n’ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère.
– Tes amis ?
– Vous vous servez là d’une parole dont le sens m’est resté jusqu’à ce jour inconnu.
– Ta patrie ?
– J’ignore sous quelle latitude elle est située.
– La beauté ?
– Je l’aimerais volontiers, déesse et immortelle.
– L’or ?
– Je le hais comme vous haïssez Dieu.
– Eh ! qu’aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?
– J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas… là-bas… les merveilleux nuages !


En ce sens, si la recherche de l’extraordinaire apparaît comme une quête d’Absolu (c’est précisément le Grandiose ou le Sublime qui fascinent l’étranger baudelairien), le matériel, l’ordinaire et le commun sont devenus un rouage important des sociétés opulentes dominées par l’acquisivité croissante, la course à la consommation, la surabondance, l’obsolescence et l’ennui : « l’objet de consommation est aussi un objet de « consumation » dans une société vouée à la finitude » |source|.

Signes de ce matérialisme opprimant : on achète du bonheur, de l’extraordinaire bon marché pour faire tomber les remparts de la routine, on se paye de l’idéalisme à bas coût, du surhumain à prix discount pour s’abstraire de l’habitude, pour échapper à la relativité et à la finitude. Mais cette fuite de nous-mêmes, n’est-elle pas un divertissement, au sens pascalien que nous donnons à ce terme ?

Sempé_Saint-Tropez_5Sempé, Saint-Tropez, 1968
L

e dessinateur Sempé dans Saint-Tropez (1968) s’est amusé à croquer les travers de la société de consommation. Accusée d’abolir les besoins de l’être, cette société de l’avoir et de la vacuité exacerbée, crée simultanément besoins et frustrations, à l’image des personnages de SempéSempé_Saint-Tropez_1 : avachis sur leurs transats autour de la piscine, écrasés de fatigue et d’ennui, les vacanciers tuent le temps en fumant, en posant au soleil chez Sénéquier : sous couvert de vacances « extraordinaires », c’est la banalité de la vie ordinaire, l’ennui, le vide intérieur et la solitude qui dominent. Alors que l’extraordinaire pousse souvent au défi et au spectaculaire et qu’il amène à cultiver par provocation ou par jeu la différence et un certain égocentrisme, signes d’une difficulté à suivre la « loi du monde » et à s’adapter au système, l’ordinaire traduit au contraire l’engluement dans le conservatisme, les stéréotypes et les clichés.

Sempé_Saint-Tropez_2
Saint-Tropez vu par le dessinateur Sempé : la fête, l’alcool, les lunettes noires, les cigarettes et Sénéquier… Un microcosme qui tente de se distraire pour échapper à l’ennui…

 


 « La France s’ennuie »

Pierre Viansson Ponté

Dans Le Monde du 15 mars 1968, Pierre Viansson Ponté signait en Une du Monde un éditorial titré « La France s’ennuie » pour dénoncer le conservatisme de la France gaullienne. Un tel titre n’est pas sans évoquer d’ailleurs les propos d’Alphonse de Lamartine à la Chambre des députés en 1839 : « La France est une nation qui s’ennuie »…

« Ce qui caractérise actuellement notre vie publique, c’est l’ennui. Les Français s’ennuient. Ils ne participent ni de près ni de loin aux grandes convulsions qui secouent le monde […]. Rien de tout cela ne nous atteint directement : d’ailleurs la télévision nous répète au moins trois fois chaque soir que la France est en paix pour la première fois depuis bientôt trente ans et qu’elle n’est ni impliquée ni concernée nulle part dans le monde. 
La jeunesse s’ennuie. […]. 
Le général de Gaulle s’ennuie. […]
Seuls quelques centaines de milliers de Français ne s’ennuient pas : chômeurs, jeunes sans emploi, petits paysans écrasés par le progrès, victimes de la nécessaire concentration et de la concurrence de plus en plus rude, vieillards plus ou moins abandonnés de tous. Ceux-là sont si absorbés par leurs soucis qu’ils n’ont pas le temps de s’ennuyer, ni d’ailleurs le cœur à manifester et à s’agiter. Et ils ennuient tout le monde. La télévision, qui est faite pour distraire, ne parle pas assez d’eux. Aussi le calme règne-t-il. […]

Cet état de mélancolie devrait normalement servir l’opposition. Les Français ont souvent montré qu’ils aimaient le changement pour le changement, quoi qu’il puisse leur en coûter. Un pouvoir de gauche serait-il plus gai que l’actuel régime ? La tentation sera sans doute de plus en plus grande, au fil des années, d’essayer, simplement pour voir, comme au poker. L’agitation passée, on risque de retrouver la même atmosphère pesante, stérilisante aussi.

On ne construit rien sans enthousiasme. Le vrai but de la politique n’est pas d’administrer le moins mal possible le bien commun, de réaliser quelques progrès ou au moins de ne pas les empêcher, d’exprimer en lois et décrets l’évolution inévitable. Au niveau le plus élevé, il est de conduire un peuple, de lui ouvrir des horizons, de susciter des élans […].

Dans une petite France presque réduite à l’Hexagone, […] l’anesthésie risque de provoquer la consomption. Et à la limite, cela s’est vu, un pays peut aussi périr d’ennui ».


Parcours de lecture 1 :
Ennui féminin et solitude existentielle

  • Une Vie de Maupassant
  • Thérèse Desqueyroux de Mauriac

→ Prérequis : lisez un résumé d’Une vie, par exemple sur aLaLettre.com.
Voyez aussi : « L’ennui au féminin » sur Magister.

Guy de Maupassant (1850-1893), grand disciple de Schopenhauer, déclare dans la préface d’Une vie : « une vie de femme […] c’est donc en fait la mort à petit feu, par étouffement, par asphyxie progressive de la sensibilité une_vie_presentation[…] du désir […] d’être heureux. Le titre est à prendre comme une antiphrase ».

Une vie de Maupassant,
présentation de l’éditeur →
(Flammarion, 2015)
|source|

Dans ce roman sans intrigue, si caractéristique du naturalisme de la deuxième moitié du XIXè siècle, l’ennui (mariage, vie de famille dégradée, milieu social sclérosant) s’impose comme une impossibilité pour l’être de se retrouver en lui-même. À travers son union ratée, Jeanne fait l’expérience d’un monde sans amour où elle est toujours seule : le voyage de noces en Corse correspondant aux seuls moments de cette vie extraordinaire et intense à laquelle la jeune femme aspirait. Le retour irrémédiable au château familial date le point d’ancrage du roman dans la monotonie et ponctue l’impossibilité de l’amour.

Dans ce passage du chapitre 6, Jeanne mariée depuis deux mois et revenue après son voyage de noces au château des Peuples, se retrouve seule, abandonnée à sa mélancolie et à son ennui…

« Alors elle s’aperçut qu’elle n’avait plus rien à faire, plus jamais rien à faire. Toute sa jeunesse au couvent avait été préoccupée de l’avenir, affairée de songeries. La continuelle agitation de ses espérances emplissait, en ce temps-là, ses heures sans qu’elle les sentit passer. Puis, à peine sortie des murs austères où ses illusions étaient écloses, son attente d’amour se trouvait tout de suite accomplie. L’homme espéré, rencontré, aimé, épousé en quelques semaines, comme on épouse en ces brusques déterminations, l’emportait dans ses bras sans la laisser réfléchir à rien.
Mais voilà que la douce réalité des premiers jours allait devenir la réalité quotidienne qui fermait la porte aux espoirs indéfinis, aux charmantes inquiétudes de l’inconnu. Oui, c’était fini d’attendre. une_vie_1Alors plus rien à faire, aujourd’hui,  ni demain ni jamais. Elle sentait tout cela vaguement à une certaine désillusion, à un affaissement de ses rêves ».

Maria Schell dans Une vie (1958) d’Alexandre Astruc →

« […] Mais son œil soudain tomba sur sa pendule. La petite abeille voltigeait toujours de gauche à droite, et de droite à gauche, du même mouvement rapide et continu, au-dessus des fleurs de vermeil. Alors, brusquement, Jeanne fut traversée par un élan d’affection, remuée jusqu’aux larmes devant cette petite mécanique qui semblait vivante, qui lui chantait l’heure et palpitait comme une poitrine ».

Cette dernière image est particulièrement évocatrice : la pendule en effet renvoie à l’ennui de Jeanne, condamnée elle aussi à une existence mécanique et au ressassement cyclique des états d’âme. L’image rappelle d’ailleurs ces propos de Schopenhauer (Le Monde comme volonté de représentation) : « La vie donc oscille, comme un pendule, de droite à gauche, de la souffrance à l’ennui : ce sont là deux éléments dont elle est faite, en somme ».


Publié en 1927, le roman Thérèse Desqueyroux de François Mauuriac (1885-1970), est une œuvre magistrale. L’histoire, tirée d’un fait divers, est celle de Thérèse accusée d’avoir voulu empoisonner son mari : la jeune femme obtient un non-lieu et semble libre en apparence, mais il s’agit d’une liberté illusoire. Pour les deux familles en effet, issues de la grande bourgeoisie catholique bordelaise, les apparences doivent être sauvegardées absolument. Aux yeux de la population, Bernard son mari et elle, devront présenter l’image d’un couple uni. Mais le retour de Thérèse dans « le clan » familial révèle la pesante emprise des « barreaux vivants » de la famille. Condamnée à vivre auprès de son mari pour sauver les apparences, elle est en fait séparée de sa fille et séquestrée au nom des conventions, et de l’honneur familial.

Le roman s’ouvre sur la sortie de Thérèse du palais de justice, accompagnée de son avocat. Le jugement s’est conclu sur un non-lieu, au grand soulagement des deux familles et particulièrement de son père, uniquement préoccupé par la peur du scandale : il doit en effet se présenter aux élections sénatoriales et n’a de cesse d’étouffer l’affaire pour que « l’honneur du nom soit sauf » :

« […] le silence, l’étouffement, je ne connais que ça, J’agirai, j’y mettrai le prix ; mais pour la famille, il faut recouvrir tout ça … il faut recouvrir »
Thérèse n’entendit pas la réponse de Duros car ils avaient allongé le pas. Elle aspira de nouveau la nuit pluvieuse, comme un être menacé d’étouffement […] »
« Comment empêcher les adversaires d’entretenir la plaie ? Dès demain, il ira voir le préfet. Dieu merci, on tient le directeur de La Lande conservatrice : cette histoire de petites filles… Il prit le bras de Thérèse […]

Pour éviter d’attirer l’attention, son père abandonne sur place la jeune femme, condamnée à rentrer seule vers Argelouse, le domaine familial, perdu au milieu de la forêt landaise. Lors du chemin du retour, Thérèse repense à son acte, et à la vie cloisonnée qu’elle menait auprès de Bernard. Pendant ces six chapitres qui évoquent sous forme d’analepse le passé de Thérèse, Mauriac tente de suggérer une justification : le crime apparaît en effet comme une transgression de l’ordre établi et du conformisme le plus étroit de cette famille, emprisonnée dans un réseau d’habitudes et de conventions.

Le roman oppose ainsi deux conceptions de la foi : le catholicisme figé d’une bourgeoisie hypocrite, et la quête authentique de la foi, véritable chemin de croix pour quelques individus isolés. Mauriac, grand catholique lui-même, stigmatise ainsi le conformisme religieux des Desqueyroux dans la mesure où il est plus un devoir social qu’une nécessité intérieure. Ces pseudo-chrétiens imbus d’eux-mêmes et de leurs prérogatives conçoivent la religion comme un garant de l’ordre social, et le clergé comme un corps à leur solde. Ce catholicisme s’accommode fort bien d’une certaine bonne conscience, d’un goût prononcé pour la propriété et de préjugés enracinés dans le conformisme bourgeois de la IIIe République.

Ainsi, la tentative d’empoisonnement peut être interprétée comme l’acte extra-ordinaire d’une femme à la recherche d’une « vraie vie » pour échapper à l’univers monotone, au monde fruste englué dans l’ordinaire, bien décrit au chapitre 7 :

« Un grand feu brûlait et, au dessert, il n’avait qu’à tourner son fauteuil, pour tendre à la flamme ses pieds chaussés de feutres. Ses yeux se fermaient sur La Petite  Gironde. Parfois il ronflait, mais aussi souvent je ne l’entendais même pas respirer. Les savates de Balionte traînaient encore à la cuisine ; puis elle apportait les bougeoirs. Et c’était le silence, le silence d’Argelouse ! »

Ce « silence d’Argelouse » peut faire songer à l’éternullité schopenhaurienne que nous évoquions, oscillant entre l’infini de la souffrance et la fatalité de l’ennui. Après l’ennui, la douleur enlise l’être en lui-même, l’immobilise.

Thérèse Desqueyroux de Georges Franju (1962) avec Emmanuelle Riva et Philippe Noiret.
Visionnez le passage du début jusqu’à 3:40 : comment le « silence d’Argelouse » est-il rendu ? Dans quelle mesure les éléments du décor (pluie, vent, feuilles mortes au sol, feu de cheminée, austérité de la chambre…), contrastent-ils avec le tourne-disque : que représente symboliquement cet objet ?

Face à ce quotidien le plus trivial, la tentative d’empoisonnement de Thérèse est donc un geste extravagant, terrifiant, insensé, une façon d’échapper au quotidien, à l’ordinaire, aux préjugés et à l’hypocrisie d’un monde de compromis. Un passage du chapitre 13 à la fin du roman est particulièrement intéressant : Bernard questionne sa femme sur les raisons de son acte :

« Thérèse… je voulais vous demander… […] Je voudrais savoir… C’était parce que vous me détestiez ? Parce que je vous faisais horreur ? »
Il écoutait ses propres paroles avec étonnement, avec agacement. Thérèse sourit, puis le fixa d’un air grave : Enfin ! Bernard lui posait une question […]. Elle avait, à son insu, troublé Bernard. Elle l’avait compliqué ; et voici qu’il l’interrogeait comme quelqu’un qui ne voit pas clair, qui hésite… Moins simple… donc, moins implacable. Thérèse jeta sur cet homme nouveau un regard complaisant, presque maternel.
– Il se pourrait que ce fût pour voir dans vos yeux une inquiétude, une curiosité du trouble enfin […].
[…]
Il ne la croyait pas […] Qu’il se haïssait d’avoir interrogé Thérèse ! C’était perdre tout le bénéfice du mépris dont il avait accablé cette folle : elle relevait la tête, parbleu ! Pourquoi avait-il cédé à ce brusque désir de comprendre ? Comme s’il y avait quoi que ce fût à comprendre, avec ces détraquées ! Mais cela lui avait échappé ; il n’avait pas réfléchi. »
[…]
– Ce que je voulais ? Sans doute serait-il plus aisé de dire ce que je ne voulais pas ; je ne voulais pas jouer un personnage, faire des gestes, prononcer des formules, renier enfin à chaque instant une Thérèse qui… Mais non, Bernard ; voyez, je ne cherche qu’à être véridique […].
– Parlez plus bas : le monsieur qui est devant nous s’est retourné. »

Dans Une Vie et dans Thérèse Desqueyroux, il n’est pas surprenant que le mari de Jeanne comme celui de Thérèse apparaissent comme des caricatures de l’amour. Julien aime la Suisse « à cause des chalets et des lacs » et l’Angleterre parce que « c’est une région fort instructive ». Bernard lui apparaît comme « satisfait d’avoir vu dans le moins de temps possible ce qui était à voir « des lacs italiens ». Tous deux sont grotesques dans leur conformisme. Il est clair que le mariage mauria­cien ne diffère pas sensiblement de la description maupassantienne. Dès le mariage achevé, les deux femmes éprouvent la communication-zéro avec l’homme. Car Julien et Bernard sont en fait incapables d’amour. Si le « Bel-Ami » qu’est Julien s’apparente davantage à l’arriviste calculateur, si Bernard rappelle Charles Bovary, tous deux vont être les représentants de l’amour institutionnalisé. Que ce soient les paysans dans Une vie ou les métayers landais, l’aristocratie cauchoise ou les nota­bilités d’Argelouse, l’amour est toujours réduit à une activité sociale et routinière.

La rencontre brève, mais combien exaltante de Thérèse avec Jean Azévédo est particulièrement intéressante : par son prestige intellectuel et sa capacité à appréhender le monde sensible, il révèle à Thérèse ses aspirations inexprimées, son sentiment d’être différente, d’être en marge de son milieu social :

« Jean Azévédo me décrivait Paris, ses camaraderies, et j’imaginais un royaume dont la loi eût été de « devenir soi-même ». « Ici vous êtes condamnée au mensonge jusqu’à la mort […], il  faut se soumettre à ce morne destin commun ; quelques-uns résistent : d’où ces drames sur lesquels les familles font silence. Comme on dit ici : « il faut faire le silence… »

 

CONCLUSION


C

omme vous l’avez compris, si la singularité de l’extraordinaire implique une expérience hors du commun, une contestation du visible, du rationnel, de l’explicable,  etc., c’est parce que l’extraordinaire constitue dans la banalité même du quotidien un actant narratif : il habille de rêve le banal, il est l’élément perturbateur qui entraîne une série de péripéties ou de rebondissements, il raconte une histoire qui mobilise l’inédit, la transgression, l’imagination ou l’émerveillement…

En opposition, l’ordinaire et le commun semblent souvent sans intérêt. Les Instructions officielles nous rappellent à ce titre tous les mots clés qui gravitent autour du champ thématique de l’ennui : « Anodin, banal, classique, coutume, […], familier, habitude, insignifiant, insipide, monotone, normal, ordinaire, platitude, quelconque, quotidien, rebattu, régulier, répétition, tradition, usage… ». Ainsi l’ennui paraît condamner l’être à la privation, au recommencement ou à la finitude.

Néanmoins, comme nous le verrons dans notre prochain cours, ne peut-on pas trouver de l’extraordinaire dans l’ordinaire ? Cet extraordinaire à la lumière du quotidien, telle est précisément la démarche qui animait Francis Ponge dans Le Parti pris des choses. Que l’on songe aussi à Jacques Prévert qui voyait dans le poème une façon de rendre compte de la réalité sociale dans sa banalité. Transfigurer ainsi l’ordinaire par l’art, n’est-ce pas quelque part abolir la différence entre le banal et l’extraordinaire ?

© Bruno Rigolt, septembre 2016

Licence Creative CommonsNetiquette : comme pour l’ensemble des textes publiés dans l’Espace Pédagogique Contributif, cet article est protégé par copyright. Ils est mis à disposition des internautes selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Pas de Modification 2.0 France. La diffusion publique est autorisée sous réserve de mentionner le nom de l’auteur ainsi que la référence complète de l’article cité (URL de la page).

 

Travaux dirigés niveau de difficulté : difficile

 
  • Autoexercice 1 : deux ans avant l’article de Pierre Viansson Ponté, Jacques Dutronc signe en 1966 la chanson « Et moi, et moi, et moi » (paroles de Jacques Lanzmann ; musique de Jacques Dutronc). Toute la chanson met en évidence un parcours argumentatif subtil qui oppose à l’instabilité du monde l’égoïsme individuel du narrateur, qui va de pair avec une croyance dans la sécurité collective promise par l’État-providence.
    Dans quelle mesure l’article de Pierre Viansson Ponté (« La France s’ennuie ») ainsi que les propos de Vladimir Jankelevitch cités plus haut (« un avenir sans risques ni aléas, une carrière de tout repos, une quotidienneté exempte de toute tension sont parmi les conditions les plus ordinaires de l’ennui ») vous paraissent-ils bien s’appliquer aux paroles de la chanson ?
  • Autoexercice 2 : lisez le poème « Spleen » (LXXVIII) de Baudelaire.
    Quels termes expriment l’ennui ? Rédigez un court paragraphe d’une quinzaine de lignes dans lequel vous montrerez que l’expérience du spleen va de pair avec une réflexion sur l’ennui existentiel.
  • Autoexercice 3 : accédez au support de cours intitulé « Rêve et bovarysme : de l’idéal aux clichés romanesques ». Bien que consacré au thème du rêve, cet entraînement propose deux textes particulièrement intéressants pour l’étude de l’extraordinaire.
    → Lisez tout d’abord la présentation (notamment la définition du bovarysme) ainsi que les deux extraits (Gustave Flaubert, Madame Bovary ; Guy de Maupassant, Une Vie) : désespérant de la banalité de leur vie, Emma et Jeanne imaginent dans leurs rêves des choses extraordinaires. Montrez comment est caricaturé ce sentimentalisme excessif qui mêle le rocambolesque et l’invraisemblable.
  • Autoexercice 4 : on a parfois qualifié les pièces de Samuel Beckett de « comédies de l’ennui ». Présentée à Paris pour la première fois en 1953, En attendant Godot, par son refus de toute intrigue, est caractéristique de l’ennui, du « rien à faire » et du vide existentiel : thèmes essentiels du théâtre de l’absurde. La pièce nous présente deux antihéros, Vladimir et Estragon, qui attendent un personnage nommé Godot qui leur est inconnu, dont ils ne savent pas ce qu’ils attendent de lui, et dont ils ne sont pas sûrs de sa venue. C’est dans ce contexte que s’engage entre les deux clochards une interminable conversation sans autre objectif que de passer le temps pour oublier la platitude de leur quotidien et leur terreur de vivre : « Rien à faire », dit Estragon au début de la pièce. Cette expression revient plusieurs fois : la dimension de l’attente, le temps qui ne passe pas, sont ainsi les signes d’un insupportable vide existentiel : « Rien ne se passe, personne ne vient, personne ne s’en va, c’est terrible ».
    → Après avoir visionné la scène d’exposition (début → 04:46), montrez en quoi la banalité des personnages et l’insignifiance de leurs propos invitent à une réflexion sur le tragique de la condition humaine dans un monde vide de sens.
Réalisation : Walter D. Asmus, 1989. Estragon : Jean-François Balmer ; Vladimir : Rufus

BTS 2017-2018 Cours en ligne : Section 1-A : Sociologie de l’extraordinaire

Ce support ainsi que le programme de cours s’adressent prioritairement aux sections dont j’ai la charge, mais ils intéresseront bien évidemment les étudiant/es préparant l’épreuve de culture générale et expression en deuxième année de BTS.


L’extraordinaire
nouveau thème BTS 2017-2018

Section 1 : De l’ordinaire à l’extraordinaire

Bruno Rigolt


Bruno Rigolt_BTS 2018_l'extraordinaire_couverture_web_logoEPC_webConception graphique et design : Bruno Rigolt. © Copyright septembre 2016, Bruno Rigolt

  • Prérequis : vous devez avoir lu la présentation du thème et avoir effectué les premiers travaux dirigés avant d’aborder ce cours.

 

1

 

SECTION 1
de l’ordinaire à l’extraordinaire

A/ Sociologie de l’extraordinaire


L’

extraordinaire peut être défini comme un écart à travers lequel le surnaturel émerge dans le quotidien : si le terme entre ainsi dans le champ sémantique du merveilleux, du bizarre, de l’anormal, de l’invraisemblable, il convient néanmoins d’établir une distinction entre le merveilleux et l’extraordinaire. À la différence du merveilleux, l’extraordinaire reste crédible. Comme il a été très bien dit, « le merveilleux nous tire du côté de l’irrationnel, alors que l’extraordinaire sous-entend un regard plus logique et rationnel, supposant un ordre du monde dans lequel la merveille est extra-ordinaire, c’est-à-dire non encore expliquée […] »¹.

1. Joël Thomas, « Mirabilia : tropismes de l’imaginaire antique » in : ‘Mirabilia’. Conceptions et représentations de l’imaginaire dans le monde antique, Actes du colloque international, Lausanne, 20-22 mars 2003, dir. Philippe Mudry, éd. Peter Lang, page 3.

Inception_1
← « Le rêve s’écroule »…
Le film Inception (2010) de Christopher Nolan multiplie les effets spéciaux et les décors extraordinaires.

L’extraordinaire agit donc comme une force perturbatrice, une mise à distance de l’ordre installé, de l’institution, de la pensée rationnelle qui nous fait passer du quotidien le plus banal à l’invraisemblable par l’exagération des données : en témoigne par exemple le gigantisme du monde rabelaisien, qui constitue l’apogée du rire médiéval. Cette démesure se retrouve également chez Philippe d’Alcripe (1531-1581), moine de l’abbaye de Mortemer et auteur d’un livre orignal et peu connu, La Nouvelle Fabrique des Excellens Traits de Vérité. Ce recueil de contes facétieux et fantastiques nous transporte dans un univers de fantaisie et de démesure où les personnages « s’esgueulent de rire » :

« soixante trois mille huict cents quatre vingts neuf potées de beurre, de septante six livres un quarteron la piéce, avec dix sept mille livres de beurre frais; sept cens soixante et huit pipes de bon vinaigre surart et autant de rosart; dix neuf cents quatorze minots de sel sans esgrumer; six cens tonneaux de verjus de bosquet; la charge de quinze vingts mullets de bonnes herbes fines et potageres, et pour y donner goust et coulleur, y fut mis pour un tournois de saffren et pour un double d’espice ».
Philippe d’Alcripe , La Nouvelle Fabrique des excellents traits de vérité (1579)
Doré_Gargantua_webGustave Doré, « Un repas du jeune Gargantua », 1851

Comme nous le voyons, l’extraordinaire nous invite à interroger notre perception du réel, ainsi que notre conception de la normalité : par rapport à quelle norme, une chose est-elle appréhendée comme extraordinaire ? Sur quels critères jugeons-nous qu’un objet est merveilleux ? Baroque ? Magique ? Surréaliste ? Quelle différence existe-t-il entre l’émerveillement d’un bébé devant une boule de Noël et le public qui vient voir un film de superhéros pour le plaisir d’être leurré et d’oublier l’ennui d’une vie banale ? Pourquoi le premier PC ou le premier Minitel apparaissaient-ils comme des objets extra-ordinaires tant l’enthousiasme et la surprise étaient grands lors de leur lancement ?  Et pourquoi, si nous retrouvions dans un vieux carton un Minitel, l’objet devenu vintage, Jake_Dinos_Chapman_Zigotic_accelerationnous paraîtrait extra-ordinaire, par son décalage même avec notre réalité ?

← Jake et Dinos Chapman, « Zygotic acceleration, biogenetic, de-sublimated libidinal model (enlarged x 1000) », 1995. Coll. partic. |source|

Il y a donc plusieurs façons d’appréhender le thème : nous sommes ici au cœur des systèmes de valeurs et de croyances. Et ce qui pourrait apparaître à première vue comme une simple forme d’escapism comme disent les Anglais, c’est-à-dire de fuite du monde, nous amène à réfléchir plus fondamentalement à la notion même d’incertitude et de risque : est extraordinaire ce qui ne relève pas d’une explication déterministe ou dont le caractère inexpliqué élimine le déterminisme de l’explication ou de la prévision. Si pour les anciens conquistadores étaient extraordinaires ces mondes luxuriants de fleurs, de fruits nouveaux, d’espèces animales inconnues qu’ils découvraient, et si de nos jours, les hologrammes, la réalité virtuelle, les commandes neuronales ou les phénomènes paranormaux nous paraissent à ce point extraordinaires, c’est parce qu’ils introduisent une part de fantasme et une marge d’incertitude, propres à déjouer tout raisonnement déterministe.

Dans un monde où la minimisation de l’incertitude est au cœur de la sociologie des organisations, l’extraordinaire est ce qui demeure indéterminé : quand bien même serait-il justifié par une causalité déterministe, l’extraordinaire augmente parallèlement
Arman_violoncelle_webla croyance, par essence créationniste et providentialiste, en un monde transcendant où le réel et l’imaginaire se côtoient, où le possible se transforme, où l’action bascule dans le merveilleux, l’irréel ou l’invraisemblable.

Arman (Nice 1928-New York 2005) →
Sans titre (1962). Coupe de violoncelle sur panneau de bois.
Collection Mamac Nice (cliché © BR) 

Mais tout comme le thème du rêve, l’extraordinaire fait partie des productions humaines : il convient donc de le traiter comme un phénomène social, à égalité avec d’autres traditionnellement reconnus. De fait, l’extraordinaire ne se maintient que dans la fiction et l’illusion consenties, la croyance aux faits relatés, le besoin d’évasion sociale, de fuite ou de transgression de la réalité quotidienne.

En ce sens, l’extraordinaire appartient au domaine de l’anthropologie. « Comme il transcende les limites d’une raison mécaniste et prédictive au profit d’une raison dynamique, ouverte, remettant en cause ses principes […] et ses outils conceptuels […], cet imaginaire, d’une stupéfiante richesse, appartient avant tout au champ de l’épistémologie des sciences et de la philosophie de la connaissance »².

2. Louis-Vincent Thomas, « Imaginaire et rencontres insolites », in : Rencontres et apparitions fantastiques, sous la direction de Jean-Bruno Renard, Cahiers de l’imaginaire, L’Harmattan page 10

Comme nous le comprenons, la connaissance du thème se heurte à de nombreuses difficultés du fait qu’il y a dans l’extraordinaire un va-et-vient continuel entre le réel et l’imaginaire, le vrai et la fiction, le normatif et le transgressif, l’ordre et le désordre. L‘extraordinaire, l’insolite sont en effet consubstantiels à l’ordinaire : en mettant en scène des passions et des fantasmes, ce sont eux qui paradoxalement rendent le monde humain. Les contes et les légendes montrent ainsi les multiples facettes de la nature humaine. Il entre dans l’extraordinaire une part d’animalité aussi bien qu’une part de divinité : il est donc le principe qui meut les hommes, les fait progresser ou les corrompt.

Sans extraordinaire on ne peut avancer, donc le futur ne peut exister. Cet aspect dynamogénique (= excitant, stimulant) de l’extraordinaire est essentiel : dans notre monde où l’on se repose de plus en plus sur les moyens techniques et l’obsession sécuritaire, le recours à l’extraquotidien est comme un appel à l’inédit, à la marginalité et à la transversalité : il faut donc considérer ce recours à l’extraordinaire comme relevant de la responsabilité de l’homme et ainsi comme témoignant de sa liberté. Notre besoin de chimères, de fiction, de merveilleux, de bizarre, d’invraisemblable ou de sensationnel, s’il s’apparente parfois à une mystification, est néanmoins une fiction nécessaire.

Kay Sage (1898-1963), « Le Passage »  →
(autoportrait), 1956
(Collection particulière) 

Le goût pour l’extraordinaire ne correspond-il pas à un besoin de renouer le dialogue avec l’ordre primordial, avec le cosmos, avec l’innommé ? Face aux désastres écologiques, au risque nucléaire, aux conflits destructeurs, la mode grandissante pour les phénomènes paranormaux, les rencontres avec les extraterrestres, les revenants, les enchanteurs et les sorcières, etc. montre combien l’extraordinaire, s’il met en scène un risque, un danger, constitue paradoxalement un voyage salutaire, un refuge qui tente de ressouder la société détruite.

Bruno Rigolt
© septembre 2016, Bruno Rigolt/Espace Pédagogique Contributif

 

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Prochain cours : 1-B/ Le banal, l’ordinaire, l’ennui
(mise en ligne le 11/09/2016)

TRAVAUX DIRIGÉS


 
  • Autoexercice 1 : Allez sur le site anglophone Melt consacré au dessinateur français Guy Billout. Sélectionnez quelques dessins représentatifs du thème de l’extraordinaire et justifiez votre sélection.
  • Autoexercice 2 : étayez à l’oral ces propos du support de cours et illustrez-les d’exemples de votre choix : « est extraordinaire ce qui ne relève pas d’une explication déterministe ou dont le caractère inexpliqué élimine le déterminisme de l’explication ou de la prévision ».
  • Autoexercice 3 : dans quelle mesure la publicité suivante vous semble-t-elle bien illustrer cet aspect de l’extraordinaire : « qui se produit de manière imprévisible » ? Comment les publicitaires cherchent-ils à modifier le regard que l’on porte sur notre quotidien ?

pub_unexpected_shopping_forum_des_halles_1« Unexpected Shopping »
Publicité au nouveau forum des Halles, Paris mai 2016 (cliché © BR) 

  • Autoexercice 4 : Que vous inspire cette publicité pour Acadomia ? Quel aspect particulier de l’extraordinaire est évoqué : comment et pour quels effets ?
  • Entraînement à l’écriture personnelle : dans un développement argumenté d’une soixantaine de lignes environ, vous approfondirez la remarque suivante : « Notre besoin de chimères, de fiction, de merveilleux, de bizarre, d’invraisemblable ou de sensationnel, s’il s’apparente parfois à une mystification, est néanmoins une fiction nécessaire. »frise_1

Licence Creative Commons

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BTS 2017-2018 L’Extraordinaire. Présentation du thème-Programme de cours-TD

Ce support ainsi que le programme de cours s’adressent prioritairement aux sections dont j’ai la charge, mais ils intéresseront bien évidemment les étudiant/es préparant l’épreuve de culture générale et expression en deuxième année de BTS.


L’extraordinaire
nouveau thème BTS 2017-2018

Présentation du thème et du programme de cours

Bruno Rigolt


Bruegel_Tour de Babel - Museum Boijmans Van Beuningen_3Pieter Brueghel l’Ancien, « Tour de Babel », c. 1563
Rotterdam, Museum Boijmans Van Beuningen

Thème 2 « L’extraordinaire » Bulletin Officiel n°9 du 3 mars 2016

Les Instructions officielles

Problématique

La vie quotidienne se caractérise par son rythme régulier et rassurant, parfois monotone. L’habitude émousse la vue, l’ouïe, l’odorat et le goût. Tout semble s’affadir et ne plus mériter l’intérêt. A l’inverse, l’extraordinaire a un véritable pouvoir de révélation. Il fait surgir des réalités hors du commun aussi bien que des sensations nouvelles.

L’événement rompt le fil continu du temps et donne à l’instant une intensité qui suscite des émotions fortes : joie, surprise, émerveillement… Il donne le sentiment d’une plénitude qui justifie tous les superlatifs. Parfois, l’événement surgit spontanément – à l’occasion d’une découverte inattendue, d’une initiative improbable, d’un trait de génie. Mais ne faut-il pas aussi susciter l’extraordinaire, le chercher puisqu’il est difficile de se satisfaire de la plate répétition du quotidien ? Faut-il alors créer le moment inédit qui fait date ?

Notre société se plaît dans la production de l’événement, en fait même une pratique si courante qu’elle frise la banalité. La recherche permanente de l’inédit, de la sensation, la surenchère organisée dans l’extraordinaire ne nous assujettissent-elles pas à une autre forme de monotonie ?

L’extraordinaire se manifeste aussi dans son extrême violence. Loin d’exciter, il anéantit. Loin de favoriser le verbe et l’hyperbole, il coupe le souffle et la parole. C’est alors le traumatisme qui prévaut et l’habitude retrouvée peut apparaître nécessaire et apaisante.

Il est difficile de juger d’un quotidien auquel on s’est accoutumé, mais il s’avère tout aussi difficile de penser l’extraordinaire, car les émotions jouent contre la prise de distance que demande l’exercice de la raison.

Comment rendre compte du banal ? Comment construire un jugement sur ce dont on finit par oublier le sens et la saveur ? Comment rendre justice à ce que l’usage et l’usure ont voué à la discrétion ?

Inversement, comment penser l’exceptionnel tout en gardant de la mesure ? Comment préserver sa lucidité sans pour autant faire preuve de détachement insensible, de sécheresse de cœur ? Comment trouver les mots qui sonnent juste, restaurer le pouvoir de la parole et éviter les excès d’un verbe affolé face à l’événement qui sidère ?

Mots clés

Acte d’héroïsme, aventure, catastrophe, événement, exceptionnel, extraordinaire, fulgurant, hasard, imprévisible, imprévu, ineffable, inouï, insolite, merveilleux, miracle, original, paroxysme, prodige, séisme, spectaculaire, surprise…

Carnaval, chef-d’œuvre, coup de théâtre, drame, édition spéciale (breaking news), événementiel, fantastique, fête, morceau de bravoure, péripéties, rebondissement, rencontre, rite de passage, romanesque, scoop…

Anéantissement, choc, déconcertant, effroi, étonnement, extase, horreur, intensité, ivresse, ravissement, sensationnel, sidération, sublime, surprise, terreur, traumatisme…

Anodin, banal, classique, coutume, ennui, familier, habitude, insignifiant, insipide, monotone, normal, ordinaire, platitude, quelconque, quotidien, rebattu, régulier, répétition, tradition, usage…

Accoutumance, apaisement, calme, confort, dégoût, ennui, indifférence, lassitude, sérénité…

Indications bibliographiques

Ces indications ne sont en aucun cas un programme de lectures. Elles constituent des pistes et des suggestions pour permettre à chaque enseignant de s’orienter dans la réflexion sur le thème et d’élaborer son projet pédagogique.

Littérature

  • Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes
  • Louis Aragon, Le Paysan de Paris
  • J.G. Ballard, Crash ; I.G.H….
  • Honoré de Balzac, Eugénie Grandet
  • André Breton, Nadja
  • Russel Banks, De beaux lendemains
  • Dino Buzzati, Le Désert des Tartares
  • Emmanuel Carrère, D’autres vies que la mienne
  • Cicéron, De la divination, I, 97-98
  • Italo Calvino, Palomar
  • Raymond Carver, Les Vitamines du bonheur
  • Nicolas de Chamfort, Tableaux historiques de la Révolution française
  • François-René de Chateaubriand, Mémoire d’Outre-tombe, I, Année 1789, « Effet de la prise de la Bastille sur la cour – Têtes de Foulon et de Berthier »
  • Marie Darrieussecq, Truismes
  • Philippe Delerm, Enregistrements pirates
  • Alexandre Dumas, Les Trois Mousquetaires
  • Marguerite Duras, La Pluie d’été
  • Annie Ernaux, Regarde les lumières, mon amour
  • Francis Scott Fitzgerald, Gatsby le magnifique
  • Gustave Flaubert, Madame Bovary
  • Jonathan Safran Foer, Extrêmement fort et incroyablement près
  • Jean Follain, Exister
  • Nicolas Gogol, Nouvelles
  • Julien Gracq, Le Rivage des Syrtes
  • Françoise Héritier, Le Sel de la vie
  • Serge Joncour, L’Idole
  • Franz Kafka, La Métamorphose
  • Ahmadou Kourouma, Allah n’est pas obligé
  • D. H. Lawrence, L’Amant de Lady Chatterley
  • Guy de Maupassant, Une vie ; Nouvelles
  • François Mauriac, Thérèse Desqueyroux
  • Pierre Michon, Vies minuscules
  • Philippe Minyana, Inventaires
  • Wajdi Mouawad, Incendies
  • Georges Perec, L’Infra-ordinaire ; Les Choses
  • Edgar Allan Poe, Nouvelles histoires extraordinaires
  • Francis Ponge, Le Parti pris des choses
  • Marcel Proust, Du côté de chez Swann (« Combray »)
  • Romain Puértolas, L’Extraordinaire Voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea
  • Pascal Quignard, Villa Amalia
  • Philip Roth, Némésis
  • Madame de Sévigné, lettre à Monsieur de Coulanges, 15 décembre 1670
  • Stendhal, La Chartreuse de Parme, I.3
  • Tite-Live, Histoire romaine, 35, 21 ;  41.9
  • Jules Verne, Voyages extraordinaires
  • Michel Vinaver, 11 septembre 2001
  • Virginia Woolf, Mrs Dalloway


Essais

  • Hannah Arendt, Penser l’événement
  • Bruce Bégout, La Découverte du quotidien
  • Walter Benjamin, « Sur quelques thèmes baudelairiens » III, IV ; « Le Narrateur »
  • André Breton, Le Surréalisme et la Peinture,
  • Michel de Certeau, L’Invention du quotidien
  • Régis Debray, Du bon usage des catastrophes
  • Sigmund Freud, Psychopathologie de la vie quotidienne
  • Erving Goffman, La Mise en scène de la vie quotidienne
  • Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie
  • Pierre Zaoui, La Traversée des catastrophes
  • Revue Sociétés n°126, Re-penser l’ordinaire


Films, arts plastiques, bandes dessinées, blogs

  • Pénélope Bagieu, Ma vie est tout à fait fascinante
  • Thomas Cailley, Les Combattants
  • Eric Chevillard, L’Autofictif
  • Guy Delisle, Le Guide du mauvais père
  • Clint Eastwood, Sur la route de Madison
  • Atom Egoyan, De beaux lendemains
  • Sergueï Eisenstein, Le Cuirassé « Potemkine »
  • Roland Emmerich, Independence day
  • Emmanuel Guibert, La Guerre d’Alan
  • John Guillermin et Irwing Allen, La Tour infernale
  • Alfred Hitchcock, L’Auberge de la Jamaïque
  • Alejandro Inarritu, Birdman
  • Akira Kurosawa, Vivre,
  • Emmanuel Lepage, Un printemps à Tchernobyl
  • Adam McKay, The Big Short (Le Casse du siècle)
  • Yasujirō Ozu, Dernier Caprice
  • Brad Peyton, San Andreas
  • Alain Resnais, Hiroshima mon amour
  • Riad Sattouf, L’Arabe du futur
  • Ridley Scott, Seul sur Mars
  • Joann Sfar, Carnets                                                         
  • Paolo Sorrentino, La Grande Belleza
  • Steven Spielberg, Les Aventuriers de l’Arche perdue
  • Lewis Trondheim, Les Petits Riens
  • Peinture hollandaise, peinture d’histoire, photo reportage, pop art, performances, comics, art brut, « folies »…

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L’EXTRAORDINAIRE : UNE NOTION COMPLEXE ET PROTÉIFORME


« É

chappez à l’ordinaire. Soyez particulier ». Ces propos, extraits de la bande-annonce canadienne du film de Tim Burton, Miss Peregrine et les Enfants Particuliers, valent presque définition : par rapport au quotidien, l’irruption de l’extraordinaire crée en effet des conditions d’exception qui relèvent du surgissement événementiel, de l’inattendu, de l’imagination, de la fantaisie, de l’étrangeté voire du surnaturel. Ainsi que le rappellent les IO, « la vie quotidienne se caractérise par son rythme régulier et rassurant, parfois monotone. […] Tout semble s’affadir et ne plus mériter l’intérêt. A l’inverse, l’extraordinaire a un véritable pouvoir de révélation. Il fait surgir des réalités hors du commun aussi bien que des sensations nouvelles ». 

Ce « pouvoir de révélation » qui est comme un renversement de l’épistémologie cartésienne, postule un profond renouvellement des savoirs qui questionne le désir et se rapporte à l’étonnement, à l’émerveillement. En tant que manque, fascination pour l’inconnu, l’extraordinaire apparaît comme une quête de sens permettant de mieux comprendre le monde dans sa complexité.

Jean-Bruno Renard, professeur à l’université Paul-Valéry de Montpellier et sociologue de l’imaginaire, notait ainsi très justement : « L’extraordinaire est de tous les temps et de toutes les cultures. Dans les encyclopédies qui résument le savoir d’une époque, la rubrique « prodiges », « énigmes » ou « mystères » est une constante culturelle, même si son contenu est variable. Au VIème siècle après J.-C., Isidore de Séville consacrait aux prodiges et aux merveilles le livre XI de ses Étymologies, sommes du savoir profane et religieux de son temps. De nos jours, l’encyclopédie Quid réserve plusieurs colonnes aux « énigmes » (archéologiques, historiques, zoologiques, OVNI, etc.) et aux « miracles » religieux (apparitions, stigmates, etc.). Le merveilleux apparaît donc comme secteur particulier de la connaissance »¹ : en suscitant la curiosité, le savoir et l’admiration, il est une source d’émulation dont a besoin le corps social.

Face au « désenchantement du monde » pour reprendre une expression célèbre de Max Weber, l’extraordinaire fait écho à la quête de rationalisation de toutes les sphères sociales, particulièrement dans les sociétés occidentales. En ce sens, du fait qu’il agrandit et amplifie les événements, l’extraordinaire bouleverse les repères habituels du temps et forge un imaginaire original et puissant qui est comme un réenchantement, une idéalisation du réel : il est ce qui se passe, lorsque rien ne se passe.

Le dictionnaire Larousse précise que c’est « ce qui sort de l’usage ordinaire », « qui étonne par sa bizarrerie : singulier, insolite » ; qui est « hors du commun, remarquable, exceptionnel », « très grand, intense, immense ». Quant à Jean-Bruno Renard, il propose la définition suivante : « Au travers d’études nombreuses et variées, on peut relever cette même idée de l’extraordinaire comme écart à la nature des choses, que ces choses soient naturelles, sociales, etc. […]. Quels que soient les mots utilisés —merveilleux, fantastique, insolite, incongru, étrange, monstrueux, incroyable, inexplicable, prodigieux, invraisemblable, etc.— le concept d’extraordinaire est mobilisé lorsque le réel ne « colle » plus à la réalité, c’est-à-dire lorsque des événements ou des phénomènes s’écartent de notre perception ordinaire du monde »².

En tant que « surgissement de l’inhabituel dans le champ social et culturel d’un groupe ou d’un individu »³, l’extraordinaire dénote ainsi une prise de conscience des pouvoirs de l’imaginaire : si notre modernité tend à évoluer vers un espace technicien assez contraignant pour les populations dans la mesure où le cadre institutionnel que nous connaissions tend de plus en plus à disparaître au profit d’un cadre économico-sécuritaire : fusion entre technique et domination, entre rationalité et oppression, l’extraordinaire s’impose donc comme nécessité. Sur le plan épistémologique, il oblige ainsi à une mise en question de notre modernité et de nos modèles civilisationnels.

Face à la vision instrumentale d’un monde où tout tendrait à être évalué en termes de « fonctionnement » et de « rationalité », comme contestation de la rationalité, l’extraordinaire relève du discontinu, de l’accidentel, du démesuré, de l’exceptionnel, du merveilleux, de l’incroyable. Autant de qualificatifs qui lui confèrent une dimension symbolique héritée du mythe, du conte et plus généralement de l’univers sacré.

Bruno Rigolt
© août 2016, Bruno Rigolt/Espace Pédagogique Contributif

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PROGRAMME DES COURS 2016-2017 © Bruno Rigolt
Programme de cours semestriels. Premier cours en ligne : 11 septembre 2016


1. De l’ordinaire à l’extraordinaire
_A/ Sociologie de l’extraordinaire
_B/ Le banal, l’ordinaire, l’ennui
_C/ Le « parti pris des choses » ou la métamorphose mythique du quotidien
_D/ L’extraordinaire, l’invraisemblable et l’incongru

2. L’extraordinaire et le merveilleux
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A/ L’extraordinaire dans les contes : transgression, quête initiatique et révélation
_B/ Extraordinaire, monstruosité et métamorphose
_C/ Voyages dans le quotidien : le « merveilleux d’altérité »
_D/ Le vertige de la fête ou l’abolition du temps ordinaire
3. L’extraordinaire à l’épreuve du réel
_A/ La perception de l’extraordinaire, entre regard objectif et construction mentale
_B/ Les villes imaginaires. De l’utopie à la cité infernale : EldoradoMetropolis…
_C/ Guerre et Extraordinaire : la guerre entre déshumanisation et sublimation de l’humanisme
_D/ Futur post-apocalyptique et guerres interstellaires : le cinéma de science-fiction
4. Les événements médiatiques et la quête de l’extraordinaire
_A/ Affabulations, rumeurs, faits divers : rendre vraisemblable l’invraisemblable
_B/ Faire voir l’extraordinaire : l’espace médiatique et la fabrique de l’événement
_C/ Mythes et images de l’héroïsme : les destins extraordinaires
_D/ En attendant demain : le marketing de l’extraordinaire comme vecteur de réenchantement

Conclusion : Où va le monde ? L’extraordinaire n’a de sens que s’il est en quête de sa propre rationalité…


Hokusai_Le spectre aux assiettesL’extraordinaire dans l’imaginaire japonais :
Katsushika Hokusai (1760-1849), « Le spectre aux assiettes » (estampe, 1831)

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Licence Creative Commons

Netiquette : comme pour l’ensemble des textes publiés dans l’Espace Pédagogique Contributif, cet article est protégé par copyright. Ils est mis à disposition des internautes selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Pas de Modification 2.0 France. La diffusion publique est autorisée sous réserve de mentionner le nom de l’auteur ainsi que la référence complète de l’article cité (URL de la page).

NOTES

1. Jean-Bruno Renard, Le Merveilleux, Sociologie de l’extraordinaire, Paris, CNRS Éditions 2011, page 42.
2. ibid. pp. 22-23.
3. Jean-Marie Seca, « Compte rendu du livre de Jean-Bruno Renard, 2011, Le Merveilleux. Sociologie de l’extraordinaire, Paris, CNRS éditions », Les Cahiers de psychologie politique, n°20, Janvier 2012.

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TRAVAUX DIRIGÉS


 
  • Autoexercice 1 : réalisez une fiche de synthèse regroupant les principales définitions proposées par le Centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRTL).
  • Autoexercice 2 : en vous aidant du support de cours et en exploitant vos réponses à l’autoexercice 1,  analysez les documents ci-dessous : quels aspects de l’extraordinaire véhiculent-ils ?


Fernand Khnopff_Une ville abandonnée_1904-2Fernand Khnopff, « Une-ville-abandonnée », 1904
Pastel et crayon sur papier. Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique

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Voyage extraordinaire tomr2_aDétail de la couverture de l’album Le Voyage extraordinaire, tome 2
Denis-Pierre Filippi (scénariste), Silvio Camboni (illustrateur), éd. Vents d’Ouest, 2013

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Perrier_drink_extraordinaire_drink_perrierPublicité Perrier, « Drink Extraordinaire, Drink Perrier »
Campagne publicitaire France et International,  2016

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Ogni pensiero vola_Bomarzo-Viterbo_Sacro Bosco_Parco dei Mostri_a« Ogni pensiero vola » (« Toutes les pensées volent »)
Parco dei Mostri (Parc des monstres), Bomarzo, province de Viterbe (Latium, Italie)
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« Tout à coup, un inconnu vous offre des fleurs. Ça, c’est l’effet magique d’Impulse. »
Publicité pour le déodorant Impulse, 1981

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« Préparez-vous à l’extraordinaire. Soyez particulier. »
Bande annonce France du film Miss Peregrine et les enfants particuliers, 2016
Réalisateur : Tim Burton (20th Century Fox. Distrib. Gaumont-Pathé)
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BTS Session 2015 Corrigé de l’Épreuve de Culture Générale et Expression : la synthèse

BTS Session 2015…
Épreuve de Culture Générale et Expression
Thème : « Ces objets qui nous envahissent : objets cultes, culte des objets »

Proposition de corrigé
de l’épreuve de synthèse de documents

Pour voir le sujet dans son intégralité et les documents du corpus, cliquez ici.

 NB. Ce corrigé est personnel et ne saurait bien évidemment engager l’institution scolaire.

 

__Les rapports que nous entretenons avec les objets sont souvent ambigus. C’est ainsi que l’attachement quelque peu régressif pour le passé, qui est une tendance émergente de la jeunesse occidentale actuelle a de quoi interpeller. Le corpus qui nous est proposé décrit et interprète cette rétromania où résident quelques-uns des symptômes les plus marquants d’un véritable désordre générationnel. Le premier document est l’introduction d’un essai consacré au Vintage rédigé par Philothée Gaymard et publié en 2013 aux éditions 10-18 dans la collection « Le Monde expliqué aux vieux », collection qui a pour but de nous familiariser avec les aspects les plus paradoxaux de notre modernité. Ce paradoxe est rendu plus sensible encore dans un passage du Planétarium, ouvrage emblématique du Nouveau roman (Gallimard, 1959) dans lequel l’écrivaine Nathalie Sarraute déjoue savamment les conditionnements idéologiques qui poussent un jeune couple parisien à vouloir à tout prix acquérir une bergère Louis XV, véritable objet de fascination, pour se démarquer des valeurs morales et sociales de l’époque. C’est dans le même esprit qu’il convient d’aborder les propos de Didier Ludot, spécialiste du vintage haute couture ou l’affiche pour l’édition 2014 de l’Anjou Vélo Vintage, manifestation annuelle consacrée à la mode rétro dans l’univers du vélo et des styles de vie, qui nous rappellent combien, entre nostalgie d’un âge d’or révolu et peur de l’avenir, le vintage interpelle et fascine.

__Faut-il pour autant s’inquiéter de cet engouement ? De fait, toute la question qui domine le corpus est d’interroger, à l’heure de la mondialisation, pareil repli sur le passé. Nous répondrons à cette problématique selon une double perspective : après avoir analysé les raisons qui président au développement du vintage, censé faire oublier les risques liés à la modernité, nous verrons qu’on ne saurait pour autant le réduire à un simple phénomène de mode : il conviendra plus fondamentalement d’interpréter ce retour aux sources comme l’expression d’une véritable culture, profondément porteuse de sens.

__Particulièrement à une époque troublée de notre histoire, le goût pour le passé reflète l’état d’esprit d’une jeunesse nostalgique et mélancolique, qui rêve de retrouver « un temps qu’elle n’a pas connu ». Tel est le point de départ de la réflexion de Philothée Gaymard, jeune journaliste au magazine Usbek & Rica et qui appartient elle-même à la génération Y. Ce besoin de regarder en arrière se retrouve chez Alain, l’enfant gâté du Planétarium, qui préfère courir les antiquaires que de finir sa thèse et contribuer au boom économique des Trente Glorieuses. Pour des jeunes en mal d’identité, ces nouveaux comportements de consommation tentent ainsi d’actualiser un passé révolu censé faire oublier les risques liés à la modernité. L’affiche de l’Anjou Vélo Vintage mérite à ce titre qu’on s’y attarde : consacrée à la mode rétro dans l’univers du vélo, elle présente un cadre rural enchanteur, caractéristique de cette nostalgie d’une époque idéalisée, où tout paraissait plus simple et rassurant : on y voit un jeune couple à bicyclette dont les tenues, particulièrement celle de la femme très inspirée du New Look, semblent réactualiser l’image d’Épinal d’une famille française des années Cinquante.

__Il est difficile d’appréhender rationnellement cette attirance souvent fantasmée pour le passé, tant elle semble échapper à toute tentative de définition. Philothée Gaymard avance l’idée que ce retour aux classiques se fait à défaut de pouvoir se projeter dans un avenir insaisissable : ce n’est pas un hasard s’il s’est imposé essentiellement dans une société occidentale à fort pouvoir d’achat, dominée par l’acquisivité effrénée et l’enlisement dans le productivisme. Il y aurait en effet dans le vintage la volonté de se déconnecter d’une réalité d’autant plus frustrante que la jeunesse actuelle, complètement immergée dans la postmodernité, utilise le vintage comme manière de redonner du sens. De même, à la journaliste Aude Lasjaunias venue l’interroger pour M, le magazine du Monde daté du 5 juillet 2012, Didier Ludot répond que le vintage peut s’interpréter comme une manière de ne pas rentrer dans le moule. N’est-ce pas le sens qu’il convient d’attribuer à la fameuse bergère du Planétarium, à propos de laquelle Alain s’oppose à sa belle-mère ? L’objet apparaît ainsi comme une façon de contrecarrer les habitudes et le goût bourgeois de la société de consommation.

__Dès lors, il n’est guère étonnant que ce repli sur le passé cristallise les incompréhensions entre générations : la « génération de nos parents » qu’évoque Philothée Gaymard ne comprend pas l’attachement des jeunes à des choses qu’elle s’est efforcée de combattre. Cet aspect se retrouve dans le roman de Nathalie Sarraute : la bergère Louis XV que le jeune couple tente de posséder entre en contradiction avec les idées des parents, qui optent pour le confort moderne. Dans ce passage, la mère de Gisèle oppose le comportement de son gendre à celui d’un homme qui devrait être, selon les stéréotypes bourgeois, beaucoup plus rationnel et pragmatique : les « vrais » hommes sont ceux qui choisissent des objets en fonction de leur nature pratique, plutôt que pour des raisons esthétiques comme le fait Alain qui ne répond guère à l’idéal qu’elle s’est fait du mari de sa fille, « un homme calme, fort, pur, détaché, préoccupé de choses graves et compliquées qui leur échappent à elles faibles femmes ». En ce sens, l’attachement au passé peut s’analyser comme une réappropriation du moi autant qu’une mise en cause implicite de la modernité et du rationalisme associés à l’économie de marché.

__Il convient désormais d’analyser de façon plus critique ce « phénomène rétro » qui amène à plusieurs questionnements. Au-delà de sa matérialité, l’objet ancien revêt tout d’abord une dimension mythique, voire mystique. Le tropisme¹ que Nathalie Sarraute met en scène suggère ainsi combien la quête du bel objet s’apparente à une forme de fétichisme. Dans le même ordre d’idée, Didier Ludot parle d’objet « trésor » comme si le vêtement vintage, de par sa rareté l’apparentant à une œuvre d’art, permettait de capter l’inaccessible, l’authentique : la possession d’un objet « différenciant » ferait de son détenteur quelqu’un d’autre. La fonction esthétique de l’objet rejoint dès lors sa dimension hiérophanique : par opposition au monde trivial du présent et du machinisme, le charme de l’ancien et du « fait-main » répond donc à une quête de l’unicité de même qu’à un savoir-faire ancestral comme le montrent très bien les propos recueillis par Aude Lasjaunias. Nous pourrions évoquer dans le même ordre d’idée l’esthétique très picturale de l’affiche pour l’Anjou Vélo Vintage ou les prétentions artistiques d’Alain, à l’opposé du pragmatisme foncier des gens « raisonnables », comme sa belle-mère.

__Cela dit, les amateurs d’ancien ne seraient-ils pas victimes du piège qu’ils cherchaient précisément à éviter ? Par son désir obsessionnel de posséder une bergère Louis XV, Alain succombe malgré lui aux chimères d’un certain « aristocratisme ». De même, la quête d’authenticité de ces jeunes rejetons des baby-boomers, imprégnés d’ordinateurs, de réseaux sociaux, de téléphones mobiles et autres baladeurs MP3 qu’évoque Philothée Gaymard, ne relève-t-elle pas, au nom du refus de la consommation standardisée, d’une idéalisation quelque peu illusoire et trompeuse du passé ? Nous pourrions tout aussi bien faire référence aux clientes de Didier Ludot, victimes d’« une espèce de snobisme » comme il le concède lui-même : dans leur recherche assez élitiste d’objets uniques par refus de suivre la doxa dominante, ces élégantes n’aiment-elles pas tout bonnement le luxe et le prix payé pour ainsi se démarquer du diktat des tendances ? De fait, le corpus amène à un questionnement qu’on ne saurait négliger sur ces nouveaux comportements de consommation, fruit de désirs et de frustrations : sous couvert d’authenticité (la beauté contre l’utile, le rêve contre la réalité), les possesseurs de vintage constituent une nouvelle génération consumériste que semble caricaturer, bien avant l’heure, le texte de Nathalie Sarraute.

__Ce serait néanmoins se méprendre sur la valeur intrinsèquement originale du phénomène vintage que de s’en tenir à un constat aussi réducteur : Philothée Gaymard explique que c’est bien la recherche d’un nouveau savoir-vivre qui guide les millennials dont les styles de modes de vie reposent sur une recherche de valeurs et de nouvelles normes socioculturelles profondes qui se situent en relation avec des racines, des fondements qu’on croyait oubliés et qui renaissent à la faveur du vintage. Didier Ludot montre également combien, à une époque où les tendances de mode ont disparu, l’acquisition d’un vêtement ou d’un accessoire vintage repose sur un investissement d’ordre affectif et patrimonial. On peut de même interpréter l’affiche de l’Anjou Vélo Vintage comme l’expression du besoin de se retrouver dans le passé pour réinventer le présent et ainsi faire resurgir la dimension idéale et mythique de l’existence dans un monde qui la nie par excès de rationalité. Le corpus nous invite à ce titre à comprendre que la nostalgie qui semble être au cœur de l’incessant revival qui s’observe aujourd’hui, bien plus qu’un effet de mode ou qu’une « crise d’adulescence » jouant sur le passé fantasmé, est devenue une véritable culture, qui participe à notre postmodernité.

__Comme nous l’avons compris à travers la lecture comparée des documents de ce corpus, si les jeunes générations, saturées de technicité et de rationalisme, se tournent autant vers le passé, c’est qu’il est porteur d’une Histoire, d’un enjeu culturel et d’une formidable force libératrice qui accompagne ce changement de millénaire : ainsi le vintage agit à la fois comme marqueur identitaire et mémoriel, et comme processus dynamique d’un nouveau vivre-ensemble mêlant tradition et modernité.

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1. Tropisme : au sens littéraire et figuré, le terme désigne une “force irrésistible et inconsciente qui pousse quelqu’un à agir d’une façon déterminée” |Source : CNRTL|. Nathalie Sarraute utilise ce terme dans son œuvre pour décrire les attitudes, les comportements instinctifs et indéfinissables qui déterminent, souvent inconsciemment, nos actions.

© Bruno Rigolt, mai 2015
Espace Pédagogique Contributif/Lycée en Forêt (Montargis, France)
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© Bruno Rigolt, EPC mai 2015__

Corrigé de l’épreuve de Culture Générale et Expression. BTS Session 2012

BTS Session 2012…

Corrigé de l’épreuve

de Culture Générale et Expression

→ Pour voir le sujet dans son intégralité et les documents du corpus, cliquez ici.

 NB. Ce corrigé est personnel et ne saurait bien évidemment engager l’institution scolaire.

 

     Phénomène éminemment social, le rire amène à en questionner l’objet et les enjeux. Telle est l’inspiration de ce corpus qui se compose de quatre textes issus d’essais publiés entre le dix-septième et le vingt-et-unième siècle. Le premier document donne pour ainsi dire la tonalité du corpus : il est extrait du Rire, Essai sur la signification du comique, publié en 1899 par Henri Bergson. Le deuxième document est non moins célèbre : intitulé “De la ville”, c’est un passage des Caractères ou les mœurs de ce siècle (1688), dans lequel Jean de La Bruyère fustige avec une délectation acide la ville et ses microsociétés, composées de ceux qui passent leur temps à rire des autres. Les deux derniers documents sont très contemporains : généticien de renom, Axel Kahn propose dans L’Homme ce roseau pensant (2007) une approche qui vise à faire voir la misère aussi bien que la grandeur du rire. Quant à l’écrivain Dominique Noguez, il montre dans “L’humour contre le rire”, contribution à un ouvrage collectif (Pourquoi rire ? 2011) que l’humour renvoie à des problèmes subtils et complexes de rapport socioculturel au comique.

     Comme nous le comprenons, tous les documents amènent à s’interroger sur le pouvoir de celui qui fait rire : nous étudierons cette problématique selon une triple perspective. Après avoir montré qu’au sein de ceux qui rient des autres, s’instaure une véritable stratégie de manipulation, nous en questionnerons les finalités : en allant jusqu’à dénigrer l’autre, le rire de groupe ne risque-t-il pas de pervertir le lien social ? Approche quelque peu réductrice néanmoins qui doit être dépassée : le rire, et particulièrement l’autodérision, comportent à ce titre une dimension expressive, existentielle et libératrice.

 

     En premier lieu, il convient de remarquer avec Bergson que le rire répond à certaines exigences de la vie en commun : il occupe d’abord une fonction régulatrice dans l’ordre sociétal. Le rire serait ainsi une sorte de “geste social” ayant le pouvoir d’intimider ceux qui sont victimes du risible. Cette approche est également suggérée par Axel Kahn ou par l’écrivain contemporain Dominique Noguez qui, réinvestissant la thèse bergsonienne, rappelle que le rire, bien plus qu’un simple phénomène physiologique, peut être défini comme la manifestation d’une sanction collective. Il revient à Bergson d’approfondir cette fonction sociale du rire en montrant que, si la société peut ainsi se défendre par le rire, c’est au détriment et aux dépens des plus faibles. Les rieurs forment ainsi une sorte de clan qui tire son identité et sa légitimité du rabaissement d’autrui.

     La Bruyère quant à lui, raille sévèrement cette “correction” —pour reprendre un terme cher à Bergson— qu’infligent les rieurs à ceux qui ne sont pas de leur clan. Forçant le trait jusqu’au pittoresque, quand il décrit la fragmentation de l’espace urbain présenté comme un conglomérat de microsociétés, le moraliste montre que les rieurs forment des mondes à part, persuadés qu’ils sont de détenir la vérité ; leur vérité. C’est en effet l’auteur des Caractères qui brosse le portrait le plus cruel de cette microsociété, avec ses codes, ses usages, ses mots pour rire. Si le rire est toujours un rire de groupe, comme le montre Bergson, et s’il est d’une certaine manière rassembleur, c’est seulement dans la mesure où il y a consensus des rieurs sur l’objet de la moquerie, mais pour La Bruyère, le rire est avant tout une discordance sociale : comment établir des relations purement humaines en divisant au lieu de rassembler ?

 

     Dès lors, une question se pose : en dénigrant à ce point l’autre, le rire ne risque-t-il pas de pervertir le lien social ? Axel Kahn par exemple n’hésite pas à voir dans cette mise en cause d’autrui par le rire, l’un des symboles du rejet de l’autre, comme pour lui “notifier son insignifiance”. Proche du “lynchage” pour Dominique Noguez, le rire est donc fondé sur une entreprise de manipulation de l’autre, réduit au rang de pantin ou de “marionnette” articulée, précise Bergson, dont le moqueur tire à loisir les ficelles. C’est cet aspect mécanique qui, en supplantant le vivant provoque ainsi le rire. Tous les auteurs, de La Bruyère à Axel Kahn ou Dominique Noguez, insistent d’ailleurs sur le cynisme du rieur, insensible et indifférent à la douleur qu’il cause.

     Du portrait acerbe des rieurs que dresse La Bruyère, nous retiendrons cet aspect fondamental : c’est pour échapper à un vide existentiel profond que ceux qui rient des autres s’adonnent à ce divertissement, au sens pascalien du terme. Dominique Noguez note à ce titre que le rire “se meut dans les zones tristes de la réalité”. Proche du racisme pour Axel Kahn, le rire dès lors joue une double fonction : moyen de dépassement, il est aussi un moyen de rabaissement. Ce serait pourtant se méprendre que de s’en tenir à ces critiques si réductrices quant au rire. Bergson fait à ce titre une remarque qui a valeur d’avertissement : sans doute est-il vain et même risqué de trop raisonner sur les raisons de notre rire, car elles nous amèneraient à n’y voir que l’égoïsme et peut-être l’amertume qui le fondent trop souvent.

 

     Faut-il d’ailleurs s’en tenir à une approche si négative ? Le rire ne pourrait-il à cet égard revêtir une profonde valeur pédagogique, voire didactique ? Très finement, Bergson nous rappelle que le rire nous amène à nous corriger : en riant des défauts des autres, nous sommes conduits à nous en défaire. Dans le même ordre d’idées, Axel Kahn montre que le rire ouvre un processus de prise de conscience : à travers le prisme de la moquerie, le rieur prend conscience de ses propres travers. Plus fondamentalement, le rire est porteur d’un enjeu existentiel : pour Axel Kahn, le rire est avant tout un défi, une révolte face à la réalité. Ainsi cette liberté de déjouer les normes a-t-elle une fonction contestataire et transgressive qui “libère ou préserve de la sujétion”. Comme Bergson, l’essayiste estime que ce “potentiel séditieux” du rire aboutit à la positivité de l’ordre social : comme “arme contestataire”, le rire remet en cause le pouvoir et peut ainsi élever l’homme au rang de “roseau pensant”.

     À ce titre, Dominique Noguez adopte ici une approche qui pourrait paraître à première vue paradoxale : “L’humour contre le rire”. Par là, il faut comprendre que l’humour est un rire de distanciation. Pour se protéger des dérives ou des excès du rire de groupe, signalés par les auteurs du corpus, l’humour obéit à une stratégie d’auto exagération. Dominique Noguez semble ici répondre à La Bruyère ou à Bergson : pour ne pas être ridiculisé, il faut accepter de se ridiculiser. Rire de soi plutôt que d’autrui est en effet la meilleure arme contre l’animalité du rire : comme le suggéraient si bien La Bruyère ou Axel Kahn, on rit des autres quand on ne sait pas rire de soi-même ; loin d’être un simple mécanisme comme l’affirmait Bergson à propos du comique, l’humour demande au contraire le discernement et l’intelligence qui manqueraient précisément au rire.

© Bruno Rigolt, mai 2012
Lycée en Forêt (Montargis, France)/Espace Pédagogique Contributif

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Au fil des pages… Foot & violence. Politique, stades et hooligans : Heysel 85…

Foot & violence. Politique, stades et hooligans : Heysel 85

Paru en 1995 aux éditions De Boeck Université, cet ouvrage de Serge Govaert et Manuel Comeron (*) me semble tout indiqué pour les étudiant(e)s de BTS de deuxième année. De fait, le nouveau thème concernant l’enseignement de « culture générale et expression » en deuxième année, session 2012 est “Le sport, miroir de notre société ? “. Comme il est rappelé dans les instructions officielles, “Le sport dans les sociétés contemporaines structure une part importante de la vie publique. Créateur d’événements, il occasionne des rassemblements de masse et des manifestations qui rythment le temps collectif. […] Néanmoins, le sport nous renvoie l’image de certaines dérives. […] Lieu de rassemblement, il peut aussi devenir lieu de débordements identitaires dégénérant en violence ouverte”.

C’est précisément cet aspect qui a retenu l’attention des auteurs : ainsi qu’ils le précisent en introduction,

Le contexte footballistique «privilégie» des comportements de violence individuelle ou de masse et, surtout, de groupes inscrits dans des problématiques de société.
Au centre : le supporter. Celui-ci s’identifie fortement au spectacle compétitif («on a gagné !») et est plongé dans un contexte de virilité («c’est le plus fort qui gagne»). Contexte particulier, par ailleurs, où, les médias pointent cette compétition comme un enjeu crucial et où l’aspect festif est profondément ancré — avec la consommation d’alcool qui va de pair.
A l’épicentre : les hooligans. L’environnement social (médias, clubs, forces de l’ordre, pouvoir politique, etc.) leur accorde une reconnaissance formelle, une identité qu’ils accepteront avec avidité malgré sa connotation négative. Les plus imposants de ces noyaux durs se verront assimilés à des «associations de malfaiteurs», statut juridique qui parachève l’édification de ces «gangs» en groupes sociaux formels. Ces groupes aux comportements radicaux font partie intégrante d’un phénomène collectif qui les dépasse […].
Ces comportements de masse incontrôlables, autrefois ponctuels, que les noyaux durs ont modélisés et extrémisés pour en faire un mode de fonctionnement permanent (un way of life pour certains), apparaissent comme la facette la plus visible du phénomène. Cette visibilité détonante deviendra le moteur de ces jeunes en quête de valorisations symboliques : en raison d’un contexte sociétal qui les favorise peu (cumul de critères sociaux défavorables, absence de perspectives futures, etc.), mais aussi par le fossé déresponsabilisant qui les sépare inexorablement des structures du football — spo,t sur lequel ils sont venus se greffer, moins par hasard que par nécessité” (page 6 et s.).

En analysant ce phénomène de société qu’est le hooliganisme à travers la finale de la Coupe d’Europe opposant la Juventus de Turin à Liverpool au stade du Heysel en 1985, Serge Govaert et Manuel Comeron rendent très bien compte des rapports qui s’établissent entre sport, violence et société. Lisez tout d’abord l’introduction (page 5 et s.) : elle vous sera très utile pour comprendre cet aspect essentiel mentionné dans les instructions officielles : ” Lieu de rassemblement, [le sport] peut aussi devenir lieu de débordements identitaires dégénérant en violence ouverte”. Comme il a été justement rappelé dans le Rapport au Parlement et au Gouvernement portant sur la violence et le sport, (**), “les grandes manifestations de football deviennent des lieux spécifiques de débordements identitaires et de transgression qui, pour certains groupes, sont d’autant plus recherchés qu’ils apparaissent à l’écran”.

Rédigée dans un style journalistique alerte et largement accessible, la première partie de l’ouvrage revient sur la tragédie du Heysel ainsi que sur la gestion calamiteuse du drame puis sur ses conséquences sociales et politiques. Quant à la deuxième partie (malheureusement non consultable), elle s’attarde davantage sur l’apparition de la notion de hooliganisme, en tant que violence organisée et préméditée. Même si quelques passages seulement sont librement consultables (en fait, les quatre premiers chapitres), ils ouvrent néanmoins des pistes de réflexion pertinentes sur les phénomènes de violence collective au sein du sport, et plus largement sur la vulnérabilité des institutions et la très grande fragilité des démocraties.

(*) Serge Govaert, Manuel Comeron, Foot & violence. Politique, stades et hooligans : Heysel 85, De Boeck Université (Bruxelles, 1995).

(**) Rapport au Parlement et au Gouvernement portant sur : la violence et le sport ; le sport contre la violence” , décembre 2007, page 9. Rapport librement consultable (et téléchargeable) en cliquant sur le lien hypertexte.

  • A lire aussi (en intégralité, mais d’un abord plus difficile) : LE FOOTBALL À L’ÉPREUVE DE LA VIOLENCE ET DE L’EXTRÉMISME, Sous la direction de Thomas Busset, Christophe Jaccoud, Jean-Philippe Dubey et Dominique Malatesta.
  • Je vous conseille enfin de parcourir cet ouvrage : Jean-Philippe Leclaire, Le Heysel, une tragédie européenne, Calmann-Lévy, Paris 2005 (cliquez ici pour lire sur Gallica-BNF le descriptif complet). De nombreux passages sont consultables gratuitement sur Numilog (installation de Silverlight requise) : cliquez ici pour feuilleter le livre.

Méthodes de travail… Apprendre avec son smartphone !

Apprendre avec son smartphone ? Non vous ne rêvez pas ! 

Tout le monde a un smartphone… Mais quand on est étudiant (et même après !), on l’utilise davantage pour écouter de la musique que pour potasser ses leçons… Pourtant le smartphone se révèle un accessoire très utile à l’apprentissage de n’importe quel cours, particulièrement pour les enseignements de Lettres ou de Sciences Humaines.

Explication…

Après une journée de travail, la mémoire visuelle est souvent défaillante, surtout si l’on veille tard le soir : fatigue oculaire, difficultés de concentration, troubles de la vision… De plus, votre cerveau est un peu comme un disque dur d’ordinateur : après plusieurs heures de cours sur des matières complètement différentes, une fois rentré chez vous, l’ordinateur, la télévision, les jeux vidéo sollicitent de nouveau votre cerveau. À un certain moment, il ne parvient plus à gérer cette multiplication de signes : il se produit ce que les spécialistes appellent un phénomène de “surcharge cognitive”. Le “disque dur” de votre cerveau est littéralement “fragmenté” : impossible pour lui de restituer convenablement les connaissances, de là de nombreuses confusions, souvent très lourdes de conséquences en situation d’évaluation.

Les limites de la mémoire visuelle

De plus, l’une des limites bien connue de la mémoire visuelle tient à sa difficulté à élaborer du sens : quand on est fatigué, les mots que nous lisons sont transformés en “images”, on dit qu’ils sont “chosifiés” car ils ne forment que des “tâches” sur le papier, ne signifiant plus grand chose : on voit des “signes” au lieu de trouver du “sens” à ce qu’on lit. Par ailleurs, en fonctionnant un peu comme un objectif d’appareil photo, la mémoire visuelle capte tout en “rafale”, de façon très éphémère, sans hiérarchiser les informations : on se focalisera avec la même attention sur une notion de Français que sur un SMS ou un message de chat !

Les avantages de la mémoire auditive

À l’inverse, travailler la mémoire auditive avec son smartphone présente un grand avantage, à la condition de respecter quelques règles strictes d’utilisation…Si l’image ne s’affiche pas, actualisez la page pour voir la méthode

Si vous êtes chez vous, faites absolument le vide : refusez toute sollicitation extérieure. Éteignez la lumière, allongez-vous au lit, fermez les yeux, et détendez-vous. Ecoutez votre cours le plus attentivement possible, en vous concentrant sur le son de votre voix et le sens des mots. Pendant les silences, répétez à voix haute ce que vous avez entendu (les définitions, les consignes, les formules, etc.).

Vous verrez que même les intervalles musicaux sont importants pour la réussite de l’exercice : ils permettent au cerveau de faire une pause, et de restructurer l’information. Préférez les musiques avec peu de paroles, afin de ne pas perturber le travail de mémorisation, et avec des sons agréables afin de créer une ambiance apaisante (évitez le rap ou le Metal !). Pendant ce laps de temps, vous pouvez repenser tranquillement à ce que vous avez appris, en essayant de le synthétiser et en mémorisant les informations importantes.

Si vous n’apprenez pas de chez vous (par exemple, lorsque vous êtes dans le bus, dans la rue, en voyage), cette méthode se révèlera très utile particulièrement avant les examens. Elle permet de réviser “sans en avoir l’air”, sans être obligé de sortir son classeur, ou d’ouvrir ses cahiers. Si vous la pratiquez rigoureusement, vous verrez que la technique est infaillible, surtout quand on a un grand volume d’informations à mémoriser.

  • Cette méthode complète efficacement l’indispensable travail sur les fiches de synthèse. Je vous la recommande pour le Bac et même pour les examens ou concours de haut niveau : BTS, Licence professionnelle, mais aussi classes Prépas, Master, Grandes Ecoles… Plus vous le pratiquerez, et mieux vous maîtriserez l’exercice.