« Dis-moi un Po-Aime »… L’expo continue… Aujourd’hui la contribution de Camille…


Impression
La classe de Première S2 du Lycée en Forêt est fière de vous présenter une exposition exceptionnelle : “Dis-moi un Po-aime“… Chaque jour, un(e) élève vous invitera à partager l’une de ses créations poétiques… Bonne lecture !

Textes déjà publiés : Auréline G. “Je me souviens” ; Sybille M. “Une forêt de béton” ; Oscar P. “D’ailleurs” ; Manon B. “Peine naturelle” ; Alexia D. “Énigmatique forêt” ; Charlotte L. et Clémentine L. “L’Isula di Capezza” ; Slimane H.-M. “Le Royaume” ; Camille V. “Voyage mélancolique” ; Héla G. “Noël robotique” ; Arthur M. “La lune tombe” ; Manon B. “Compagne impromptue“… ; Louis A. “Arpège” ; Sybille M. “Sur les chemins des hauteurs” ; Pierre L.-P. et Victor B. “Exercice d’approfondissement” …

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Hier, mardi 2 avril : Pierre L.-P. et Victor B.
Aujourd’hui, mercredi 2 avril, la contribution de Camille 
Demain, jeudi 3 avril : Nicolas T.

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« Dans la blanche neige et pure »

par Camille B.
Classe de Première S2

 

Loup solitaire,
la journée je voyage à travers les pins
l’exil et l’utopie
et parfois il me semble entendre au loin
les bruits d’une circulation étrangère
Et je fuis parmi la nuit.

Du haut de la falaise,
Je rejoins les lumières
Frêles et puissantes
Du soir qui m’apaise
Et c’est à travers les fines fentes
Du ciel que j’échappe à mon malaise.

Loup solitaire
Enfermé dans ce monde,
tel une âme vagabonde,
Sans repère,
Sans échappatoire,
Sans nouveau chemin, sans nouvel espoir.

Dans la blanche neige et pure, loup solitaire
Seuls mes pas sont derrière moi,
et dans cette sauvage nature
Seul, loin de vos murs,
Je ne sais où aller : vers demain, vers ailleurs, vers hier
À travers les pins, l’exil et l’utopie, je suis roi.

loup_2« Du haut de la falaise, je rejoins les lumières
Frêles et puissantes du soir qui m’apaise… »

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Le point de vue de l’auteure…

À l’origine de ce texte, la solitude baudelairienne de l’albatros, allégorie du poète maudit, qui m’avait marquée quand j’avais étudié ce poème. Sentiment de solitude, mais aussi de douleur et d’amertume du poète, conscient de sa différence, face aux hommes et à la société. Ainsi, le loup dans le texte exprime pour moi cette singularité de l’être de génie, résultat d’une insatisfaction spirituelle, fragmenté entre sa quête d’un art supérieur et idéal, et le sentiment de déchéance profonde que ressent le poète, contraint de survivre dans le monde inférieur où vit le commun des mortels, et dont il se sent incompris et rejeté :

Loup solitaire,
la journée je voyage à travers les pins
l’exil et l’utopie
[…]
Et je fuis parmi la nuit.

L’utilisation de la première personne s’est également imposée lors de l’écriture très naturellement : cette fonction dite expressive ou émotive puisqu’elle « est centrée sur le destinateur » (Jakobson) est en effet très caractéristique du lyrisme romantique dont le culte du moi représente presque la raison d’être face au mal du siècle. Aussi, l’expression de ce lyrisme personnel privilégie-t-elle l’épanchement du moi, cette effusion de l’intime que le modèle expressif individualiste romantique puis symboliste ont si bien rendu et que j’ai voulu exploiter à mon tour : 

Loup solitaire
Enfermé dans ce monde,
tel une âme vagabonde,
Sans repère,
Sans échappatoire,
Sans nouveau chemin, sans nouvel espoir.

Comme on le voit, le poème fait de la défense du loup, être pathétique brisé par les mécanismes sociaux dont il se trouve prisonnier, un thème d’autant plus essentiel qu’il pourrait s’appliquer à nombre de jeunes, perdus qu’ils sont dans ce vaste éther de l’adolescence. Moi-même, j’éprouve à l’instar de ces révoltés romantiques du dix-neuvième siècle qui affirmaient par leur poésie leur individualité face aux ordres établis, une profonde solitude que le vacarme anonyme de notre monde d’hyper-communication ne fait qu’exacerber : écrire, n’est-ce pas quelque part ressentir l’isolement et la mélancolie, éprouver le temps qui passe et rechercher éperdument un ailleurs, inaccessible aux lois de l’ordonnance humaine ?

Comme ce “loup solitaire/Enfermé dans ce monde tel une âme vagabonde”, je me sens parfois en cage “Sans repère, Sans échappatoire, Sans nouveau chemin, sans nouvel espoir”… On nous fait croire à beaucoup de liberté alors que dans la réalité nous ne sommes pas maîtres de grand chose, prisonniers des déterminismes et des matérialismes de tous ordres. Dans ce texte le loup essaie de s’échapper, il cherche la sortie, ou plutôt la porte d’entrée d’un monde qui lui correspondrait, un monde qui serait le sien “dans la blanche neige et pure, […] vers demain, vers ailleurs, vers hier/À travers les pins, l’exil et l’utopie”.

C’est à travers le ciel sombre de la nuit, éclairé d’étoiles, que le loup chercher à s’évader, à se réfugier “parmi la nuit”. J’avouerai que les étoiles m’ont toujours fascinée : elle sont si loin et pourtant si brillantes qu’on croirait pouvoir les toucher… Les étoiles, additionnées à la nuit, évoquent le rêve, et l’espoir de rejoindre ce monde imaginaire, et sans doute quelque peu utopique, avec lequel nous serions en totale adéquation. Comme on le voit, le loup marche “seul, loin de vos murs”, il cherche à s’évader, à fuir le simulacre du monde, comme si lui seul avait compris la supercherie.

Enfin, on observe tout au long du texte la présence de la nature que l’on retrouve dans presque toutes les strophes : « les pins » ; « la falaise » ; « la neige »… Dans une perspective primitiviste, cette nature symbolise le retour aux sources, à la pureté originelle du monde, à la pureté de la vie telle que je la rêve. Une vie simple, loin de toute cette civilisation qui effraie souvent. Tout comme le loup qui fuit “les bruits d’une circulation étrangère”, j’aspire parfois à retrouver une pureté première dont seuls des êtres simples, exempts des corruptions de la société et proches de la nature, pourraient être les dépositaires…

© Camille B., classe de Première S2 (promotion 2013-2014), avril 2014.
Bruno Rigolt/Espace Pédagogique Contributif

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Musique du film Danse avec les loups (Kevin Costner, 1990)

Publié par

brunorigolt

- Agrégé de Lettres modernes - Docteur ès Lettres et Sciences Humaines (Prix de Thèse de la Chancellerie des Universités de Paris) - Diplômé d’Etudes approfondies en Littérature française - Diplômé d’Etudes approfondies en Sociologie - Maître de Sciences Politiques