JOURNÉE INTERNATIONALE DE LA FEMME
8 mars
À l’occasion de la Journée Internationale de la Femme, l’Espace Pédagogique Contributif va publier plusieurs travaux de recherche consacrés au féminisme. Après le très bel exposé de Sybille consacré à l’écrivaine Colette (“Colette ou le féminisme humaniste“), voici une non moins remarquable contribution : Manon, Oscar et Slimane, tous trois élève de Première S, ont choisi d’aborder la question des stéréotypes de genre…
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La question du genre
rôles et stéréotypes
Socio-anthropologie de l’image de la femme
par Manon B., Oscar P. et Slimane H.-M. (*)
Classe de première S2
Promotion 2013-2014
Illustration : Fernand Léger, “Les Acrobates en gris”, 1942-1944. Paris, Musée national d’Art moderne/Centre Georges Pompidou © Centre Pompidou, MNAMCCI,Dist. RMN-Grand Palais / Droits réservés. Service presse / LaM. © Adagp Paris, 2013
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* Relecture du manuscrit et ajouts éventuels : Bruno Rigolt. Certains passages de cette étude ont été modifiés ou réécrits pour correspondre davantage au Cahier des charges éditorial de cet Espace Pédagogique. B. R.
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« On ne naît pas femme, on le devient. »
Simone de Beauvoir, Le Deuxième sexe, 1949
« L’homme doit être élevé pour la guerre,
et la femme pour le délassement du guerrier. »
Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra (1883-1885)
Introduction générale
Les rôles de la femme et de l’homme dans la société ont été, depuis des millénaires, fortement déterminés, ancrés et intériorisés par des normes patriarcales et hiérarchiques qui ont traversé les siècles sans subir de modifications significatives : au sexe dit faible il a été attribué la tenue de la maison et l’éducation des enfants, autrement dit la sphère domestique. À l’homme, le travail à l’extérieur, la charge de nourrir la famille et la prise de décision.
À partir du dix-neuvième siècle pourtant, sous l’impact intellectuel de l’Europe, la masculinité hégémonique a été quelque peu contestée. Mais c’est au vingtième siècle que le féminisme est devenu particulièrement en occident une contre-culture, consacrant l’émancipation et l’autonomisation des femmes, et revendiquant un modèle égalitariste qui a bouleversé le fonctionnement multiséculaire de la société. C’est ainsi qu’aux images de mère de famille modèle, et de maîtresse de maison accomplie, s’est progressivement superposée celle d’une dynamique égalitariste et carriériste.
Certes, à l’heure actuelle, quand on aborde les relations “hommes/femmes”, il est souvent question dans les médias que les femmes seraient devenues “des hommes comme les autres”… Néanmoins, il faut se rendre à l’évidence : l’image de la femme est toujours victime de nombreux stéréotypes ; de nos jours encore au vingt-et-unième siècle, de nombreux préjugés, y compris de l’éducation, renforcent les rôles sexospécifiques traditionnels |1|. De façon plus générale, il arrive quotidiennement que la femme soit, dans les médias ou plus simplement dans les mentalités, rabaissée à un objet de désir ou de fantasme.
Cette objetisation qui s’exprime en particulier par une focalisation sur le corps et les apparences nous a amenés à réfléchir plus spécifiquement sur les rôles et les représentations de la femme dans la société de consommation. Quelle est par exemple l’influence des modèles sociaux ? Dans quelle mesure l’arrivée massive des appareils électroménagers sous l’influence du boom économique des Trente Glorieuses a-t-elle créé une image de la femme en ménagère et en maîtresse de maison ? En contrepoint, comment cette même société de consommation, en favorisant l’entrée massive des femmes dans la vie active, a-t-elle aussi contribué à changer l’image et le statut des femmes ?
Autant de questionnements qui nous amèneront à aborder l’image de la femme dans la société de consommation selon une double perspective. Après avoir étudié en quoi les femmes sont prédisposées à devenir Femme, nous élargirons ces questions liées à la sexospécificité à quelques remarques sur l’image de la femme dans la publicité : nous aborderons ainsi les préjugés et idées reçues sur les femmes mais également l’utilisation de leur image à des fins économiques, voire idéologiques. Nous verrons ainsi qu’aux images de mère de famille modèle et de maîtresse de maison accomplie se superpose désormais celle d’une dynamique carriériste, qui n’est pas exempte non plus de représentations stéréotypées…
Fini les revendications, C’qu’elles ont voulu maintenant elles l’ont…”
Paroles extraites de la chanson interprétée par Michel Sardou, “Être une femme” (2010)
La femme et l’homme dans la société :
des rôles sexospécifiques
Comme le faisait judicieusement remarquer un rapport de la Commission européenne en 2008, « Les stéréotypes constituent des barrières à la réalisation des choix individuels tant des hommes que des femmes. Ils contribuent à la persistance des inégalités en influant sur les choix des filières d’éducation, de formation ou d’emploi, sur la participation aux tâches domestiques et familiales et sur la représentation aux postes décisionnels. Ils peuvent également affecter la valorisation du travail de chacun » |2|.
Ces premières remarques sont riches d’enseignement. De fait, les stéréotypes de genre ont créé de toute pièce un discours sur la femme qui amène en premier lieu à s’interroger sur la notion d’homme-humanité. Pourquoi par exemple désigner la pluralité humaine par le seul nom d’Homme dont l’effet homogénéisateur a pu être légitimement contesté ? Alors que l’Universel-Homme semble accepté, il ne viendrait à l’esprit de personne d’évoquer un “Universel-Femme”…
Même la philosophie des Lumières dans sa fameuse Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, rattache l’homme à une faculté de raison dont la femme, en tant que sujet de droit, est exclue politiquement et juridiquement : “L’universalisme abstrait défendu [dans] la Déclaration […] prétendait parler de l’homme en tant qu’être humain alors qu’en fait il ne s’adressait véritablement qu’à l’homme, en tant que représentant du genre masculin” |3|. Comme le notait Jacqueline Feldman à propos des Lumières, “la rationalité est avant tout le privilège de ceux qui détiennent le pouvoir” |4|.
Autant de remarques qui nous amènent à nous interroger sur la question du “genre” et sur le caractère éminemment discriminatoire et inégalitaire de la distribution traditionnelle des rôles masculin et féminin |5|. Comme le notait Sophie Bailly, “Dans le modèle d’organisation sociale qui semble dominer dans la plupart des cultures, les femmes tiennent donc souvent un rôle maternant et les hommes un rôle protecteur et nourricier. […] Ces rôles sont censés déterminer des comportements de façon suffisamment prévisible pour pouvoir distinguer les femmes et les hommes : une dimension communautaire pour les femmes et une dimension agentive* pour les hommes. […] On voit que ces traits de personnalité reflètent |…] des visions fortement stéréotypées, comme celle de La Femme tournée vers autrui et de L’Homme affirmé qui détient ou recherche le pouvoir” |6|.
* agentivité : Capacité d’une personne à intervenir sur les autres et le monde. Ici le terme désigne la capacité à être un acteur dans l’interaction sociale.
Nous retiendrons de ces propos que la distribution des rôles sexués est liée à de nombreux stéréotypes de genre qui sont à l’origine d’une socialisation très différenciée et souvent arbitraire. Dès le plus jeune âge par exemple, il existe un code couleur selon le sexe du bébé renforcé par les représentations familiales et les pressions industrielles et commerciales : rose pour les petites filles et bleu pour les petits garçons.
Pourtant, cela n’a pas toujours été le cas : comme le rappelle l’historienne américaine Jo B. Paoletti, à partir de l’exemple étasunien, “les vêtements des enfants n’ont commencé à changer et devenir spécifique à un sexe qu’à partir des années 1940. Les vêtements unisexes étaient autrefois la norme : les garçons portaient en effet les mêmes robes blanches que les petites filles jusqu’à l’âge de 6 ans. […] Alors que les couleurs comme le rose et le bleu ont été introduites dans la garde-robe des bébés au milieu du 19è siècle, il a fallu attendre la Première Guerre mondiale pour qu’elles acquièrent une spécificité à un sexe” |7|.
Un véritable “formatage” comportemental…
Ainsi, ces codes de couleur ont déterminé des rôles spécifiques sur le plan social et comportemental qui relèvent d’un marquage sexué : le rose par exemple possède de nombreuses connotations affectives associées très arbitrairement à la fragilité, à la vulnérabilité, à la maternité. Par opposition, le bleu connoterait la force, l’assurance, la maîtrise de soi… Comme on le voit, ces assignations identitaires en fonction de la couleur n’ont rien de biologique ou de scientifique.
Elles sont bien davantage le résultat d’un produit social qui va fortement infléchir les modèles éducatifs. “Les garçons sont ainsi renforcés vers une compréhension physique, logique et conflictuelle du monde, et les filles encouragées à s’engager dans le monde social et impersonnel” |8|. Ce formatage souvent influencé par les impératifs commerciaux, influe largement dans la manière dont les enfants vont appréhender leur identité sexuelle et s’approprier un positionnement vis-à-vis d’eux-mêmes et vis-à-vis des autres |9|.
“Vous voulez un jeu pour garçon ou pour fille ?”
Une fois passé le premier âge, les enfants reproduisent donc ces « rôles » féminins et masculins conventionnels en jouant à des jeux stéréotypés tels que les jeux de patience, la dînette, la petite cuisine ou le bébé pour les filles afin d’éveiller leur sentiment maternel et leur rôle de femme au foyer. Le garçon quant à lui, joue à des jeux de construction, de guerre ou d’action qui lui permettent d’approfondir sa réflexion et son imagination, et d’exprimer sa force ou de légitimer la violence.
On peut constater en effet que les jeux masculins tendent à développer l’aptitude du jeune garçon de s’affranchir du rapport aux normes et de transgresser impunément l’ordre établi. Quant à la petite fille, elle ne fait que répéter dans des jeux à vocation sociale des gestes quotidiens et des postures affectives qui ne lui laissent guère d’autre choix que d’être passive et de reproduire de façon presque redondante l’espace autorisé de la sphère domestique et ménagère : aux garçons la liberté, aux filles la sociabilité et la domesticité.
← Ci contre (en bas à droite), une publicité de Berjuan Toy pour son produit « The Breast Milk Baby », une poupée pour apprendre à allaiter…
Ces conditionnements se retrouvent ensuite dans l’inégal partage des tâches ménagères. Même encore de nos jours, la disparité liée à une répartition très archaïque des rôles hommes-femmes accrédite la thèse selon laquelle les corvées de ménage seraient dégradantes pour un homme. Cette difficulté à participer aux activités domestiques trouve ses origines dans l’histoire politique et religieuse qui a souvent associé la féminité à la souillure et à la faute.
Cherchez la femme…
Toutes les spéculations sur le péché originel font volontiers remonter le malheur qui accable l’humanité à la femme, dont le pouvoir de séduction “suffit à la rendre suspecte lorsque l’on cherche l’origine du mal dans une faute originelle” |10|. De tels déterminismes, en enlevant toute valeur morale à la femme, ne lui proposent en fait de se “racheter” une conduite et une moralité qu’en acceptant sa domesticité : elle doit payer le prix du péché originel. Ainsi lui dit-on dès son plus jeune âge : « Non, ce n’est pas pour les filles ». Si en apparence, une telle phrase ne fait que reproduire des stéréotypes culturels, elle cache en fait une attitude discriminatoire qui associe la réclusion de la femme dans l’univers de la faute et de la culpabilité, au repentir, au mea culpa et au rachat.
Pourquoi donc un garçon se sent-il insulté lorsqu’on le traite de fille ? C’est justement parce qu’il perd tout à coup son statut, sa puissance et sa légitimité : l’homme, c’est d’abord la caractérisation implicite de « Dieu » ; voilà pourquoi il entend se maintenir au sommet de l’échelle sociale. Voilà pourquoi il revendique pour lui-même un pouvoir de sanction, une puissance où se mêlent la force du droit et la légitimité divine : en aucun cas il n’accepte que la femme conquière ce droit |11|.
Comme nous le suggérions en début d’analyse, même si l’émancipation de la femme s’est inscrite implicitement comme idéal dans le libéralisme politique des Lumières, ce mouvement n’a en aucun cas imaginé accorder explicitement une quelconque effectivité juridique à la femme : l’exemple d’Olympe de Gouges qui a déconstruit —et avec quelle verve— dans sa Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne, les présupposés des Lumières, est sur ce point “éclairant” : tant que les Droits de l’Homme ont légitimé un usage de la loi consacrant la soumission de la femme à l’homme, ils n’ont pas été les Droits de la moitié de l’Humanité.
Tous ces schémas se retrouvent donc, même encore de nos jours, dans les attitudes socioculturelles. Ainsi, dans beaucoup de pays et de cultures qui ont fait de la masculinisation de la société une valeur idéologique, avoir une fille est souvent perçu comme une charge, un embarras, un fardeau. Mais est-ce à ce point si “nul” d’être une fille qu’on doive abandonner un bébé ? Pourquoi même de nos jours il semble parfois à ce point honteux d’avoir une fille qu’on apparente sa naissance à une véritable “malédiction”, à un véritable mauvais coup du sort ?
Même en occident, si une fille agit comme un « garçon manqué » cela fait sourire… Mais si le jeune garçon est efféminé cela devient alors inquiétant, comme si l’édifice sur lequel s’étaient bâties les qualités masculines de force, de courage et d’ambition, s’était tout à coup écroulé. Comme nous avons pu le constater, les filles (et les garçons) sont conditionnées depuis l’enfance. Nous ne nous rendons peut-être pas compte de ces mécanismes de conditionnement, mais les préjugés et les opinions toutes faites en la matière régissent souvent nos propres jugements de valeur.
Façonnés depuis la naissance, ils reflètent notre éducation, et semblent tellement aller de soi qu’il ne nous viendrait jamais à l’esprit de les remettre en question. Ainsi, concernant la femme, le nombre d’idées reçues et de préjugés véhiculés par la société est impressionnant. Ceux-ci existent d’ailleurs depuis des millénaires : Euripide, dramaturge de la Grèce antique déclare par exemple dans Les Suppliantes (v. 110-1103) : « Pour un père, il n’est rien de plus doux qu’une fille ; l’âme d’un fils est plus haute, mais moins tendre et caressante ». De tels propos, pour élogieux qu’ils semblent, assimilent la femme à un luxe quelque peu futile, voire inutile, et reflètent la prétention des hommes à se croire supérieurs à la femme.
La femme, objet de tous les regards
« La raison tient au fait que le garçon est considéré comme “utile” : il bâtit, il construit, il est force de proposition : à lui le rendement et la productivité, le rapport intéressé au monde, les besoins vitaux. Non que la femme ne puisse pas avoir de telles qualités mais le mieux est de lui assigner les “bonnes manières” qui conviennent à son sexe : le jeu, la gratuité, le rapport désintéressé aux choses : la femme potiche est ainsi l’archétype du “bel objet” ornemental, dépourvu de toute utilité et de toute substance.
Entre Cunégonde “fraîche, grasse, appétissante” de Candide et une femme actuelle dont un homme pourrait dire qu’elle est “à croquer”, quelle différence au fond ? C’est toujours la métaphore alimentaire qui est utilisée pour représenter la dépendance sociale de la femme. Instrumentalisée, elle est reléguée au rang d’objet de consommation, objet de luxe ou objet sexuel dont la futilité et l’ignorance n’ont d’égal que le paraître. Ainsi, davantage rattachée au futile qu’à l’utile, la femme engendre une représentation : au sens propre du terme, elle devient l’objet de tous les regards ». (Bruno Rigolt)

La femme comme objet de consommation
La femme est en effet un objet de consommation dont certains ont pu dire qu’elle l’était au même titre que le réfrigérateur, le fer à repasser, le poste de télévision, la voiture, etc. Dès lors, une remarque fondamentale s’impose : entre la femme, muse des poètes et de l’amour, et la femme comme allégorie du consumérisme en passant par la femme “instrument de musique” de Man Ray, « la femme a toujours été réifiée, c’est-à-dire dépossédée de son moi comme sujet identitaire : élevée au rang d’objet symbolique, elle disparaît comme réalité d’une identité subjective » (Bruno Rigolt). Ainsi apparaît le type de la femme futile, de la blonde idiote et séductrice, incapable de penser par elle-même.
Pierre Tchernia au 34ème salon des Arts Ménagers (1965) :
“Achetez une femme !”

Cette femme réifiée, c’est-à-dire ravalée au rang d’objet, et soumise aux représentations des hommes, a été longuement analysée en 1949 par Simone de Beauvoir dans Le Deuxième sexe. Comme il a été dit, “l’originalité du point de vue de Simone de Beauvoir a consisté à distinguer les données biologiques (le sexe) des données sociales (le genre) en montrant que le “féminin” est en fait le produit d’un conditionnement social, culturel et politique hérité d’une vision patriarcale […] : “Aucun destin biologique, psychique, économique ne définit la figure que revêt au sein de la société la femelle humaine ; c’est l’ensemble de la civilisation qui élabore ce produit intermédiaire entre le mâle et le castrat qu’on qualifie de féminin”. Réfutant toute idéalisation de la féminité, Simone de Beauvoir affirme au contraire que l’«éternel féminin» reflète avant tout l’aliénation de la femme au désir masculin, qui cloisonne le sujet féminin dans des rôles et des stéréotypes représentatifs du machisme et de l’hypocrisie sociale : pour l’auteure, la femme serait surtout considérée par la société comme un “objet social soucieux de paraître”. Seule une véritable “libération” par le travail et l’autonomie financière doit donc permettre aux femmes de “s’affirmer comme sujet” |12|.
Comme nous avons essayé de le montrer, les bouleversements de la conquête de l’égalité des sexes et de la libération des femmes, particulièrement depuis la deuxième moitié du vingtième siècle, n’ont pas toujours réussi à casser nombre de clichés, ancrés depuis des millénaires dans l’inconscient collectif. Si beaucoup d’interdits moraux, sous l’influence des mouvements de contre-culture en particulier, se sont estompés, et s’il est vrai qu’aux images de mère de famille modèle et de maîtresse de maison accomplie se superpose désormais celle d’une dynamique carriériste, force est néanmoins de reconnaître que nombreux restent les clichés.
« Moulinex libère la femme ! »
Intéressons-nous à ce titre à l’image de la femme dans l’imaginaire social véhiculé par la publicité. Sous les Trente Glorieuses en particulier, la publicité a créé la femme-objet affichée en public pour promouvoir la consommation de toutes sortes de biens. La surmédiatisation dont elle fait l’objet est en soi un fait hautement significatif : à l’image traditionnelle et sexiste de la femme, la publicité, particulièrement dans la seconde moitié du vingtième siècle, a été en adéquation avec l’évolution des mentalités et des modes de vie.
Moulinex a ainsi inventé un slogan qui a fait sa fortune : « Moulinex libère la femme ». Mais, sous couvert d’émancipation et de libération, un tel slogan ne fausse-t-il pas quelque peu la règle en véhiculant une image d’autant plus stéréotypée des femmes qu’elle les présente comme moyen et comme fin : l’émancipation n’étant pas une fin en soi mais un moyen de faire vendre le produit. Dans ces conditions, la femme est également assimilée au produit lui-même, donc objetisée et marchanidsée “selon un principe normatif de jouissance et de rentabilité hédoniste, selon une contrainte d’instrumentalité directement indexée sur le code et les normes d’une société de production et de consommation dirigée” |13|.
C’est ainsi que l’historien Michel Winock reproche à la presse féminine de véhiculer des stéréotypes contenant une image dévalorisante de la femme parce que la mettant en scène comme objet de désir et de consommation : “Toute cette littérature critique vise les femmes. On montre à quel point elles exercent le rôle d’agent d’aliénation généralisée, dans la mesure où elles assurent les achats du ménage et tombent inévitablement sous l’empire de la publicité. […] L’émancipation par le lave-linge, l’aspirateur ou le chauffe-eau, c’est de la réclame pour les grandes firmes” |14|.
extrait de Michèle Sarde, De l ‘alcôve à l’arène : Nouveau regard sur les Françaises
Paris, Robert laffont 2007, page 160.
Il faut quand même admettre que cette question de la femme dans la publicité a fait couler beaucoup d’encre et suscite des débats contradictoires et quelque peu stériles parfois, ce dont témoigne l’essoufflement de la lutte contre le publisexisme. Nécessité de reconnaître également que de nombreuses avancées ont été obtenues : à cet égard, la création du mouvement de la Meute, émanation des Chiennes de garde a permis de légiférer en matière de lutte contre les stéréotypes sexistes. La vraie question qui se pose à la société selon nous, est donc d’accompagner au niveau des mentalités, les évolutions juridiques qui ont aidé à l’émancipation des femmes.
Ainsi l’on parle beaucoup de la femme dans la publicité, peut-être à tort car des évolutions explicites en France notamment sont perceptibles, mais le cinéma de masse et les médias audiovisuels à destination en particulier d’un public souvent jeune ont également leur part de responsabilité dans la persistance des comportements discriminatoires et la reproduction sociale de la domination masculine. En montrant souvent des jeunes femmes libres de leur corps, infidèles, ou objets de désir, etc. ces médias contribuent paradoxalement à véhiculer une image d’autant plus passive et stéréotypée de la femme que c’est une image essentiellement fantasmée, et non conforme à la réalité.
Ces images fantasmées induisent une attitude souvent sexiste puisqu’elles oscillent entre l’archétype de la femme mûre qui n’est valorisée qu’à travers sa fonction de génitrice, et la femme jeune, quant à elle présentée uniquement à travers sa fonction de séductrice hypersexualisée, consentante et soumise, dont le corps se réduit au statut de chose. Comme nous le voyons, ce rôle imparti à la femme lui dénie son statut de citoyenne à part entière, pour n’en faire plus qu’un beau sexe faible, objet de séduction et d’échange, réduit à sa valeur esthétique et monétaire.
Conclusion générale
Les représentations ont certes changé mais on attribue aux femmes toujours des tâches, on leur inculque des fausses valeurs sans leur laisser la liberté de décider qui elles veulent devenir vraiment, tant les préjugés et les archaïsmes sont ancrés dans l’inconscient collectif, au point qu’on ne les remarque même plus. Ainsi que l’écrivait Danielle Jonckers, “Alors que dans les sociétés occidentales contemporaines rien ne s’oppose —en théorie— à ce que les femmes soient les égales des hommes, les modes de pensée ne semblent pas au diapason des potentialités féminines” |15|. La raison vient que la révolution des mœurs ne s’est pas vraiment faite : le droit va plus vite que les mentalités.
À l’image moderne et progressiste de notre législation qui fait de la femme l’égale de l’homme, répond trop souvent encore sa soumission comme pratique sociale et culturelle dans la réalité des faits. Soumission étayée par des représentations qui légitiment la perpétuation des modèles machistes, sous couvert parfois d’émancipation. Tel est le paradoxe de notre société dans laquelle l’emprise du vertige de la séduction fait encore trop souvent de la femme une marchandise et un objet de plaisir. C’est donc un changement des mœurs qui doit s’opérer. Comme nous le comprenons, le Féminisme doit être l’accomplissement de l’humanisme…
Les études de genre ont montré que les stéréotypes, aussi bien du masculin que du féminin, en tant que systèmes de valeurs, dégradaient les véritables relations entre les hommes et les femmes. Aussi, à la question “La femme est-elle un homme comme les autres ?”, avons-nous envie de répondre par une autre question : “L’homme peut-il être une femme comme les autres ?” Peut-il accepter cette refonte morale de se remettre en question ? Tel était le sens du magnifique ouvrage d’Annie Leclerc, Parole de femme, publié en 1974 et qui amenait à repenser le sens de l’Histoire autant que l’éthique de notre civilisation :
« Pourquoi la Vérité sortirait-elle de la bouche des hommes ? La Vérité peut sortir de n’importe où. Pourvu que certains parlent et d’autres se taisent. La Vérité n’existe que parce qu’elle opprime et réduit au silence ceux qui n’ont pas la parole. Inventer une parole qui ne soit pas oppressive.
Une parole qui ne couperait pas la parole mais délierait les langues. […]
Inventer, est-ce possible ? »
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© Manon B., Oscar P. et Slimane H.-M. avril 2014
(Classe de Première S2, promotion 2013-2014)
Bruno Rigolt/Espace Pédagogique Contributif/Lycée en Forêt (Montargis, France)
Relecture du manuscrit et ajouts éventuels : Bruno Rigolt. Certains passages de cette étude ont été modifiés ou réécrits pour correspondre davantage au Cahier des charges éditorial de ce blog de Lettres. B. R.
NOTES
1. Voir à ce sujet, Naila Kabeer, Intégration de la dimension Genre à la lutte contre la pauvreté et objectifs du millénaire pour le développement. Manuel à l’intention des instances de décision et d’intervention, Les Presses de l’Université Laval/L’Harmattan/Centre de recherches pour le développement international (CRDI), page 224.
2. Commission européenne, Rapport sur l’égalité entre les femmes et les hommes, 2008, page 11.
3. Sarah Scholl, L’Apprentissage du pluralisme religieux : le cas genevois au XIXe siècle, Genève (Suisse), Labor et Fides 2013, page 265.
4. Jacqueline Feldman “Le savant et la sage-femme”, Impact, Unesco (volume 25, n°1, 1975). Cité dans Bruno Rigolt, “La femme et ses représentations dans Candide : Stéréotypes et Sexisme“. Voir aussi l’article “Olympe de Gouges“.
5. Sur les notions de genre et de rôles sexospécifiques, voyez cette page :
6. Sophie Bailly, Les Hommes, les femmes et la communication. Mais que vient faire le sexe dans la langue ?, Paris L’Harmattan 2008, page 111.
7. Propos rapportés par le site Alantico.fr. Pour lire l’intégralité de l’article, cliquez ici. Voir aussi cette page.
8. Christian Baudelot, Roger Establet, Quoi de neuf chez les filles ? : Entre stéréotypes et libertés, Paris, Nathan 2007.
9. Voir à ce propos : Christine Guionnet, Erik Neveu, Féminins/Masculins : Sociologie du genre (Paris, Armand Colin 2009 Collection U), notamment cette page.
10. Georges Minois, Les Origines du mal : Une histoire du péché originel, Paris, Fayard 2002. Voir cette section en particulier : “La femme, le serpent et l’arbre“.
11. Cf. ces propos très intéressants de Jorunn J. Buckley : “Dans un système monothéiste, où les hommes s’identifient naturellement au seul Dieu, capacité dont les femmes sont dépourvues, les hommes peuvent être à l’image de Dieu, mais pas les femmes. La Création et la procréation sont liées, si bien que la procréation devient le moyen par lequel les humains imitent Dieu au plus près. L’un des dogmes les mieux gardés du monothéisme est la nécessité d’empêcher les femmes d’affirmer leur propre autonomie à cet égard”. Cité par Edith Sizoo, Par-delà le féminisme, Paris, éd. Charles Léopold Mayer 1984, page 60.
12. Bruno Rigolt, citation de la semaine : “Simone de Beauvoir”
13. Jean Baudrillard, “Le plus bel objet de consommation : le corps”, dans La Société de consommation : ses mythes, ses structures (1997). Cité par Claude Raisky (dir.), Les Valeurs du corps dans la société contemporaine, Educagri Editions 2003, page 145.
14. Michel Winock, Jeanne et les siens. Propos cités par Vincent Soulier, Presse féminine : la puissance frivole.
15. Danielle Jonckers, Femmes plurielles : les représentations des femmes, discours, normes et conduites (sous la direction de Danielle Jonckers, Renée Carré, Marie-Claude Dupré), Paris, Édition de la Maison des sciences de l’homme 1999, page 1.
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