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La classe de Première ES2 du Lycée en Forêt est fière de vous présenter une exposition exceptionnelle : « Dis-moi un Po-aime »… Plusieurs fois par semaine, les élèves vous inviteront à partager l’une de leurs créations poétiques…
Bonne lecture !
Aujourd’hui, vendredi 20 mai, la contribution d’Agatha et Léa
Précédentes publications : mardi 17 mai : Marie ; dimanche 15 mai : Furkan ; samedi 14 mai : Céline ; mardi 10 mai : Alyssa et Ninon ; dimanche 8 mai, Aymmy ; vendredi 6 mai, Aymeric ;
« Parole de la mer »
par Agatha G.-N. et Léa P.
Classe de Première ES2
Sur la scène de la vie Elle est en harmonie
Avec son intrigante démarche chaloupée
Elle avance avec opiniâtreté. La mer, avec nonchalance
Me regarde, me tient, me balance
«Wesh, bel ami, que fais-tu ici ?
En ce temps blanchi par la mélancolie,
Retrouve le sourire de ta vie
Parti trop loin d’ici… »
Conception du calligramme : © mai 2016, Agatha et Léa
Le point de vue des auteures…
Nous avons choisi ce titre en hommage tout d’abord au merveilleux essai d’Annie Leclerc, Parole de femme paru en 1974. Mais à cette première inspiration, est venue s’ajouter une réflexion sur le sens de la parole poétique : de même qu’écrire en poésie c’est vouloir exprimer, formuler pour soi-même et pour les autres une parole, c’est-à-dire un système de signes à déchiffrer, de même peut-on parler d’une parole de la mer : le bruit des vagues qui se brisent contre les rochers, ou qui viennent s’échouer sur le rivage, est presque un langage que la parole poétique peut essayer de traduire.
Cette « parole de la mer » est donc chargée d’intentions, elle est messagère de valeurs : comme rupture avec l’immédiateté, la mer comme l’ont si bien montré les poètes symbolistes, c’est avant tout l’ailleurs, le voyage… c’est ce qui explique que nous avons choisi de personnifier la mer : elle est humaine, comme la parole est humaine, c’est par elle que les hommes se rencontrent, que chaque peuple décrit le monde, écrit l’Histoire.
Partir en mer est toujours un voyage : comme le disait si bien Mallarmé à la fin de « Brise marine », il faut savoir, entendre le chant des matelots, autrement dit accéder grâce à la parole poétique, à l’imaginaire du voyage, au rythme des vagues qui déferlent sur la plage, à cet océan qui échappe à toute limite fixe… et c’est sans doute ce qui explique le choix du calligramme, qui est évidemment une allusion à Guillaume Apollinaire :
Écoutez la mer
La mer gémir au loin et crier toute seule
Ma voix fidèle comme l’ombre
Veut être enfin l’ombre de la vie
Veut être ô mer vivante…
Ces quelques vers d’Apollinaire extraits de « La victoire », nous introduisent très bien dans la poétique particulière que nous avons cherché à mettre en place. Un calligramme comme on le sait, par sa disposition typographique, représente le thème ou la figure qu’il évoque : c’est ainsi que dans notre poème, la bouche représente cette parole de la mer.
De même, les volutes évoquent les vagues et leur musicalité. Des expressions comme « intrigante démarche chaloupée » ou « la mer avec nonchalance », connotent cette féminité de la mer. Dans le texte, elle conseille le narrateur : « Retrouve le sourire de ta vie/parti trop loin d’ici ». Même s’il ne répond pas, il comprend les paroles de la mer : ce sont des paroles d’amour qui invitent à se souvenir de ceux qui nous sont chers, et dont l’âme semble circuler sur les vagues de cette mer.
← Katsushika Hokusai (1760-1849)
« La grande vague de Kanagawa »
C’est ainsi qu’au vague à l’âme du narrateur répond l’âme des vagues : et tout à coup le cœur de l’homme se dilate, sa pensée s’exalte, son inquiétude s’apaise. Parce que la mer lui parle le langage qu’il comprend : « Wesh bel ami que fais-tu ici ? »
Le lecteur pourrait voir dans ce « Wesh » une simple volonté de rompre avec les codes habituels du langage, une manière de faire « plus moderne ». Disons que, plus fondamentalement, cette familiarité s’accorde à la sensibilité du narrateur : la mer est sa conscience, sa confidente, son espérance.
Voici pourquoi notre poème est symboliste : de même que le personnage s’abandonne volontairement, et laisse refermer sur lui les vagues de la mer (« la mer […] me regarde, me tient, me balance »), de même la poésie ouvre à un déchiffrement : ce voyage au pays des mots, qui est parfois —qui est souvent— un voyage au pays des maux, amène à comprendre combien la poésie est infinie comme la mer, sa parole recommence sans cesse, comme un voyage autour du monde. C’est également ce qui explique le peu de ponctuation dans notre texte, comme pour suggérer cette poétique de l’espace et de la liberté. Mais il y a quand même quelques virgules, évocation du balancement des vagues, et les points de suspension qui expriment l’élan poétique et cette parole infinie de la mer : invitation à la méditation et au songe introspectif.
Sans doute le lecteur comprend-il mieux maintenant le sens du titre : « Parole de la mer ». Ainsi que nous avons essayé de le montrer, la mer revêt une valeur symbolique extraordinaire : tout vient de la mer, et tout y retourne, comme pour un grand voyage à jamais recommencé, de l’autre côté de la terre…
© Léa P et Agatha G.-N.., classe de Première ES2 (promotion 2015-2016), mai 2016.
Espace Pédagogique Contributif
Camille Saint-Saëns, « Aquarium », Le Carnaval des animaux (1886)
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