BTS 2023-2024 : Invitation au voyage…

Notices bibliographiques

I) Littérature :

 

À partir du 15 janvier, cette page sera mise à jour plusieurs fois par semaine. 


Charles Baudelaire, “L’invitation au voyage”, 1857 ; 1869

Poète universellement reconnu, mais aussi critique d’art, journaliste et traducteur d’Edgar Poe, Charles Baudelaire (1821-1867) est considéré comme un précurseur de la poésie moderne. Son œuvre majeure, Les Fleurs du mal, lui vaut un procès retentissant en 1857 pour atteinte à la morale publique. Le projet de Baudelaire consiste à extraire la beauté du mal par le biais d’une alchimie poétique : faire de l’or avec de la boue. Dès lors, tout comme l’alchimiste qui cherche à retrouver les secrets enfouis, Baudelaire voit dans la poésie un moyen d’idéaliser la réalité grâce à la magie des mots afin de transfigurer le réel corrompu en parole poétique. Une telle célébration passe prioritairement par la recherche de l’ailleurs, qui apparaît comme une sorte d’échappatoire à la misérable condition humaine.

Publié dans la première section des Fleurs du mal intitulée “Spleen et Idéal”, le poème « L’invitation au voyage », est dédié à une femme aimée (Marie Daubrun) : avec elle, le poète rêve “d’aller vivre là-bas ensemble” où “tout n’est qu’ordre et beauté, / Luxe, calme et volupté” : évocation lyrique et presque surnaturelle d’un monde exotique et enchanteur que la vie quotidienne dans son conformisme banal serait incapable de comprendre. Dans la deuxième strophe du poème, Baudelaire se plait à imaginer la chambre qu’il partagerait avec sa bien-aimée, au milieu des “plus rares fleurs”, des “senteurs de l’ambre” et de la “splendeur orientale”. De même, le champ lexical du voyage qui domine la troisième strophe (“[…] ces vaisseaux/Qui viennent du bout du monde” dont “l’humeur est vagabonde”) transforme le voyage amoureux en fuite hors du monde, sans réelle attache ni destination : fuite vers un ailleurs plus beau, où les sensations ne seraient plus émoussées par le vulgaire et le banal. 

Un autre poème de Baudelaire porte également le titre “L’invitation au voyage” : publié après la mort de l’auteur dans le recueil Le Spleen de Paris (Petits poèmes en Prose, 1869), il évoque “un pays superbe […] où tout est beau, riche, tranquille, honnête […]. C’est là qu’il faut aller vivre, c’est là qu’il faut aller mourir !”. Comme dans le poème en vers, on ne sait pas de quel pays il s’agit. Dans ces deux textes dédiés à une muse inspiratrice, l’appel du voyage est surtout le prétexte à une quête du bonheur et de l’idéal, loin du spleen et de l’ennui. La recherche de l’exotisme et de l’ailleurs permet donc d’accéder à une forme de plénitude : le voyage en effet n’est pas forcément un déplacement physique en poésie, il peut être un simple appel à rêver, à rechercher le bonheur, là où on ne le voit pas forcément.

Plus qu’un simple dépaysement, le voyage baudelairien est prétexte à une quête de l’inspiration. Nous retrouvons ici le thème des écrivains voyageurs du XIXème siècle qui ont puisé dans une expérience inédite du monde l’inspiration, la quête du bonheur et de l’idéal.

Citations autour du thème :

  • “Mon enfant, ma sœur,
    Songe à la douceur
    D’aller là-bas vivre ensemble !” (“L’invitation au voyage”, Les Fleurs du mal)
  • “Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
    Luxe, calme et volupté.” (“L’invitation au voyage”, Les Fleurs du mal)
  • “Vois sur ces canaux
    Dormir ces vaisseaux
    Dont l’humeur est vagabonde ;
    C’est pour assouvir
    Ton moindre désir
    Qu’ils viennent du bout du monde.” (“L’invitation au voyage”, Les Fleurs du mal)
  • “Il est une contrée qui te ressemble, où tout est beau, riche, tranquille et honnête, […] où la vie est douce à respirer, où le bonheur est marié au silence. C’est là qu’il faut aller vivre, c’est là qu’il faut aller mourir !” (“L’invitation au voyage”, Le Spleen de Paris)

Illustration : Félix Nadar, portrait de Baudelaire, vers 1860.


 

Nellie Bly, Le Tour du monde en 72 jours, 1890

Le Tour du monde en 72 jours est un récit de voyage écrit par la pionnière du journalisme d’investigation, l’Américaine Elizabeth Jane Cochran, plus connue sous le nom de plume Nellie Bly (1864-1922). Le livre est basé sur un défi lancé par Joseph Pulitzer, rédacteur en chef du New World (tabloïd publié à New York entre 1860 et 1931) : battre le record du personnage fictif Phileas Fogg, qui a réussi à faire le tour du monde en 80 jours dans le roman de Jules Verne Le Tour du monde en quatre-vingts jours.

Nellie Bly est partie de New York en 1889 et a réussi à faire le tour du monde en 72 jours, 6 heures et 11 minutes, battant ainsi le record de Phileas Fogg. Le livre est un récit de ses aventures et de ses découvertes dans les différents pays qu’elle a visités. Il est considéré comme un classique de la littérature de voyage et a contribué à l’émergence de Nellie Bly en tant que journaliste d’investigation.

Citations autour du thème :

  • “Remonter aux origines des idées peut parfois s’avérer compliqué. […] Celle-ci m’est apparue un beau dimanche après que j’eus passé la journée puis une bonne partie de la nuit à ferrer un sujet. […] Agacée par mon manque d’imagination, je finis par me désespérer : Qu’est-ce que j’aimerais être à l’autre bout de la planète !… Tiens, mais pourquoi pas, songeai-je. Des vacances me feraient le plus grand bien. Je pourrais entreprendre un tour du monde !”
  • « Il n’est que sur l’océan que l’on peut goûter, bercé par les flots, le paisible repos de la journée ou de la nuit. On dérive, on ne voit rien, on ne sait rien, tous les soucis se sont envolés et la misère du monde semble bien loin. »

 

Nicolas Bouvier, L’Usage du monde, 1963

L’Usage du monde est un récit de voyage publié à compte d’auteur en 1963 par l’écrivain suisse Nicolas Bouvier. Il y raconte ses aventures en compagnie de son ami Thierry Vernet lors de leur voyage en Asie, de Genève à Tokyo, entre 1953 et 1955. Le livre est considéré comme un classique de la littérature de voyage et décrit avec poésie et sensibilité les rencontres et les découvertes des auteurs dans les pays qu’ils traversent à bord d’une Fiat Topolino, notamment l’Iran, l’Afghanistan, le Pakistan et le Japon.

L’Usage du monde est également considéré comme un livre de réflexion sur l’apprentissage de la vie et de l’autonomie, sur les relations humaines, les cultures et les mentalités. Il met également en évidence le rôle de la lenteur dans la découverte de soi et de l’autre. Ce récit de voyage reflète enfin la fascination de Nicolas Bouvier pour les cultures et les peuples qu’il a rencontrés, ainsi que sa profonde réflexion sur la nature de l’expérience humaine et de l’altérité. L’ouvrage a remporté le prix Schiller (le plus ancien prix littéraire suisse) en 1963.

Citations autour du thème :

  • « Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. On croit qu’on va faire un voyage mais bientôt c’est le voyage qui vous fait ou vous défait. »
  • « En route, le mieux c’est de se perdre. Lorsqu’on s’égare, les projets font place aux surprises et c’est alors, mais alors seulement que le voyage commence. »
  • “Fainéanter dans un monde neuf est la plus absorbante des occupations.”

 

Michel Butor, La Modification, 1957

La Modification est un roman de Michel Butor publié en 1957. Il apparaît d’emblée comme un texte fondateur de ce qu’on appellera « le nouveau roman ». L’histoire est très banale : le personnage principal, Léon Delmont, directeur pour la France d’une société italienne, 45 ans marié, quatre enfants, habitant Place du Panthéon à Paris part pour Rome (où il va une fois par mois environ) à l’insu de ses patrons pour rejoindre sa maîtresse, Cécile Darcella, qu’il a rencontrée deux ans auparavant. Il lui a trouvé un emploi à Paris et compte rompre avec sa femme Henriette, sur l’insistance de Cécile qui supporte de moins en moins cette situation fausse. Pour ne pas être reconnu, il est monté dans un compartiment de troisième classe. Au début du voyage, Delmont est très sûr de lui, mais au fur et à mesure que progresse le voyage (au demeurant très inconfortable), Delmont est gagné par la crainte de devoir quitter sa femme et de supporter une Cécile devenue soudain encombrante si elle s’installait à Paris.

D’où le titre du roman : toute l’histoire repose en effet sur la « modification » du projet initial. Finalement à son arrivée à Rome, Léon Delmont repart le soir même pour Paris sans avoir parlé à Cécile. Le voyage géographique se double donc d’un cheminement intérieur : au moment où le train arrive à Rome, Butor nous présente son personnage ayant modifié son projet initial au point d’y renoncer : comprenant qu’il est trop tard pour changer sa vie, il décide de retourner à Paris et reprendre le cours de son existence ordinaire avec sa femme : il n’y aura eu aucune « modification » du « train-train » quotidien !

Ce n’est donc pas au niveau de l’histoire que réside l’intérêt de ce roman mais plutôt de la façon dont elle est racontée et qui valut à son auteur une reconnaissance quasi unanime : Butor a en effet délaissé la traditionnelle narration à la première ou à la troisième personne pour privilégier tout au long du livre un monologue intérieur, mais à la deuxième personne du pluriel. Tout au long des 21 heures que dure le voyage, le lecteur est projeté dans les pensées du personnage et sa transformation progressive, les voyageurs qu’il observe et dont il imagine la vie, les régions traversées (la Bourgogne, Chambéry, la frontière franco-italienne…).

Citations autour du thème :

  • « Vous avez mis le pied gauche sur la rainure de cuivre, et de votre épaule droite vous essayez en vain de pousser un peu plus le panneau coulissant. »
  • « […] afin que vous puissiez ces quelques jours jouir tous les deux au moins de l’apparence de ce bonheur qui, lui, vous échappe, goûter à un fragment de cette vie que vous imaginiez si prochaine et qui s’éloigne de plus en plus dans l’illusoire et l’impossible. »
  • “Le couloir est vide. Vous regardez la foule sur le quai. Vous quittez le compartiment.”

 

Blaise Cendrars, « La prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France », 1913

« La prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France » est un poème de Blaise Cendrars (1887-1961) publié en 1913. Ce poème est considéré comme un texte marquant de la littérature moderne, car il combine les influences de la poésie symboliste, de la poésie cubiste et de la poésie futuriste.

Aventurier, admirateur de Rimbaud, homme d’action épris de la vie, Cendrars quitte très tôt sa Suisse natale pour voyager : il traverse la Russie, séjourne à New York avant de s’installer en France. « La prose du Transsibérien” porte la marque de ce goût pour l’aventure et le bonheur d’exister : rejetant les contraintes du vers régulier et de la ponctuation, le poème raconte le voyage fantasmé du poète, narrateur de 16 ans, de Moscou à Kharbine à travers la Sibérie en compagnie de Jehanne, une jeune aventurière, égrenant au fur et à mesure les noms des gares de Russie qu’ils traversent : c’est l’occasion pour l’auteur de peindre un univers fantastique au gré de l’avancée du Transsibérien, célèbre train russe.

Véritable poème ferroviaire, « La prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France » nous transporte dans l’imaginaire du train. L’auteur utilise des images et des métaphores novatrices pour décrire les paysages, les gens et les sensations éprouvées, le rythme de la locomotive, les bruits du wagon : “Le broun-roun-roun des roues”)… Le voyage réel se double ainsi d’un voyage dans l’imaginaire, donnant lieu à une exploration de questionnements existentiels comme la vie, la mort et la condition humaine qui apparentent le récit à une véritable mythologie personnelle, riche d’impressions fantasmées  et de symboles. 

Citations autour du thème :

  • « En ce temps-là j’étais en mon adolescence
    J’avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance

    J’étais à 16.000 lieues du lieu de ma naissance »
  • « Je suis en route
    J’ai toujours été en route

    Le train fait un saut périlleux et retombe sur toutes ses roues »
  • “‘Blaise, dis, sommes-nous bien loin de Montmartre ?’
    Nous sommes loin, Jehanne, tu roules depuis sept jours
    Tu es loin de Montmartre, de la Butte qui t’a nourrie, du Sacré-Cœur
    contre lequel tu t’es blottie
    Paris a disparu […]”

 

Denis Diderot, Supplément au voyage de Bougainville, 1772

Le Supplément au voyage de Bougainville est un texte écrit par Denis Diderot en 1772. Ce récit se présente comme une suite au voyage réel de Louis Antoine de Bougainville (Voyage autour du monde, 1771).

Le texte se présente comme un dialogue philosophique entre deux personnages, A et B, qui ont une opinion contraire sur l’œuvre de Bougainville. A travers ce débat, Diderot dénonce les violences commises par les colonisateurs sur les populations indigènes, leur manque de respect pour les cultures et les coutumes locales, et la destruction de l’environnement. Face aux Européens, les Tahitiens incarnent une nature sauvage, non corrompue par la civilisation.  L’auteur met en avant l’hypocrisie des colonisateurs qui prétendent apporter la civilisation aux Tahitiens, alors qu’ils ne cherchent en réalité qu’à s’approprier leurs terres et leurs ressources.

Le texte de Diderot est considéré comme un des premiers textes de littérature de voyage à critiquer ouvertement la colonisation et l’expansionnisme de l’Europe. Il est considéré comme un texte majeur de la littérature des Lumières.

Citations autour du thème :

  • « Puis s’adressant à Bougainville, il [un vieux Tahitien] ajouta : ‘’Et toi, chef des brigands qui t’obéissent, écarte promptement ton vaisseau de notre rive : nous sommes innocents, nous sommes heureux ; et tu ne peux que nuire à notre bonheur. Nous suivons le pur instinct de la nature […]’’ ».
  • « la vie sauvage est si simple, et nos sociétés sont des machines si compliquées ! »

 

Isabelle Eberhardt, Au pays des sables, 1901

Isabelle Eberhardt (Genève, 1877 – Aïn-Sefra, Algérie, 1904) est une exploratrice, journaliste et écrivaine née suisse de parents d’origine russe, et devenue française par son mariage. Femme de lettres d’une très grande érudition, polyglotte accomplie, elle se passionne pour le Maghreb, la culture arabe et la civilisation islamique. Très critique à l’égard de la colonisation française, elle mène une vie de nomade, mêlant son existence à celle des peuples de l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie auxquels elle vouait une véritable admiration.

Au pays des sables est un recueil de ses écrits sur l’Algérie, publiés après sa mort accidentelle lors de la crue d’un oued à la frontière algéro-marocaine. Isabelle Eberhardt est l’une des premières femmes à avoir vécu et écrit sur l’Algérie de manière aussi authentique et détaillée, loin des clichés orientalistes. Ses écrits sont un témoignage précieux sur les nomades Touaregs du Sahara. Isabelle Eberhardt relate en particulier ses expériences de vie, en évoquant les paysages, les coutumes, les relations humaines et les mentalités. Elle décrit les contrastes entre les communautés nomades et les colons français, les difficultés liées à la vie dans le désert ainsi que de nombreux aspects culturels et spirituels.

L’ouvrage est également une ode au vagabondage, à l’opposé du monde ordinaire et sédentaire, fait d’ennui, de conformisme et de servitude. À l’inverse, Isabelle Eberhardt estime que le vagabondage permet de se donner entièrement à la magie du voyage.

Citations autour du thème :

  • « C’était l’heure élue, l’heure merveilleuse au pays d’Afrique, quand le grand soleil de feu va disparaître enfin, laissant reposer la terre dans l’ombre bleue de la nuit. »
  • « Moi, à qui le paisible bonheur dans une ville d’Europe ne suffira jamais, j’ai conçu le projet hardi, pour moi réalisable, de m’établir au désert et d’y chercher à la fois la paix et les aventures […] »
  • […] le vagabondage, c’est l’affranchissement, et la vie le long des routes, c’est la liberté.

 

Gustave Flaubert, Par les champs et par les grèves, 1881

Par les champs et par les grèves (Voyages en Bretagne) est un récit de voyage de Gustave Flaubert (1821-1880), écrivain majeur du XIXème siècle. Il est aussi l’auteur de Madame Bovary ou L’Education sentimentale. Le début de l’année 1846 est très éprouvant pour Flaubert : la perte de son père et quelques semaines après de sa jeune sœur accentuent ses crises nerveuses. Sur les conseils de son ami Maxime Du Camp qui l”accompagne, Flaubert part se reposer en Bretagne où il rédigera de 1851 à 1881 plusieurs carnets de voyage.

Flaubert décrit dans un style élégant et précis les paysages, les coutumes, les personnages rencontrés, les impressions et les réflexions sur la vie et la nature. Les pages de ces carnets de voyage témoignent de l’observation attentive et de l’analyse fine que Flaubert porte sur les choses qu’il voit et les gens qu’il rencontre. Cet ouvrage est considéré comme un témoignage pittoresque sur la vie rurale, la vie locale et les mentalités de ces régions au XIXème siècle.

Citations autour du thème :

  • “Qu’ont donc les voyages de si attrayant pour qu’on les regrette à peine finis ?”
  • “Je me récitais tout haut des vers, comme cela m’arrive quand je suis tout seul dans la campagne ; la cadence me fait marcher et m’accompagne dans la route comme si je chantais.”

 

Théophile Gautier, Voyage en Espagne,1843

Théophile Gautier (1811-1872) est un écrivain et poète français du XIXème siècle. Défenseur de l’esthétique de “l’art pour l’art”, selon laquelle l’art doit être apprécié pour ses qualités esthétiques plutôt que pour sa signification ou sa fonction morale. Gautier croyait que l’art doit être libre de toute contrainte extérieure et que les artistes devraient se concentrer sur la création de belles choses plutôt que de chercher à transmettre un message ou à refléter la réalité sociale.

Voyage en Espagne a été publié en 1843. Il relate les impressions et les réflexions de Gautier lors de son voyage en Espagne en 1840. L’auteur décrit les différents lieux qu’il a visités, comme Madrid, Séville, Grenade, Cordoue, Malaga, Cadix… et les monuments qu’il a vus, tels que l’Alhambra, les cathédrales, les palais, les musées, les plazas, etc. Gautier décrit aussi les coutumes, les traditions, les fêtes et les costumes.

Gautier livre de nombreuses impressions ressenties face à l’art et l’architecture espagnoles, notamment l’influence de l’art arabe et maure, ainsi que les réflexions sur l’histoire de l’Espagne, la culture, les mœurs et les mentalités. Il exprime avec un grand talent littéraire et une grande acuité les contrastes, les couleurs et les sensations qu’il a éprouvées.

Citations autour du thème :

  • Ce qui constitue le plaisir du voyageur, c’est l’obstacle, la fatigue, le péril même. Quel agrément peut avoir une excursion où l’on est toujours sûr d’arriver, de trouver des chevaux prêts, un lit moelleux, un excellent souper et toutes les aisances dont on peut jouir chez soi?
  • “Un des grands malheurs de la vie moderne, c’est le manque d’imprévu, l’absence d’aventures.”

 

André Gide, Voyage au Congo, 1927

André Gide (1869-1951) est un écrivain, dramaturge et critique littéraire français. Il est considéré comme l’un des plus éminents représentants de la littérature française (prix Nobel de littérature en 1947). Gide est également connu pour ses prises de position en faveur de la liberté individuelle et de la tolérance.

Dans Voyage au Congo, Gide décrit son voyage à travers l’Afrique équatoriale, en passant par le Congo belge, l’actuel Congo-Kinshasa. Il décrit les paysages, la nature sauvage, les personnes qu’il rencontre, les coutumes et les mentalités. Il s’intéresse particulièrement aux relations entre les colons belges et les populations locales, décrivant la domination et la violence exercées par les premiers sur les seconds. L’auteur fait part également de son indignation devant les excès de la colonisation, la brutalité de l’exploitation des ressources naturelles et le sort des colonisés. 

Écrit avec une grande acuité et une grande sensibilité, ce livre est considéré comme un témoignage précieux sur l’Afrique équatoriale de l’époque, mais également comme un des textes majeurs de littérature à dénoncer les excès de la colonisation et les violences commises sur les populations locales.

Citations autour du thème :

  • “- Qu’est-ce que vous allez chercher là-bas ? – J’attends d’être là-bas pour le savoir.”
  • “Qu’est ce que ces Grandes Compagnies ont fait pour le pays ? Rien. Les concessions furent accordées dans l’espoir que les Compagnies « feraient valoir » le pays. Elles l’ont exploité, ce qui n’est pas la même chose ; saigné, pressuré comme une orange dont on va bientôt rejeter la peau vide.”
  • “Ce que je ne puis peindre, c’est la beauté des regards de ces indigènes, l’intonation émue de leur voix, la réserve et la dignité de leur maintien, la noble élégance de leurs gestes.”

 

Valery Larbaud, Les Poésies de A. O. Barnabooth, 1913

Valery Larbaud est un écrivain, poète, essayiste et traducteur français, né le 29 août 1881 à Vichy, ville où il est mort le 2 février 1957. Valery Larbaud est l’héritier des sources Saint-Yorre. Enfant unique, il a vécu toute sa vie des rentes de son père, qui meurt l’année de ses huit ans. Pour son seizième anniversaire, sa mère lui offre un tour d’Europe : Larbaud tombe amoureux du voyage qui va le marquer toute sa vie. Il a 32 ans lorsqu’il publie en 1913 A. O. Barnabooth : ses œuvres complètes, c’est-à-dire un conte, ses poésies et son journal intime.

Les Poésies de A. O. Barnabooth a été publié sous le pseudonyme d’A. O. Barnabooth, sorte de double fictif de l’auteur (Barnabooth est la contraction de la ville de Barnes, située près de Londres et de Booth, nom d’une chaîne de pharmacie anglaise). Les poèmes sont largement marqués par le thème du voyage et de l’exotisme. Ils décrivent les réflexions et les impressions d’un personnage fictif, Barnabooth, lors de ses voyages à travers le monde, notamment dans plusieurs capitales européennes, comme Stockholm, Londres et Berlin.

Les poèmes sont écrits dans un style imagé, presque cinématographique, afin de créer une expérience visuelle et immersive pour le lecteur. Dans un des poèmes intitulé “Ode”, la voix poétique s’adresse au train en lui demandant de lui prêter ses “bruits sourds” et ses “vibrantes voix” : “Prêtez-moi, ô Orient-Express, […] Vos miraculeux bruits sourds et/ Vos vibrantes voix de chanterelle ; / Prêtez-moi la respiration légère et facile/Des locomotives hautes et minces […]”.

Citations autour du thème :

  • Prête-moi ton grand bruit, ta grande allure si douce,
    Ton glissement nocturne à travers l’Europe illuminée,
    Ô train de luxe !
  • Il m’arrive parfois,
    La nuit, de rêver que je suis là, ou bien là,
    Et au matin je m’éveille avec un désir de voyage.

 

Jean de Léry, Histoire d’un voyage fait en la terre du Brésil, 1578

Jeune cordonnier bourguignon converti à la religion réformée de Calvin, Jean de Léry (1534-1613), participe de mars 1557 à janvier 1558 avec onze missionnaires genevois à une expédition au Brésil. Publié en 1578, L’Histoire d’un Voyage fait en la terre du Brésil retrace cet extraordinaire périple. Mais ce souvenir de voyage constitue également un témoignage historique et ethnologique majeur sur les coutumes d’une société primitive : les Tupinambas, Indiens nus et anthropophages. Jean de Léry décrit les paysages, les coutumes, les relations avec les indigènes, les mœurs et les mentalités. Il s’intéresse particulièrement aux différences culturelles et religieuses entre les Européens et les Indiens. Il décrit également les relations entre les différentes tribus indigènes et les conflits qui en découlent.

Cet ouvrage constitue l’un des tous premiers témoignages écrits sur le Brésil. Qualifié par Claude Lévi-Strauss de « bréviaire de l’ethnologue », il est considéré comme un témoignage précieux sur la culture et la vie quotidienne des peuples indigènes du Brésil au XVIème siècle. Il remet en cause nombre de préjugés occidentaux et annonce des thèmes majeurs qui seront développés sous les Lumières, notamment l’éloge de la liberté naturelle et du « bon sauvage » face aux oppressions. Il est écrit dans un style simple et direct qui traduit les impressions et les réflexions de l’auteur sur les différences culturelles et religieuses qu’il a rencontrées.

Citation autour du thème :

  • Cette nation, que nous estimons barbare, se moque de bonne grâce de ceux qui au danger de leur vie passent la mer pour aller quérir du bois de Brésil afin de s’enrichir”.

 

Pierre Loti, Voyages au Moyen-Orient, 1895

Officier de marine, infatigable navigateur et romancier mondain à succès, Pierre Loti (1850-1923) est connu pour ses nombreux voyages au Moyen-Orient, notamment en Turquie (sa seconde patrie où il séjournera une dizaine de fois), au cours desquels il a collecté de nombreux témoignages, anecdotes et impressions qu’il a ensuite transcrits dans son œuvre littéraire. Inspirés par ses voyages, ses romans, récits et témoignages ont eu un impact considérable sur la perception de l’Orient par l’Occident. 

Voyages au Moyen-Orient est un recueil de récits de voyages rédigés entre 1895 et 1907 : Le Désert, Jérusalem, La Galilée, publiés en 1895, Vers Ispahan, (1904) et La Mort de Philae (1909). Loti décrit avec nostalgie un Orient mythique, fastueux et enchanteur dans la tradition romantique : révélatrice d’un siècle et d’un rêve d’Orient, qui fut celui de Chateaubriand, de Lamartine, de Gautier et de Nerval. Empruntant les routes antiques les plus périlleuses et hostiles, l’auteur évoque les paysages, les coutumes, les personnages rencontrés, les impressions et les réflexions sur la nature, le désert, les variations du climat ou encore les changements de saison.

L’auteur fait part également de ses réflexions sur les différentes cultures, les relations entre communautés, les religions et les traditions. Pour Loti, appréhender cet Orient lointain permet d’accueillir l’altérité dans sa multitude et sa diversité. Ses réflexions sur l’intemporalité et la virginité du désert sont prétexte à toute une poésie de sensations qui donne lieu en contrepoint à une réflexion mélancolique et désenchantée sur le monde moderne.

Citations autour du thème :

  • “Le désert […] n’est pas décevant […]. Son immensité prime tout, agrandit tout, et, en sa présence, la mesquinerie des êtres s’oublie.” (Le Désert)
  • “De l’ensemble et du silence des choses se dégage un enchantement sombre : […] c’est la tristesse innomée des pays musulmans et du désert. […] Et il y a un charme très indicible à se tenir là […]”. (Le Désert)
  • “Elle est bien étrange, quand on y songe, cette race bédouine, si fine et si belle, mais qui garde comme de persistantes ténèbres au fond de ses grands yeux doux ou superbes […]” (La Galilée)
  • “Qui veut venir avec moi voir à Ispahan la saison des roses, prenne son parti de cheminer lentement à mes côtés, par étapes, ainsi qu’au moyen âge.” (Vers Ispahan)
  • (P. Loti visite une mosquée en Egypte) “Entrée d’une bande de touristes, habillés en ‘gens chics’ ou à peu près. Un guide à visage de drôle leur fait la nomenclature des beautés du lieu, parlant à tue-tête, comme s’il était chargé du boniment dans une ménagerie. Et l’une des voyageuses, à cause de sandales trop larges qui la font trébucher, rit d’un petit rire bête et continu, comme glousserait une dinde…” (La Mort de Philae)

 

Michel de Montaigne, Essais, Livre III, chapitre 9 (1580)

Michel de Montaigne (1533-1592) est l’un des plus grands écrivains et philosophes du XVIème siècle. Après avoir reçu une solide éducation humaniste, il entame une carrière au Parlement de Bordeaux dont il se retire en 1563 sur ses terres, pour rédiger une œuvre magistrale, Les Essais, qui constituent un ensemble de réflexions philosophiques fondées sur son vécu : “Je suis moi-même la matière de mon livre”, écrit-il dans la préface « Au lecteur ». Rédigé après un voyage pour raisons de santé en Suisse, en Allemagne et en Italie, le livre III des Essais, comporte plusieurs questionnements fondamentaux sur le voyage : pourquoi certains hommes sont-ils curieux et ouverts aux différences quand d’autres sont au contraire incapables de sortir d’eux-mêmes pour se confronter à l’altérité, source d’enrichissement ?

Dans le chapitre 9 (« De la vanité ») du livre III des Essais, rappelant la diversité des usages qu’il a pu constater, Montaigne en profite pour faire l’éloge du voyage, démarche essentielle pour mieux comprendre l’autre, et se comprendre soi-même. Pour Montaigne, le voyage doit donc rendre l’homme meilleur et plus sage, c’est-à-dire capable de bien juger. Une telle conception est révélatrice des idées que les grands humanistes du XVIème siècle se faisaient du voyage : pour connaître l’homme et le monde, il faut aller à sa rencontre. Outre le chapitre 9 du livre III des Essais, Montaigne a proposé une réflexion importante l’amenant à faire l’éloge des peuples “sauvages” et à condamner sans ambigüité la barbarie des colonisateurs.

Citations autour du thème :

  • “J’ai honte de voir nos hommes enivrés de cette sotte humeur de s’effaroucher des formes contraires aux leurs : il leur semble être hors de leur élément quand ils sont hors de leur village. Où qu’ils aillent, ils se tiennent à leurs façons et abominent les étrangères.”
  • “On dit bien vrai qu’un honnête homme c’est un homme mêlé.” (Essais, III, 9)
  • “Il se tire une merveilleuse clarté, pour le jugement humain, de la fréquentation du monde” (Essais, I, 26)
  • “l n’y a rien de barbare et de sauvage en cette nation, à ce qu’on m’en a rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage” (Essais, I, 31)

 

Montesquieu, Lettres persanes, 1721

Les Lettres persanes sont un roman épistolaire de Montesquieu (1689-1755), écrivain et philosophe français des Lumières. Publié anonymement à Amsterdam en 1721, le roman raconte le voyage à Paris de deux diplomates persans, Usbek et Rica. Leur séjour, qui dure huit années (de 1712 à 1720), est pour eux l’occasion d’observer les mœurs occidentales, le mode de vie des Français, leurs coutumes, leurs traditions religieuses (le pouvoir de l’Église) ou politiques (le fonctionnement de la monarchie absolue), et d’en faire le rapport à travers 161 lettres à leurs proches restés en Perse.

En moraliste politique, Montesquieu se glisse sous le regard de ces faux voyageurs pour dresser un examen sans concession des usages de son temps : mettant ses personnages en situation à travers des épisodes pittoresques et des situations ironiques et cocasses où ils donnent libre cours à leur passion ou à leurs préjugés : c’est l’occasion pour l’auteur d’utiliser le regard éloigné et l’argumentation indirecte pour mieux stigmatiser l’absurdité ou le ridicule des institutions et des mœurs que l’habitude fait trouver normales aux Français.

Grand voyageur, Montesquieu (qui a parcouru l’Autriche, la Hongrie, l’Italie, l’Allemagne, la Hollande et l’Angleterre) utilise donc cette pseudo chronique du voyage de deux persans pour nous faire réfléchir au relativisme culturel : le regard éloigné est inséparable d’une réflexion marquée par la nécessité de s’émanciper de l’ethnocentrisme et s’affranchir des préjugés Cet état d’esprit signifie d’abord une profonde remise en cause de l’individualisme et des repères culturels et sociaux habituels. il s’agit pour l’auteur de faire accepter aux hommes le relativisme culturel et moral en exploitant notamment le thème du voyage.

Citations autour du thème :

  • “Rica et moi sommes peut-être les premiers, parmi les Persans, que l’envie de savoir ait fait sortir de leur pays” (Lettre I)
  • “D’ailleurs ce roi est un grand magicien : il exerce son empire sur l’esprit même de ses sujets ; il les fait penser comme il veut.” (Lettre 24)
  • “[…] mais, si quelqu’un par hasard apprenait à la compagnie que j’étais Persan, j’entendais aussitôt autour de moi un bourdonnement : ‘Ah ! Ah ! monsieur est Persan ? C’est une chose bien extraordinaire ! Comment peut-on être Persan ?'” (Lettre 30)
  • “[…] ne sentirons-nous jamais que le ridicule des autres ? (Lettre 52)
  • “Je trouve les caprices de la mode, chez les Français, étonnants. Ils ont oublié comment ils étaient habillés cet été ; ils ignorent encore plus comment ils le seront cet hiver.” (Lettre 99)

 

Gérard de Nerval, Voyage en orient, 1851

Gérard de Nerval (Paris, 1808-1855) est un écrivain et poète majeur du romantisme français. Fortement marqué par la misère de la condition humaine, il portera toute sa vie le fardeau douloureux du manque affectif. Menant une vie d’errance sans véritable attache, il n’aura de cesse, pour mieux retrouver son identité enfouie, de se réfugier dans un monde de rêves et de mythes qui le conduira progressivement à vivre jusqu’à la mort l’expérience de la folie.

En décembre 1842, Nerval s’embarque de Marseille pour l’Orient en quête d’un impossible amour fantasmé (“la femme idéale que chacun poursuit dans ses songes s’était réalisée pour moi”). Le Voyage en Orient est le compte-rendu de ce périple très idéalisé qui ne correspond pas à l’itinéraire suivi. Le récit de Nerval se démarque en effet du Voyage en Orient de Loti par exemple, car il est en grande partie fictif : recomposée pour les besoins de l’histoire, cette chronique de voyage est émaillée de plusieurs contes et légendes qui s’ajoutent aux propos du narrateur principal. Bien plus qu’un voyage physique, le voyage de Nerval prend ainsi la forme d’une mythologie personnelle : visiter de nouveaux lieux (notamment l’Égypte, le Liban et Constantinople) permet à l’auteur de visiter ses propres pensées et émotions.

Véritable voyage initiatique, l’œuvre doit se lire comme une quête de soi, un processus personnel et spirituel stimulé par le voyage. Il faut donc lire cette chronique, à la fois poétique et pittoresque, comme un itinéraire intellectuel permettant à Nerval de chercher dans le voyage une expérience intérieure. Comme il le dira lui-même, “j’avais bien senti déjà qu’en mettant le pied sur cette terre maternelle, en me replongeant aux sources vénérées de notre histoire et de nos croyances, j’allais arrêter le cours de mes ans, que je me refaisais enfant à ce berceau du monde, jeune encore au sein de cette jeunesse éternelle”.

Citations autour du thème :

  • « Je vais au-devant du printemps, je vais au-devant du soleil… Il flamboie à mes yeux dans les brumes colorées de l’Orient. »
  • “Ville étrange que Constantinople ! Splendeurs et misères, larmes et joies ; […] — quatre peuples différents qui vivent ensemble sans trop se haïr : Turcs, Arméniens, Grecs et Juifs, enfants du même sol, et se supportant beaucoup mieux les uns les autres que ne le font, chez nous, les gens de diverses provinces ou de divers partis.”
  • “Que notre vie est quelque chose d’étrange ! Chaque matin, dans ce demi-sommeil où la raison triomphe peu à peu des folles images du rêve, je sens qu’il est naturel, logique et conforme à mon origine parisienne de m’éveiller aux clartés d’un ciel gris, au bruit des roues broyant les pavés […] et c’est avec un étonnement toujours plus vif que je me retrouve à mille lieues de ma patrie, et que j’ouvre mes sens peu à peu aux vagues impressions d’un monde qui est la parfaite antithèse du nôtre.”

 

Arthur Rimbaud, “Ma Bohême”, 1870

Véritable hymne à la liberté, “Ma Bohème” est un sonnet d’adolescence d’Arthur Rimbaud (1854-1891) écrit à l’automne 1870 alors qu’il n’a que 16 ans, âge de ses premières fugues et de ses premières amours. Publié en octobre 1870 dans le recueil Les Cahiers de Douai, le texte décrit les impressions et les réflexions d’un jeune poète qui, pour fuir l’existence étriquée et conventionnelle de la société, choisit de vivre dans l’errance insouciante plutôt que de rester à la maison.

Le vagabond de Rimbaud est libre : il dort à la belle étoile (« Mon auberge était à la Grande Ourse », il rêve « d’amours splendides », sans aucun bien matériel (“poches crevées”, “souliers blessés”, etc.). “Ma Bohème” est considéré comme un des poèmes les plus touchants de Rimbaud, il est un témoignage sur la vie d’un poète qui s’éloigne des normes sociales et qui vit selon ses propres règles, multipliant les fugues autour de Charleville, Paris, Douai, puis en Belgique et en Angleterre.

Ce poème exprime l’individualisme, la rébellion, l’errance sans but ni itinéraire précis, mais aussi la solitude et la profonde mélancolie de l’auteur, surnommé par Paul Verlaine l’homme aux semelles de vent en raison de son amour pour le voyage. Véritable éloge de la liberté de mouvement, ce poème célèbre également la liberté poétique : en vagabondant, le poète s’affranchit des règles de la poésie traditionnelle et ouvre la voie à la modernité poétique.

Citations autour du thème :

  • “Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées […]”
  • – Petit-Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course
    Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
    – Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou
    Et je les écoutais, assis au bord des routes […]”

Illustration : Étienne Carjat (1828-1906), portrait d’Arthur Rimbaud à l’âge de dix-sept ans.


 

Jean-Jacques Rousseau, Les Confessions, (posth. 1782, 1789) ; Les Rêveries du promeneur solitaire (posth. 1782),

Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) est à la fois un théoricien majeur des Lumières (Le Contrat social) et un écrivain qui annonce le Romantisme. Très critique à l’égard des progrès de la société, il considère que le passage de l’état de nature à l’état social est la source de la dépravation et de la corruption humaines. Vivant le plus souvent à l’écart de la société et souffrant d’un fort sentiment de persécution, le “citoyen de Genève” est connu pour sa pensée originale, souvent en marge de son siècle.

Dans ses Confessions, ouvrage autobiographique dans lequel il cherche à se montrer dans toute sa vérité, Rousseau remonte dans le passé de son enfance et de son adolescence, décrivant dans plusieurs passages ses vagabondages en Savoie et en Suisse, propices à à la méditation et aux retrouvailles avec soi-même, loin de la vie mondaine.

De même, dans Les Rêveries du promeneur solitaire (posth. 1782), l’auteur exprime son goût pour le voyage comme échappatoire à l’isolement social dont il souffrait et comme moyen de parvenir à la connaissance de soi. Les Rêveries du promeneur solitaire est considéré comme un témoignage précieux sur les sentiments et les réflexions de Rousseau sur la nature et la vie, Il est écrit dans un style imagé, poétique et introspectif qui rend compte des impressions et des émotions ressenties par l’auteur. Rousseau raconte en particulier comment il trouve un sens à sa vie grâce à la marche dans un paysage montagnard enchanteur transfiguré par les reflets de l’eau et le plaisir de l’herborisation.

Citations autour du thème :

  • “Jamais je n’ai tant pensé, tant existé, tant vécu, tant été moi si j’ose ainsi dire, que dans les voyages que j’ai faits seul et à pied” (Les Confessions, Livre IV)
  • “La marche a quelque chose qui anime et avive mes idées : je ne puis presque penser quand je reste en place […]” (Les Confessions, Livre IV)
  • “[…] je ne puis méditer qu’en marchant.” (Les Confessions, Livre II)
  • “Quand le lac agité ne me permettait pas la navigation, je passais mon après‑midi à parcourir l’île en herborisant […]” (Les Rêveries du promeneur solitaire, Cinquième Promenade)

Illustration : Louis François Charon, « Jean-Jacques Rousseau, en Suisse, persécuté et sans asile ». Gravure d’après Bouchot (Paris, Musée Carnavalet).

Ph. De Selva Coll. Archives Larbor


 

Jonathan Swift, Les Voyages de Gulliver, 1726

Ministre de l’Église anglicane et doyen de la cathédrale St Patrick à Dublin, Jonathan Swift (Dublin, 1667-1745) est célèbre dans le monde entier pour Les Voyages de Gulliver. A la fois roman satirique et conte philosophique, ce tableau utopique propose une magistrale satire des institutions politiques anglaises autant qu’une réflexion sur la nature humaine.

Les Voyages de Gulliver ont été publiés en 1726 sous le titre Travels into Several Remote Nations of the World. In Four Parts. By Lemuel Gulliver, First a Surgeon, and then a Captain of Several Ships1. Le livre se compose de quatre parties où le narrateur, Lemuel Gulliver, décrit ses voyages dans des pays imaginaires : Lilliput, où les habitants ne mesurent que 15 cm de haut, Brobdingnag, le pays des géants, Laputa, île volante gouvernée par des savants hurluberlus et la terre des Houyhnhnms, sages et vertueux chevaux ayant réduit en esclavage les yahoos, caricature des humains.

Associant l’imaginaire à la satire, ces récits décrivent dans un style ironique et poétique les impressions et les réflexions de Gulliver sur les coutumes, les mœurs, les institutions et les mentalités des sociétés rencontrées. Ils mettent en avant les contrastes et les différences culturelles et sociales entre les mondes découverts par Gulliver et la société anglaise de l’époque. Jonathan Swift s’est notamment servi de son éminente position politique pour alimenter une satire virulente contre le despotisme royal et l’intolérance ecclésiastique. Ce récit de voyage imaginaire a inspiré le Candide de Voltaire (1759).

1. Voyages dans plusieurs nations du monde. En quatre parties. Par Lemuel Gulliver, ancien chirurgien, et par la suite capitaine de plusieurs bateaux.

Citations autour du thème :

  • “N’est-ce pas le défaut naturel à tous les hommes de se plaire naturellement à parler et à raisonner sur ce qu’ils entendent le moins.”
  • “Un jour, je confiai au roi qu’il existait des milliers de livres en Europe sur la façon de diriger un pays. Il en fut ébahi et pensa que nous étions des idiots. Il détestait les mystères et les intrigues, et affirmait que l’on pouvait gouverner avec le bon sens, la raison, la justice et l’équité.”
  • “Classé dans Fiction, Les Voyages de Gulliver, de Jonathan Swift, est un roman d’aventure humoristique ; dans Sociologie, une étude satirique de l’Angleterre du XVIIIe siècle ; dans littérature pour enfants, une fable amusante où il est question de nains, de géants et de chevaux qui parlent ; dans Imaginaires, un précurseur de la science-fiction ; dans Voyages, un voyage fabuleux ; dans Classiques, une partie du patrimoine littéraire occidental.” (Alberto Manguel, Une histoire de la lecture, 1998)

Charles Jervas, “Portrait of Jonathan Swift”, © Bridgeman Images


 

Voltaire, Candide ou l’optimisme, 1759

Le 18ème siècle européen est communément appelé Siècle des Lumières. On désigne par cette métaphore une période de progrès par rapport à un « obscurantisme » dans l’histoire des idées visant à « éclairer les hommes » par la connaissance et l’accès au savoir. Parmi cette littérature de combat triomphe le genre du conte philosophique, qui privilégie l’argumentation indirecte pour mieux contourner la censure et dénoncer par l’ironie les préjugés ethnocentristes.

Publié anonymement à Genève en janvier 1759, Candide de Voltaire (1694-1778) est tout à fait représentatif de cette littérature subversive. Le héros, Candide, jeune homme naïf et vertueux, se retrouve malgré lui embarqué dans les pires aventures qui vont progressivement l’amener à remettre en question les préjugés optimistes sur lesquels reposait son éducation. Chemin privilégié pour la quête de soi, le thème du voyage est un motif central du roman : chassé d’un endroit connu et rassurant (le château du baron de Thunder-ten-tronckh), Candide doit faire l’apprentissage de lui-même en se confrontant au monde (réflexion sur le voyage comme apprentissage de l’esprit critique, de la sagesse et de la modération).

Au cours de ses voyages, Candide rencontre des personnages hauts en couleur et traverse des épreuves (guerre, torture, esclavage…) qui remettent en question sa foi dans “le meilleur des mondes” enseignée par son précepteur, Pangloss, caricature du philosophe ethnocentriste et borné. Mûri par l’expérience, Candide va ainsi se former au contact du monde et se transformer dans le temps. Au cours de cette transformation physique, intellectuelle et morale, il va développer des qualités personnelles à l’occasion d’une série de péripéties, qui sont autant d’épreuves qui vont déterminer son destin.

Au terme de cette trajectoire qui l’amène à parcourir la moitié du monde, il accèdera à l’âge d’homme. Renonçant une fois pour toutes aux vaines interrogations sur le sens de la vie et de l’existence, il affirme qu’« il faut cultiver notre jardin », formule frappante qu’il faut interpréter non comme un concept d’enfermement, mais au contraire comme une invitation au voyage critique autour d’un enjeu essentiel : l’ouverture à l’altérité.

Citations autour du thème :

  • Candide à tous ces discours demeurait en extase, et disait en lui-même : « Ceci est bien différent de la Vestphalie et du château de monsieur le baron : si notre ami Pangloss avait vu Eldorado, il n’aurait plus dit que le château de Thunder-ten-tronckh était ce qu’il y avait de mieux sur la terre ; il est certain qu’il faut voyager”.
  • “– Ô Pangloss ! s’écria Candide, tu n’avais pas deviné cette abomination ; c’en est fait, il faudra qu’à la fin je renonce à ton optimisme.
    – Qu’est-ce qu’optimisme ? disait Cacambo.
    – Hélas ! dit Candide, c’est la rage de soutenir que tout est bien quand on est mal.”