La classe de Première S2 du Lycée en Forêt est fière de vous présenter une exposition exceptionnelle : “Dis-moi un Po-aime“… Chaque jour, un(e) élève vous invitera à partager l’une de ses créations poétiques… Bonne lecture !
Textes déjà publiés : Auréline G. “Je me souviens” ; Sybille M. “Une forêt de béton” ; Oscar P. “D’ailleurs” ; Manon B. “Peine naturelle” ; Alexia D. “Énigmatique forêt” ; Charlotte L. et Clémentine L. “L’Isula di Capezza” ; Slimane H.-M. “Le Royaume” ; Camille V. “Voyage mélancolique” ; Héla G. “Noël robotique” ; Arthur M. “La lune tombe” ; Manon B. “Compagne impromptue“… ; Louis A. “Arpège“…
Hier, dimanche 30 mars, Louis A.
Aujourd’hui, lundi 31 mars, la contribution de Sybille (*)
Demain, mardi premier avril : Pierre L.-P. et Victor B.
(*) Retrouvez sur ce site d’autres contributions de Sybille :
_____ – “Une forêt de béton” (poème) ;
_____ – “Colette ou le féminisme humaniste” (travail de recherche)
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« Sur les chemins des hauteurs »
par Sybille M.
Classe de Première S2
Seule dans l’étendue
Bleue, autour de moi les flots perlés
Me portent et m’emportent.
Je touche du bout des lèvres les nuages.
Ils se déroulent dans ma main,
Coulent entre mes doigts,
Font frémir mes sens,
S’effilent et s’enfuient.
Les ineffables, insaisissables nuages.
Au creux de mon âme, du fond de mon cœur,
Je sens leur lumière qui s’échappe
Et m’abandonne dans l’immense.
Seule dans l’étendue
Bleue, plongée dans les flots sombres
Je m’enfonce et m’élève une dernière fois vers le ciel.
Une lueur s’est éveillée
Sur les chemins des hauteurs.
« autour de moi les flots perlés
Me portent et m’emportent.
Je touche du bout des lèvres les nuages… »
Utagawa Hiroshige, « Les tourbillons de Naruto à Awa » (Awa. Naruto no fûha), 1855
Boston, Museum of Fine Arts. Voir aussi le site de la BnF
Le point de vue de l’auteure…
Pour écrire ce poème, qui est d’abord une poésie du ressenti et de l’intériorité, j’ai pensé à « Brise marine » de Mallarmé, dont j’avais profondément été touchée par la thématique symboliste, et plus particulièrement l’appel de la mer, allégorie de l’inconnu et de l’infini. En premier lieu, j’ai centré mon écriture sur l’expression la plus subjective des sentiments : toute poésie n’est-elle pas un dialogue du moi avec le moi lui-même ? Voici pourquoi la fonction expressive est si dominante : écrire, c’est quelque part “s’écrire”…
Cette fonction émotive se retrouve tout au long du poème : « Je touche », « je sens », « Je m’enfonce et m’élève ». Tout comme les grands auteurs romantiques et symbolistes (Charles Baudelaire, Stéphane Mallarmé, Renée Vivien, Anna de Noailles…) qui cherchaient à exprimer par l’art le fond de l’âme du poète, j’ai souhaité faire du poème un moyen de connaissance et d’introspection : ainsi, “les flots perlés” qui “me portent et m’emportent”, en réunissant poésie et musique dans leur fonction expressive de l’harmonie cosmique, sont comme une métaphore de la quête poétique.
Mais j’ai voulu par ailleurs que cette “quête poétique” s’exprime plus encore par les jeux de sonorités qui connotent les vibrations sonores produites par les flots : vibrations primordiales puisqu’elles permettent d’atteindre le ciel, et de “touche[r] du bout des lèvres les nuages”. On retrouve ces jeux de sonorités dans l’image des « ineffables et insaisissables nuages » qui « s’effilent et s’enfuient ». Les sons sont aussi utilisés au début du texte dans l’image des flots perlés [qui] me portent et m’emportent » : les allitérations créent ainsi une sensation de balancement comme celle que l’on éprouve dans la mer quand les vagues nous portent au large.
Au début de cette analyse, j’évoquais Mallarmé. Le lecteur aura en effet compris les allusions à la thématique de la mer que l’on retrouve souvent chez l’auteur de « Brise marine ». La mer est ainsi le lieu des errements, du naufrage, de la solitude et de l’abandon, mais aussi le moment du ressourcement et de la transfiguration. Cette dualité est exprimée ainsi dans le texte :
Seule dans l’étendue Bleue, plongée dans les flots sombres
Je m’enfonce et m’élève une dernière fois vers le ciel.
Si des expressions comme « l’étendue bleue », « les flots sombres » ou « je m’enfonce » expriment le spleen, la solitude ou le mal-être propres à l’adolescence, d’autres expressions du texte viennent infléchir cette impression de malaise : “je […] m’abandonne dans l’immense […], m’élève une dernière fois vers le ciel […] sur les chemins des hauteurs”. Il était important pour moi, tout comme Mallarmé, de dépasser la fatalité de la vie et ouvrir une perspective positive. Ainsi j’ai montré que même dans un spleen profond, il y a toujours un espoir, une lumière, un Idéal : « Une lueur s’est éveillée ».
À ce titre, le lecteur constatera que j’ai utilisé l’image des nuages afin qu’ils symbolisent la recherche de l’inspiration : entre la peur de la page blanche (avec le retour dans les profondeurs « Seule dans l’étendue/Bleue, plongée dans les flots sombres ») et l’éveil “Sur les chemins des hauteurs”. De même, j’ai souhaité apporter un aspect sensoriel à la quête spirituelle en matérialisant l’inspiration « [les nuages] font frémir mes sens » : ainsi les idées du poète deviennent des nuages qui se transforment en essence et s’échappent vers un infini voyage.
Ce symbolisme des nuages, métaphores de l’inspiration m’est venue du poème de Baudelaire « l’Etranger » : les nuages symbolisent ici l’Idéal, en opposition au spleen : ils sont à la fois signes de connaissance, de beauté et de pureté des mots. De plus ils symbolisent l’élévation spirituelle “sur les chemins des hauteurs”. La quête de l’Idéal est exprimée par l’élévation finale et sa verticalité. À l’enfoncement dans les flots, s’oppose la montée vers la lumière : “Je m’enfonce et m’élève une dernière fois vers le ciel”. C’est ainsi que pour finir, le voyage est évoqué avec le mot « chemins » au dernier vers qui signifie ici la voie vers la spiritualité, en amont de tout dualisme.
L’aspect vertical des « hauteurs » souligne l’idée du voyage spirituel, en tant que symbole d’ascension, d’élévation vers le Ciel. De plus le mot « hauteurs » qui connote ici l’ascension de la montagne exprime l’idée que, ayant atteint l’ultime hauteur axiale, l’on peut retrouver l’intégrité spirituelle originelle. Cette élévation spirituelle d’essence primitiviste est à relier à la théorie de la « Co-naissance » dont parlait si bien Claudel, tant il est vrai que toute connaissance est une “co-naissance” : naître à soi-même par l”écriture, pour mieux être à soi-même, n’est-ce pas là l’essence de la poésie ?
© Sybille M., classe de Première S2 (promotion 2013-2014), mars 2014.
Bruno Rigolt/Espace Pédagogique Contributif
Richard Strauss, “In Abendrot” (“Dans le flamboiement du couchant”)
Vier letzte Lieder (Quatre derniers lieder)
Cantatrice : Renée Fleming
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