Pendant le mois de mai et le mois de juin seront mis en ligne une série d’articles de recherche préparés par les élèves de Seconde 1 et de Seconde 12 du Lycée en Forêt dans le cadre de la grande exposition : “Le Romantisme en France et en Europe”. Chaque semaine, un ou plusieurs exposés seront publiés…
Après l’exposé de Roman R. consacré à la guitare romantique je vous propose de découvrir ce remarquable travail de recherche..
Le Romantisme russe
par Clarisse Q. Sarah B. et Mylline Z.
Classe de Seconde 1 (promotion 2011-2012)

Aux origines du projet…
Nous n’avions pas beaucoup d’idées d’exposé sur le thème du Romantisme. Nous avons donc dans un premier temps pensé étudier ce mouvement dans un pays en particulier : Italie, Angleterre, Allemagne… Nos recherches n’ont pas vraiment abouti, et puis nous sommes tombées un peu par hasard sur le roman Anna Karénine de Léon Tolstoï que nous ne connaissions aucunement. Nous avons commencé par visionner le film de Bernard Rose avec Sophie Marceau dans le rôle d’Anna, puis entrepris de lire le roman. Ce magnifique drame romantique nous a tout de suite plu. Après des recherches sur l’auteur et son œuvre, nous avons finalement élargi notre exposé au Romantisme russe, notamment à la poésie de Pouchkine et de Lermontov ainsi qu’à la peinture, ce qui nous a permis d’étudier un Romantisme « pur » par opposition au roman Anna Karénine qui porte déjà l’influence du Réalisme. Ainsi, l’étude de ces trois arts nous a semblé nécessaire afin d’avoir la vision la plus exhaustive possible du Romantisme en Russie…
← l’affiche du film Anna Karenine de Bernard Rose (1997) avec Sophie Marceau
SOMMAIRE
Première partie : du Sentimentalisme au Romantisme
1-1 Le Romantisme russe et son contexte
1-2 La peinture
1-3 La poésie romantique russe : Pouchkine et Lermontov
Deuxième partie : du Romantisme au Réalisme
2-1 Anna Karénine, un “roman d’adieu au Romantisme” ?
Un drame romantique : le couple Anna-Vronski
2-2 Un roman qui reflète la transition vers le Réalisme
Annexe : Emma Bovary et Anna Karénine : deux héroïnes au caractère passionné dans un cadre réaliste…
Introduction générale
La Russie étant un pays de l’Orient, sa culture littéraire, pourtant très riche, est assez mal connue en Occident, notamment à cause des problèmes rencontrés pour traduire la langue russe qui s’exporte peu, même encore de nos jours. Or, comme il a été justement dit, la littérature est ”le miroir dans lequel se reflète un peuple entier”(1), elle est donc essentielle à la compréhension de l’identité d’un pays. Ainsi, semble-t-il pertinent de s’interroger sur les mouvements culturels qui ont parcouru l’histoire de la Russie. Nous nous intéresserons dans cette étude au Romantisme, mouvement tardif et court en Russie qui a été largement influencé par l’Occident, tout en s’émancipant des cultures européennes par un retour aux traditions. Nous verrons également qu’il a très rapidement laissé la place au Réalisme.
À travers quelques œuvres précises, nous chercherons à comprendre tout d’abord l’influence qu’à eue le Romantisme sur la Russie. Ainsi, nous commencerons par l’analyse de deux tableaux de la peinture romantique russe “La traversée du Dniepr par Nikolaï Gogol” ainsi que “La Tempête” (ou Le chêne foudroyé”) que nous comparerons à des œuvres picturales occidentales (2). Dans un second temps, nous nous attarderons sur la poésie, à travers la « Conversation entre un libraire et un poète » de Pouchkine, écrivain à l’origine de la grande littérature russe, et qui a inspiré un nombre considérable d’auteurs, dont les plus illustres sont Lermontov, Gogol, Tolstoï, Dostoïevski, Tourgeniev ou encore au siècle suivant Blok, Boulgakov… Mis en musique par les plus grands, à commencer par Tchaïkovski, il a été traduit par Prosper Mérimée et sa nouvelle La Dame de Pique sera adaptée prochainement par le réalisateur russe de Taxi Blues et Tsar.
Nous présenterons également un autre grand poète, Lermontov, dont nous étudierons le très beau texte lyrique « La voile ». Enfin, nous achèverons notre recherche par l’étude du roman Anna Karénine de Léon Tolstoï, qui marque déjà la transition vers le Réalisme. Ce roman, reconnu comme l’une des œuvres marquantes du XIXe siècle, a inspiré et continue d’inspirer le cinéma : on compte pas moins de six films de 1914 à 1997 et une septième adaptation doit sortir prochainement (de Joe Wright, le réalisateur d’Orgueils et Préjugés, avec Keira Knightley et Jude Law).
Ivan Aïvazovski, “La Neuvième Vague” (1850)
Première partie
Du Sentimentalisme au Romantisme
1-1 Le Romantisme russe et son contexte
Apparu trente ans plus tard qu’en Allemagne, à l’époque où la réaction antiromantique se développait en Occident, le mouvement romantique russe a été de courte durée (1825-1840). Nous commencerons cette étude par un bref rappel du contexte historique et littéraire dans lequel est né le Romantisme en Russie.
Vers la fin du XVIIIe siècle, la culture russe évolue sous l’influence de l’idéologie des Lumières, qui vise à transmettre le savoir pour combattre l’ignorance, l’absolutisme et le servage. À ce titre, le pays entretient des relations nombreuses avec l’Occident et les universités se développent. Ces tendances idéalistes et libérales s’emparent en effet des esprits de la jeune Russie, amenant cependant à une répression importante. “Pendant la période de réaction aux idées des Lumières, les intellectuels, les professeurs et les enseignants sont persécutés par les autorités. La quasi-totalité de la première génération d’intellectuels, formée à l’université de Moscou, est poursuivie à cause de sa libre-pensée” (3).
Voici comment l’encyclopédie en ligne Larousse présente ce contexte : “La fin du XVIIIe siècle est donc une époque de gestation, où les thèmes nationaux et la sensibilité personnelle s’accordent à la sensibilité préromantique de l’Europe. Karamzine (1766-1826), introducteur du Sentimentalisme, inaugure les premiers grands récits en prose, et surtout milite en faveur d’une langue russe libérée des archaïsmes. Il a ses partisans, regroupés dans la société Arzamas”, une sorte d’académie qui a été, pour le romantisme russe, le centre d’attaque et de résistance contre les classiques.
← Vasily Tropinin, portrait de Nikolaï Karamzine (1818). Détail
György Mihály Vajda dans Le Tournant Du Siecle Des Lumieres, nous éclaire sur cette période d’intenses transformations : “La crise du sentimentalisme russe, écrit-il, survient entre 1800 et 1810. […] Zukovskij (1783-1852) qui présente d’ailleurs certains rapports non seulement avec la poésie, mais aussi avec la peinture romantique allemande (Caspar David Friedrich), constitue une transition entre le sentimentalisme et le romantisme, qui deviendra très caractéristique de l’Europe orientale” (4). Comme il a été remarqué à juste titre, “la poésie de Byron est une véritable révolution pour les Russes aux alentours de 1820. Ses contes orientaux provoquent des passions et sont immédiatement traduits et imités. En vingt ans, près de 200 poèmes épiques et lyriques byroniens sont composés. Pourtant, Pouchkine et Lermontov sont les seuls véritables créateurs de poésie lyrique épique” (4).
Karl Brioullov, portrait de Vassili Joukoski (1837). Détail →
C’est à cette période que commence un véritable “âge d’or” de la poésie russe. D’une part, les poètes décabristes (ou “décembristes”), s’inspirant des idéaux de la Révolution française, vont concourir à l’épanouissement d’un romantisme révolutionnaire et national. D’autre part, dans la lignée de Pouchkine (1799-1837), va se développer une intense période de renouvellement de la langue et des idées, qui “ouvre des perspectives neuves à la fois à la poésie et à la prose, au théâtre et à la nouvelle, en réussissant une synthèse de la tradition et des influences étrangères” (Encyclopédie en ligne Larousse, op. cit.). En 1820, Pouchkine est condamné à l’exil dans le Caucase par le tsar Alexandre Ier : ces six années d’exil sont essentielles pour l’inspiration de Pouchkine, c’est là qu’il conçoit ses poèmes romantiques dont “La fontaine de Bakchisarai” ou la “Conversation entre un libraire et un poète” que nous étudierons plus spécifiquement.
Nous avons trouvé dans l’ouvrage collectif publié par l’UNESCO Histoire de l’humanité (5) ces propos qui nous ont paru très intéressants : “Pouchkine porte un grand intérêt au folklore et à l’histoire de la nation, qui lui fournissent les sujets de ses célèbres contes […]. Cependant, ce sont la vie et les sentiments de l’homme noble et instruit de son époque qui constituent le thème central de son œuvre […]. Ce dialogue avec la culture folklorique et cette quête de la connaissance de soi évoluent en étroite connexion avec la culture européenne vers une réinterprétation de ses thèmes principaux”.
Un autre grand poète qui s’impose également est bien sûr Lermontov (1814-1841). Nous consacrerons dans notre exposé plusieurs paragraphes à son œuvre.
← Alexandre Pouchkine par Vassili Tropinine (1827)
Les genres caractéristiques de la poésie russe sont l’épître, la ballade, la chanson et l’élégie. Mais nous verrons dans a suprématie de ce courant littéraire n’est cependant que de courte durée. De fait, les œuvres de Lermontov et de Gogol (1809-1852) reflètent déjà la transition vers le réalisme : les sujets qui retiennent les écrivains ne sont plus les mêmes. Après 1840, les poètes qui suivaient la voix de Pouchkine se dispersent : c’est la fin du Romantisme.
1-2 La peinture romantique russe
Comme les romantiques français, les écrivains et artistes russes voyagent. Certains vont en Orient : c’est « le Grand Tour » ou en Italie « le Petit Tour » : à ce titre, toute une série de toiles seront peintes dans la péninsule. Voici ce qu’affirme Didier Rykner dans La Tribune de l’Art à propos des peintres russes de cette époque : “Souvent formés en France ou par des artistes français, ayant beaucoup voyagé, en Allemagne notamment, les peintres russes montrent ce qu’ils doivent à l’art de ces deux pays, même s’ils possèdent leur propre originalité. On pourrait ainsi évoquer l’exemple des paysagistes germaniques, Friedrich en premier lieu, dans des œuvres comme La Traversée du Dniepr par Nikolaï Gogol d’Anton Ivanovitch Ivanov ou La Tempête de Maxime Nikiforovitch Vorobiev mais ce serait sans doute fort réducteur, tant ces toiles traduisent un sentiment encore différent et indéfinissable”.
Comparaison de “La Tempête” (“Le chêne foudroyé”) de Maxime Nikiforovitch Vorobiev (1842) avec “l’arbre aux corbeaux” de Caspar David Friedrich (1822)


Commençons notre étude comparative avec le tableau de Friedrich. Ce qui s’impose d’emblée, qui est l’une des caractéristiques récurrentes du peintre, est la représentation de cette nature tourmentée qui en est le thème principal. À cet égard, le contraste entre la vie et la mort est saisissant : c’est l’hiver et l’arbre demeure désespérément seul dans ses tourments.
Le tableau « La Tempête » semble beaucoup plus violent : à la nature tourmentée s’ajoute le pathétique du mal du siècle, cette inadaptation à la marche du temps, ainsi qu’un sentiment non moins saisissant de lugubre. C’est la tempête dans la nature mais également dans l’âme humaine. Le paysage représenté a été d’ailleurs perçu comme une allégorie de la mort de Kleopatra Vorobiev, la femme de Nikiforovitch Vorobiev. Regardez combien l’image de l’éclair aveuglant se combine avec la furie des trombes aériennes ! La violence déchaînée des torrents d’eau est également renforcée par la vue de la vallée sauvage. Les éclairs qui brillent dans le lointain annoncent la possibilité de catastrophes ultérieures, la dynamique de la couleur accompagne l’entrechoquement de la lumière et de l’ombre. Le peintre veut faire de sa souffrance une catastrophe universelle. Personne ni avant ni après lui n’invoquera une telle violence des émotions à travers la peinture de la nature, qui prend ici une dimension presque apocalyptique !
En conclusion, ces tableaux inspirent une mort certaine et solitaire malgré un but différent apparent. Le russe Vorobiev veut faire de son cas une « généralité » contrairement à Friedrich qui reste plus individualiste et contemplatif dans sa peinture.
Comparaison de “La traversée du Dniepr par Nikolaî Gogol” (Ivanivitch Ivanov, 1845) avec Julie et Saint-Preux sur le lac Léman” de Charles Crespy le Prince (1824)


Peint en 1824, le tableau de Charles-Edouard Crespy le Prince relève de la sensibilité romantique. Il évoque d’ailleurs un épisode célèbre du roman épistolaire Julie ou la Nouvelle Héloïse rédigé en 1761 par Jean-Jacques Rousseau. Pour une analyse complète du tableau, cliquez ici. Bornons-nous ici à quelques remarques rapides, qui reprennent pour l’essentiel l’analyse publiée dans l’Espace Pédagogique Contributif : L’expression des sentiments est magnifiquement exprimée par le peintre. De fait, l’immensité horizontale du lac évoque l’évasion et l’ailleurs. Sa contemplation, mêlée au murmure apaisant des rames glissant sur l’eau, plonge le spectateur dans la méditation et le recueillement. Cependant, ce spectacle grandiose connote aussi le pathétique tragique, car Julie et Saint-Preux ne peuvent vivre leur amour. Quant à la profondeur du lac, elle laisse présager un destin funeste, suggérant que le bonheur est à jamais perdu. Le paysage, typiquement romantique, symbolise donc à la fois le dépaysement, l’immensité, l’infini, mais par contraste le désordre des sentiments, les orages du cœur, les tempêtes de l’amour… Plus qu’un paysage qui fait rêver, on devine les déchirements de Julie et de Saint-Preux, on imagine combien nos deux amoureux seront voués à la souffrance !”
Quant à Ivanov (1806-1858), à la différence de Friedrich dont la réputation outre Rhin n’est plus à faire depuis longtemps, c’est un peintre peu connu en Occident, la plupart de ses œuvres étant exposées en Russie. C’est pourtant un artiste exceptionnel mais il est vrai “académiste”, ce qui lui sera reproché sévèrement. Dans ce tableau qui allie avec bonheur les règles du classicisme à l’imaginaire romantique, Ivanov réinvestit les contes populaires racontés dans son enfance par les paysans auxquels il rendait visite. Tout semble en effet hors du temps : le réel et l’imaginaire se côtoient à merveille pour créer un paysage presque onirique, situé au cœur de l’affectif du sensible.
Comme il a été justement noté, “l’artiste crée le tableau poétique d’une soirée paisible, quand les derniers rayons du soleil couchant glissent sur la surface lisse de l’eau endormie, inondent le ciel de leur reflet rose et jaune, rejaillissent en reflets rouges sur les pentes des falaises de la berge. « Superbe est le Dniepr par beau temps ! », s’écriait Gogol, et la calme majesté du vaste fleuve, charriant ses eaux lentes, n’est pas altéré par les scènes de genre insérées dans la composition du tableau : les barques qui avancent, les pêcheurs sur la berge” (6). De fait, on a l’impression qu’il n’y a presque plus de différence entre la perception du réel et l’onirisme.
Comme chez Crespy le Prince, le spectacle de l’eau, mais aussi le coucher du soleil sont propices à une vaste méditation qui emporte le spectateur dans l’imaginaire : au spectacle grandiose du Léman correspondent la majesté et l’immensité du Dniepr qui laisse place à une rêverie qui n’en finit pas. De même, le coucher du soleil est important car il connote chez les Romantiques la fuite vers un ailleurs indéterminé. Dans les deux tableaux, les embarcations semblent d’ailleurs se diriger vers un lointain non précis qui sollicite l’émotionnel et l’affectif. Comme nous le comprenons grâce à ces deux tableaux, le Romantisme est bien le mouvement qui, faisant communier le réel et l’imaginaire, amène à saisir l’invisible dans le visible.
1-3 La poésie romantique russe : Pouchkine et Lermontov
1-3-1 Notes biographiques sur Pouchkine
1-3-2 Étude de la poésie : “Conversation entre un libraire et un poète” (extraits)
1-3-3 Biographie de Lermontov
1-3-4 Étude du poème “La Voile”
Dans les années 1820, la poésie russe connaît une véritable renaissance avec les poètes “décabristes” en particulier Lermontov et Pouchkine. C’est sur ce dernier que nous nous attarderons ici.
« Il ne suffit pas d’être poète pour être poète national ; il faut encore être pour ainsi dire, élevé au sein de la vie de son peuple, il faut partager les espérances de sa patrie, ses aspirations, ses pertes, en un mot, vivre de sa vie, et l’exprimer involontairement en s’exprimant soi-même »
Pouchkine
cité par Alexandre Koyré, Études sur l’histoire de la pensée philosophique en Russie,
éd. J. Vrin, Paris 1950. Page 165
1-3-1 Notes biographiques sur Pouchkine
Né à Moscou le 26 mai 1799 et mort en 1837, Pouchkine est issu d’une famille de vieille noblesse amatrice d’arts et de littérature. Sans nul doute, Pouchkine peut être considéré come le chef de file de l’école romantique en Russie (7) : c’est en effet lui qui donna à la littérature russe ses lettres de noblesses en l’affranchissant des cadres normatifs étrangers. Dans ses œuvres (la plupart censurées et devant être publiées à l’étranger), il réclame pour son pays égalité, justice et liberté. De par ses origines, Pouchkine se sent en effet investi d’une responsabilité historique et politique à l’égard de la nation russe. C’est par la lecture des textes de Voltaire qu’il façonne d’abord ses idées : particulièrement “son idéal esthétique de clarté, de sobriété, de mesure” ainsi que “son idéal politique […] fondé sur une conception rationaliste des droits naturels de l’homme garantis par la souveraineté des lois” (8).
Condamné à l’exil par Alexandre Ier, en 1820 et exclu de l’armée en 1823 , il fréquente des amis libéraux et rencontre les futurs conjurés décembristes. Durant cette période d’exil il découvre Byron dont les poèmes lui fourniront des modèles pour ses poèmes du Sud comme : “La Fontaine de Bakhtchisaraï” ou “Le Prisonnier du Caucase“.
Pouchkine mène une vie de bohême, faite de conquêtes amoureuses et de frasques qui lui valurent plusieurs duels dont il sortira indemne, sauf le dernier qui lui sera fatal. Il meurt à l’âge de trente-sept ans, des suites d’une blessure reçue lors d’un duel avec son beau-frère, le baron d’Anthès, qui aurait courtisé sa femme. Lermontov écrit alors en 1837 la célèbre poésie intitulée « La Mort du poète ».
Les œuvres de maturité de Pouchkine sont évidemment les plus essentielles. Sans entrer dans les détails, nous reprenons ici quelques informations que nous avons trouvées sur Internet et qui nous ont paru intéressantes :
Source : http://www.oocities.org/ambrusgui/russia/pushkin.html
1-3-2 Étude de la poésie “Conversation entre un libraire et un poète” (extraits)
À quoi puis-je ici-bas prétendre?
On me bat froid. Est-il resté
Dans mon cœur une image aimable ?
L’amour, l’ai-je vraiment goûté ?
[…]
Eh quoi ! Mes soupirs amoureux
Et mes paroles vont paraître
Délire abscons d’un malheureux.
Un cœur les comprendra peut-être,
Non sans un morne frisson. Oui,
Tel est le sort. Il faut l’admettre.
Ah ! Faire renaître aujourd’hui
La poétique rêverie.
Oui, seul ce cœur débrouillerait
Tout le flou brumeux de mes rimes.
Elle seule en moi brûlerait
D’un amour aux flammes sublimes.
Elle repousse de la main
Et mes prières et ma détresse.
Texte extrait de l’anthologie Pouchkine. Choix de poésies, traduit du Russe par Charles Weinstein, L’Harmattan Paris 2011, page 53. Voir aussi cette autre traduction.
C’est en 1824, alors qu’il a vingt-cinq ans et qu’il traverse une diffcile période liée à l’exil, que Pouchkine rédige la « Conversation entre un libraire et un poète ». L’auteur y exprime ses doutes et un certain rejet de la société, qui est l’une des caractéristiques inhérentes au Romantisme. Particulièrement lyrique, ce passage pourrait être considéré comme un épanchement, tant il privilégie la tonalité affective : nous retrouvons en effet l’expression déplorative des sentiments et l’exaltation du moi.
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Plusieurs thèmes apparaissent, notamment un certain rejet de la vie, qui au yeux du poète à perdu de son importance, de sa valeur. De fait, il évoque à plusieurs reprises cette envie de fuir le temps et de réenchanter le monde grâce au pouvoir évocateur de la poésie.
On pourrait à ce titre mentionner avec quelle vigueur expressive ce “poète maudit” exprime ses doutes sur sa vie sentimentale et sur son passé, ainsi que sa méfiance vis-à-vis d’une société qui le rejette. Nous retrouvons cet aspect par exemple dans ces vers désabusés aux tonalités si pathétiques :
À quoi puis-je ici-bas prétendre?
On me bat froid. Est-il resté
Dans mon cœur une image aimable ?
L’amour, l’ai-je vraiment goûté ?
Doutes et interrogations sur le sens de l’existence humaine se succèdent : le je lyrique semble ici plein d’amertume et de désespoir ; n’oublions pas, comme nous l’avons mentionné dans notre notice biographique que cet être épris de liberté qu’est Pouchkine a été proche des “décembristes”, ce qui explique sans douute se révolte. Même si le romantisme russe est spécifique, on pense quand même à Baudelaire ou à Byron… L’antithèse entre le présent, sans amour et dénué d’intérêt, et la nostalgie d’un passé probablement heureux est renforcée par la tonalité mélancolique qui affecte le texte.

1-3-3 Notes biographiques sur Lermontov
Né le 15 octobre 1814 à Moscou, Mikhaïl Iourievitch Lermontov est avec Pouchkine un “sommet de la poésie” russe. Souvent appelé le « poète du Caucase », il doit ce qualificatif à la vie d’exil qu’il a menée : officier dans l’un des régiments qui faisaient la conquête du Caucase, celui-ci a passé sa courte vie dans les montagne lesghiennes, où il a été exilé pour des écrits jugés subversifs par la censure impériale (en particulier son hommage à Pouchkine dans “La mort du poète“). C’est là qu’il composera ses poèmes les plus fameux. Il meurt en duel à l’âge de 26 ans.
Katkóv écrira d’ailleurs : “Tous les grands poètes russes connaissent le même sort. Ils succombent tous à une mort violente : Griboédov, Pouchkine, Lérmontov…”. Cité par Daniel Cunin dans Histoire de la littérature russe de 1700 à nos jours, Presses Universitaires du Mirail, Toulouse 2003, page 77.
Extrait du Petit Futé Russie (2012-2013), page 492. Pour accéder au document complet, cliquez ici →
De cette vie d’errance à travers la Russie reculée et les monts du Caucase, lui viendra l’image d’un poète-prophète, souvent en rupture avec la société. Ainsi en 1838, “il rédige un poème dans la lignée du Faust de Goethe qu’l intitule Le Démon. Dans ce poème, l’auteur reprend le mythe de Satan et met en scène un ange déchu aspirant au salut de son âme grâce à l’amour qu’il voue à une mortelle” (9).
Plus encore que Pouchkine, Lermontov est l’exemple même du poète romantique. Très marqué par la poésie de Byron, il sera fortement affecté par la mort de Pouchkine. L’essayiste russe Alexandre Herzen, n’hésite pas à ce titre à affirmer que “le coup de revolver qui a tué Pouchkine, tira Lermontov de son sommeil”. De cet événement traumatisant, l’auteur conservera toute sa vie la tonalité douloureuse dont tous ses vers sont empreints.
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La poésie de Lermontov est parcourue par le souffle douloureux de l’exil. Il en ressort un regard triste et souvent pessimiste sur l’existence humaine. De là ce sentiment d’inanité et de vide dont son poème « La voile » est un parfait exemple.
Notons enfin que la plupart des poèmes de Lermontov sont fortement connotés politiquement : son exil en effet l’amènera à cultiver sa “nature sombre, misanthropique, froidement railleuse. Ses œuvres sont la fidèle expression de l’amertume presque continuelle de sa pensée” (10).
Terminons cette brève présentation par ces propos de Lermontov qui ont valeur d’autoportrait : “J’ai vécu sous l’empire d’une unique pensée, d’un unique désir, mais ardent, passionné…” (Cité par François Cornillot, “Lermontov ou la soif éternelle” Cahiers du monde russe et soviétique, année 1976, volume 17, numéro 17-1, pages 81-111. Article consultable sur Persée. Article téléchargeable en cliquant ici.
1-3-4 Étude du poème “La Voile”
Écrit en 1831, « La Voile » est un poème allégorique dans lequel Lermontov, en s’identifiant à une voile, exprime son mal-être ainsi que sa quête désespérée du bonheur…
La Voile
Une voile blanche et solitaire apparaît
Dans le brouillard bleu des mers. ―
Que cherche-t-elle en terre lointaine ?
Qu’a-t-elle quitté dans son pays ?
Les vagues jouent, le vent siffle,
Le mât ploie et s’écrie ;
Hélas ! ― ce n’est pas le bonheur qu’elle cherche
Et ce n’est pas le bonheur qu’elle fuit ! ―
Au dessous d’elle, un courant plus clair que l’azur
Au dessus d’elle, un rayon doré de soleil : ―
Mais elle, rebelle, réclame la tempête,
Comme si dans les tempêtes se trouve la paix !
Sans nul doute possible, “La Voile” de Lermontov exprime remarquablement cette quête éperdue du bonheur chantée par les Romantiques. De fait, cette voile ne part-elle pas pour un voyage “en terre lointaine” ? Dès lors, une question traevrse notre esprit : pourquoi part-elle, vers quel lieu de la Terre, dans quel but ? Rien ne semble plus la retenir, plus rien ne la rattache à la société : on peut donc déduire que cette voile est malheureusement à la recherche de l’impossible lieu d’un impossible bonheurdu bonheur… En vain, car cette ette voile a perdu espoir à jamais : cette quête n’est donc qu’échec en ce bas monde.

Par certains aspects, on songe à “Brise Marine” de Mallarmé… De fait le voyage est associé à l’idée de fuite : la mer, assez calme au début s’anime soudain dans la deuxième strophe : les vagues ”qui jouent” et le vent “siffle” célèbrent presque la tempête. Dans un style certes très différent, on pourrait évoquer ici le fameux “Bateau ivre” de Rimbaud : la tempête est en effet associée à l’idée d’une transfiguration après la mort selon une symbolique mélodramatique souvent exploitée par les Romantiques. La fin du poème est comme l’avènement d’un paysage soudain paisible, plus pur que le ciel, inaccessible aux lois de l’ordonnance humaine.
Notons à cet égard combien la voile est “rebelle” : elle s’oppose aux règles, à la société et à ses codes. De là ce goût du risque et de la transgression célébré par tous les Romantiques : dans le monde spleenétique, trop calme et trop paisible, la voile est l’allégorie du bonheur introuvé et qui n’a de cesse de célébrer dans la tempête, le mal et le coté obscur de la vie, pour atteindre enfin l’idéal. On pourrait ici évoquer ce qu’on a appelé le romantisme noir cher à Baudelaire, Rimbaud et plus encore le Lautréamont des Chants de Maldoror.
Comme nous avons essayé de le montrer dans cette première partie de notre exposé, le Romantisme européen a joué un rôle prépondérant dans la culture russe. Ainsi, Byron a très largement inspiré des auteurs comme Pouchkine notamment. On peut également noter la forte influence française que ce soit dans la littérature mais aussi en peinture. Mais si le Romantisme russe s’est largement inspiré des cultures européennes, il s’est forgé une identité propre qui lui a permis de s’affranchir progressivement des influences occidentales…
Clarisse Q. Sarah B. et Mylline Z.
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Notes
(1) A. de Villamarie, avant-propos du roman de Mikhaïl Lermontov, Un héros de notre temps. Bibliothèque russe et slave.
(2) La peinture romantique russe a d’ailleurs fait l’objet d’une remarquable exposition au musée de la Vie romantique à Paris du 28 septembre 2010 au 16 janvier 2011.
(3) Histoire de l’humanité : 1789-1914 (collectif), publié par l’UNESCO, Coll. “Histoire Plurielle”, Paris 2008, page 846.
(4) György Mihály Vajda (sous la direction de), Le Tournant Du Siecle Des Lumieres, John Benjamins/Association Internationale de Littérature comparée, Budapest 2002 page 65.
(5) Histoire de l’humanité, op. cit. pages 502-503.
(6) Svetlana Stepanova, à propos du tableau lors de l’exposition “La Russie Romantique” (Musée de la Vie Romantique, Paris. Exposition du 28 septembre 2010 – 16 janvier 2011)
(7) Même si “la période romantique de Pouchkine sera relativement brève”. Charles Weinstein, Pouchkine : Choix de poésies, page 8.
(8) Encyclopedia Universalis, article “Pouchkine“.
(9) Cosimo Campa, La Littérature européenne, Studyrama 2005, page 68.
(10) Au bord de la Néva. Contes russes, traduits par Xavier Marmier, Paris 1865, page 2.
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Relecture et vérification du manuscrit : Bruno Rigolt
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