Ce cours de Culture Générale a pour but de présenter aux étudiant(e)s un mouvement poétique et artistique peu ou mal connu : le Futurisme.
La poésie futuriste
Les mots à la « sauce italienne »
–Filippo Tommaso Marinetti, Irredentismo, 1914
(collage, Lugano, coll. privée) © Tous droits réservés.
vingtième siècle est le siècle des avant-gardes artistiques et littéraires : Art nouveau, Cubisme, Expressionnisme, Surréalisme, Futurisme, Théâtres de l’Absurde, Existentialisme, Nouveau Roman… Autant de mouvances culturelles qui ont profondément remis en question l’ordre établi ainsi que les structures sociales et politiques. Comme le Surréalisme dont il est assez proche par certains aspects, le Futurisme affichera un goût prononcé pour l’expérimentation de tout ce qui est nouveau : Changer le monde, faire table rase du passé.
Filippo Tommaso Marinetti,
« Analogie dessinée », (Zang Tumb Tumb), 1914
Comme le dit Noëmi Blumenkranz-Onimus, avec le Futurisme, « la subversion de l’écriture, l’éclatement du langage deviennent alors un fait littéraire »¹. Mais jamais à la différence d’autres courants artistiques, le futurisme ne deviendra un mouvement structuré : c’est plutôt une sensibilité artistique, faite d’abord de provocation et d’illogisme.
Filippo Tommaso Marinetti :
“ la Caffeina dell’Europa ”
La figure centrale du Futurisme est le poète italien Filippo Tommaso Marinetti (1876-1944). Celui qui se surnommera lui-même « la caféine de l’Europe » est à la fois un anarchiste réfractaire à toute forme de morale et un fervent nationaliste (assez populiste au demeurant), qui revendique haut et fort son italianisme. Le 20 février 1909 il choisit pourtant Le Figaro pour publier le Manifeste du futurisme, texte provocateur qui fit scandale : Marinetti y faisait entre autres l’apologie de la violence, de la guerre et entendait faire table rase du passé : l’auteur prônait ainsi la destruction des musées et des académies. Au-delà des excès et de son exubérance verbale, ce texte a profondément marqué l’histoire des idées au vingtième siècle.
nous voulons exalter le mouvement agressif, l’insomnie fiévreuse, le pas gymnastique, le saut périlleux, la gifle et le coup de poing
Filippo Tommaso Marinetti |
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De fait, en tant que mouvement d’avant-garde, le Futurisme apparaît à une époque de profonds bouleversements idéologiques dans la culture européenne. Le culte du progrès et du scientisme, largement célébré dans la poésie futuriste, débouche donc sur l’affirmation d’un renouvellement des idées dans la ligne de l’héritage révolutionnaire et idéaliste du Risorgimento italien. La thématique des poèmes mêle à la fois l’expérience de la “voyance” (le poète est “inspiré”, cf. Rimbaud), et une apologie de la violence, de la vitesse et de la machine.
Témoin ces vers extraits d’un poème d’Enrico Cavacchioli : « Sia maledetta la luna » (« Que soit maudite la lune ») :
Si tu veux vivre, crée un beau cœur mécanique […]
Tu dois faire de la vie un rêve automatique
tourmenté de leviers, de contacts et de fils […]
l’homme sera demain le roi de la machine brute,
dominateur de toutes les choses finies et infinies !
Que soit maudite la lune !
Cette réflexion esthétique et l’expérience de la guerre va pousser les Futuristes à élaborer un vaste programme théorique. En 1912 Marinetti rédigera le Manifeste technique de la littérature futuriste, texte très intéressant d’un point de vue artistique et sociologique, suivi d’un long supplément quelques mois plus tard. Son auteur y joint un poème (”Bataille Poids + Odeur”) écrit avec la “technique des Mots en Liberté”. Très révolutionnaires tant du point de vue de la forme que des idées, les poèmes de Marinetti se proposent de créer des analogies dessinées, sortes de métaphores visuelles qui vont profondément transformer les règles de l’écriture poétique. Sa théorie des Mots en Liberté est basée d’abord sur la destruction de la syntaxe : à commencer par l’abolition de la ponctuation et de la structure grammaticale (déjà mise en pratique par des poètes français comme Mallarmé).
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“Les mots en liberté” ou l’art de libérer le langage
Pour délivrer le langage de ses règles, Marinetti va forger l’expression de “Mots en liberté” : il s’agit pour lui d’« intégrer à la poésie les récentes conquêtes de la peinture futuriste : la simultanéité et le dynamisme »². D’un point de vue typographique, ces “tableaux-poèmes” sont particulièrement intéressants à étudier. Regardez par exemple ce poème au très long titre : “Le soir, couchée sur son lit, elle relit la lettre de son artilleur” (Les Mots en Liberté futuriste, 1919). Ici la surcharge graphique ou au contraire les “blancs” ménagés avec art, l’utilisation des signes, des symboles, des onomatopées, les tailles des polices de caractère, les disproportions typographiques, etc. concourent à créer pour le lecteur une nouvelle expérience de la lecture de poème.
Jean Weisgerber parle à ce titre d’« une redynamisation de la peinture en tant qu’écriture et de l’écriture en tant que peinture »³. Cette révolution typographique amène à une sorte de transformation du langage lui-même : l’importance des onomatopées, les déformations de mots ont pour but d’offrir au lecteur une perception globale et synthétique, à la différence de la lecture “linéaire”. Assez proches de certains collages cubistes, les poèmes de Marinetti sont donc intéressants à découvrir et constituent une approche originale des mouvements artistiques avant-gardistes de la première moitié du vingtième siècle.
Crise et déclin du mouvement
Le mouvement initié par Marinetti ne survivra pas à la formation du Dadaïsme et surtout du Surréalisme en France. De plus, le Futurisme va s’orienter à partir des années Vingt vers des solutions radicales (les dérives fascistes en particulier) qui vont l’affaiblir puis le discréditer. Reste une initiative originale et novatrice d’un point de vue littéraire et artistique, qui préfigure la poésie visuelle contemporaine ou certains mouvements de Contreculture comme le Ready made ou le Pop’art, mouvements qui ont revendiqué à leur tour cette fonction contestataire du signe iconique ou linguistique.
En désacralisant le mot et « la signification langagière traditionnelle des gestes d’écriture et de graphisme »⁴, et en les libérant du culte de la tradition, le Futurisme a du même coup transformé l’acte de lecture du texte : ce n’est plus la lecture linéaire qui importe mais une lecture “spatiale” dominée par la simultanéité : lecture beaucoup plus suggestive et « plurielle » qui permet une multitude d’approches du fait qu’elle renferme une richesse sémantique et symbolique inouïe.
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- Noëmi Blumenkranz-Onimus, La Poésie Futuriste italienne, éd. Klincksieck, Paris 1984, page 8.
- ibid. p. 25
- Jean Weisgerber, Les Avant-gardes littéraires au XXe siècle (Université libre de Bruxelles. Centre d’étude des avant-gardes littéraires, Bruxelles 1984), page 23.
- Noëmi Blumenkranz-Onimus, déjà citée, p. 200.
Ce qu’il faut retenir… |
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Filippo Tommaso Marinetti (1876-1944), Dunes 1914.
Source : Johanna Drucker, The Visible Word : Experimental Typography and Modern Art, 1909-1923. University of Chicago Press, 1994.
Umberto Boccioli (1882-1916), Primavera, poème édité par Zeno Birolli in Umberto Boccioni, 1972 (Umberto Boccioni, Altri inediti e apparati critici. A cura di Zeno Birolli, 1972).
Illustration reproduite par Noëmi Blumenkranz-Onimus, La Poésie Futuriste italienne, éd. Klincksieck, Paris 1984, page 41.
Filippo Tommaso Marinetti (1876-1944), “Montage + Vallate + Strade x Joffre”, 1915
Francesco Cangiullo (1884-1977) Poesia Pentagrammata (couverture), 1923
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(Giovanni Lista, Marinetti et le Futurisme, éd. L’Âge d’Homme, Paris 1977)
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