Les élèves ont du talent… Le concours de nouvelles 2009 par la classe de Seconde 12…

Retrouvez chaque semaine un nouveau texte !
La classe de Seconde 12 s’est particulièrement investie dans le concours de nouvelles proposé par le Salon du livre du Montargois. Le sujet était libre mais l’écriture comportait deux contraintes : commencer obligatoirement par l’UNE de ces deux phrases : “Il était près de midi, et elle n’avait toujours pas donné signe de vie.” OU “Il avait la passion des vieilles pierres.”… et se terminer obligatoirement par l’UNE de ces deux phrases : “Il y eut affluence comme aux fêtes de fin d’année.” OU “Mais un père est un père et je suis sincèrement désolé.”
prix.1236783460.jpgChallenge réussi pour la Seconde 12 ! Découvrez chaque semaine un texte particulièrement marquant. Aujourd’hui, laissez-vous emporter par la nouvelle de Flora, élève et déléguée de la Seconde 12… Une très belle histoire empreinte d’émotion et de lyrisme, entre autobiographie et fiction (qui valut à son auteure le cinquième prix au salon du livre du Montargois).
L’action se situe à Madagascar…
 

    Ce jour-là, à Tana…

par Flora P…

Il était prés de midi et elle n’avait toujours pas donné de signe de vie. Je m’étais installée près d’une petite colline au sud de la ville, à l’attendre, en vain. Je m’inquiétais car il n’y a qu’un bus qui passe dans la journée. Il ne vient que le mercredi et le jeudi matin, jours de marché. La majorité des gens viennent d’Ihosy et du Grand Sud, et le prochain ne passerait que demain matin. D’ici là…

flora1.1289846345.jpg“Manahoana…”

En l’attendant sous le baobab, j’entendais le vent souffler entre les feuilles ; le soleil s’en allait vers l’ouest… Je m’imaginais notre rencontre, les paroles, les simples « Bonjour, comment vas-tu » que nous allions échanger en Malgache :
– Manahoana, Manahoana y sahasalaurauao ?
– Salaura tsara aho miasoaka…

Venir à Madagascar était mon plus grand rêve. Séraphine ne m’avait jamais vue, seulement en photo. On dialoguait par lettre depuis maintenant un an et demi, depuis que mon grand-père l’avait retrouvée après avoirs passé une annonce dans le journal local. Mes grands-parents et ma mère avaient vécu huit ans à Madagascar et Séraphine avait été la nourrice de ma mère.

J’étais si contente de la rencontrer. J’avais si peur de ne pas la voir. Adossée au tronc de l’arbre géant, je regardais la route blanchie sous le soleil, quelques enfants qui couraient là-bas, à demi nus, une femme qui traversait la route avec ses calebasses d’eau. Le temps s’écoulait, impalpable. Comme je m’assoupissais à cause de la chaleur, je vis au loin le bus qui arrivait, très poussiéreux, couvert de sable et de voyage car il roulait sur des routes de terre et de vent depuis tant d’années…

“j’aimais la lumière blanche de la route, j’aimais le vent et le manioc salé”

Beaucoup de Malgaches en descendirent. Toutes les femmes étaient habillées avec des jupes de couleurs vives et elles portaient des lambas blancs ou écrus sur les épaules. Les hommes avaient des pantalons noirs, des chemises ouvertes et un chapeau de paille. Je regardais les gens descendre un par un, j’étais tellement impatiente de la voir! Les gens venaient dans la ville de Tana car c’était le plus grands marché de la semaine ; les vendeurs s’installaient par terre et disposaient leurs étalages de légumes ou de poissons séchés sur des nattes.flora2.1236711503.jpg

Certains avaient amené leur machine à coudre et confectionnaient des rideaux, des jupes à la demande. Les habitants se préparaient pour le marché. Je commençais à sentir les parfums d’épices et l’odeur nauséabonde du poisson datant de quelques jours me faisait tourner la tête. Mais j’aimais tout cela, j’aimais la lumière blanche de la route, j’aimais le vent et le manioc salé, j’aimais les bruits du marché où l’on mange des fleurs de cactus, j’aimais le bruit des zébus et les vendeurs de lait caillé ou de bijoux d’argent…

Le marché commençait à se remplir de couleurs, de fruits, de tissus lorsqu’elle descendit du bus. Il y avait beaucoup de monde, je me mis debout  pour ne pas la perdre de vue mais aussitôt la foule l’encercla. Mon cœur se serrait mais je gardais espoir pendant trois secondes en la cherchant des yeux partout. Ne la revoyant plus, les larmes me montèrent aux yeux. Vous qui me lisez, comment vous dire l’écho du temps qui résonne dans ces lignes ? Comment vous dire le bruit du vent dans les arbres ? Cette attente devant les cases au toit de paille ?

“Le voyage de la vie commençait…”

Peut être n’était-ce qu’une illusion… Tout à coup, je sentis une main venue du bout du monde, venue du grand sud malgache se poser sur mon épaule, je tournais la tête et je la vis. Elle me prit dans ses bras et nous nous sommes mises à tourner, à rire, à pleurer, un peu comme dans une aventure vers le bleu du ciel : le voyage de la vie commençait. Petit à petit, les gens nous encerclèrent. Toute la poussière de la route s’était envolée, le ciel craquait sous le soleil : même des nuages mauves et roses vinrent à notre rencontre pour voir ce qui se passait.

Je me rappellerai toujours du vent, si proche de nos visages, de nos mains serrées l’une contre l’autre, je me rappellerai des charrettes remplies de marchandises, de ces visages d’hommes qui vendent des éclats de saphir et de béryl en espérant devenir riche… Tous ces gens qui nous regardaient en souriant, ce jour-là, à Tana… Il y eut affluence comme aux fêtes de fin d’année.

© Flora P… Mars 2009 (Lycée en Forêt, Montargis, France)

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Publié par

brunorigolt

- Agrégé de Lettres modernes - Docteur ès Lettres et Sciences Humaines (Prix de Thèse de la Chancellerie des Universités de Paris) - Diplômé d’Etudes approfondies en Littérature française - Diplômé d’Etudes approfondies en Sociologie - Maître de Sciences Politiques