Pour la troisième année consécutive, l’exposition « Dis-moi un Po-aime » est de retour ! Les classes de Première S2 et Première STMG2 du Lycée en Forêt sont fières de vous présenter cette édition 2017 qui a tout d’un grand millésime : l’exposition a été l’occasion d’un travail soutenu mêlant inspiration, invention et revendications intellectuelles ou esthétiques.
Chaque poème est accompagné d’une note d’intention dans laquelle les auteur-e-s expliquent leurs choix esthétiques, précisent le fil conducteur méthodologique, éclairent certains aspects autobiographiques… Le travail ainsi entrepris permet de pousser la lecture de la poésie au-delà des lieux communs pour en faire une authentique quête de vérité. Loin de la lire de l’extérieur, le lecteur curieux pourra au contraire chercher le sens profond que les jeunes auteur-e-s ont voulu conférer à cette expérience esthétique et littéraire.
Plusieurs fois par semaine jusqu’au début du mois de juillet, les élèves vous inviteront à partager une de leurs créations poétiques…
Bonne lecture !
Aujourd’hui, mercredi 14 juin, la contribution de Chloé et Blandine (Première STMG2) →Jeudi 15 juin : Merveille M. (Première S-2) ; Sidonie M. (Première STMG-2)
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« Voyage »
par Chloé S. et Blandine P. Classe de Première STMG-2
L’heure est venue pour moi de partir, J’ai donc saisi un billet pour la liberté Pour voir tous les rivages et tous les ciels, Toutes les rencontres et tous les rêves.
J’ai pris mes valises ouvertes à tous les vents
J’ai décidé de faire le tour de la terre
J’ai touché de ma main le temps qui s’enfuit
Pour jeter l’ancre dans l’encre de l’inconnu.
J’ai appuyé mon oreille contre les cris de la mer :
Mon âme est comme la voix brutale du vent
J’ai vu à l’horizon les longs sanglots de l’océan
Et j’ai traversé la mer noire en robe du soir…
Illustration : Man Ray, 1936. D’après « À l’heure de l’observatoire : les amoureux ». Photographie réalisée pour Harper’s Bazaar : « Modèle allongé bras levé sous un tableau de Man Ray » Image colorisée
Le point de vue des auteures…
Notre poème a pour thème le voyage : un voyage aussi bien matériel que spirituel. Le texte évoque un départ pour la liberté, vers l’idéal aurait sans doute dit Baudelaire.
Pour suggérer cette évasion vers une autre réalité nous avons privilégié tout d’abord un rythme ample, avec comme c’est le cas aux vers 3 et 4 deux hémistiches balancés autour de la césure :
« Pour voir tous les rivages / et tous les ciels,
Toutes les rencontres / et tous les rêves. »
En outre, nous avons exploité souvent les alexandrins, les décasyllabes, ou les vers de neuf syllabes. Cette ampleur du rythme évoque le balancement de la mer et plus largement l’idée d’évasion. C’est ainsi que les nombreux enjambements de même que les parallélismes sonores confèrent au poème une forme dynamique propre à suggérer l’imaginaire du voyage.
Le lecteur sera sans doute surpris par l’emploi du passé composé dont la valeur d’accompli contraste avec l’évocation d’un voyage qui n’a pas encore été effectué. Ce choix repose sur une double vision : d’une part, nous voulions suggérer que même si le voyage n’a pas encore été accompli, l’expression poétique permet de l’accomplir, car le rêve est ici plus fort que la réalité. Mais les nombreux passés composés qui parcourent le texte peuvent se lire en même temps comme la révélation d’une quête poétique : écrire, n’est-ce pas entreprendre un voyage immobile au pays des mots ? Voici pourquoi au vers huit nous écrivons :
« j’ai touché de ma main le temps qui s’enfuit
Pour jeter l’ancre dans l’encre de l’inconnu ».
Les homonymes (ancre et encre) suggèrent à la fois l’imaginaire du voyage et, comme aurait dit Mallarmé dans « Brise marine », « ce cœur qui dans la mer se trempe ». L’encre de la mer est ici le matériau propre à évoquer la goutte d’encre sur la page qui est comme la goutte d’eau qui se jette dans l’infini de la mer.
Enfin, si Montaigne au seizième siècle rendait hommage à « l’homme mêlé » nous voudrions ajouter que pour nous le voyage est cette possibilité d’accéder à d’autres cultures, à d’autres univers : toutes ces destinations encore inconnues ne sont-elles pas comme une invitation à découvrir le monde dans sa richesse et sa diversité ? Le voyage est ainsi un Humanisme…
Les derniers vers du texte, particulièrement lyriques, se veulent comme un hommage à l’imaginaire fantastique du voyage qui mêle à l’itinéraire géographique le parcours spirituel et onirique :
J’ai vu à l’horizon les longs sanglots de l’océan
Et j’ai traversé la mer noire en robe du soir…
Cette traversée de la mer en robe du soir suggère un peu le passage de l’enfance au monde adulte : véritable traversée vers de nouveaux horizons qui n’ont pas encore été écrits, mais qui s’écriront un jour…
Pour la troisième année consécutive, l’exposition « Dis-moi un Po-aime » est de retour ! Les classes de Première S2 et Première STMG2 du Lycée en Forêt sont fières de vous présenter cette édition 2017 qui a tout d’un grand millésime : l’exposition a été l’occasion d’un travail soutenu mêlant inspiration, invention et revendications intellectuelles ou esthétiques.
Chaque poème est accompagné d’une note d’intention dans laquelle les auteur-e-s expliquent leurs choix esthétiques, précisent le fil conducteur méthodologique, éclairent certains aspects autobiographiques… Le travail ainsi entrepris permet de pousser la lecture de la poésie au-delà des lieux communs pour en faire une authentique quête de vérité. Loin de la lire de l’extérieur, le lecteur curieux pourra au contraire chercher le sens profond que les jeunes auteur-e-s ont voulu conférer à cette expérience esthétique et littéraire.
Plusieurs fois par semaine jusqu’au début du mois de juillet, les élèves vous inviteront à partager une de leurs créations poétiques…
Bonne lecture !
Aujourd’hui, mercredi 14 juin, la contribution de Sarah (Première S-2) →Mercredi 14 juin : Chloé S. et Blandine P. (Première STMG2)
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« Nos fleurs »
par Sarah B. Classe de Première S-2
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Minuit, lumières qui s’éteignent et cœurs qui s’allument Depuis quand tout est devenu si douloureux ? Une nuit sans étoiles, mais des étoiles plein le vent Je tends la main vers le ciel En espérant toucher tes traits si nets
Minuit, heure des amours essoufflées D’avoir tant vu le jour et tant fait la nuit Minuit, tu me happes tout entière Moi et ma nostalgie passagère Minuit, emmène moi parmi le vent du soir
Préserve-moi de ces larmes qui coulent à flots Sur les draps du jour qui s’éteint Et ces vapeurs d’alcool qui collent au sol Tandis que mes semelles se mêlent au ciel Et puis soudain les premiers rayons du soleil
Effleurent cette jeunesse gaspillée Son ardente chaleur fait sécher mes larmes Mais pas le souvenir du dernier baiser Soleil, soleil, n’attise pas nos passions révoltées Laisse-nous dépérir seuls, loin des fleurs qu’on a tenté de sauver
Illustration proposée par Sarah
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Le point de vue de l’auteure…
Pour bien comprendre le texte, il faut tout d’abord le replacer dans son contexte initial d’écriture : la nuit, ou la révélation de la douleur inexplicable. Le mot minuit, répété en anaphore tout au long des premières strophes sert véritablement de repère à la fois temporel et émotionnel. J’ai par ailleurs écrit ce poème en deux étapes : les deux premières strophes ont été rédigées en pleine nuit, dans un besoin d’écrire ce désespoir existentiel. Puis j’ai rédigé les deux dernières strophes environ un mois après. Elles sont comme une sorte de bilan rétrospectif où se mêle au constat désabusé la nostalgie du bonheur passé.
Le vers 1, de par l’évocation contrastée des cœurs qui s’allument au moment où s’éteignent les lumières du jour pose d’emblée le motif de l’épanchement lyrique qui confère au texte sa puissance évocatrice : au niveau de l’énonciation, la narratrice s’interroge : « Depuis quand tout est devenu si douloureux ? » Questionnement essentiel − renforcé par le rythme de l’alexandrin − dont la réponse semble se perdre dans un impossible désir :
Je tends la main vers le ciel En espérant toucher tes traits si nets
Si l‘amour est le lieu même d’une douleur sentimentale, le cri de désespoir du vers 2 résonne aussi comme un puissant questionnement métaphysique et identitaire. Il révèle à quel point ce chagrin est inexplicable, et c’est en quoi il est dramatique : à défaut d’offrir une réponse, le questionnement ne fait que refléter le désenchantement énigmatique d’une question restée sans réponse : personne ne sait comment on peut en être arrivé à un tel point de rupture.
Il faut également noter que le point d’interrogation du vers 2 est le seul élément de ponctuation hormis les virgules derrière minuit et soleil : cela ne fait que renforcer la puissance évocatrice de cette « nuis sans étoiles, mais des étoiles plein le vent » : image qui associe dans une forte antithèse le désespoir de la nuit, si féconde en douleurs, à la liberté du vent qui semble purifier, élever la nuit aux dimensions de l’ineffable et de l’inaccessible. Cette idée est renforcée un leu plus loin dans le texte dans les vers 10 à 12 :
Minuit, emmène moi parmi le vent du soir
Préserve-moi de ces larmes qui coulent à flots Sur les draps du jour qui s’éteint
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Comme on le voit, ce poème est une véritable description du désir impossible d’un amour lui-même inaccessible : la nuit prend ainsi le rôle d’un voyage métaphorique qui transcende la douleur pour permettre la quête de l’idéal et du bonheur inatteignable. La nuit devient alors une méditation sur l’amour dont les vers 6 et 7 sont la représentation :
Minuit, heure des amours essoufflées D’avoir tant vu le jour et tant fait la nuit
L’expression amours essoufflées peut avoir à ce titre plusieurs significations. Si l’on étudie les termes seuls, ils signifient littéralement que le couple est « à bout de souffle », qu’il ne peut simplement plus exister. Mais l’expression suggère plus subtilement un amour à perdre haleine jusqu’à se perdre dans l’imaginaire et ce fameux « dérèglement de tous les sens » dont Rimbaud faisait l’essence même de l’expression poétique.
L’expression «tant vu le jour et tant fait la nuit » évoque presque sous forme d’hypallage (la nuit désignant bien évidemment l’amour) l’image du couple heureux, la fusion des corps et des âmes : les sentiments s’expriment dans la strophe dans toute leur fulgurance, et dans le sillage même de l’amour fou cher aux Surréalistes. L’amour peut ainsi être comparé à l’ivresse des sens : le poème se dérègle, pour suggérer l’enivrement, et pour mieux mettre en rapport le domaine du désir avec la réalité. La nuit devient une blessure du corps, une blessure du cœur ; de même que la poésie devient cette « violence faite au langage » selon les mots célèbres du poète mexicain Octavio Paz.
Dans le poème, l’écriture poétique est ainsi à la frontière entre l’omniprésence de la douleur et l’appel de l’idéal. Il fait passer de la transgression à la révélation. La nuit lève les interdits, elle révèle et transcende à la fois la douleur : elle est la révélation de l’amour comme déchirure de l’être, comme blessure du cœur − et du corps − mais elle donne également sens à la vie : c’est ainsi qu’au vers 10, minuit représente l’espoir évoqué dans une supplication lyrique qui mêle au thème amoureux l’éblouissement ineffable du voyage : « emmène moi parmi le vent du soir ».
Le vent, on l’a vu, est chargé de connotations métaphoriques : il représente l’idéal l’inatteignable ; il est cet amour éternel qui contraste avec la violence des sentiments. La supplication « emmène-moi », très élégiaque, résonne comme une plainte, un besoin pressant de fuir cet horrible sentiment assaillant. Le fait qu’il soit conjugué à l’impératif confère une profonde tonalité injonctive à cet appel. L’hyperbole au vers 11 des « larmes qui coulent à flots » accentue l’idée de douleur mais renforce parallèlement le sentiment d’espérance.
Entre flux et reflux, ainsi va le chagrin, ainsi va la mer : les larmes coulent à flot comme les flots de la mer meurent sur le rivage avant de renaître et repartir vers d’autres voyages… Voici pourquoi le poème joue également sur de forts contrastes dont les vers 13 et 14 sont un parfait exemple : tout semble se mélanger. Une idée de confusion en ressort d’abord, aussitôt dépassée par un fort sentiment de renouveau et de métamorphose :
Et ces vapeurs d’alcool qui collent au sol Tandis que mes semelles se mêlent au ciel Et puis soudain les premiers rayons du soleil
Comme si l’ivresse avait finalement amené à l’idéal, fût-il éphémère et dérisoire… la lente descente vers l’ivresse est contrebalancée par le vers 15 qui traduit une perte de repères, presque un aveuglement devant le jour qui se lève et fait sécher les larmes : est-ce pour autant la fin du calvaire ? Les vers suivants rappellent vite à la dure réalité. D’ailleurs, le soleil évoqué de nouveau au vers 19 est comme une révélation du sens du poème ; il remplace minuit dans son rôle de symbole protecteur. Ce changement de perspective traduit un besoin d’aide, de soutien introuvable. Le souvenir du dernier baiser, suggérant la fin du couple, reste bien ancré dans la mémoire.
À la fin du texte, l’expression passionsrévoltées traduit dans toute sa force la violence de l’amour à l’adolescence : amour pur, entier, destructeur parfois, inabouti et donc frustrant, blessant. Mais en même temps amour constitutif de l’être. Ainsi ce poème apparaît-il presque comme un roman d’apprentissage : au vers 20, la supplication très explicite « laisse nous dépérir seuls » est à la fois la démonstration de l’abandon, de la fin de cet amour trop douloureux ; et en même temps sa transfiguration.
Les fleurs sont ainsi une métaphore du bonheur, à la fois heureux et perdu : bonheur en fleur, bonheur fané… C’est pourquoi le poème s’intitule « Nos fleurs » : bonheur perdu certes, mais réinvesti poétiquement par l’acte d’écriture. Écrire sur le chagrin, n’est-ce pas le dépasser par l’acte d’écrire ? Toute écriture poétique, parce qu’elle est une expression esthétique est dépassement du désespoir même de la vie en lui donnant une légitimité artistique. Tel est le pouvoir évocateur de la poésie : étrange paradoxe qui donne à voir la présence de l’absence…
La frustration des passions semble ainsi dépassée par l’acte d’écrire ; la mort de l’amour, évoquée ironiquement par « nos fleurs » ressuscite le deuil amoureux en motif littéraire. Grâce au poème, l’amour malheureux devient le sujet même de l’écriture : il n’est plus objet, il n’est plus subi. Il devient au contraire un motif littéraire qui apporte la vie, qui appelle à la vie : L’écriture permet de réaliser une quête de sens à travers la réinterprétation poétique de l’histoire.