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Pour la troisième année consécutive, l’exposition « Dis-moi un Po-aime » est de retour ! Les classes de Première S2 et Première STMG2 du Lycée en Forêt sont fières de vous présenter cette édition 2017 qui a tout d’un grand millésime : l’exposition a été l’occasion d’un travail soutenu mêlant inspiration, invention et revendications intellectuelles ou esthétiques.
Chaque poème est accompagné d’une note d’intention dans laquelle les auteur-e-s expliquent leurs choix esthétiques, précisent le fil conducteur méthodologique, éclairent certains aspects autobiographiques… Le travail ainsi entrepris permet de pousser la lecture de la poésie au-delà des lieux communs pour en faire une authentique quête de vérité. Loin de la lire de l’extérieur, le lecteur curieux pourra au contraire chercher le sens profond que les jeunes auteur-e-s ont voulu conférer à cette expérience esthétique et littéraire.
Plusieurs fois par semaine jusqu’au début du mois de juillet, les élèves vous inviteront à partager une de leurs créations poétiques…
Bonne lecture !
Aujourd’hui, dimanche 18 juin, la contribution de Rose F. (Première S-2)
→ Lundi 19 juin : Amina H. et Farah M. (Première S-2) ; Selen F. et Perrine B. (Première STMG-2)
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« Intempéries durables »
par Rose F.
Classe de Première S-2
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De bas cotons occultent le ciel
Menaçants, ils s’apprêtent à tournoyer
Tournoyant dans cette musique aiguë
Celle que l’on n’entend pas,
Où s’embrase un amas de feuilles ternes,
Des papiers cadeaux aveuglants
Qui laissent voir au loin les murs de cris,
Ceux que l’on n’entend pas.
Le torrent se calme,
Laisse sortir des fleuves foncés,
Des vers ruisselants le long d’une terre dévastée
Vide, libre, en paix.
Car derrière le rouge il y a le blanc,
Calme, simple, sensible,
Le doux vent qui passe,
Celui qui nous laisse à fleur de peau,
Derrière un soleil chaleureux
Où l’on croise des joues et des bras accueillants,
Des sourires voyageurs.
Et j’aperçois toujours dans le ciel,
Au dessus de la mer qui va et vient,
Ces grands planeurs en paix,
Qui occultent le grand ciel bleu infini
Aux sombres nuances rouges.
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« De bas cotons occultent le ciel
Menaçants, ils s’apprêtent à tournoyer… »
Illustration : © Bruno Rigolt, juin 2017 (peinture numérique)
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Le point de vue de l’auteure…
« Intempéries durables »… Ce titre me paraît illustrer parfaitement l’argument de mon poème. Par cette métaphore, j’ai voulu exprimer un certain nombre de questionnements existentiels et sociétaux : jusqu’à quand tout ceci va-t-il durer ? Lorsque j’ai rédigé ce texte, je me trouvais en vacances et c’est en regardant le magnifique paysage qui s’offrait à mes yeux que j’ai eu l’idée de méditer sur les profonds contrastes dont notre monde est trop souvent victimes.
C’est ainsi que le poème commence par l’évocation de la société sous l’angle d’un vent tourbillonnant qui connote ici l’idée de destruction. Ainsi la répétition du verbe « tournoyer » accentue l’idée d’un délitement du corps social et des valeurs morales. De même, l’évocation de la musique « aiguë », « celle que l’on n’entend pas » représente la société sourde aux appels de détresse du monde. La même image est développée un peu plus loin lorsque j’évoque « les murs de cris, / ceux que l’on n’entend pas ».
En outre, grâce aux métaphores et aux personnifications, j’ai voulu montrer combien le consumérisme impose sa violence insupportable : « des papiers cadeaux aveuglants »… Nous sommes littéralement aveuglés par ces lumières trompeuses : aveugles et sourds aux « murs de cris », nous oublions la pauvreté, nous fermons les yeux sur la surexploitation des enfants, nous préférons ne pas débattre des animaux dans les abattoirs… Et que dire du surarmement ? Dans un monde où l’on préfère élever des murs qu’élever nos cœurs, la poésie me semble indispensable pour donner du sens : ainsi l’image « des vers ruisselants » sortis « des fleuves foncés ».
Puis dans une deuxième partie, plus optimiste, le vent se pare de vertus positives : derrière le mal, il y a le bien. Même si j’ai repris l’idée de tourbillon que j’avais développée au début du texte, il s’agit cette fois d’un tourbillon calme, pacifié. J’ai ainsi voulu me remémorer les belles choses de la vie, ces moments heureux qui nous aident à tenir debout, comme des rencontres, le fait de partager avec les autres, d’être capable d’aimer un beau jour ensoleillé, le fait aussi de penser à nos proches… ce sont ces plaisirs du quotidien, ces rencontres au long de nos voyages, qui m’émerveillent : comme si le bonheur pouvait résider dans la simplicité, les choses les plus humbles et qu’on dénigre souvent parce qu’elles semblent banales.
Le vers final contraste particulièrement avec cette vision positive : ces « sombres nuances rouges » que j’évoque sont davantage un avertissement qu’une menace : contrastant avec le bleu du ciel, elles représentent le risque toujours possible, tant il est vrai que nous ne sommes jamais à l’abri d’une tragédie qui planerait sur nous. De même n’oublions pas que lorsque tout semble aller bien, le monde va mal.
Mon poème n’a pas de structure particulière, pour privilégier un effet plus libre à l’instar de la poésie moderne, mais plus fondamentalement parce que la société elle-même est quelque chose d’irrégulier, où les règles ne sont que des lois imposées quelque peu artificiellement : ne pas suivre les codes relevait donc pour moi d’une forme de réquisitoire contre l’artificialité des conventions et des stéréotypes d’écriture.
J’ai donc illustré ici ma vision très personnelle et subjective du monde : celle d’un monde où l’homme ne laisse voir que ce qu’il veut vraiment, où l’homme est prêt à tout pour l’argent, au mépris des souffrances, de l’esclavage du mensonge. En ce sens l’écriture poétique m’a amenée à exprimer un certain nombre de choses que je ressentais très profondément : cette quête du sens confère aux mots un pouvoir extraordinaire : celui de transmettre une émotion sincère…
© Rose F.
Classe de Première S-2 (promotion 2016-2017), juin 2017.
Espace Pédagogique Contributif
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