Concours « Ecriture en Forêt » 2014 : publication des textes primés… Aujourd’hui, la nouvelle de Camille H. (premier prix)

concours_eef_2014_logo-1Le Lycée en Forêt a lancé à la rentrée 2013 un original concours d’écriture à destination des classes de Seconde et de Première ayant pour intitulé : « Écritures en Forêt ».

Pour les classes de Seconde, le sujet portait sur l’écriture d’une nouvelle ayant obligatoirement pour thème la forêt, espace d’une grande richesse littéraire et sociale, qui pouvait être envisagé dans sa dimension légendaire, mythologique, fantastique, symbolique, ou encore sous l’angle plus anthropologique et contemporain du développement durable ou des problèmes posés par la déforestation… Les candidats restant évidemment libres d’appréhender le thème comme ils le souhaitaient.

Félicitation aux nombreux participants, particulièrement aux élèves de Seconde 3 et de Seconde 11, qui se sont remarquablement investis dans le dispositif, et bien sûr Bravo aux trois lauréats de l’édition 2014 :

  • Premier prix : Camille H. (Seconde 11)
  • Deuxième prix : Paul B. (Seconde 3)
  • Troisième prix : Sandra C. (Seconde 3)

Une grande cérémonie récompensant les élèves primés aura lieu en avril…
Merci au Lycée qui a pu débloquer des fonds importants pour récompenser les lauréats.

frise fleurs horizontale

Découvrez aujourd’hui la nouvelle de Camille H. (Seconde 11), premier prix :

« Qu’en soit témoin le temps »

par Camille H.
Classe de Seconde 11

Samuel PalmerSamuel Palmer (1805-1881)
« Le Pommier magique », 1830, Cambridge, Fitzwilliam Museum

Qu’il était fier ce pommier. L’été créait des senteurs fruitées qui émanaient de cette clairière où il avait décidé de s’implanter. Rien autour ne semblait pousser sur un petit rayon de trois mètres, donnant à cet endroit, un repère, une âme. Les rayons de la lune se frayaient leur chemin vers les sols verdoyants du pommier, le vent sifflait entre fleurs et branchages. Plus rien n’était de ce monde, féerie et romantisme semblaient avoir pris place.

C’est en ce lieu de la forêt qu’un jeune couple se retrouvait, isolé des grands malheurs du monde et de leur société d’injustice, pour laisser place à l’expression unique de leur amour. S’allongeant au pied de ce pommier, méditant, tête l’une contre l’autre, à cette si belle clarté bleutée de l’astre des nuits. Restant ainsi plusieurs et longues heures dans ce lieu magique, où le temps semblait se figer. Un amour semblant interdit, mais que nul ne pouvait empêcher.

Le rendez-vous était le même tous les jours, et la difficulté de partir de ce lieu était, au rythme grandissant de leurs sentiments, chaque fois plus complexe. Qui eut cru qu’un tel couple ait pu exister.

Mais bien vite la magie prit fin de manière brutale. L’automne semblait donner la mesure, feuilles et dernières fleurs fanées dans une mélancolie annuelle… La jeune femme, pareille au doux feuillage du pommier en arrière-saison, vit sa vie faner bien vite, et en peu de semaines, la fleur n’était plus. La mort si soudaine de son aimée, fit perdre la raison à l’ancien amant. Fini la clairière, et le chemin dans la forêt pour aller à la clairière. Délaissées, les fleurs. Oubliées les orties qui piquaient et les rires dans les sentiers.

Les bars furent son seul repère… Il se perdit dans des forêts de feux rouges, pleura contre des arbres de métal froid, marcha dans des sentiers de béton sous le linceul des arbres… Voici que la ville était devenue son unique forêt. Il but à la source des bars des boissons mirobolantes, et, à chacune de ses nuits, il repensait au pommier, et à la forêt disparue, très loin, de l’autre côté de la ville. L’alcool devint alors sa sève, sa seule raison de garder goût à la vie.

Deux années ont passé depuis l’accident. Voici qu’un poivrot de bas étages, dormant à la lumière des lampadaires et non loin des points de passages des trains de banlieue semble vivre là, toujours une bouteille à la main, la barbe semblant continuer à pousser au rythme des ronces de la forêt.

C’est un soir d’automne, que, violemment jeté hors d’un bar, il tituba dans des ruelles choisies par le hasard, jugé par l’œil des habitants de ce qui était devenu sa forêt. Ses pas le menèrent près de la sortie de la ville, à l’orée d’un bois, ou peut-être était-ce une forêt ? Le chemin face à lui semblait praticable, malgré les hautes herbes et ronces qui parsemaient la voie. L’homme sembla peu à peu commencer à ressentir un déjà vu. Et c’est alors que tout lui revint, ce chemin lui rappela sa chère belle et leur romance, et au bout du sentier, près du Loing, se trouvait un pommier.

Le pas s’accéléra alors, l’envie de revoir le lieu de leur amour lui était si intense, qu’herbes et ronces ne pouvaient être un obstacle. Il arriva enfin. Mais face à lui, loin de trouver le luxuriant pommier, au branchage et feuillage épais, il n’y avait qu’un arbre pourri jusqu’aux confins de son écorce. Ce n’était plus qu’un morceau de bois sans vie, pareil à une planche. Sa main se posa alors, presque par automatisme, sur l’écorce de manière aimante et familière, il chercha l’inscription que bon nombre d’amoureux se plaisent à faire, pour graver à jamais leur amour.

Au seul contact de sa main, l’arbre se renversa de façon brutale au sol, ne laissant nulle trace de son passage tant l’état de mort était avancé. La souche partit bien vite de la même manière, comme s’envolent des feuilles de papiers mal attachée, le vent put emporter tout ceci en un coup d’un seul, le bois n’était que cendres. L’homme se vit déterré, ses yeux s’emplirent de larmes, gorgées des douleurs anciennes du passé, ses genoux se courbèrent et les poings de l’homme purent serrer le sol pourtant si verdoyant. Le corps triste de l’homme, de manière similaire au pommier, s’échoua sur le sol, puis se recroquevilla sur lui-même. Il dormit alors d’un sommeil tourmenté par le fantôme des sombres années passées.

Ce ne fut guère le jour qui réveilla notre homme, mais une petite voix, claire et pure, qui ressemblait aux murmures du vent le long de la mer… L’homme se redressa de moitié et écouta ce si bel appel de l’aube : n’était-ce pas la voix de sa tendre et défunte aimée ? Il se mit alors à crier son nom dans cette petite clairière. Mais sa seule réponse fut le silence, tel un spectre dépourvu de toute émotion. Les larmes s’emparèrent de tout son être, ses mains s’agrippèrent, tourmentées, à ses cheveux, ses dents mordirent ses lèvres puissamment, faisant couler le sang, telle une sève rougeâtre, au rythme de ses larmes. Terrassé par tant de peine, l’homme s’assit, enlaça ses genoux, posa sa tête au sein de ceux-ci, et laissa exprimer sa tristesse de manière sonore, dont seule la clairière fut spectatrice. Le corps ne bougea plus, la peine lui fit perdre la faim. Bien vite, le corps atteignit ses limites, et c’est meurtri par le songe, le tourment et la souffrance, qu’il quitta ce monde, triste comme un rendez-vous d’amour manqué. Son corps conserva sa position meurtrie, et, au sein de cette clairière, il remplaça l’ancien pommier.

Bon nombres d’années passèrent, le corps resta à sa place originelle, mais en lieu et place du cadavre, un arbre émergea de la terre. Ainsi, la peau devint écorce, la chair, bois ; et les cheveux, feuillage. Au fil des ans, l’arbre poussa et obtint une taille honorable, et c’est à l’orée du printemps que des fleurs apparurent, tout comme un nouvel amour naissant dont l’arbre put admirer le spectacle.

C’est en ce lieu de la forêt qu’un jeune couple se retrouva un jour, isolé des grands malheurs du monde et de leur société d’injustice, pour laisser place à l’expression unique de leur amour. S’allongeant au pied de ce pommier, méditant, tête l’une contre l’autre, à cette si belle clarté bleutée de l’astre des nuits. Restant ainsi plusieurs et longues heures.

Qu’en soit témoin le temps…

© Camille H., classe de Seconde 11 (promotion 2013-2014), mars 2014.
Lycée en Forêt/Espace Pédagogique Contributif

Maurice DenisMaurice Denis (1870-1943), « Pommier en fleurs », c.1908
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