Un été en Poésie (saison 3) 10 juillet-10 août 2016… Aujourd’hui Álvaro de Campos (Fernando Pessoa)

Pour la troisième année, du dimanche 10 juillet 2016 au mercredi 10 août inclus, découvrez une exposition inédite : « Un été en poésie »…
Affiche Un été en Poésie_Copyright Bruno Rigolt_2016-07_a
Thématique de l’édition 2016 : 
« D’Europe et de Méditerranées… Poésies de tous les rivages ». 

Chaque jour, du dimanche au jeudi, un poème sera publié. Cette année, de très nombreux pays seront représentés dans ce voyage en Europe et autour de la Méditerranée, mêlant écriture et arts visuels. Conformément au cahier des charges éditorial de ce blog de Lettres, le principe de la parité sera strictement respecté.


Pays représentés :
France, Espagne, Portugal, Maroc, Algérie, Tunisie, Égypte, Palestine, Israël, Liban, Syrie, Turquie,
Grèce, Italie.

Aujourd’hui… Álvaro de Campos (Fernando Pessoa)
(Lisbonne, vers 1890 — 1935) PORTUGAL 

Hier, dimanche 17 juillet : Luis Antonio de Villena… Espagne
Demain, mardi 19 juillet : Abdellatif Laâbi… Maroc

 

« Ode Marítima »
extrait

A Santa Rita Pintor

Sozinho, no cais deserto, a esta manhã de Verão,
Olho pro lado da barra, olho pro Indefinido,
Olho e contenta-me ver,
Pequeno, negro e claro, um paquete entrando.
Vem muito longe, nítido, clássico à sua maneira.
Deixa no ar distante atrás de si a orla vã do seu fumo.
Vem entrando, e a manhã entra com ele, e no rio,
Aqui, acolá, acorda a vida marítima,
Erguem-se velas, avançam rebocadores,
Surgem barcos pequenos de trás dos navios que estão no porto.
Há uma vaga brisa.
Mas a minh’alma está com o que vejo menos,
Com o paquete que entra,
Porque ele está com a Distância, com a Manhã,
Com o sentido marítimo desta Hora,
Com a doçura dolorosa que sobe em mim como uma náusea,
Como um começar a enjoar, mas no espírito.

Olho de longe o paquete, com uma grande independência de alma,
E dentro de mim um volante começa a girar, lentamente,

Os paquetes que entram de manhã na barra
Trazem aos meus olhos consigo
O mistério alegre e triste de quem chega e parte.
Trazem memórias de cais afastados e doutros momentos
Doutro modo da mesma humanidade noutros pontos.
Todo o atracar, todo o largar de navio,
É — sinto-o em mim como o meu sangue –
Inconscientemente simbólico, terrivelmente
Ameaçador de significações metafísicas
Que perturbam em mim quem eu fui…

Ah, todo o cais é uma saudade de pedra!
E quando o navio larga do cais
E se repara de repente que se abriu um espaço
Entre o cais e o navio,
Vem-me, não sei porquê, uma angústia recente,
Uma névoa de sentimentos de tristeza
Que brilha ao sol das minhas angústias relvadas
Como a primeira janela onde a madrugada bate,
E me envolve como uma recordação duma outra pessoa
Que fosse misteriosamente minha.

Álvaro de Campos (Fernando Pessoa), vers 1890—1935
avril-mai-juin 1915
– 

Bruno_Rigolt_Copyright 2016_En_Voyage_2« Olho de longe o paquete, com uma grande independência de alma,
E dentro de mim um volante começa a girar, lentamente..
. »

Crédit photographique : © juillet 2016, Bruno Rigolt, « En Voyage » (détail)
photomontage et peinture numérique

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« Ode maritime »

extrait

A Santa Rita Pintor

Seul, sur le quai désert, en ce matin d’été,
Je regarde du côté de la « barre », je regarde vers l’Indéfini,
Je regarde, et j’ai plaisir à voir,
Petit, noir et clair, un paquebot qui entre.
Il apparaît très loin, net et classique à sa manière.
Laissant derrière lui dans l’air distant la lisière vaine de sa fumée.
Il entre, et le matin entre avec lui, et sur le fleuve,
Ici et là, s’éveille la vie maritime,
Des voiles se tendent, des remorqueurs avancent,
De frêles embarcations jaillissent de derrière les bateaux du port.
Il y a une vague brise,
Mais mon âme est avec ce que je vois le moins,
Avec le paquebot qui entre,
Parce qu’il est avec la Distance, avec le Matin,
Avec l’essence maritime de cette Heure,
Avec la douceur douloureuse qui monte en moi comme une nausée,
Comme un début de mal de mer, mais dans l’esprit.

Je regarde de loin le paquebot avec une grande indépendance d’âme,
Et au fond de moi commence à tourner un volant, lentement.

Les paquebots qui le matin passent la « barre »
Charrient devant mes yeux
Le mystère joyeux et triste des arrivées et des départs.
Ils charrient des souvenirs de quais lointains et d’autres moments
D’une autre façon de la même humanité en d’autres ports.
Tout abordage, tout largage des amarres,
Est – je le sens en moi comme mon propre sang –
Inconsciemment symbolique, terriblement
Menaçant de significations métaphysiques
Qui perturbent en moi celui que j’ai été…

Ah, le quai est tout entier une mélancolie de pierre !
Et lorsque le navire se sépare du quai
Et qu’il devient manifeste qu’un espace s’est ouvert
Entre navire et quai,
Il me vient, j’ignore pourquoi, une angoisse récente,
Une brume de sentiments de tristesse
Qui brille au soleil de mes pelouses d’angoisse
Comme la première fenêtre où frappe le petit jour,
Et m’enveloppe comme le souvenir d’un autre
Qui serait mystérieusement mien.

avril-mai-juin 1915

Œuvres complètes de Fernando Pessoa, sous la direction de Joaquim Vital,
Volume 3, Poésies et proses de Álvaro de Campos, publiées du vivant de Fernando Pessoa, réunies, annotées et présentées par José Blanco, traduites du portugais par Dominique Touati et Simone Biberfeld, présentées par Teresa Rita Lopes.
Paris, Éditions de la Différence, 1988, pages 62-65.

Une nouvelle traduction est proposée par les Éditions de la Différence à cette adresse, mais nous lui préférons personnellement la présente version.

Bruno_Rigolt_Copyright 2016_En_Voyage_web_a « Je regarde de loin le paquebot avec une grande indépendance d’âme,
Et au fond de moi commence à tourner un volant, lentement..
. »

Crédit photographique : © juillet 2016, Bruno Rigolt, « En Voyage » (photomontage et peinture numérique)

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black_ribbonNice, 14 juillet 2016
« Souviens-toi. N’oublie pas. »