« 75 minutes BTS » Thème : « Ces objets qui nous envahissent… » Objet et mise en scène de soi

75_minutes_gabarit_2014

Le « 75 minutes », c’est quoi ?

Pour vous aider dans vos révisions, je vous propose 1 à 2 fois par semaine jusqu’à l’épreuve, un « 75 minutes » sur l’un des deux thèmes proposés à l’examen. Obligez-vous à respecter le timing : 1h15 pas plus, pour confronter trois documents, faire une fiche de synthèse à partir de la problématique abordée, et vous entraîner en temps limité sur quelques sujets-type. Bien entendu, rien ne vous empêche ensuite d’approfondir un ou plusieurs aspects, mais obligez-vous la première fois à travailler dans le temps imparti : 75 minutes ! Chronométrez-vous en n’oubliant pas qu’un temps limité est toujours mieux utilisé !

Révisions Thème 2 
Ces objets qui nous envahissent…

Problématique de ce « 75 Minutes » : objet et mise en scène de soi. Le téléphone mobile, objet du paraître…

mots clés : objet et paraître, objets communicants, téléphone portable, mise en scène de soi

voir aussi sur le blog pédagogique : « Entraînement BTS… Thème : « Ces objets qui nous envahissent »… Le smartphone, de l’objet culte à l’objet transitionnel« 

Support de cours et présentation

« Le souci du paraître et des apparences imprègne notre société occidentale contemporaine. Il suffit, par exemple, de longer les rayons des marchands de journaux pour constater combien la presse a pu s’emparer de la question. Magazines de mode, d’esthétique et de body-building, magazines de décoration, etc., voire même les pages de couverture, désormais saisonnières, de la presse d’actualité font désormais la promotion de nos modes de paraître ». Ces propos d’Isabelle Paresys |1| informent d’emblée sur la manière dont tout objet, « au-delà de sa fonction précise, clairement identifiable » |Instructions officielles|, s’inscrit dans un système de signes imprégné de social. En ce sens, en participant à la recherche d’une identité, l’objet dessine le moi social : choisir un vêtement, changer de look, introduisent une mise en scène de l’intimité, une représentation de soi. 

Les mondains, les gens du monde, les punks ou les rappeurs se reconnaissent entre eux par le port de l’habit et de certains objets, par une certaine apparence vestimentaire : À travers cette mise en scène de notre corps, nous donnons à lire un style, un personnage, une représentation de nous-mêmes. C’est ainsi par exemple que Roland Barthes (Le Système de la Mode, 1967) s’est intéressé à la sémantique du vêtement. De fait, si les vêtements sont des indicateurs de l’origine sociale et du statut économique, ils sont conséquemment producteurs de simulacre. La première page du roman de Maupassant Bel-Ami publié en 1885 est à ce titre célèbre : par tout un jeu subtil de mise en scène de soi et de séduction qui brouille les repères identificateurs, le héros cherche à « porter beau », à « paraître » plus qu’il n’est. Nous découvrons ainsi une société où tout est fait pour se montrer au regard de l’autre.

Le téléphone mobile, objet du « paraître »

Plus près de nous, particulièrement dans un contexte de crise des identités, les objets communicants sont au cœur de la compréhension des mutations sociales actuelles et des nouvelles pratiques de mise en spectacle de notre société : c’est ainsi que le téléphone portable a non seulement modifié les interactions entre les individus, les groupes et leurs pratiques de communication, mais entraîné conséquemment une réflexion originale sur l’identité individuelle et l’étude de la notion de soi.  De fait, le mobile ne met pas seulement en jeu une conduite conversationnelle ou des formes d’interaction et d’être ensemble : de par sa composante émotionnelle forte dont nous avons pu voir lors d’un précédent entraînement qu’il participait à une sorte d’investissement affectif du sujet |2|, il est devenu l’indice d’une appartenance symbolique à de nouvelles valeurs, et à de nouveaux modes d’auto-présentation de soi qu’il est intéressant d’étudier.

L’écrivain et sémiologue Umberto Eco (doc. 1), non sans humour, stigmatise ce désir de paraître qui gagne parfois les possesseurs d’un objet communicant pour sursignifier narcissiquement leur présence au monde : prestige, représentation de soi et mise en scène de soi —pour devenir vraiment soi aux yeux des autres— sont en effet au centre de cette extériorisation ostensible des pratiques de communication où le processus fait signe bien plus que le message lui-même. Ainsi, la dimension figurative participe d’une relation dramatisée à l’objet en fonction de l’expérience de la personne et en fonction de ses groupes d’appartenance. Comme nous le voyons, ce que le téléphone portable donne à voir à travers un vecteur concret, c’est la manière dont il a bouleversé notre rapport à nous-même et à autrui, à la fois rapport d’identification et de différenciation.

Comme marqueur central d’un territoire qui fonctionne par projection de la sphère personnelle (notre personne au centre de l’attention des autres, et dont notre voix et notre gestuelle constituent les limites approximatives), le téléphone portable est donc un outil de mise en scène de soi, un accessoire de notre présence, un objet transitoire (que l’on cherche à remettre inlassablement au goût du jour en changeant de mobile) posé comme affirmation de soi, et de nos valeurs : se montrer, avoir une nouvelle apparence, devenir enfin soi dans un monde où notre rapport au monde est profondément remis en question par la massification et l’anonymat croissant… Des chercheurs en communication ont ainsi observé nos comportements lorsque nous avons un portable en main… Cette anecdote rapportée par les auteurs |3| en dit long :

Le spectacle, connu de tous, de personnes seules aux terrasses de café, est de ce point de vue particulièrement instructif. Dans un café du quartier Latin, un jour de semaine du mois de juin, des hommes mais surtout des femmes, souvent seules, sont comme en situation d’attente (de quelqu’un, de la commande…). La situation est ordonnée selon deux temps : avant la commande et pendant la consommation. L’usage du téléphone est à la fois suspendu à ce rythme et donne un contenu à cet espace-temps singulier. Une femme s’assoit et procède à une sorte de rituel d’installation à table : elle enlève sa veste, sort ses clés de ses poches pour les poser sur la table puis ouvre son sac à main et en sort ses accessoires, en premier lieu le téléphone puis son paquet de cigarettes. Elle ne téléphone pas, ne reçoit pas d’appel mais elle manipule son mobile. Cela constitue même l’essentiel de ses gestes. Elle le regarde, actionne des touches, le repose, le reprend. Le serveur arrive et passe la commande, le téléphone est alors, semble t-il, momentanément oublié. Aussitôt la commande passée, l’essentiel des gestes concerne à nouveau le mobile qui redevient l’objet de nombreuses manipulations. La commande arrive et un rythme s’instaure entre l’action de boire, l’action de regarder alentour et l’action de toucher son téléphone.

En un sens, face à notre solitude subie et négative, le smartphone entraîne l’humanisation de la machine : il devient un autre soi-même, l’avatar, la prothèse de notre moi défaillant puisque nous y projetons une trace passagère et mouvante de nous-même. Si l’objet incarnait autrefois l’identité intangible de la personne, a contrario, l’objet communicant, forcément éphémère et relatif, devient un autre soi-même dans un monde conforme à l’affirmation de Baudelaire : « la modernité, c’est le transitoire, le fugitif, le contingent » |4|. Je vous invite enfin à lire le texte de Federico Montanari (doc. 3) : à travers l’exemple du téléphone portable, l’auteur montre combien les objets communicants en tant qu’objets néo-magiques investis de pouvoir, vont entraîner de nouvelles dynamiques sociales et symboliques. Comme artefact technologique, le téléphone portable alimente ainsi notre désir de manipulation du réel, notre ambition de jouer à Dieu…

1. Isabelle Paresys, Paraître et apparences en Europe occidentale : du Moyen Âge à nos jours, Presses Universitaires su Septentrion, Villeneuve d’Asq 2008, page 7.
2. Voir à ce sujet : « 
Entraînement BTS… Thème : « Ces objets qui nous envahissent »… Le smartphone, de l’objet culte à l’objet transitionnel« 
3. Collectif (GRIPIC Groupe Interdisciplinaire sur les Processus d’Information et de Communication), Le Téléphone mobile aujourd’hui : Usages, représentations, comportements sociaux, page 13.
4. Charles Baudelaire, Curiosités esthétiques, 1868.

Étape 1 : la prise de notes (40 minutes) : Document 1 : 10 minutes. Document 2 : 10 minutes. Document 3 : 20 minutes. Prenez connaissance des documents en relevant les informations vous paraissant les plus utiles au traitement de la problématique : relevez synthétiquement le thème précis, la thèse de l’auteur ou l’enjeu posé, ainsi que quelques arguments ou exemples représentatifs. Ne rentrez pas dans les détails : allez toujours vers l’interprétation textuelle GLOBALE.

1. Umberto Eco, Comment voyager avec un saumon, 1997
« C
omment ne pas utiliser le téléphone portable » (extrait)

Dans cette chronique, l’écrivain et sémioticien italien Umberto Eco (1932 — ) raille avec humour l’usage excessif du téléphone portable et la manière dont il a modifié les codes de civilité.

D’abord, il y a ceux qui ne conçoivent pas de se déplacer sans avoir la possibilité d’échanger des frivolités avec des parents ou amis qu’ils viennent de quitter. Difficile de les condamner : s’ils ne savent pas échapper à cette compulsion pour jouir de leurs instants de solitude, s’ils n’arrivent pas à s’intéresser à ce qu’ils font à ce moment-là, s’ils sont incapables de savourer l’éloignement après le rapprochement, s’ils veulent afficher leur vacuité et même la brandir comme un étendard, eh bien, tout cela est du ressort d’un psy. Ils nous cassent les pieds, mais il faut comprendre leur effarante aridité intérieure, rendre grâces au ciel d’être différents d’eux et pardonner (sans se laisser gagner par la joie luciférienne de ne pas leur ressembler, ce serait de l’orgueil et un manque de charité). Reconnaissons-les comme notre prochain qui souffre et tendons l’autre oreille.

Dans la deuxième catégorie, on trouve […] ceux qui entendent montrer publiquement qu’ils sont sans cesse sollicités, consultés pour des affaires urgentissimes d’une éminente complexité : les conversations qu’ils nous infligent dans les trains, les aéroports ou les restaurants, concernent de délicates transactions monétaires, des profilés métalliques jamais arrivés, des demandes de rabais pour un stock de cravates, et tant d’autres choses encore qui, dans l’esprit du téléphoneur, font très « Rockefeller ».

Or, la division des classes est une abominable mécanique : le parvenu aura beau gagner un fric fou, d’ataviques stigmates prolétaires lui feront ignorer le maniement des couverts à poisson, accrocher un Kiki à la lunette arrière de sa Ferrari, un saint Christophe au tableau de bord de son jet privé, et dire qu’il va « au coiffeur » ; aussi n’est-il jamais reçu par la duchesse de Guermantes (et il rumine, se demandant bien pourquoi, vu qu’il a un bateau long comme un pont).

Ces gens-là ignorent que Rockefeller n’a aucunement besoin d’un portable, car il possède un immense secrétariat, si efficace que c’est à peine si son chauffeur vient lui susurrer deux mots à l’oreille lorsque son grand-père est subclaquant. L’homme de pouvoir n’est pas obligé de répondre à chaque coup de fil. Voire. Il n’est là pour personne. Même au plus bas de l’échelle directoriale, les deux symboles de la réussite sont la clé des toilettes privées et une secrétaire qui répond « monsieur le directeur est en réunion ».

Ainsi celui qui exhibe son portable comme symbole de pouvoir déclare au contraire à la face du monde sa désespérante condition de sous-fifre, contraint de se mettre au garde-à-vous au moindre appel du sous-administrateur délégué, même quand il s’envoie en l’air, condamné, pour gagner sa croûte, à poursuivre jour et nuit ses débiteurs, persécuté par sa banque pour un chèque en bois, le jour de la communion de sa fille. Arborer ce type de téléphone, c’est donc montrer qu’il ne sait rien de tout cela, et c’est ratifier son implacable marginalisation sociale.

1991

Umberto Eco, Comment voyager avec un saumon, Nouveaux pastiches et postiches. 1992 pour l’édition italienne. Grasset 1997 pour l’édition française.

__

2. Collectif (GRIPIC Groupe Interdisciplinaire sur les Processus d’Information et de Communication), Le Téléphone mobile aujourd’hui : Usages, représentations, comportements sociaux

« Parade téléphonique pour sourire à la foule : la conquête du public » depuis la page 76 (bas de la page) jusqu’à la page 78 (conclusion).

__

3. Federico Montanari, « Un objet ‘néo-magique’ : le cas des téléphones portables », dans : Collectif (sous la direction de J. Fontanille & A. Zinna), Les Objets au quotidien, Presses Universitaires de Limoges, coll. Nouveaux Actes Sémiotiques, 2005.

Depuis le haut de la page 113 (« Si, il y a quelques années ») jusqu’au bas de la page 114 (« C’est de là que part l’idée des objets néo-magiques. »).


→ Étape 2 : le réinvestissement des notes (35 minutes)

  • Essayez d’abord de répondre très brièvement aux questions suivantes en vous obligeant à réinvestir vos notes pour chacune de vos réponses, qui seront structurées autour d’un argument, illustré par un exemple précis. 

– Sur quels arguments s’appuie le pastiche que dresse Umberto Eco des usagers du téléphone portable (doc. 1) ?
– Le texte d’U. Eco date de 1991, soit un an après la mise sur le marché des premiers téléphones cellulaires. Pensez-vous que la dimension du paraître et du pouvoir sur laquelle insiste l’auteur soit toujours d’actualité depuis l’arrivée des téléphones dits « intelligents » ?
– Expliquez et au  besoin commentez ces propos de F. Montanari (doc. 3) : « Si, il y a quelques années, un téléphone portable pouvait être considéré comme un objet d’identité sociale (manager, jeune cadre, ou au contraire « un peu ringard », etc.), aujourd’hui un tel objet est vu et utilisé comme un « être » qui accompagne notre quotidienneté ».
– Dans le document 2, les auteurs affirment (bas de la page 76) que le mobile « est une ressource particulièrement riche pour entrer en contact avec le public d’un lieu et qu’il sert souvent de truchement pour s’exhiber de manière positive ». Partagez-vous cette observation ? Quelles sont les valeurs et le bénéfice symbolique qui se cristallisent autour du téléphone mobile ?
– Expliquez ces propos (conclusion du doc. 2) : « Le téléphone mobile peut donc apparaître comme un instrument de scénographie sociale qui organise les réseaux relationnels ainsi que la production des identités individuelles par les différents modes de présentation de soi qu’il contribue à façonner ».
– Dans quelle mesure ces propos de F. Montanari (page 114) sont-ils intéressants à commenter ? « […] ces objets communiquent toujours plus entre eux, sans passer par nous, les humains : ils se transmettent des données sur leur présence ou disponibilité sur le territoire ; ils s’avertissent entre eux s’il y a ou pas un signal ou sur leur identité numérique ». […] les objets possèdent toujours une identité sémio-anthropologique qui leur es propre […] : ils communiquent, produisent des signes et des stratégies, des programmes d’action et des programmes de résistance par rapport aux sujets humains ».
– En vous référant au document 3, expliquez le sens du mot « faitiche » créé par Bruno Latour (page 114).
– Pourquoi F. Montanari dit du téléphone mobile que c’est un objet « néo-magique » ?
– Cherchez sur Internet des publicités pour le téléphone portable illustrant les notions abordées ci-dessus ; ou cherchez d’autres objets qui participent à la mise en scène de soi.

  • Enfin, choisissez l’un de ces questionnements et essayez de construire un plan d’écriture personnelle en 15 minutes.

Bon courage à toutes et à tous pour l’examen !