Objectif EAF… Commentaire littéraire Anna de Noailles "Le Port de Palerme" par Cécile…

Entraînement à l’EAF
Commentaire littéraire 
Anna de Noailles,
« Le Port de Palerme »

Corrigé élèves
Aujourd’hui, le commentaire de Cécile D-S.
Classe de Seconde 1, promotion 2011-2012
Lisez également le commentaire de Clarisse et celui de Sarah.

Après avoir publié les commentaires de Clarisse et de Sarah, je vous laisse découvrir aujourd’hui le très original commentaire de Cécile sur lequel s’achève notre cycle d’étude consacré à la poésie d’Anna de Noailles…

 

TEXTE
 
 

Je regardais souvent, de ma chambre si chaude,
Le vieux port goudronné de Palerme, le bruit
Que faisaient les marchands, divisés par la fraude,
Autour des sacs de grains, de farine et de fruits,
Sous un beau ciel, teinté de splendeur et d’ennui…

J’aimais la rade noire et sa pauvre marine,
Les vaisseaux délabrés d’où j’entendais jaillir
Cet éternel souhait du cœur humain : partir !
— Les vapeurs, les sifflets faisaient un bruit d’usine
Dans ces cieux où le soir est si lent à venir…

C’était l’heure où le vent, en hésitant, se lève
Sur la ville et le port que son aile assainit.
Mon cœur fondait d’amour, comme un nuage crève.
J’avais soif d’un breuvage ineffable et béni,
Et je sentais s’ouvrir, en cercles infinis,
Dans le désert d’azur les citernes du rêve.

 

ans son recueil Les Vivants et les morts publié en 1913, celle que l’on surnomma «la muse des jardins» est parvenue à construire une vision poétique à la fois intimiste, sensorielle et sensible, dont « Le Port de Palerme » constitue sans nul doute l’une des expressions les plus abouties. De fait, Anna de Noailles a utilisé à dessein l’intimité féminine  pour transporter ses lecteurs dans une envolée lyrique et spirituelle particulièrement originale. D’inspiration néoromantique mais influencé également par des motifs symbolistes, ce texte adopte le registre de l’expérience vécue pour s’épanouir en un chant exaltant magnifiquement la réalité et la nature, mais aussi et surtout le moi dans son rapport au monde sensible.

          Inspirée par la thématique de l’amour et de la mort, cette artiste nous transporte donc dans un voyage spirituel et passionné inspiré d’une expérience individuelle. C’est ainsi que, si l’on peut considérer « le Port de Palerme » comme un épanchement inscrit au cœur de l’expérience sensible, le texte invite également le lecteur à une universalisation de cette expérience, pour proposer une idéalisation du monde, que nous interprèterons selon la thématique symboliste. Dans la première partie de notre travail, nous nous intéresserons à la description pittoresque et réaliste du lieu. Nous montrerons ensuite comment cette vision s’épanouit dans un imaginaire intimiste apte à mettre en évidence le désir de l’ailleurs et la quête de l’infini…

la première lecture, c’est une image atypique de la poésie qui s’offre à nous. C’est en effet le décor urbain et industriel du port de Palerme qui sert de toile de fond au texte. Celui-ci conjugue à l’épanchement romantique la représentation réaliste des apparences matérielles : ainsi est-il question d’un « vieux port goudronné », « de sacs de grains, de farine et de fruits », de «citernes»… Et sans doute est-il vrai qu’à travers l’utilisation d’expressions se rapportant au réel référentiel, ce texte ne se rattache —tout au moins en apparence— en rien à l’idéal romantique. Nous avons donc l’impression que c’est une personne ordinaire qui se chargerait de décrire quelque carte postale représentant le port de Palerme.

          Image atypique disions-nous, quand on sait combien pour les Romantiques et les Symbolistes, le matérialisme est souvent associé à la déchéance, voire à la dégénérescence ! Or, qu’on ne s’y trompe pas : comme nous le verrons, cette capacité de tendre au réel est évidemment tout le contraire de celui prôné par les romanciers naturalistes. Toute la beauté et l’harmonie du poème tiennent donc dans le réalisme de la signification spirituelle du concret : en décrivant le paysage d’une manière réaliste, la poétesse a pour but de réenchanter le réel grâce au pouvoir évocateur de la poésie.

          Ce n’est qu’à partir du vers cinq que nous comprenons combien la description, loin de se borner à un rôle décoratif, atteint à un rôle substantiel unique : l’alliance faite entre deux mots de sens incompatible  « splendeur » et « ennui » a en effet de quoi dérouter : d’un côté l’Idéal de la beauté, de l’autre une certaine vision spleenétique qui n’est pas sans évoquer l’univers baudelairien. Mais Anna de Noailles prend soin de parler  d’un «beau ciel», comme si la beauté comprenait ce dualisme même, propice à la rêverie et au recueillement : on comprend qu’Anna de Noailles partage en une même acception deux visions contradictoires de la vie : d’une part la vision enchanteresse et glorifiée («splendeur») et d’autre part la vision abaissée et ternie («ennui»).

          Pour bien comprendre ce rapport signifiant, il faut en réalité se pencher sur le haut degré d’intuition abstractive de la poésie d’Anna de Noailles : l’observation détaillée et concrète du port de Palerme dévoile d’une manière implicite le mystère de l’être et du monde qui est le véritable réel auquel devrait tendre l’Art : plus qu’une banale transcription de la réalité, il en est la représentation et la métamorphose : c’est ainsi que le réalisme des signes, des rêves et du spirituel qui apparaît dans cette poésie tente donc de stimuler l’imaginaire et la sensibilité des lecteurs pour permettre le passage du monde réel au monde de l’idée, et pour offrir la possibilité d’une connaissance de soi dans l’acte poétique.

ous pouvons distinguer un puissant contraste entre le début et la fin du poème. Si dans les premiers vers semblait prévaloir la description réaliste et banale d’un port italien, la suite du texte amène le lecteur à infléchir ce point de vue. La description devient alors progressivement un rêve dont chaque seconde est un espoir supplémentaire pour «partir !». Le champ lexical du voyage qui se développe ainsi à partir de la deuxième strophe («marine», «vaisseaux», «partir», «vapeurs», «cieux») laisse entrevoir l’essence dans l’existence : l’essence, c’est avant tout le spirituel, né dans la contemplation au plus profond de l’être de l’existence, dans ce qu’elle a de plus banal et de plus quotidien : comme si le port n’était plus décrit réellement, mais bel et bien imaginé et idéalisé comme moyen d’accéder à la connaissance de soi.

          Cette intensité spirituelle nous semble bien apparaître au vers huit : plus que le cliché romantique du dépaysement, c’est au contraire l’imagination et le recueillement qui apparaissent. Au « bruit/Que faisaient les marchands, divisés par la fraude », succède le grand silence du voyage : « Cet éternel souhait du cœur humain : partir ! ». N’assiste-t-on pas ici à une représentation du « cœur  humain » toute chargée de plénitude et d’allégorie ? Ne prend-il pas l’allure d’une révélation du moi ? Comme si le « cœur » entier du monde exigeait de s’éloigner des apparences pour pénétrer l’essence de toute chose, dans le feu de la communion spirituelle avec le matériel, pour atteindre ainsi un monde dénué de règles, utopiste mais bien réel : fuite vers un ailleurs primitiviste et, au sens propre du terme, essentiel.

          Une deuxième interprétation de ce vers, cette fois-ci beaucoup plus grave, serait que ce cœur qui bat à chaque seconde de la vie, peut un jour décider de s’arrêter, de « partir » et  ainsi faire disparaître l’amour à tout jamais…  Ce réel goût pour l’exil s’abîmerait donc sur la mort, comme le suggère d’ailleurs le titre du recueil. La tonalité exclamative du vers, si elle renforce l’idéalisme du voyage, témoignerait donc d’une certaine affinité avec la question primordiale d’un au-delà du monde. S’ajoute à cela l’allusion aux «vapeurs» (v. 9) qui amplifie cette attirance pour l’inconnu et l’immatériel. Intéressons-nous enfin au vers dix : « Dans ces cieux où le soir est si lent à venir… ». Le pluriel connote ici bien plus que le ciel : la recherche incessante et contemplative de Dieu, c’est-à-dire du paradis.

          En observant attentivement le dernier sizain, il convient dès lors de s’interroger sur l’opposition entre le verbe « assainir » au vers douze et le verbe « crever » au vers treize. De fait, si le verbe « assainir » évoque le désir de purification, le verbe « crever » possède en revanche une connotation brutale qui confère aux émotions humaines toute leur force : ici le cœur rempli d’amour est comparé à un nuage qui « crève » : si cette comparaison expose une vision chaotique de l’amour, résultant assurément d’une déception sentimentale, elle amène à comprendre aussi que le monde idéaliste dont parle la poétesse tend vers l’Absolu, où l’allégorie du bonheur est d’abord l’Idéal recherché. Ce n’est pas un hasard si la dernière strophe amène à un déchiffrement du mystère du monde : des mots comme « nuage », « béni », « infinis », « ineffable » ou « rêve » sont comme l’expression de la vérité la plus transcendante et la plus inaccessible à la raison.

          Le poème s’achève ainsi sur une évocation idéalisée de l’Idéal et de l’ailleurs. Aux inévitables déceptions de l’amour humain, succède la richesse de la vie spirituelle : Anna de Noailles semble vouée à la quête mystique et platonicienne du paysage parfait : ainsi a-t-elle « soif d’un breuvage ineffable et béni ». L’ineffable, c’est ce qui ne peut être exprimé, et qui prépare à la révélation mystique : le réel se confond avec l’irréel, et l’abstrait s’unit intimement avec le concret. Même le réel le plus matériel devient immatériel : de simples citernes se métamorphosent subitement en « citernes du rêve »…

omme nous l’avons compris, l’acte d’écrire pour Anna de Noailles, s’élabore sur des notions à la fois concrètes et abstraites. Le poème est ainsi le chant d’une connaissance du monde et d’une connaissance de soi : face à une âme noyée dans l’ennui du quotidien, l’acte d’écrire suppose une méditation vers la Vérité essentielle. Ce n’est guère un hasard si l’œuvre d’Anna de Noailles fait de l’art un enjeu dans la quête de la foi et dans la quête de soi. C’est donc grâce aux richesses de l’art poétique que cette auteure cherche à atteindre une réalité idéaliste et transcendante. N’est-il pas vrai que « Le Port de Palerme », comme nous avons cherché à le montrer, résulte d’un voyage métaphorique et d’une idéalisation du monde qui élève le réel à un niveau supérieur de connaissance ?
          Placée au cœur d’un conflit, la poésie est aussi une réconciliation entre la réalité la plus matérielle et l’ineffable poème du monde…

© Cécile D-S. (Lycée en Forêt, Classe de Seconde 1, février 2012)
Relecture du manuscrit : Bruno Rigolt

NetÉtiquette : article protégé par copyright ; la diffusion publique est autorisée sous réserve d’indiquer le nom de l’auteur ainsi que la source (URL de la page).

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Objectif EAF… Commentaire littéraire Anna de Noailles « Le Port de Palerme » par Cécile…

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Anna de Noailles,
« Le Port de Palerme »

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Aujourd’hui, le commentaire de Cécile D-S.
Classe de Seconde 1, promotion 2011-2012
Lisez également le commentaire de Clarisse et celui de Sarah.

Après avoir publié les commentaires de Clarisse et de Sarah, je vous laisse découvrir aujourd’hui le très original commentaire de Cécile sur lequel s’achève notre cycle d’étude consacré à la poésie d’Anna de Noailles…

 

TEXTE
 
 

Je regardais souvent, de ma chambre si chaude,
Le vieux port goudronné de Palerme, le bruit
Que faisaient les marchands, divisés par la fraude,
Autour des sacs de grains, de farine et de fruits,
Sous un beau ciel, teinté de splendeur et d’ennui…

J’aimais la rade noire et sa pauvre marine,
Les vaisseaux délabrés d’où j’entendais jaillir
Cet éternel souhait du cœur humain : partir !
— Les vapeurs, les sifflets faisaient un bruit d’usine
Dans ces cieux où le soir est si lent à venir…

C’était l’heure où le vent, en hésitant, se lève
Sur la ville et le port que son aile assainit.
Mon cœur fondait d’amour, comme un nuage crève.
J’avais soif d’un breuvage ineffable et béni,
Et je sentais s’ouvrir, en cercles infinis,
Dans le désert d’azur les citernes du rêve.

 

ans son recueil Les Vivants et les morts publié en 1913, celle que l’on surnomma «la muse des jardins» est parvenue à construire une vision poétique à la fois intimiste, sensorielle et sensible, dont « Le Port de Palerme » constitue sans nul doute l’une des expressions les plus abouties. De fait, Anna de Noailles a utilisé à dessein l’intimité féminine  pour transporter ses lecteurs dans une envolée lyrique et spirituelle particulièrement originale. D’inspiration néoromantique mais influencé également par des motifs symbolistes, ce texte adopte le registre de l’expérience vécue pour s’épanouir en un chant exaltant magnifiquement la réalité et la nature, mais aussi et surtout le moi dans son rapport au monde sensible.

          Inspirée par la thématique de l’amour et de la mort, cette artiste nous transporte donc dans un voyage spirituel et passionné inspiré d’une expérience individuelle. C’est ainsi que, si l’on peut considérer « le Port de Palerme » comme un épanchement inscrit au cœur de l’expérience sensible, le texte invite également le lecteur à une universalisation de cette expérience, pour proposer une idéalisation du monde, que nous interprèterons selon la thématique symboliste. Dans la première partie de notre travail, nous nous intéresserons à la description pittoresque et réaliste du lieu. Nous montrerons ensuite comment cette vision s’épanouit dans un imaginaire intimiste apte à mettre en évidence le désir de l’ailleurs et la quête de l’infini…

la première lecture, c’est une image atypique de la poésie qui s’offre à nous. C’est en effet le décor urbain et industriel du port de Palerme qui sert de toile de fond au texte. Celui-ci conjugue à l’épanchement romantique la représentation réaliste des apparences matérielles : ainsi est-il question d’un « vieux port goudronné », « de sacs de grains, de farine et de fruits », de «citernes»… Et sans doute est-il vrai qu’à travers l’utilisation d’expressions se rapportant au réel référentiel, ce texte ne se rattache —tout au moins en apparence— en rien à l’idéal romantique. Nous avons donc l’impression que c’est une personne ordinaire qui se chargerait de décrire quelque carte postale représentant le port de Palerme.

          Image atypique disions-nous, quand on sait combien pour les Romantiques et les Symbolistes, le matérialisme est souvent associé à la déchéance, voire à la dégénérescence ! Or, qu’on ne s’y trompe pas : comme nous le verrons, cette capacité de tendre au réel est évidemment tout le contraire de celui prôné par les romanciers naturalistes. Toute la beauté et l’harmonie du poème tiennent donc dans le réalisme de la signification spirituelle du concret : en décrivant le paysage d’une manière réaliste, la poétesse a pour but de réenchanter le réel grâce au pouvoir évocateur de la poésie.

          Ce n’est qu’à partir du vers cinq que nous comprenons combien la description, loin de se borner à un rôle décoratif, atteint à un rôle substantiel unique : l’alliance faite entre deux mots de sens incompatible  « splendeur » et « ennui » a en effet de quoi dérouter : d’un côté l’Idéal de la beauté, de l’autre une certaine vision spleenétique qui n’est pas sans évoquer l’univers baudelairien. Mais Anna de Noailles prend soin de parler  d’un «beau ciel», comme si la beauté comprenait ce dualisme même, propice à la rêverie et au recueillement : on comprend qu’Anna de Noailles partage en une même acception deux visions contradictoires de la vie : d’une part la vision enchanteresse et glorifiée («splendeur») et d’autre part la vision abaissée et ternie («ennui»).

          Pour bien comprendre ce rapport signifiant, il faut en réalité se pencher sur le haut degré d’intuition abstractive de la poésie d’Anna de Noailles : l’observation détaillée et concrète du port de Palerme dévoile d’une manière implicite le mystère de l’être et du monde qui est le véritable réel auquel devrait tendre l’Art : plus qu’une banale transcription de la réalité, il en est la représentation et la métamorphose : c’est ainsi que le réalisme des signes, des rêves et du spirituel qui apparaît dans cette poésie tente donc de stimuler l’imaginaire et la sensibilité des lecteurs pour permettre le passage du monde réel au monde de l’idée, et pour offrir la possibilité d’une connaissance de soi dans l’acte poétique.

ous pouvons distinguer un puissant contraste entre le début et la fin du poème. Si dans les premiers vers semblait prévaloir la description réaliste et banale d’un port italien, la suite du texte amène le lecteur à infléchir ce point de vue. La description devient alors progressivement un rêve dont chaque seconde est un espoir supplémentaire pour «partir !». Le champ lexical du voyage qui se développe ainsi à partir de la deuxième strophe («marine», «vaisseaux», «partir», «vapeurs», «cieux») laisse entrevoir l’essence dans l’existence : l’essence, c’est avant tout le spirituel, né dans la contemplation au plus profond de l’être de l’existence, dans ce qu’elle a de plus banal et de plus quotidien : comme si le port n’était plus décrit réellement, mais bel et bien imaginé et idéalisé comme moyen d’accéder à la connaissance de soi.

          Cette intensité spirituelle nous semble bien apparaître au vers huit : plus que le cliché romantique du dépaysement, c’est au contraire l’imagination et le recueillement qui apparaissent. Au « bruit/Que faisaient les marchands, divisés par la fraude », succède le grand silence du voyage : « Cet éternel souhait du cœur humain : partir ! ». N’assiste-t-on pas ici à une représentation du « cœur  humain » toute chargée de plénitude et d’allégorie ? Ne prend-il pas l’allure d’une révélation du moi ? Comme si le « cœur » entier du monde exigeait de s’éloigner des apparences pour pénétrer l’essence de toute chose, dans le feu de la communion spirituelle avec le matériel, pour atteindre ainsi un monde dénué de règles, utopiste mais bien réel : fuite vers un ailleurs primitiviste et, au sens propre du terme, essentiel.

          Une deuxième interprétation de ce vers, cette fois-ci beaucoup plus grave, serait que ce cœur qui bat à chaque seconde de la vie, peut un jour décider de s’arrêter, de « partir » et  ainsi faire disparaître l’amour à tout jamais…  Ce réel goût pour l’exil s’abîmerait donc sur la mort, comme le suggère d’ailleurs le titre du recueil. La tonalité exclamative du vers, si elle renforce l’idéalisme du voyage, témoignerait donc d’une certaine affinité avec la question primordiale d’un au-delà du monde. S’ajoute à cela l’allusion aux «vapeurs» (v. 9) qui amplifie cette attirance pour l’inconnu et l’immatériel. Intéressons-nous enfin au vers dix : « Dans ces cieux où le soir est si lent à venir… ». Le pluriel connote ici bien plus que le ciel : la recherche incessante et contemplative de Dieu, c’est-à-dire du paradis.

          En observant attentivement le dernier sizain, il convient dès lors de s’interroger sur l’opposition entre le verbe « assainir » au vers douze et le verbe « crever » au vers treize. De fait, si le verbe « assainir » évoque le désir de purification, le verbe « crever » possède en revanche une connotation brutale qui confère aux émotions humaines toute leur force : ici le cœur rempli d’amour est comparé à un nuage qui « crève » : si cette comparaison expose une vision chaotique de l’amour, résultant assurément d’une déception sentimentale, elle amène à comprendre aussi que le monde idéaliste dont parle la poétesse tend vers l’Absolu, où l’allégorie du bonheur est d’abord l’Idéal recherché. Ce n’est pas un hasard si la dernière strophe amène à un déchiffrement du mystère du monde : des mots comme « nuage », « béni », « infinis », « ineffable » ou « rêve » sont comme l’expression de la vérité la plus transcendante et la plus inaccessible à la raison.

          Le poème s’achève ainsi sur une évocation idéalisée de l’Idéal et de l’ailleurs. Aux inévitables déceptions de l’amour humain, succède la richesse de la vie spirituelle : Anna de Noailles semble vouée à la quête mystique et platonicienne du paysage parfait : ainsi a-t-elle « soif d’un breuvage ineffable et béni ». L’ineffable, c’est ce qui ne peut être exprimé, et qui prépare à la révélation mystique : le réel se confond avec l’irréel, et l’abstrait s’unit intimement avec le concret. Même le réel le plus matériel devient immatériel : de simples citernes se métamorphosent subitement en « citernes du rêve »…

omme nous l’avons compris, l’acte d’écrire pour Anna de Noailles, s’élabore sur des notions à la fois concrètes et abstraites. Le poème est ainsi le chant d’une connaissance du monde et d’une connaissance de soi : face à une âme noyée dans l’ennui du quotidien, l’acte d’écrire suppose une méditation vers la Vérité essentielle. Ce n’est guère un hasard si l’œuvre d’Anna de Noailles fait de l’art un enjeu dans la quête de la foi et dans la quête de soi. C’est donc grâce aux richesses de l’art poétique que cette auteure cherche à atteindre une réalité idéaliste et transcendante. N’est-il pas vrai que « Le Port de Palerme », comme nous avons cherché à le montrer, résulte d’un voyage métaphorique et d’une idéalisation du monde qui élève le réel à un niveau supérieur de connaissance ?
          Placée au cœur d’un conflit, la poésie est aussi une réconciliation entre la réalité la plus matérielle et l’ineffable poème du monde…

© Cécile D-S. (Lycée en Forêt, Classe de Seconde 1, février 2012)
Relecture du manuscrit : Bruno Rigolt

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