Cadavres exquis par la classe de Seconde 1

Dans le cadre du Printemps des Poètes, La classe de Seconde 1 du Lycée en Forêt (promotion 2011-2012) vous présente ses « Cadavres Exquis ». Inventés par les Surréalistes parmi bien d’autres jeux d’esprit, les « Cadavres exquis » sont une sorte de « Colin maillard perfectionné » selon l’expression même d’André Breton. Cette production de la classe de Seconde 1 s’inscrit en effet très bien dans la démarche surréaliste qui mène à la « libération du verbe ».

Louis Aragon, Elsa Triolet, André Breton, Paul Éluard, Nusch en 1930. (cliché anonyme)

C’est dans ce chaos d’images neuves, qui consiste à déjouer les clichés en jouant avec les automatismes, que les élèves ont puisé la source de leur inspiration, sur fond de métaphores autant imprévues qu’irréelles. De fait, le seul dénominateur commun qui existe entre tous les textes est le pouvoir des mots, qui prend évidemment le contrepied de la poésie traditionnelle. Pourtant, il ne faudrait pas voir seulement dans ces créations une gratuité : au-delà du rire, du farfelu ou de l’exubérant transparaît souvent un profond message humain…

 

Cadavres exquis
(et un peu tristes parfois)

Classe de Seconde 1
Lycée en Forêt — Montargis — France

 

Quand les oiseaux n’eurent plus soif
J’ai pris un verre d’eau
Dans le couloir de mon cœur
Et j’ai fabriqué des larmes
Au creux de la faim du monde
Envolée.

 

En ouvrant la porte
D’un carambar géant,
J’ai touché les ailes du clair de lune…

 

Un premier baiser pour trouver
Le cœur perdu de la vie
Comme une larme trouvée
Dans le pot de Nutella
À l’heure où le soir ne battait plus.

 

Près du Lycée en Forêt,
Un crocodile claqua des dents
Pour atteindre la fin de ses jours
Au lever du soleil
En offrant tout son cœur à la vie
Sur le toit d’une voiture.

 

En cours de Français,
J’ai joué avec un angle de la terre
Qui s’appelle le crépuscule infini
Avec mon épée enfoncée
Dans des voyelles
Qui étaient déjà fanées…

 

Comme un désir prouvant
Comme rose bercée
Dans le vent
Mon cœur a subi la tempête
J’ai fermé la fenêtre de ma limousine
Qui gambadait dans le monde
Aussi grand
Qu’un grain de sable.

 

À l’heure où le crépuscule
Quitte la table,
J’ai cherché des pépites dorées
Dans la voie lactée de tes yeux
Et j’ai pleuré le cœur en miettes
Pour contempler la naissance du vent…

 

Au crépuscule,
Un carambar se balançait de branche en branche
Les cheveux dans le vent
Pour échapper au monde…

Un clin d’œil à René Magritte…
Voyez en particulier ce tableau : « La Trahison des images« 

Les textes ont été réalisés collectivement par les élèves de Seconde 1 le samedi 17 décembre 2011.

La citation de la semaine… Christine de Pisan… Première féministe de l'Occident !

« Et ainsi sont les femmes diffamées
Par tant de gens et à grand tort blâmées… »

Christine de Pizan, manuscrit original des Œuvres (l’Epistre au Dieu d’amours, folio 55 recto).
Source : Bibliothèque nationale de France, Département des manuscrits

Et ainsi sont les femmes diffamées Et ainsi sont les femmes diffamées
Par tant de gens et à grand tort blâmées De pluseurs gens et a grant tort blasmées
En paroles et dans plusieurs écrits, Et de bouche et en pluseurs escrips,
Où qu’il soit, vrai ou non, tel est le cri. Ou qu’il soit voir ou non, tel est li crys.
Mais, quoi qu’on en ait médit ou mal écrit, Mais, qui qu’en ait mesdit ou mal escript,
Je ne trouve aucun livre ni récit Je ne truis pas en livre n’en escript
[…]
Aucun Evangile qui du mal des femmes témoigne N’euvangile qui nul mal en tesmoigne,
Mais maint grand bien, mainte haute valeur, Mais maint grant bien, mainte haulte besoigne,
Grande prudence, grande sagesse et grande constance, Grant prudence, grant sens et grant constance,
Parfait amour […] Perfaitte amour […]
Grande charité, fervente volonté, Grant charité, fervente volenté,

Ferme et entier courage assumé Ferme et entier corage entalenté
De servir Dieu, et vraie preuve elles en firent. À Dieu servir et vraye preuve en firent
[…]
Hormis les femmes, →Le doux Jésus Fors des femmes fu de tous delaissié
←fut de tous délaissé, blessé, mort et décomposé. Le doulz Jhesus, navré, mort et blecié.

[…]
Quoi de mauvais donc [sur les femmes] peut être dit ? Quelz grans maulz donc en pevent estre diz ?
Par leur mérite, n’ont-elles pas droit au paradis ? Par desservir n’ont elles paradis ?
De quels crimes peut-on les accuser ? De quelz crismes les peut on accuser ?

[…]
Par ces preuves justes et véritables  Par ces preuves justes et veritables
Je conclus que tous les hommes raisonnables Je conclus que tous hommes raisonables
Doivent considérer les femmes, les chérir, les aimer, Doivent femmes prisier, cherir, amer,
Et ne doivent avoir à cœur de les blâmer Et ne doivent avoir cuer de blasmer
Elles de qui tout homme est descendu. Elles de qui tout homme est descendu.

Christine de Pisan, l’Epistre au Dieu d’amours (1399)
Adapté du moyen Français par Bruno Rigolt

Manuscrit original en mode texte consultable ici (éd. Miranda Remnek, University of Minnesota, Minneapolis, MN, 1998).

Christine de Pisan à sa table de travail
 

Christine de Pisan

(ou Pizan, Venise, c. 1364-Monastère de Poissy, c. 1430) est la fille de Tommaso di Benvenuto da Pizzano, l’astrologue de Charles V. De naissance italienne, cette poétesse et philosophe française du Moyen Âge peut être à juste titre considérée comme la première féministe de l’Occident. « Elevée à la cour sous les yeux d’un prince éclairé et d’un père passionné pour toutes les sciences à la fois, Christine se familiarisa de bonne heure avec l’étude » (1). Puis elle se marie à Étienne de Castel, notaire royal, dont elle sera veuve en 1389, à l’âge de vingt-cinq ans. Endettée et réduite à la pauvreté avec trois enfants à charge, Christine de Pisan est contrainte de travailler. Mais ces épreuves sont pour elle l’occasion d’assumer pleinement le statut, si nouveau à l’époque, de femme de lettres, et de prendre parti contre l’antiféminisme médiéval. 

Comme l’ont noté Maïté Albistur et Daniel Armogathe dans leur Histoire du féminisme français, « la figure dominante du féminisme au XIVe et XVe siècle, c’est Christine de Pisan » (2). De fait, cette Epistre au Dieu d’amours fait une large place à la question de la défense des femmes, en des termes étonnamment modernes. Ainsi constitue-t-elle un plaidoyer féministe avant la lettre (3). Exploitant —avec quel art et quelle finesse— le langage codifié de la poésie courtoise, dont elle n’hésite pas à renouveler les conventions thématiques, l’auteure en profite d’abord pour régler ses comptes avec la cour, déclenchant par là-même une vaste querelle littéraire et morale dont elle triomphera. Tout d’abord, il faut saluer le courage de Christine de Pisan : prenant explicitement la défense de « l’honneur des dames », et réfutant non moins ouvertement les thèses dégradantes du Roman de la Rose de Jean de Meung (4), Christine de Pisan réhabilite l’honneur des femmes, en prouvant que la faiblesse du corps ne saurait être confondue avec la faiblesse de l’esprit :

Et ainsi sont les femmes diffamées
Par tant de gens et à grand tort blâmées
En paroles et dans plusieurs écrits,
Où qu’il soit, vrai ou non, tel est le cri.

Fondamentalement, ce texte qui plaide la cause des femmes, fait donc apparaître une conscience de genre qui est aussi une conscience féministe.  En tant que protestation « contre la subordination dans laquelle les femmes sont tenues au nom de la religion ou d’une philosophie concluant à leur infériorité naturelle » (5), l’Epistre au Dieu d’amours doit être considérée comme un texte fondateur et profondément subversif. J’en veux pour preuve le dernier vers du passage que j’ai sélectionné, et qui mérite qu’on sy attarde :

Elles de qui tout homme est descendu.

Comme nous le pressentons, ce vers s’oppose à l’exégèse traditionnelle qui fait de la femme un être dérivé de l’homme. Or, c’est la Génèse même (6) qui semble ici controversée, et à travers elle, la sujétion de la femme. Le fameux épisode de la création d’Ève à partir d’une côte d’Adam (Genèse 2:21, 22) est ainsi inversé : c’est l’homme qui descend de la femme ! Cette remise en cause des présupposés initiaux est fondamentale dans la mesure où elle conteste la nature de la femme comme dérivée de l’homme, et donc subordonnée à l’homme…

Copyright © mars 2012, Bruno Rigolt (dernière mise à jour : mars 2016)

NOTES

(1) Jean Alexandre C. Buchon, Choix de chroniques et mémoires sur l’histoire de France, 1838,  p. XII.
(2) Maïté Albistur, Daniel Armogathe, Histoire du féminisme français du Moyen Age à nos jours, éd. Des Femmes, Paris 1977, p. 53.
(3) Ce texte est parfois abusivement intitulé « Plaidoyer pour les femmes », mais un tel titre n’est absolument pas conforme au manuscrit original.
(4) Dans le Roman de la Rose, « Jean de Meung balaye les illusions de l’amour courtois pour ramener l’amour à ses dimensions d’instinct et les attitudes de la femme à des manœuvres calculées ». Jean Rychner, édition critique des XV joies de mariage, Droz, Genève 1999, p. XIII.
(5) Nicole Racine-Furlaud, Revue française de science politique, année 1981, volume   31, numéro   2    pp. 450-454.
(6) « Et l’Éternel Dieu fit tomber un profond sommeil sur Adam, qui s’endormit ; et il prit une de ses côtes, et resserra la chair à sa place. Et l’Éternel Dieu forma une femme de la côte qu’il avait prise d’Adam, et la fit venir vers Adam. »

Découvrez d’autres textes de Christine de Pisan avec le projet Gutenberg.

Ci-dessus, de larges extraits de la thèse que Rose Rigaud a consacrée aux Idées féministes de Christine de Pisan. Slatkine Reprints 1973, Genève (Suisse).

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Olympe de Gouges ; George Sand ; Colette ; Simone de Beauvoir ; Benoîte Groult ; Annie Leclerc

La citation de la semaine… Christine de Pisan… Première féministe de l’Occident !

« Et ainsi sont les femmes diffamées
Par tant de gens et à grand tort blâmées… »

Christine de Pizan, manuscrit original des Œuvres (l’Epistre au Dieu d’amours, folio 55 recto).
Source : Bibliothèque nationale de France, Département des manuscrits

Et ainsi sont les femmes diffamées Et ainsi sont les femmes diffamées
Par tant de gens et à grand tort blâmées De pluseurs gens et a grant tort blasmées
En paroles et dans plusieurs écrits, Et de bouche et en pluseurs escrips,
Où qu’il soit, vrai ou non, tel est le cri. Ou qu’il soit voir ou non, tel est li crys.
Mais, quoi qu’on en ait médit ou mal écrit, Mais, qui qu’en ait mesdit ou mal escript,
Je ne trouve aucun livre ni récit Je ne truis pas en livre n’en escript
[…]
Aucun Evangile qui du mal des femmes témoigne N’euvangile qui nul mal en tesmoigne,
Mais maint grand bien, mainte haute valeur, Mais maint grant bien, mainte haulte besoigne,
Grande prudence, grande sagesse et grande constance, Grant prudence, grant sens et grant constance,
Parfait amour […] Perfaitte amour […]
Grande charité, fervente volonté, Grant charité, fervente volenté,

Ferme et entier courage assumé Ferme et entier corage entalenté
De servir Dieu, et vraie preuve elles en firent. À Dieu servir et vraye preuve en firent
[…]
Hormis les femmes, →Le doux Jésus Fors des femmes fu de tous delaissié
←fut de tous délaissé, blessé, mort et décomposé. Le doulz Jhesus, navré, mort et blecié.

[…]
Quoi de mauvais donc [sur les femmes] peut être dit ? Quelz grans maulz donc en pevent estre diz ?
Par leur mérite, n’ont-elles pas droit au paradis ? Par desservir n’ont elles paradis ?
De quels crimes peut-on les accuser ? De quelz crismes les peut on accuser ?

[…]
Par ces preuves justes et véritables  Par ces preuves justes et veritables
Je conclus que tous les hommes raisonnables Je conclus que tous hommes raisonables
Doivent considérer les femmes, les chérir, les aimer, Doivent femmes prisier, cherir, amer,
Et ne doivent avoir à cœur de les blâmer Et ne doivent avoir cuer de blasmer
Elles de qui tout homme est descendu. Elles de qui tout homme est descendu.

Christine de Pisan, l’Epistre au Dieu d’amours (1399)
Adapté du moyen Français par Bruno Rigolt

Manuscrit original en mode texte consultable ici (éd. Miranda Remnek, University of Minnesota, Minneapolis, MN, 1998).

            Christine de Pisan à sa table de travail

 

Christine de Pisan

(ou Pizan, Venise, c. 1364-Monastère de Poissy, c. 1430) est la fille de Tommaso di Benvenuto da Pizzano, l’astrologue de Charles V. De naissance italienne, cette poétesse et philosophe française du Moyen Âge peut être à juste titre considérée comme la première féministe de l’Occident. « Elevée à la cour sous les yeux d’un prince éclairé et d’un père passionné pour toutes les sciences à la fois, Christine se familiarisa de bonne heure avec l’étude » (1). Puis elle se marie à Étienne de Castel, notaire royal, dont elle sera veuve en 1389, à l’âge de vingt-cinq ans. Endettée et réduite à la pauvreté avec trois enfants à charge, Christine de Pisan est contrainte de travailler. Mais ces épreuves sont pour elle l’occasion d’assumer pleinement le statut, si nouveau à l’époque, de femme de lettres, et de prendre parti contre l’antiféminisme médiéval. 

Comme l’ont noté Maïté Albistur et Daniel Armogathe dans leur Histoire du féminisme français, « la figure dominante du féminisme au XIVe et XVe siècle, c’est Christine de Pisan » (2). De fait, cette Epistre au Dieu d’amours fait une large place à la question de la défense des femmes, en des termes étonnamment modernes. Ainsi constitue-t-elle un plaidoyer féministe avant la lettre (3). Exploitant —avec quel art et quelle finesse— le langage codifié de la poésie courtoise, dont elle n’hésite pas à renouveler les conventions thématiques, l’auteure en profite d’abord pour régler ses comptes avec la cour, déclenchant par là-même une vaste querelle littéraire et morale dont elle triomphera.

Crésit iconographique : Andrea Hopkins, Six Medieval Women, Barnes & Noble, 1999.

Tout d’abord, il faut saluer le courage de Christine de Pisan : prenant explicitement la défense de « l’honneur des dames », et réfutant non moins ouvertement les thèses dégradantes du Roman de la Rose de Jean de Meung (4), Christine de Pisan réhabilite l’honneur des femmes, en prouvant que la faiblesse du corps ne saurait être confondue avec la faiblesse de l’esprit :

Et ainsi sont les femmes diffamées
Par tant de gens et à grand tort blâmées
En paroles et dans plusieurs écrits,
Où qu’il soit, vrai ou non, tel est le cri.

Fondamentalement, ce texte qui plaide la cause des femmes, fait donc apparaître une conscience de genre qui est aussi une conscience féministe.  En tant que protestation « contre la subordination dans laquelle les femmes sont tenues au nom de la religion ou d’une philosophie concluant à leur infériorité naturelle » (5), l’Epistre au Dieu d’amours doit être considérée comme un texte fondateur et profondément subversif. J’en veux pour preuve le dernier vers du passage que j’ai sélectionné, et qui mérite qu’on sy attarde :

Elles de qui tout homme est descendu.

Comme nous le pressentons, ce vers s’oppose à l’exégèse traditionnelle qui fait de la femme un être dérivé de l’homme. Or, c’est la Génèse même (6) qui semble ici controversée, et à travers elle, la sujétion de la femme. Le fameux épisode de la création d’Ève à partir d’une côte d’Adam (Genèse 2:21, 22) est ainsi inversé : c’est l’homme qui descend de la femme ! Cette remise en cause des présupposés initiaux est fondamentale dans la mesure où elle conteste la nature de la femme comme dérivée de l’homme, et donc subordonnée à l’homme…

Copyright © mars 2012, Bruno Rigolt (dernière mise à jour : mars 2016)

NOTES

(1) Jean Alexandre C. Buchon, Choix de chroniques et mémoires sur l’histoire de France, 1838,  p. XII.
(2) Maïté Albistur, Daniel Armogathe, Histoire du féminisme français du Moyen Age à nos jours, éd. Des Femmes, Paris 1977, p. 53.
(3) Ce texte est parfois abusivement intitulé « Plaidoyer pour les femmes », mais un tel titre n’est absolument pas conforme au manuscrit original.
(4) Dans le Roman de la Rose, « Jean de Meung balaye les illusions de l’amour courtois pour ramener l’amour à ses dimensions d’instinct et les attitudes de la femme à des manœuvres calculées ». Jean Rychner, édition critique des XV joies de mariage, Droz, Genève 1999, p. XIII.
(5) Nicole Racine-Furlaud, Revue française de science politique, année 1981, volume   31, numéro   2    pp. 450-454.
(6) « Et l’Éternel Dieu fit tomber un profond sommeil sur Adam, qui s’endormit ; et il prit une de ses côtes, et resserra la chair à sa place. Et l’Éternel Dieu forma une femme de la côte qu’il avait prise d’Adam, et la fit venir vers Adam. »

Découvrez d’autres textes de Christine de Pisan avec le projet Gutenberg.

Ci-dessus, de larges extraits de la thèse que Rose Rigaud a consacrée aux Idées féministes de Christine de Pisan. Slatkine Reprints 1973, Genève (Suisse).

Ces autres « Citations de la semaines » peuvent également vous intéresser :
Olympe de Gouges ; George Sand ; Colette ; Simone de Beauvoir ; Benoîte Groult ; Annie Leclerc