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Le Détour

Hypocrisie et détour

               

Corpus :

  • Joachim du Bellay, « Ces vieux singes de cour » (Les Regrets, 1558)

Seigneur, je ne saurais regarder d’un bon œil
Ces vieux Singes de Cour qui ne savent rien faire,
Sinon en leur marcher leurs maîtres contrefaire
Et se vêtir comme eux d’un pompeux appareil.
Si leur maître se moque, ils feront le pareil,
S’il ment, ce ne sont eux qui diront du contraire.
Plutôt auront-ils vu, afin de lui complaire,
La lune en plein midi, à minuit le soleil.
Si quelqu’un devant eux reçoit un bon visage
Ils le vont caresser, bien qu’ils crèvent de rage :
S’il le reçoit mauvais, ils le montrent au doigt.
Mais ce qui plus contre eux quelquefois me dépite,
C’est quand devant le Roi, d’un visage hypocrite,
Ils se prennent à rire, et ne savent pourquoi.

  • Molière, Tartuffe ou l’imposteur (1664), Acte III, scènes 2 et 3

SCÈNE II. – Tartuffe, Laurent, Dorine.
TARTUFFE, apercevant Dorine.
Laurent, serrez ma haire avec ma discipline,
Et priez que toujours le Ciel vous illumine.
Si l’on vient pour me voir, je vais aux prisonniers
Des aumônes que j’ai partager les deniers.
DORINE.
Que d’affectation et de forfanterie !
TARTUFFE.
Que voulez-vous ?
DORINE.
Vous dire…
TARTUFFE. Il tire un mouchoir de sa poche.
Ah ! mon Dieu, je vous prie,
Avant que de parler prenez-moi ce mouchoir.
DORINE.
Comment ?
TARTUFFE.
Couvrez ce sein que je ne saurois voir :
Par de pareils objets les âmes sont blessées,
Et cela fait venir de coupables pensées.
DORINE.
Vous êtes donc bien tendre à la tentation,
Et la chair sur vos sens fait grande impression ?
Certes je ne sais pas quelle chaleur vous monte :
Mais à convoiter, moi, je ne suis point si prompte,
Et je vous verrois nu du haut jusques en bas,
Que toute votre peau ne me tenteroit pas.
TARTUFFE.
Mettez dans vos discours un peu de modestie,
Ou je vais sur-le-champ vous quitter la partie.
DORINE.
Non, non, c’est moi qui vais vous laisser en repos,
Et je n’ai seulement qu’à vous dire deux mots.
Madame va venir dans cette salle basse,
Et d’un mot d’entretien vous demande la grâce.
TARTUFFE.
Hélas ! très volontiers.
DORINE, en soi-même.
Comme il se radoucit !
Ma foi, je suis toujours pour ce que j’en ai dit.
TARTUFFE.
Viendra-t-elle bientôt ?
DORINE.
Je l’entends, ce me semble.
Oui, c’est elle en personne, et je vous laisse ensemble.
SCÈNE III. – Elmire, Tartuffe.
TARTUFFE.
Que le Ciel à jamais par sa toute bonté
Et de l’âme et du corps vous donne la santé,
Et bénisse vos jours autant que le désire
Le plus humble de ceux que son amour inspire.
ELMIRE.
Je suis fort obligée à ce souhait pieux.
Mais prenons une chaise, afin d’être un peu mieux.
TARTUFFE.
Comment de votre mal vous sentez-vous remise ?
ELMIRE.
Fort bien ; et cette fièvre a bientôt quitté prise.
TARTUFFE.
Mes prières n’ont pas le mérite qu’il faut
Pour avoir attiré cette grâce d’en haut ;
Mais je n’ai fait au Ciel nulle dévote instance
Qui n’ait eu pour objet votre convalescence.
ELMIRE.
Votre zèle pour moi s’est trop inquiété.
TARTUFFE.
On ne peut trop chérir votre chère santé,
Et pour la rétablir j’aurois donné la mienne.
ELMIRE.
C’est pousser bien avant la charité chrétienne,
Et je vous dois beaucoup pour toutes ces bontés.
TARTUFFE.
Je fais bien moins pour vous que vous ne méritez.
ELMIRE.
J’ai voulu vous parler en secret d’une affaire,
Et suis bien aise ici qu’aucun ne nous éclaire.
TARTUFFE.
J’en suis ravi de même, et sans doute il m’est doux,
Madame, de me voir seul à seul avec vous :
C’est une occasion qu’au Ciel j’ai demandée,
Sans que jusqu’à cette heure il me l’ait accordée.
ELMIRE.
Pour moi, ce que je veux, c’est un mot d’entretien,
Où tout votre coeur s’ouvre, et ne me cache rien.
TARTUFFE.
Et je ne veux aussi pour grâce singulière
Que montrer à vos yeux mon âme toute entière,
Et vous faire serment que les bruits que j’ai faits
Des visites qu’ici reçoivent vos attraits
Ne sont pas envers vous l’effet d’aucune haine,
Mais plutôt d’un transport de zèle qui m’entraîne,
Et d’un pur mouvement…
ELMIRE.
Je le prends bien aussi,
Et crois que mon salut vous donne ce souci.
TARTUFFE. Il lui serre le bout des doigts.
Oui, Madame, sans doute, et ma ferveur est telle…
ELMIRE.
Ouf ! vous me serrez trop.
TARTUFFE.
C’est par excès de zèle.
De vous faire autre mal je n’eus jamais dessein,
Et j’aurois bien plutôt…
(Il lui met la main sur le genou.)
ELMIRE.
Que fait là votre main ?
TARTUFFE.
Je tâte votre habit : l’étoffe en est moelleuse.
ELMIRE.
Ah ! de grâce, laissez, je suis fort chatouilleuse.
(Elle recule sa chaise, et Tartuffe rapproche la sienne.)
TARTUFFE.
Mon Dieu ! que de ce point l’ouvrage est merveilleux !
On travaille aujourd’hui d’un air miraculeux ;
Jamais, en toute chose, on n’a vu si bien faire.
ELMIRE.
Il est vrai. Mais parlons un peu de notre affaire.
On tient que mon mari veut dégager sa foi,
Et vous donner sa fille. Est-il vrai, dites-moi ?
TARTUFFE.
Il m’en a dit deux mots ; mais, Madame, à vrai dire,
Ce n’est pas le bonheur après quoi je soupire ;
Et je vois autre part les merveilleux attraits
De la félicité qui fait tous mes souhaits.
ELMIRE.
C’est que vous n’aimez rien des choses de la terre.
TARTUFFE.
Mon sein n’enferme pas un coeur qui soit de pierre.
ELMIRE.
Pour moi, je crois qu’au Ciel tendent tous vos soupirs,
Et que rien ici-bas n’arrête vos désirs.
TARTUFFE.
L’amour qui nous attache aux beautés éternelles
N’étouffe pas en nous l’amour des temporelles ;
Nos sens facilement peuvent être charmés
Des ouvrages parfaits que le Ciel a formés.
Ses attraits réfléchis brillent dans vos pareilles ;
Mais il étale en vous ses plus rares merveilles ;
Il a sur votre face épanché des beautés
Dont les yeux sont surpris, et les coeurs transportés,
Et je n’ai pu vous voir, parfaite créature,
Sans admirer en vous l’auteur de la nature,
Et d’une ardente amour sentir mon coeur atteint,
Au plus beau des portraits où lui-même il s’est peint.
D’abord j’appréhendai que cette ardeur secrète
Ne fût du noir esprit une surprise adroite ;
Et même à fuir vos yeux mon coeur se résolut,
Vous croyant un obstacle à faire mon salut.
Mais enfin je connus, ô beauté toute aimable,
Que cette passion peut n’être point coupable,
Que je puis l’ajuster avecque la pudeur,
Et c’est ce qui m’y fait abandonner mon coeur.
Ce m’est, je le confesse, une audace bien grande
Que d’oser de ce coeur vous adresser l’offrande ;
Mais j’attends en mes voeux tout de votre bonté,
Et rien des vains efforts de mon infirmité ;
En vous est mon espoir, mon bien, ma quiétude,
De vous dépend ma peine ou ma béatitude,
Et je vais être enfin, par votre seul arrêt,
Heureux si vous voulez, malheureux s’il vous plaît.
ELMIRE.
La déclaration est tout à fait galante,
Mais elle est, à vrai dire, un peu bien surprenante.
Vous deviez, ce me semble, armer mieux votre sein,
Et raisonner un peu sur un pareil dessein.
Un dévot comme vous, et que partout on nomme…
TARTUFFE.
Ah ! pour être dévot, je n’en suis pas moins homme […]

  • Alain, « Savoir-vivre » (21 mars 1911), Propos sur le Bonheur, 1928

Il y a une politesse de courtisan, qui n’est pas belle. Mais aussi ce n’est point de la politesse. Et il me semble que tout ce qui est voulu est hors de la politesse. Par exemple un homme réellement poli pourra traiter durement et jusqu’à la violence un homme méprisable ou méchant ; ce n’est point de l’impolitesse. La bienveillance délibérée n’est pas non plus de la politesse ; la flatterie calculée n’est pas de la politesse. La politesse se rapporte seulement aux actions que l’on fait sans y penser et qui expriment quelque chose que nous n’avons pas l’intention d’exprimer.
Un homme de premier mouvement, qui dit tout ce qui lui vient, qui s’abandonne au premier sentiment, qui marque sans retenue de l’étonnement, du dégoût, du plaisir, avant même de savoir ce qu’il éprouve, est un homme impoli ; il aura toujours à s’excuser, parce qu’il aura troublé et inquiété les autres sans intention, contre son intention.

Il est pénible de blesser quelqu’un sans l’avoir voulu, par un récit à l’étourdie ; l’homme poli est celui qui sent la gêne avant que le mal soit sans remède, et qui change de route élégamment ; mais il y a plus de politesse encore à deviner d’avance ce qu’il faut dire et ce qu’il ne faut pas dire, et, dans le doute, à laisser au maître de la maison la direction des propos. Tout cela pour éviter de nuire sans l’avoir voulu ; car, s’il juge nécessaire de piquer un dangereux personnage au bon endroit, libre à lui ; son acte relève alors de la morale à proprement parler, et non plus de la politesse.
Impolitesse est toujours maladresse. Il est méchant de faire sentir à quelqu’un l’âge qu’il a ; mais si on le fait sans le vouloir, par geste ou physionomie, ou parole trop peu méditée, on est impoli. Marcher sur le pied de quelqu’un est violence si on le fait volontairement ; si c’est involontai-rement, c’est impolitesse. Les impolitesses sont des ricochets imprévus ; un homme poli les évite et ne touche qu’où il veut toucher ; il n’en touche que mieux. Poli ne veut pas dire flatteur nécessairement.
21 mars 1911

  • Affiche du film Casanova (réalisateur : Lasse Hallström), 2005

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Documents complémentaires :

  • Molière, Le Bourgeois gentilhomme, Acte II, scène 4

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.- Je vous expliquerai à fond toutes ces curiosités.
MONSIEUR JOURDAIN.- Je vous en prie. Au reste il faut que je vous fasse une confidence. Je suis amoureux d’une personne de grande qualité, et je souhaiterais que vous m’aidassiez à lui écrire quelque chose dans un petit billet que je veux laisser tomber à ses pieds.
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.- Fort bien.
MONSIEUR JOURDAIN.- Cela sera galant, oui.
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.- Sans doute. Sont-ce des vers que vous lui voulez écrire?
MONSIEUR JOURDAIN.- Non, non, point de vers.
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.- Vous ne voulez que de la prose?
MONSIEUR JOURDAIN.- Non, je ne veux ni prose, ni vers.
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.- Il faut bien que ce soit l’un, ou l’autre.
MONSIEUR JOURDAIN.- Pourquoi?
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.- Par la raison, Monsieur, qu’il n’y a pour s’exprimer, que la prose, ou les vers.
MONSIEUR JOURDAIN.- Il n’y a que la prose, ou les vers?
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.- Non, Monsieur: tout ce qui n’est point prose, est vers; et tout ce qui n’est point vers, est prose.
MONSIEUR JOURDAIN.- Et comme l’on parle, qu’est-ce que c’est donc que cela?
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.- De la prose.
MONSIEUR JOURDAIN.- Quoi, quand je dis: « Nicole, apportez-moi mes pantoufles, et me donnez mon bonnet de nuit* », c’est de la prose?
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.- Oui, Monsieur.
MONSIEUR JOURDAIN.- Par ma foi, il y a plus de quarante ans que je dis de la prose, sans que j’en susse rien; et je vous suis le plus obligé du monde, de m’avoir appris cela. Je voudrais donc lui mettre dans un billet: Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour; mais je voudrais que cela fût mis d’une manière galante; que cela fût tourné gentiment.
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.- Mettre que les feux de ses yeux réduisent votre cœur en cendres; que vous souffrez nuit et jour pour elle les violences d’un…
MONSIEUR JOURDAIN.- Non, non, non, je ne veux point tout cela; je ne veux que ce que je vous ai dit: Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour.
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.- Il faut bien étendre un peu la chose.
MONSIEUR JOURDAIN.- Non, vous dis-je, je ne veux que ces seules paroles-là dans le billet; mais tournées à la mode, bien arrangées comme il faut. Je vous prie de me dire un peu, pour voir, les diverses manières dont on les peut mettre.
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.- On les peut mettre premièrement comme vous avez dit: Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour. Ou bien: D’amour mourir me font, belle Marquise, vos beaux yeux. Ou bien: Vos yeux beaux d’amour me font, belle Marquise, mourir. Ou bien: Mourir vos beaux yeux, belle Marquise, d’amour me font. Ou bien: Me font vos yeux beaux mourir, belle Marquise, d’amour.
MONSIEUR JOURDAIN.- Mais de toutes ces façons-là, laquelle est la meilleure?
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.- Celle que vous avez dite: Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour.
MONSIEUR JOURDAIN.- Cependant je n’ai point étudié, et j’ai fait cela tout du premier coup. Je vous remercie de tout mon cœur, et vous prie de venir demain de bonne heure.
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.- Je n’y manquerai pas.

  • Marivaux, Les Fausses confidences, Acte III, scène 15

SCENE XV
DORANTE, ARAMINTE
ARAMINTE, à part, émue -Cette folle ! (Haut.) Je suis charmée de ce qu’elle vient de m’apprendre. Vous avez fait là un très bon choix c’e st une fille aimable et d’un excellent caractère.
DORANTE, d’un air abattu – Hélas ! Madame, je ne songe point à elle.
ARAMINTE – Vous ne songez point à elle ! Elle dit que vous l’aimez, que vous l’aviez vue avant de venir ici.
DORANTE, tristement – C’est une erreur où Monsieur Remy l’a jetée sans me consulter ; et je n’ai point osé dire le contraire, dans la crainte de m’en faire une ennemie auprès de vous. Il en est de même de ce riche parti qu’elle croit que je refuse à cause d’elle ; et je n’ai nulle part à tout cela. Je suis hors d’état de donner mon coeur à personne : je l’ai perdu pour jamais, et la plus brillante de toutes les fortunes ne me tenterait pas.
ARAMINTE – Vous avez tort. Il fallait désabuser Marton.
DORANTE – Elle vous aurait peut-être empêchée de me recevoir, et mon indifférence lui en dit assez.
ARAMINTE – Mais dans la situation où vous êtes, quel intérêt aviez-vous d’entrer dans ma maison, et de la préférer à une autre ?
DORANTE – Je trouve plus de douceur à être chez vous, Madame.
ARAMINTE – Il y a quelque chose d’incompréhensible en tout ceci ! Voyez-vous souvent la personne que vous aimez ?
DORANTE, toujours abattu – Pas souvent à mon gré, Madame ; et je la verrais à tout instant, que je ne croirais pas la voir assez.
ARAMINTE, à part – Il a des expressions d’une tendresse ! (Haut.) Est-elle fille ? A-t-elle été mariée ?
DORANTE – Madame, elle est veuve.
ARAMINTE – Et ne devez-vous pas l’épouser ? Elle vous aime, sans doute ?
DORANTE – Hélas ! Madame, elle ne sait pas seulement que je l’adore. Excusez l’emportement du terme dont je me sers. Je ne saurais presque parler d’elle qu’avec transport !
ARAMINTE – Je ne vous interroge que par étonnement. Elle ignore que vous l’aimez, dites-vous, et vous lui sacrifiez votre fortune ? Voilà de l’incroyable. Comment, avec tant d’amour, avez-vous pu vous taire ? On essaie de se faire aimer, ce me semble cela est naturel et pardonnable.
DORANTE – Me préserve le ciel d’oser concevoir la plus légère espérance ! Être aimé, moi ! non, Madame. Son état est bien au-dessus du mien. Mon respect me condamne au silence ; et je mourrai du moins sans avoir eu le malheur de lu déplaire.
ARAMINTE – Je n’imagine point de femme qui mérite d’inspirer une passion si étonnante : je n’en imagine point. Elle est donc au-dessus de toute comparaison ?
DORANTE – Dispensez-moi de la louer, Madame : je m’égarerais en la peignant. On ne connaît rien de si beau ni de si aimable qu’elle ! et jamais elle ne me parle ou ne ni réponde, que mon amour n’en augmente.
ARAMINTE baisse les yeux et continue – Mais votre conduite blesse la raison. Que prétendez-vous avec cet amour pour une personne qui ne saura jamais que vous l’aimez ? Cela est bien bizarre. Que prétendez-vous ?
DORANTE – Le plaisir de la voir quelquefois, et d’être avec elle, est tout ce que je me propose.
ARAMINTE – Avec elle ! Oubliez-vous que vous êtes ici ?
DORANTE – Je veux dire avec son portrait, quand je ne la vois point.
ARAMINTE – Son portrait ! Est-ce que vous l’avez fait faire ?
DORANTE – Non, Madame ; mais j’ai, par amusement, appris à peindre, et je l’ai peinte moi-même. Je me serais prive de son portrait, si je n’avais pu l’avoir que par le secours d’un autre.
ARAMINTE, à part – Il faut le pousser à bout. (Haut.) Montrez-moi ce portrait.
DORANTE – Daignez m’en dispenser, Madame ; quoique mon amour soit sans espérance, je n’en dois pas moins un secret inviolable à l’objet aimé.
ARAMINTE – Il m’en est tombé un par hasard entre les mains : on l’a trouvé ici. (Montrant la boîte.) Voyez si ce ne serait point celui dont il s’agit.
DORANTE – Cela ne se peut pas.
ARAMINTE, ouvrant la boîte – Il est vrai que la chose serait assez extraordinaire : examinez.
DORANTE – Ah ! Madame, songez que j’aurais perdu mille fois la vie, avant d’avouer ce que le hasard vous découvre. Comment pourrai-je expier ? … (Il se jette à ses genoux.)
ARAMINTE – Dorante, je ne me fâcherai point. Votre égarement me fait pitié. Revenez-en, je vous le pardonne.
MARTON paraît et s’enfuit – Ah ! (Dorante se lève vite.)
ARAMINTE – Ah ciel ! c’est Marton ! Elle vous a vu.
DORANTE, feignant d’être déconcerté – Non, Madame, non : je ne crois pas. Elle n’est point entrée.
ARAMINTE – Elle vous a vu, vous dis-je : laissez-moi, allez vous en : vous m’êtes insupportable. Rendez-moi ma lettre. (Quand il est parti.) Voilà pourtant ce que c’est que de l’avoir gardé !


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