Méthodologie du Commentaire littéraire au Bac : Étapes clés

Sommaire


Le commentaire au Bac :

Définition : le commentaire consiste à analyser un texte littéraire en lien avec un des objets d’étude de la classe de Première pour en dégager le sens suivant 2 ou 3 axes, en montrant comment l’écriture et les procédés utilisés servent le message ou la pensée de l’auteur. Il ne s’agit pas de raconter le texte, mais de l’expliquer et l’interpréter en mettant en évidence les liens qui unissent la forme et le sens.
NB : pour les bacs technologiques, les candidats sont guidés dans leur lecture puisque les axes sont donnés.

Comme la dissertation dont il reprend un certain nombre d’exigences, le commentaire consiste à présenter avec ordre et méthode un bilan personnel de lecture. Il y a donc dans tout commentaire une visée argumentative : le but étant de démontrer grâce à des notions spécifiques d’analyse littéraire structurées et organisées en idées principales (les « axes »), ce qui fait l’intérêt d’un texte. Un bon commentaire est d’abord basé sur l’analyse stylistique, c’est-à-dire qu’il doit être « au service de l’interprétation littéraire du texte, en s’attachant de prime abord aux modalités de l’écriture de l’œuvre, c’est-à-dire à la sélection des mots, des phrases, des postures énonciatives et des procédés rhétoriques au sens large, qui permettent aux auteurs de livrer leur vision du monde, de construire leur univers et de les faire partager au lecteur ». [Frédéric Calas, La Stylistique : Méthode et commentaires, Armand Colin « Cursus », Paris 2011. page 7.

Les 5 grandes étapes du commentaire…

1) Lecture et premier contact avec le texte

  • Lisez le texte au moins deux fois.
  • Repérez le genre (poésie, théâtre, roman, littérature d’idées) et essayez de situer le texte (époque, auteur, mouvement littéraire…). 
  • Notez vos premières impressions spontanées (ce qui vous a plu ou déplu, intrigué, quel est le ton, l’atmosphère, comment l’auteur s’y prend-il pour nous toucher, etc.).

Vous devez tout d’abord questionner le texte, c’est-à-dire formuler des hypothèses de lecture aptes à préparer l’interprétation du passage étudié. Un défaut de nombreux candidats tient au fait qu’ils vont trop vite : ils élaborent par exemple un plan dès le début, sans avoir tenu compte du texte ! Le premier travail doit donc correspondre à une véritable stratégie d’approche.

Commencez, si l’auteur ou l’œuvre vous sont connus, par définir leur environnement : un texte n’arrive jamais seul, il est influencé par un « contexte » littéraire, politique, social… La spécificité des mouvements culturels par exemple, la variété des enjeux sociétaux et des modes d’écriture obligent à une analyse fine et méthodique de l’environnement du texte, afin de bien le contextualiser et de formuler des hypothèses de lecture pertinentes : on n’analysera pas de la même façon un passage de La Boétie ou un poème de Rimbaud ! De même, bien qu’appartenant à une période historique contemporaine de la Révolution industrielle, les œuvres de Zola et de Mallarmé sont à problématiser différemment !
Vous devez donc exploiter vos connaissances : si vous devez par exemple rédiger le commentaire d’une œuvre que vous avez étudiée dans son intégralité, votre savoir peut être utile pour mettre en perspective le passage étudié avec d’autres aspects de l’œuvre. Mais attention cependant à utiliser vos connaissances avec discernement et retenue : rien ne serait pire qu’une introduction de commentaire dans laquelle le candidat se fourvoierait dans une espèce d’exposé explicatif sur l’auteur, sa vie, ses écrits, etc.

Checklist rapide : premier contact avec le texte
☐ J’ai noté mes impressions de lecture.
☐ J’ai identifié : auteur, titre, date, genre, mouvement.
☐ J’ai repéré quelques thèmes, la structure du passage, le ou les registres.


 

2) Vers l’étude plus approfondie du passage

  • Cherchez le sens des mots inconnus (ou essayez de le deviner).
  • Identifiez précisément l’organisation du texte : plan, mouvement, progression (changement de paragraphe, changement de strophes, connecteurs logiques…
  • Repérez les procédés : figures de style, choix du lexique, rythme, types de phrases.
  • Observez le point de vue, la situation d’énonciation, les dialogues, la tonalité.
  • Observez les types de phrases (interrogatives, exclamatives…), l’emploi des temps et des modes verbaux…

Vous aurez aussi à vous interroger sur le genre, le type (dominante narrative, ou descriptive, etc.), afin d’utiliser un certain nombre d’outils spécifiques. Prenez l’exemple d’un texte narratif : il est évident que vous devrez mettre en valeur le déroulement chronologique, la position et le rôle des personnages, etc. alors qu’un texte descriptif vous amènera davantage à travailler sur les procédés énonciatifs, la position du narrateur, le point de vue (qui parle ? à qui ? la première personne est-elle dominante ?), les paroles rapportées, etc.
– Intéressez-vous particulièrement aux aspects stylistiques et rhétoriques dominants : l’étude de la tonalité, des registres par exemple est souvent oubliée, bien à tort, car elle permet d’étayer les analyses. Pensez aussi à travailler sur les modalités d’énonciation (déclarative, interrogative, exclamative, injonctive, etc.).
– Pensez à réinvestir vos connaissances sur les registres de langue, les effets de rythme, les modes verbaux (système des temps, etc.).
– Enfin, soyez attentif à la polysémie des mots, ainsi qu’aux connotations, essentielles pour appréhender le sens contextuel d’un terme. De même, l’étude des réseaux connotatifs éclaire en profondeur les valeurs d’un texte, et permet de dégager le ou les grands thèmes, c’est-à-dire les domaines abordés dans les textes. L’inventaire des thèmes du texte aboutit souvent à l’identification de la problématique.

Checklist rapide : repérages et analyse précise du passage
☐ J’ai dégagé les grandes lignes de signification du texte
☐ Je peux résumer l’extrait en 2-3 phrases.
☐ Je sais : Qui parle ? Á qui ? Où ? Quand ? Comment ? (Énonciation).
☐ J’ai relevé : Champs lexicaux ; registres de langue (soutenu, familier) ; temps verbaux ; quelques procédés grammaticaux
☐ J’ai relevé les procédés littéraires.
☐ J’ai interprété leur effet.


3) Recherche de la problématique (projet de lecture)

  • Demandez-vous : « De quoi parle le texte ? » et « Comment en parle-t-il ? »
  • Trouvez la question centrale à laquelle votre analyse répondra. 
  • Problématiser… Pensez toujours à dégager la problématique d’un texte. N’oubliez pas que le but n’est pas de « tout dire » sur un texte (ce qui d’ailleurs serait impossible) mais d’essayer de tout en dire selon un angle d’approche particulier qui va orienter votre travail d’analyse : c‘est la problématisation.

Toutes vos remarques doivent vous conduire progressivement à déchiffrer le sens du texte, c’est-à-dire à en repérer le problème posé (la question centrale). Pour ce faire, définissez d’abord ce qu’on pourrait appeler le critère d’intention de l’auteur : dites-vous toujours « De quoi veut-il parler ? » Travaillez sur les mots et leurs connotations afin de mettre en évidence la signification globale ainsi que les champs et réseaux sémantiques.

Dites-vous aussi : « Si je sais de quoi veut parler l’auteur, Comment en parle-t-il ? » Cela vous aidera à identifier la tonalité ainsi que les registres. Bien souvent, ce travail vous guidera dans la mise en valeur des rapports d’analogie ou d’opposition thématique à l’intérieur du texte : quels sont par exemple les thèmes en présence ? Vont-ils dans le même sens ou s’opposent-ils ?

Enfin, posez-vous la question du Pourquoi qui doit vous amener à expliciter le système de valeurs mis en place par le texte. La manière d’écrire (le « comment ») entre en effet toujours en relation avec l’intention de l’auteur (le « pourquoi »), elle-même liée à l’influence de l’époque : pensez à replacer le texte dans son contexte historique et culturel. Il s’agira donc ici de dépasser la thématique du passage pour l’inscrire dans un domaine plus large, apte à élucider la démarche de l’écrivain.

Checklist rapide : projet de lecture
☐ J’ai une idée de problématique (enjeux du texte).
☐ Je construis une lecture organisée du passage (recherche des axes).


4) Organisation et plan

Ce travail doit déboucher sur une série de « bilans » de lecture. Par exemple, vous allez noter l’opposition de deux thèmes, le travail sur la langue et les sonorités, la spécificité du texte par rapport à un mouvement littéraire, la prise de position développée par l’auteur quant à un problème, etc. Cela vous amènera à construire le plan de votre commentaire. Mettez en ordre toutes ces remarques en allant du moins important (l’organisation du texte, sa structure) au plus important (le traitement thématique dominant, le sens global). Vous pourrez alors organiser ces bilans (les petites déductions et les remarques) en quelques axes (les idées directrices : deux ou trois environ) qui permettront à votre lecteur de comprendre ce qui fait à vos yeux l’originalité du texte. Cela correspond à l’élaboration du PLAN.

  • Regrouper vos idées en 2 ou 3 grands axes rendant compte des intérêts majeurs du texte.
  • Chaque axe doit être ordonné et répondre à la problématique.
  • Évitez un plan qui suit le texte ligne par ligne : regroupez par idées, et non par phrases.

Comme vous le voyez, si vous choisissez au Baccalauréat le commentaire, il est impératif de mettre la spécificité littéraire du texte au cœur de vos préoccupations : un texte littéraire obéit en effet à une démarche d’écriture dont doit rendre compte l’analyse stylistique et sémantique (le travail sur l’écriture et sa relation au sens). Vous n’êtes surtout pas là pour « raconter » le texte, ou « décrire » ce qui s’y passe, mais bien pour l’analyser à l’aide d’outils et de techniques. En poésie particulièrement, le travail sur la phonétique (la langue et les sonorités) est essentiel. Bien souvent, la réflexion sur la forme amène au sens : les reprises anaphoriques, les correspondances sonores sont autant de signes que vous devez interpréter. On pourrait en dire autant de la disposition typographique du texte : les modalités de la distribution des paragraphes, des strophes (ou leur absence !) requièrent votre attention.

5) Rédaction

L’introduction : 

  1. Présentez rapidement le texte (auteur, œuvre, contexte, genre).
  2. Résumez l’extrait (en vous servant du paratexte)
  3. Formulez la problématique.
  4. Annoncez le plan.
  • Tout d’abord, amenez rapidement le texte (genre auquel il appartient et sous-genre éventuellement [genre théâtral, sous-genre : comédie, tragédie, etc.], questionnement littéraire que pose ce genre). La date de parution du texte doit vous permettre de le replacer dans l’histoire des idées et des mouvements culturels, sans vous attarder pour autant sur des considérations trop générales. C’est à partir de là que vous pourrez situer le passage (résumez l’extrait en le situant par rapport à l’œuvre).
  • Ensuite, vous devez problématiser le passage à commenter. « Problématiser » un texte signifie montrer en quoi le texte légitime un questionnement proposé à la réflexion, et rendant nécessaire le commentaire. La problématisation implique donc une mise en perspective critique, un projet de lecture. Conseil : Évitez à tout prix de réduire le projet de lecture à un banal questionnement qui n’amènerait à aucune réflexion, à aucun enjeu.
  • L’annonce du plan. C’est évidemment une étape incontournable puisqu’il s’agit pour le candidat d’annoncer la manière dont il va étudier le texte. À ce titre, je vous recommande de ne pas rentrer dans le détail des analyses. Annoncez synthétiquement les grands axes de votre réflexion.

CONSEIL : L’introduction se pésente en un seul paragraphe. Elle ne  doit pas comporter de longues phrases ET SURTOUT PAS D’EXEMPLES. De même, votre plan doit être un PLAN D’IDÉES et PAS un plan d’exemples. Il a pour but de présenter synthétiquement au lecteur les grandes lignes de votre démonstration.

EXEMPLE TYPE D’INTRODUCTION (très simple)

Le texte que nous allons étudier est un extrait de [titre de l’œuvre], écrit en [date] par [nom de l’auteur], un écrivain [si possible, préciser le siècle et le genre littéraire : poète du XIXe siècle / auteur de théâtre classique, etc.]. Dans ce passage, l’auteur évoque [préciser le thème général] à travers un registre [lyrique, comique, tragique, réaliste…]. Nous pouvons nous demander comment/en quoi… [Problématique]. Nous répondrons à cette question selon deux axes : [Plan]. Nous verrons d’abord [axe 1], puis nous nous intéresserons à [axe 2].

Exemple pratique :
[Entrée en matière] La Renaissance a profondément bouleversé la pensée européenne, redéfinissant la place de l’homme dans le monde, et ses rapports  à la connaissance. [Contextualisation] C’est dans ce contexte qu’Étienne de La Boétie, humaniste et ami de Montaigne, rédige en 1574 le Discours de la servitude volontaire. [Caractérisation du passage] Le passage soumis à notre réflexion invite le lecteur à réfléchir à l’énigme de l’obéissance volontaire : pourquoi accepte-t-on de se soumettre ? Grâce à une argumentation à la fois vive et structurée, l’auteur met en lumière le paradoxe d’hommes nés libres mais acceptant la domination d’un seul. [Problématisation] Nous pouvons alors nous demander comment s’y prend La Boétie pour nous convaincre que la liberté, bien naturel et précieux, ne dépend que de la volonté des peuples. [Plan] Pour répondre à cette problématique, nous analyserons d’abord comment l’auteur dénonce les mécanismes de la servitude ainsi que les méfaits de la tyrannie, avant d’étudier la manière dont il exhorte ses lecteurs à reconquérir et préserver leur liberté.

 

Le développement :

  • Les paragraphes du commentaire doivent être rédigés sur le même modèle que pour la dissertation, la structure doit être déductive. On énonce d’abord l’idée principale du paragraphe. On justifie cette idée par une analyse qui la développe et des exemples tirés du texte qui prouvent sa véracité. On conclut le paragraphe par une déduction.
  • Comme son nom l’indique, le commentaire doit être « organisé », c’est-à-dire structuré selon une logique qui obéit à une visée démonstrative. Une présentation linéaire du commentaire qui ne serait dès lors plus « organisé » est donc à proscrire. Certes, il est tout à fait légitime d’adopter un plan qui suit les mouvements du texte : l’ordre des paragraphes ou le découpage des strophes (comme dans « Le dormeur du val » de Rimbaud par exemple) permet de suivre la progression de la pensée de l’auteur : un bon plan doit donc être fondé sur plusieurs axes allant vers la formulation des intentions de l’auteur, ou des effets produits sur le lecteur.
  • Comme pour la dissertation, vous annoncerez d’abord l’idée principale que vous développerez en quelques lignes, si possible de façon conceptuelle et analytique. Puis vous illustrerez cette idée à l’aide d’exemples, étayés par des citations précises. Bien entendu, vos citations seront exactes, et toujours entre guillemets. Attention aussi à la façon dont vous les intégrerez à votre phrase. Les formules du genre : « je cite par exemple : »… » sont si maladroites qu’elles desservent évidemment les copies. Veillez aussi à faire des citations « intelligentes ». Certains candidats se contentent parfois d’indiquer les premiers mots d’un passage ainsi que les derniers, ce qui ne permet absolument pas d’en comprendre l’intérêt. Il vaut donc mieux, si le passage est long, ne citer que les mots ou expressions porteurs de sens, et mettant en valeur votre analyse.

La conclusion :

  • Bilan clair répondant à la problématique.
    • Résumer brièvement la réponse à la problématique.
    • Reprendre les idées fortes de l’analyse sans répéter mot pour mot l’introduction.
  • Ouverture vers un autre texte ou un enjeu plus large (facultative, mais valorisante si pertinente).
    • Élargir vers un autre texte du même auteur, du même mouvement littéraire ou abordant le même thème.
    • Éviter les ouvertures vagues et sans lien direct avec le texte.

Comme l’introduction, la conclusion se présente sous la forme d’un seul paragraphe. Elle doit être brève et ne pas comporter d’exemple. Elle sera d’autant meilleure qu’elle répondra implicitement à la question : « D’où est-ce que je suis parti, pour parvenir où ? ». C’est la raison pour laquelle je vous conseille de rédiger votre conclusion dès que vous aurez terminé votre introduction, afin de bien mettre en valeur la cohérence de votre parcours démonstratif. Attention à ces conclusions indigentes qui répètent ce qui a déjà été annoncé dans l’introduction. On doit mesurer au contraire en vous lisant ce qui a justifié votre démarche analytique. Centrez vos remarques sur les aspects essentiels de l’analyse en veillant à aller toujours du particulier à l’interprétation textuelle globale.

Il vous sera ainsi possible de formuler un élargissement permettant de situer le texte dans une problématique littéraire plus vaste (réflexion sur l’évolution d’un genre, d’un mouvement culturel, d’un système de valeurs, etc.) ou de le mettre en perspective avec d’autres textes recourant à une expression similaire. Attention cependant aux prétendues « ouvertures », tellement larges et vagues, qu’elles se noient bien souvent dans des considérations dépourvues d’intérêt.

EXEMPLE TYPE DE CONCLUSION

Comme nous avons cherché à le montrer, ce texte illustre [reformulation de la problématique] grâce à [idées fortes/procédés majeurs]. Cette étude met donc en évidence [sens global/ effet sur le lecteur]. On retrouve ce [thème/procédé] dans [autre œuvre ou auteur], qui explore également [élément commun].

Exemple pratique :
[Bilan répondant à la problématique] Ainsi que nous avons essayé de l’expliquer, la liberté pour La Boétie n’est pas un privilège accordé par les puissants mais un droit naturel que chacun peut et doit choisir de défendre. Par la vivacité de la démonstration, la force des images et l’efficacité de son raisonnement, cette exhortation à la vertu met en évidence que la servitude ne perdure que par le consentement des peuples à leur propre soumission. [Ouverture] La portée révolutionnaire de cette réflexion, toujours actuelle, fait écho aux écrits de Rousseau dans Du contrat social, qui interroge pendant les Lumières le fondement du pouvoir politique et la manière dont les hommes doivent préserver leur liberté. Plus près de nous, des écrivains comme Georges Bernanos ou Albert Camus ont fait de l’éthique humaniste la clé d’une réflexion sur le sens et la valeur de la liberté dans les sociétés modernes.


Les erreurs à éviter lors de la rédaction du commentaire

  • Faire de la paraphrase (répéter le texte sans l’analyser).
  • Donner des connaissances hors sujet (vie de l’auteur, contexte trop long).
  • Utiliser des citations sans les analyser.
  • Plan linéaire qui suit le texte.
  • Oublier de répondre à la problématique.

Normalement, si vous avez effectué sérieusement ce travail, vous échapperez sans difficulté à la paraphrase. La paraphrase consiste à répéter plus ou moins le contenu du texte. Exemple de paraphrase de l’extrait suivant (tiré des Confessions de Rousseau) : « Je rougis en pensant aux choses qu’il faut que je dise. » « Rousseau dit qu’il rougit en pensant aux aveux qu’il doit faire ». Une telle « explication », loin d’éclairer le sens du texte, ne fait que l’appauvrir. Elle n’est que redite là où on attend un déchiffrement.

De même, vous ne devez jamais séparer le fond de la forme : vous n’obtiendriez pas la moyenne ! Chaque fois que vous dégagez par exemple une idée, dites comment elle est exprimée, et montrez la relation d’analogie qui existe entre la forme et l’idée. Pareillement, lorsque vous remarquez un procédé stylistique (une métaphore, une hyperbole…), précisez quelle est sa fonction dans l’interprétation du sens. Comme il a été justement dit, « il est important de comprendre que l’analyse est amenée à dévoiler ce qui est fondamentalement lié. […] Chaque élément concourt à la signification de l’ensemble. Il faut mettre en relation les procédés relevés les uns avec les autres pour faire apparaître les enchaînements que le texte unit en profondeur. On ne traitera pas isolément les procédés en ne donnant que leur valeur en langue, mais on veillera à adapter leur analyse à la spécificité de l’extrait ». [Frédéric Calas, La Stylistique : Méthode et commentaires, Armand Colin « Cursus », Paris 2011. page 8. → Google-livres].

Soyez en outre attentif au fait que si vous devez exprimer votre point de vue sur le texte, vous ne devez pas sortir du cadre du texte. Bien entendu, comme je l’ai rappelé, vous pouvez vous servir de votre connaissance du cours, en portant votre attention sur les faits d’intertextualité, c’est-à-dire les relations qu’un texte entretient avec d’autres textes. Mais attention cependant : si les références littéraires sont importantes, il faut absolument éviter une explication qui serait « juxtalinéaire », à côté du texte. Vous devez centrer précisément votre étude sur le texte à commenter.

L’ERREUR MAJEURE À EVITER : LA TENDANCE À LA GÉNÉRALISATION. Vous vous trouvez par exemple devant un texte d’un auteur connu et vous cherchez à réutiliser vos connaissances… Le risque est de tomber dans les généralités en oubliant l’étude minutieuse du texte. Si vous sortez du cadre du texte, c’est-à-dire de « la logique interne de la construction du passage » [F. Calas, op. cit. p. 11], votre analyse est considérée comme hors sujet.

Checklist rapide avant de rendre la copie

Mon introduction comporte obligatoirement : contextualisation + présentation et résumé du passage + problématique + plan.
Chaque idée est illustrée par une citation courte qu’il faut analyser.
J’ai expliqué le lien entre forme et sens.
J’ai évité la paraphrase.
J’ai présenté correctement ma copie (alinéas en début de paragraphes, saut de lignes (en général 2 lignes) après l’introduction, le développement et la conclusion. J’ai sauté 1 ligne entre les axes.
☐ J’ai vérifié la ponctuation, corrigé l’orthographe et la syntaxe.


La notation…
Ce qu’on attend dans un bon commentaire de texte :

  1. Une réflexion claire et organisée
  • une interprétation cohérente du texte (idée principale = « projet de lecture »).
  • Un devoir construit de façon logique
  • Le propos progresse clairement (utilisation des connecteurs logiques)
  1. Une analyse du texte rigoureuse
  • Repérage des procédés d’écriture (figures, temps verbaux, champs lexicaux, etc.).
  • Vous expliquez les procédés d’écriture et quel effet ils produisent.
  • Vous donnez votre point de vue sur l’écriture, mais avec sensibilité et nuance.
  1. Une culture littéraire au service de l’analyse
  • Vous tenez compte du genre (roman, théâtre, poésie…).
  • Vous essayez de situer le texte dans son époque ou mouvement littéraire.
  • Vous cherchez à faire un lien avec un contexte artistique plus large (ex : époque, autres œuvres…).
  1. Une expression écrite soignée
  • français clair et correct.
  • vocabulaire adapté et précis.
  • Relecture minutieuse afin d’éviter le plus possible les fautes d’orthographe.

Ce qui est particulièrement valorisé

  • Les analyses sont fines et variées, vous ne vous contentez pas de relever des procédés sans les expliquer.
  • Le cpmmentaire répond précisément à une problématique.
  • Vous montrez une bonne culture littéraire, qui nourrit votre interprétation.
  • Une expression précise et nuancée.

Ce qui est particulièrement pénalisé

  • pas de vraie idée directrice (vous ne savez pas quoi dire du texte).
  • Vous faites juste une liste de remarques sans liens entre elles (propos décousus)
  • Vous faites des contresens (vous comprenez mal le texte).
  • Vous n’analysez pas les procédés littéraires
  • Vous ne mobilisez aucune culture littéraire pour éclairer le texte.
  • L’expression est confuse, avec beaucoup de fautes ou de phrases trop longues.

Pour aller plus loin…

Analyser un poème

  1. La forme du poème
  • Disposition sur la page : forme visuelle → lien avec le sens ?
  • Forme fixe ? (sonnet, etc.)
  • Rimes : plates (aa bb), embrassées (abba), croisées (abab) ?
  • Mètre : alexandrin ? octosyllabe ? hétérométrique (vers libres) ?
  • Rythme : césures, coupes, enjambements → effet de fluidité ou de surprise ?
  • Mouvement littéraire ? (classicisme, romantisme, surréalisme…)
  1. Le sens du poème
  • Énonciation : Qui parle ? (je, tu, il ?) / À qui ? / Où ? Quand ?
  • Thèmes : amour, nature, ville, temps, engagement ?
  • Registres :
    • Lyrique : émotions, sentiments
    • Élégiaque : mélancolie, deuil
    • Satirique / Burlesque : moquerie
    • Engagé : message, appel à l’action
    • Épique / Didactique : grandeur / transmission / réflexion sur la poésie
  1. La musicalité et le style
  • Échos sonores : quelles rimes ou correspondances sonores sont mises en valeur ?
  • Allitérations / assonances → effet produit ?
  • Harmonie imitative : les sons imitent-ils une sensation ?
  • Vers libres / poème en prose :
    • Rimes internes ?
    • Parallélismes ? Alexandrins cachés ?
  1. Images et jeux de langage
  • Figures de style : métaphore, comparaison, personnification…
  • Ambiance créée : couleurs, sons, sensations ?
  • Polysémie : mots à double sens ?
  • Réflexion sur la poésie ? (comme dans le poème de Rimbaud : « Ma Bohême »

Analyser un extrait de théâtre

  1. Identifier la scène :
  • Où se situe-t-elle dans la pièce ? Exposition ? Conflit central ? Dénouement ?
  • Fonction dramatique ? Fait avancer l’action ? Révèle un personnage ? Quiproquo ? Tension ?
  • Type de texte ? Vers / Prose ? Nombre de personnages ?
  • Forme des répliques ?
    • Monologue → informatif, lyrique, ou délibératif (le personnage s’interroge sur la conduite à tenir) ?
    • Dialogue → conflit ? amour ? débat ?
    • Stichomythie = échanges très rapides.
  1. Situer le genre
  • Tragédie
    • Thèmes : fatalité, passions destructrices
    • Vise : crainte, pitié, compassion
    • Registre : pathétique, tragique
  • Comédie
    • Thèmes : mariage, tromperie, travestissement
    • Personnages-types : valet rusé, vieux barbon, bourgeois naïf
    • Types de comiques :
      • de situation : quiproquos
      • caractère : traits excessifs
      • de gestes : coups, mimiques
      • de mots : jeux de langage

⇒ faire rire, dénoncer les défauts humains à travers le rire

  • Théâtre de l’Absurde : mouvement théâtral apparu après la Seconde Guerre mondiale avec des auteurs comme Ionesco ou Beckett. Il montre un monde dépourvu de sens où les personnages sont prisonniers de situations répétitives ou illogiques.
    • Pas d’intrigue claire : répétitions, vide existentiel…
    • Personnages vides, interchangeables, antihéros…

⇒ pièces d’un style radicalement nouveau, chargé de dérision, de satire, de provocation, et qui apportent au théâtre les ressources d’un langage volontairement subversif, apte à faire ressentir l’angoisse, la solitude et l’absurdité de la condition humaine.

  1. Étudier les personnages
  • Posture / gestes / ton (didascalies)
  • Rôle dans l’action : héros ? opposant ? adjuvant ?
  • Langage → révèle leur caractère, leur statut social, leur vision ?
  • Porte-t-il une idée de l’auteur ? (comme Arlequin dans l’Île des esclaves) : double énonciation
  1. Réfléchir à la mise en scène
  • Gestes / déplacements déduits du dialogue
  • Attitudes et réactions imaginées sur scène
  • Impact sur le public : émotion ? réflexion ? critique sociale ?

Rappels de méthode : l’explication linéaire d’un texte à l’oral du bac de français (8 points)


I. Introduction

  • Contextualisation
  • Présentez rapidement l’œuvre dont est tiré l’extrait ainsi que quelques éléments pertinents sur l’auteur. Rappelez le genre auquel appartient le texte (roman, essai, poésie, théâtre, etc.). Si l’œuvre est marquée par un contexte historique et culturel particulier (comme la Renaissance, le classicisme, les Lumières, le Romantisme, etc.), il est important de le mentionner.  
  • Annoncez le sujet du texte : il s’agit de montrer ce qui fait à vos yeux l’intérêt du passage et qui va justifier votre hypothèse de lecture. Vous pouvez également faire le lien avec le parcours associé : cela peut enrichir votre interprétation du texte.

Lecture expressive du texte : 2 points |conseils|

  • Hypothèse de lecture : déterminez la problématique, c’est-à-dire l’enjeu qui guidera vos analyses. Cette hypothèse doit être une réflexion éclairant le sens global du texte. Cette hypothèse sera validée au fur et à mesure de l’analyse des mouvements.
  • Annonce du plan de votre explication : ce plan doit suivre les différents mouvements qui composent le texte. Veillez à donner un titre à chaque mouvement afin de guider votre réflexion.

II. Développement

Dans vos analyses, insistez bien sur ces 3 points :

  • Que dit l’auteur ? C’est la compréhension du passage (sens littéral).
  • Comment le dit-il ? Afin d’éviter la paraphrase, vous devez étayer votre compréhension du texte par l’analyse des procédés littéraires, stylistiques, grammaticaux et des registres utilisés (pathétique, ironique, polémique, etc.) : relevez les moyens d’expression employés, les figures de style (métaphores, anaphores, antithèses, hyperboles, etc.), intéressez-vous au choix du lexique, aux caractéristiques de la syntaxe, à la manière spécifique d’écrire de tel ou tel écrivain.
  • Pourquoi l’auteur le dit-il de cette manière ? Pourquoi choisit-il de donner cette forme à son propos ? Il s’agit de relier la forme au sens du texte et à son intention, de manière à justifier vos observations. Cela vous amène à interpréter le sens caché derrière les mots (connotations).

Utilisez des citations judicieuses : à chaque fois que vous mentionnez une figure de style, un procédé littéraire, un champ lexical, etc. justifiez obligatoirement vos propos en sélectionnant des passages courts mais significatifs du texte qui illustrent précisément vos propos. C’est souvent mieux que de citer longuement.


III. Conclusion

  • Faites un bref bilan synthétique en montrant comment les différentes parties de votre démonstration valident votre hypothèse de lecture.
  • Ouverture : si possible, proposez un élargissement vers d’autres textes (œuvre intégrale, parcours associé) ou auteurs qui explorent des thèmes similaires, ou une même problématique mais avec une approche différente, etc. 

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* Ministre déléguée auprès de la Première ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances.

Activités d’écriture

CONTRACTION (10 points)
Vous résumerez ce texte en 230 mots. Une tolérance de +/– 10 % est admise : votre travail comptera au moins 205 mots et au plus 255 mots.

  • Vous placerez un repère dans votre travail tous les 50 mots.
  • Vous indiquerez, à la fin de votre contraction, le nombre total de mots utilisés.

1. L’étape préparatoire

L’autrice
  • Isabelle Lonvis-Rome, magistrate, autrice et femme politique française, très engagée dans la lutte contre les stéréotypes de genre. Elle a également coordonné un plan d’action contre les violences conjugales dans le cadre du Grenelle sur les violences conjugales en 2019.
  • Elle a occupé le poste de ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances dans le gouvernement d’Élisabeth Borne, du 20 mai 2022 au 20 juillet 2023. Durant son mandat, elle présente le plan « Toutes et tous égaux – 2023-2027 », axé sur la lutte contre les violences faites aux femmes, la santé des femmes, l’égalité professionnelle et la promotion d’une culture de l’égalité. Elle quitte le gouvernement en juillet 2023. (source : wikipedia)
Thème du discours
  • Le texte porte sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et l’antitsiganisme en France.
  • Il met en avant un plan d’action pour protéger les victimes, éduquer la jeunesse et renforcer l’État de droit face à ces discriminations
Thèse de l’autrice
  • Isabelle Lonvis-Rome soutient l’idée que la République française doit combattre fermement toute forme de discrimination et de haine, car elles menacent le vivre-ensemble et les valeurs républicaines. L’universalisme républicain, fondé sur l’égalité et la dignité de chacun, est présenté comme un rempart contre ces dérives.
Étude de l’énonciation
  •  L’usage de la première personne (« je ») joue un rôle clé dans la portée persuasive du discours. Isabelle Lonvis-Rome utilise plusieurs fois le « je » pour affirmer son engagement personnel : « J’y veillerai », « Je resterai à l’appui des autorités locales […] et [je] sillonnerai le pays », « Je l’ai dit », « Lorsque je pense à cet ennemi commun que nous avons », « Je vous remercie ». Il s’agit ici d’un engagement personnel et politique : l’oratrice ne se contente pas d’exposer des principes généraux, elle affirme sa responsabilité et sa vigilance quant à la mise en œuvre des mesures annoncées.
  • L’emploi du « nous » est également important. Il y a d’abord le « nous » institutionnel (« nous réaffirmons », « nous devons renforcer la confiance des citoyens ») : il englobe l’autrice, les institutions et l’État, affirmant un engagement collectif des autorités. Il y a également le « nous » inclusif, moral et universel. Il inscrit le combat contre la haine dans un projet républicain partagé (« nous avons une destinée commune », « nous gagnerons cette bataille »). Le « nous » inclut donc  la République, les citoyens et les victimes. Il permet ainsi de faire de la lutte contre le racisme une cause collective et non une simple action gouvernementale.
  • L’adresse au destinataire : l’énonciation se caractérise aussi par un usage du « vous », qui sert à interpeller directement le public : « Ce plan, vous venez de le découvrir », « Parmi les mesures ambitieuses qui vous ont été présentées », « Je vous remercie ». L’interpellation vise à responsabiliser l’auditoire et à créer une adhésion aux mesures proposées.
  • On trouve enfin des formulations plus généralisantes, parfois proches de la maxime : « pour que personne ne perde foi en la République », « Faire Nation, c’est prôner l’universalisme », « La Justice est une réponse clé au racisme », etc. Ces phrases posent des principes généraux et cherchent à donner une dimension solennelle au propos.
Structuration du texte 

1. Introduction : un constat alarmant. L’oratrice montre d’abord l’ampleur du problème (chiffre frappant pour capter l’attention : « un million deux cent mille victimes ») et les conséquences graves : exclusion, violence, départs forcés.

2. Annonce d’un plan d’action pour protéger les victimes et sanctionner les coupables.

  • Affirmation des fondements philosophiques et républicains
    • Définition de l’universalisme républicain et son opposition à une vision uniformisante (distinction entre un universalisme humaniste et un universalisme dévoyé).
    • Insistance sur l’État de droit comme pilier de la lutte contre la haine.
  • Mesures concrètes pour l’éducation et la justice 
    • Importance de l’éducation pour lutter contre la haine et les préjugés et en particulier de la transmission mémorielle (visites de lieux de mémoire pour sensibiliser les jeunes).
    • Rejet de la banalisation de la haine, notamment dans les médias et sur Internet.
    • Renforcement des institutions judiciaires (amélioration de la prise de plainte, renforcement des moyens des forces de l’ordre et exécution des peines, lutte contre le sentiment d’impunité des auteurs de crimes racistes).

3. Conclusion : nécessité d’un combat politique et moral. Réaffirmation des valeurs républicaines et d’universalité, appel à l’engagement collectif contre le racisme.

Registres et style

Ton engagé et solennel : utilisation de formules marquantes pour insister sur l’urgence du problème.

  • Répétitions et anaphores : « Un million deux cent mille », « Faire Nation », « l’universalisme » pour marquer les esprits.
  • Références littéraires et philosophiques : Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, Victor Hugo, Simone Veil, Charles Péguy, Tahar Ben Jelloun pour légitimer le propos.
  • Alternance entre considérations théoriques (idéal républicain) et faits concrets (mesures pratiques).

2. Corrigé de la contraction

RAPPELS de méthode :
  • Vous devez vous mettre à la place de l’auteur en conservant les marques d’énonciation du texte. Surtout n’écrivez pas « l’auteur dit que » : c’est une maladresse lourdement sanctionnée. 
  • Votre contraction doit comporter les idées essentielles du texte et respecter les étapes de la démonstration de l’auteurN’ajoutez aucune idée personnelle : la nécessité de l’objectivité est impérative.
  • Votre contraction doit être concise : la  reprise des formulations du texte, sauf si elle se justifie (mots clés dont la suppression empêcherait la compréhension du message), contrevient aux principes de l’exercice. L’effort de reformulation est donc indispensable.
Contraction de texte :

1,2 million de personnes subissent chaque année en France des insultes, discriminations, actes racistes ou antisémites sans oser porter plainte. Ces injustices isolent, marginalisent et contraignent certaines victimes à déménager ou à douter de leur place dans le pays. Ce plan vise à répondre à cette réalité et s’adresse [50 mots] à toutes les victimes et, plus largement, à l’ensemble de la société.

Ici, sur le sol de la République, chacun doit jouir des mêmes droits, quelles que soient son origine, sa culture, sa religion ou sa couleur de peau. Faire Nation, c’est défendre cet universalisme républicain : un universalisme [50 mots] humaniste qui protège la dignité de tous, l’égalité et l’État de droit.

Pour promouvoir cet objectif, le plan que nous proposons doit mettre l’accent sur l’éducation et la transmission mémorielle pour former des citoyens responsables. Mais ce plan est aussi un avertissement à ceux qui distillent [50 mots] la haine dans les médias, sur Internet ou en politique : ces actes barbares sont incompatibles avec les valeurs républicaines que nous partageons et n’ont pas leur place dans le débat public.Voici pourquoi la justice doit être un rempart contre la haine. Nous renforcerons la prise de plainte, sanctionnerons [50 mots] sans faiblesse et mettrons fin à tout sentiment d’impunité.

Enfin, j’insiste sur la nécessité de rester fidèle aux valeurs républicaines et à notre idéal de fraternité, qui rejette l’égoïsme et l’exclusion. [35 mots]

Nombre de mots utilisés : 235.

3. Corrigé de l’essai

  • SUJET (10 points)
    Dans son discours, Isabelle Lonvis-Rome affirme : « L’Histoire alerte trop souvent le présent ». Selon vous, en quoi les leçons du passé concernant les luttes pour l’égalité aident-elles à construire notre présent ? Vous développerez de manière organisée votre réponse à cette question, en prenant appui sur la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges, sur le texte de l’exercice de la contraction et sur ceux que vous avez étudiés dans le cadre du parcours « Ecrire et combattre pour l’égalité ». Vous pourrez aussi faire appel à vos lectures et à votre culture personnelle.

Comprendre les enjeux du sujet : Le sujet invite à réfléchir au rôle de l’histoire et de la mémoire dans la construction des sociétés contemporaines. Il s’agit de montrer comment les combats passés pour l’égalité (droits civiques, féminisme, lutte contre les discriminations…) permettent aujourd’hui d’améliorer les lois, les mentalités et les institutions.

Problématique possible : En quoi la connaissance des luttes passées pour l’égalité permet-elle d’inspirer et d’influencer nos sociétés contemporaines ?

Les événements passés ont souvent une résonance sur le monde contemporain. Cette résonance de l’Histoire peut être perçue comme une forme d’avertissement : c’est ainsi qu’Isabelle Lonvis-Rome dans son allocution du 30 janvier 2023 présentant le Plan national de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations liées à l’origine affirme : « L’Histoire alerte trop souvent le présent ». Ces propos nous invitent à nous interroger : en quoi les leçons du passé en matière de lutte pour l’égalité aident-elles à construire notre présent ? Nous traiterons cette problématique selon une triple perspective : après avoir montré dans une première partie comment les leçons du passé fournissent des repères précieux en matière de lutte pour l’égalité, nous verrons ensuite comment en tirant parti de l’Histoire, nous pouvons mieux appréhender les défis actuels. Enfin, nous nous interrogerons de façon plus critique : les combats passés peuvent-ils toujours aider à construire un présent et un avenir plus inclusifs ?


En premier lieu, nous devons nous rappeler combien les combats du passé constituent le fondement des droits actuels. Les luttes pour l’égalité dans l’Histoire ont permis d’établir des principes universels toujours pertinents aujourd’hui. C’est à dessein qu’Isabelle Lonvis-Rome rappelle dans son allocution l’importance de l’humanisme : « Il faut défendre un universalisme républicain et humaniste ». De fait, les valeurs humanistes reposent sur l’idée fondamentale que chaque individu mérite d’être respecté dans sa dignité et sa liberté. Par exemple, Étienne de La Boétie, dans son Discours de la servitude volontaire (1576), pose une réflexion essentielle : les inégalités et les oppressions perdurent parce que les peuples les acceptent passivement. En analysant la manière dont les dominés participent à leur propre soumission, il invite à une prise de conscience qui, encore aujourd’hui, inspire les combats pour la liberté et l’émancipation des individus. Sa critique de la tyrannie et de l’acceptation passive des injustices est un rappel que la justice ne s’impose pas d’elle-même, mais doit être défendue activement par l’éducation et la raison, mais aussi par la tolérance et la fraternité, principes essentiels du vivre ensemble : « il ne peut venir à l’esprit de personne que la nature en ait mis certains en servitude, puisqu’elle nous a tous faits membres d’une compagnie ». Ainsi, beaucoup de gens de nos jours se réclament, parfois sans le savoir, de valeurs largement inspirées des principes humanistes définis au XVIème siècle.

Les combats passés ont en outre permis d’obtenir des avancées en matière de droits qui servent encore aujourd’hui de référence et de socle pour nos sociétés contemporaines. Ainsi la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 a établi des principes de liberté et d’égalité devant la loi, dont se sont largement inspirées les démocraties modernes. C’est au nom de ces valeurs qu’Olympe de Gouges a fondé son engagement pour une société plus équitable. Dans sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (1791), elle revendique pour les femmes les mêmes droits que ceux accordés aux hommes : nous pourrions mentionner par exemple l’article 1 de la Déclaration : « La Femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits ». Si cet article reprend presque mot pour mot l’article 1 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, il y intègre explicitement les femmes. En reprenant la formulation de la déclaration de 1789, Olympe de Gouges met en évidence les insuffisances d’un texte qui prône l’égalité tout en excluant la moitié de l’humanité. Bien que largement ignorées à son époque, ces revendications d’égalité ont donc largement nourri les combats pour l’égalité des siècles suivants : notamment le droit de vote des femmes, obtenu en France en 1944, la loi sur l’égalité professionnelle homme-femme (1983), l’accès des femmes aux fonctions politiques, avec l’instauration en 2000 de la parité en politique ou les lois sur la contraception et l’avortement (loi Veil de 1975). Aujourd’hui, l’idée selon laquelle femmes et hommes doivent être égaux en droits est devenue un principe fondamental des sociétés démocratiques.


Par ailleurs, de nombreux idéaux des siècles passés tels que l’égalité, la liberté et la fraternité, s’ils constituent un modèle pour mieux penser notre modernité, n’en sont pas moins un avertissement dont il nous faut tenir compte : la connaissance des œuvres passées aide en effet à mieux comprendre les combats actuels. Stéphane Hessel dans son essai intitulé Indignez-vous ! (2010) affirme : « dans ce monde, il y a des choses insupportables. Pour le voir, il faut bien regarder, chercher. Je dis aux jeunes : cherchez un peu, vous allez trouver. La pire des attitudes est l’indifférence, dire « je n’y peux rien, je me débrouille ». En vous comportant ainsi, vous perdez l’une des composantes essentielles qui font l’humain. Une des composantes indispensables : la faculté d’indignation et l’engagement qui en est la conséquence ». Cette faculté d’indignation dont parle Stéphane Hessel rappelle que la construction d’une société égalitaire exige une vigilance constante face aux injustices de notre monde.L’Histoire en effet enseigne à reconnaître les dangers du passé pour mieux lutter contre les dérives du présent. A ce titre, Isabelle Lonvis-Rome insiste sur l’importance de l’éducation pour lutter contre la haine et les préjugés ; en particulier sur le rôle de la transmission mémorielle : se souvenir est en effet une condition nécessaire de la connaissance historique et du jugement mémoriel : comme exigence éthique et identitaire, la célébration des événements historiques fondateurs d’une nation invite toujours à se pencher sur la mémoire collective : sans mémoire, point de conscience ni d’obligation morale.

Ainsi, le devoir de mémoire se présente à la conscience collective sous la forme d’un impératif moral qui dépasse l’individu puisqu’il s’adresse à tous. Oublier le devoir de mémoire, c’est effacer de notre conscience l’héritage de l’histoire, transmis de génération en génération ; c’est enfouir au fond de soi-même la conscience historique, et conséquemment refuser les rapports d’obligation et de solidarité qui constituent le corps social. La connaissance des événements tragiques, tels que l’esclavage, est donc essentielle pour éviter la répétition des horreurs du passé. Condorcet en particulier dans ses Réflexions sur l’esclavage des Nègres (1781) affirme : « Réduire un homme à l’esclavage, l’acheter, le vendre, le retenir dans la servitude, ce sont de véritables crimes ». L’auteur, par le biais de l’argumentation directe, nous touche et nous implique. Dans le même ordre d’idées, Olympe de Gouges a composé en 1784 une pièce de théâtre, Zamore et Mirza ou L’Heureux Naufrage, dont le propos est de dénoncer l’esclavage des Noirs. Nous pourrions aussi citer ces propos sans équivoque extraits des Réflexions sur les hommes nègres où l’on peut lire : « L’homme partout est égal. Les rois justes ne veulent point d’esclaves […] ». Ainsi, l’apprentissage historique forme des citoyens conscients, capables de résister à la montée des discours haineux ou des idéologies extrémistes. À l’heure de la mondialisation, du mélange des cultures mais aussi des replis identitaires, nous nous rendons compte combien l’humanité a besoin d’une histoire qui renvoie à une mémoire partagée, c’est-à-dire à une conscience identitaire collective, fruit d’un long travail de résilience : c’est cette conscience du temps qui donne sens à notre présent. 


Comme nous le comprenons, les combats passés ne peuvent aider à construire un présent et un avenir plus inclusifs qu’à la condition de garder une grande conscience critique. Au début de son discours, Isabelle Lonvis-Rome martèle à trois reprises une expression qui résonne comme un constat d’échec : « Un million deux cent mille à subir des insultes, des discriminations, des actes racistes ou antisémites […] Un million deux cent mille, c’est la population du Val d’Oise. Un million deux cent mille, ce sont autant de femmes, d’hommes et d’enfants qui sont marginalisés, exclus […] ». S’il est indéniable que les combats passés ont servi de références pour bâtir des sociétés démocratiques et plus égalitaires, il faut cependant s’interroger : l’histoire nous montre aussi que les injustices persistent sous de nouvelles formes, ce qui révèle une insuffisance des leçons du passé. L’exemple d’Olympe de Gouges est éclairant : il faudra attendre 1981 pour que la première étude complète et détaillée de sa vie et de ses œuvres soit réalisée par l’historien Olivier Blanc. Et c’est seulement en 1986 que Benoîte Groult publiera pour la première fois l’intégralité de la Déclaration. De même, si les textes garantissant l’égalité existent, leur application reste incomplète. Les discriminations raciales, les inégalités économiques et les violences sexistes démontrent que l’égalité proclamée n’est pas toujours une égalité réelle. Étienne de La Boétie, dans son Discours de la servitude volontaire que nous mentionnions précédemment, soulignait la tendance des sociétés à accepter des formes d’oppression, même quand elles semblent révolues. Aujourd’hui, le racisme, la précarité et les atteintes aux libertés montrent que les discriminations persistent sous des visages différents.

Ainsi, nous devons nous questionner : avons-nous vraiment appris de nos erreurs, ou reproduisons-nous des schémas d’inégalités sous d’autres formes ? Certes, les victoires historiques, telles que l’abolition de l’esclavage, la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948) ou la lutte contre les violences sexuelles grâce au mouvement #MeToo (2017) montrent que des avancées collectives ont été possibles. Mais à quel prix ? Combien de temps, combien de sacrifices ont été nécessaires pour remporter ces batailles ? Dans un monde où le passé n’apparaît plus bien souvent comme une source d’avenir, où la mémoire collective est de moins en moins agissante dans la société, faire que l’on se souvienne d’un lieu, d’un geste, d’une parole, d’un cri, est aussi une manière d’appréhender l’histoire à travers la mémoire de ceux qui ne sont plus, tant il est vrai que l’Histoire est d’abord une prise de conscience, révélatrice d’une nécessité de l’engagement politique : se souvenir d’Olympe de Gouges, de Martin Luther King ou de Nelson Mandela, c’est d’abord se rappeler que leur vision d’un monde meilleur les a poussés à endosser des risques personnels considérables, voire à sacrifier leur vie. L’exemple de ces trois personnalités incite à une réflexion profonde sur la conscience mémorielle, c’est-à-dire sur la manière dont les sociétés se souviennent et intègrent dans leur identité collective les luttes passées. Le souvenir du passé en effet ne doit pas être figé mais agir comme une force vivante et dynamique, permettant ainsi de nourrir une conscience collective vigilante. Si le passé a permis des avancées, il ne suffit pas à garantir un progrès définitif et doit donc être sans cesse réinterrogé. La véritable leçon à tirer est que les acquis ne sont jamais définitifs et que le combat pour la justice et l’égalité est un processus en perpétuelle construction.


Comme nous avons tenté de l’exposer dans cet essai, les leçons du passé aident à construire notre présent en nous rappelant la fragilité des acquis et la nécessité d’une vigilance constante. Des textes comme la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne ou les idéaux portés par l’humanisme ou les Lumières montrent combien la lutte pour l’égalité et la dignité humaine est un travail collectif et permanent. Apprendre de l’Histoire, c’est non seulement honorer les combats d’hier, mais aussi ouvrir la voie à une société plus juste et solidaire pour demain. En particulier, nous pourrions nous interroger sur la manière d’adapter les leçons du passé en matière d’égalité aux défis de l’ère postmoderne : les robots humanoïdes, les humains-machines, l’intelligence artificielle ou les nouvelles formes d’exclusion nous amènent ainsi à questionner fondamentalement nos valeurs éthiques et citoyennes.

10 citations clés de la « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » à exploiter pour la dissertation et l’essai au Bac de français

10 citations clés de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne à exploiter pour la dissertation et l’essai au Bac :

Si vous travaillez sur la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges, voici 10 citations clés expliquées et commentées. Elles vous aideront à enrichir vos démonstration (dissertation sur programme). Si vous êtes en Première technologique, ces citations vous aideront également à étayer vos raisonnements dans l’essai argumentatif.

  • Pourquoi apprendre et utiliser des citations ? Une citation bien choisie vient renforcer un argument en s’appuyant sur l’oeuvre au programme. Cela montre au correcteur votre connaissance de l’oeuvre et donne plus d’intérêt à votre raisonnement.
  • Comment bien utiliser une citation ? Pour être pertinente, la citation doit être en lien direct avec l’argument développé et ne doit pas être placée au hasard. Pensez également à l’introduire correctement : vous pouvez l’amener par une phrase  comme : Selon…, D’après…, À ce sujet, Olympe de Gouges affirme que «…» ; Comme le dit si bien OdG, «…»).
  • Conseil : une citation ne doit pas être placée sans commentaire. Il faut toujours l’expliquer et montrer comment elle illustre votre propre raisonnement.

I) « Préambule » de la Déclaration des Droits de la femme et de la citoyenne :

« Homme, es-tu capable d’être juste ? C’est une femme qui t’en fait la question ; tu ne lui ôteras pas du moins ce droit. Dis-moi ? Qui t’a donné le souverain empire d’opprimer mon sexe ? Ta force ? Tes talents ? ». DDFC, Préambule

  • Dans ce passage, Olympe de Gouges dénonce l’injustice de la domination masculine en soulignant son absence de fondement légitime. Elle apostrophe violemment les hommes en posant plusieurs questions rhétoriques mettant en cause les fondements du pouvoir masculin, et suggérant qu’il repose sur la force physique ou les préjugés, plutôt que sur une véritable légitimité morale ou intellectuelle : « Qui t’a donné le souverain empire d’opprimer mon sexe ? Ta force ? Tes talents ? ». Olympe de Gouges emploie le champ lexical de la tyrannie pour renforcer cette idée avec les mots : « souverain », « empire » et « opprimer ».
  • L’autrice remet ainsi en cause l’équité des hommes en matière de droits et d’égalité, en soulignant que la question vient d’une femme, ce qui souligne son droit à la parole. En mettant en avant l’injustice de cette oppression , elle invite à une réflexion sur les droits des femmes et leur accès à la justice et à la citoyenneté
  • Dans ce passage, l’emprise de l’homme sur la femme est assimilée aux formes les plus contestables du pouvoir, que la Révolution prétendait pourtant abattre. Le registre employé est le registre polémique et satirique. L’homme est ici violemment attaqué et ridiculisé : interpellation directe, ton accusateur, questions rhétoriques forçant l’interlocuteur à se justifier.  

« Bizarre, aveugle, boursouflé de sciences et dégénéré, dans ce siècle de lumières et de sagacité, dans l’ignorance la plus crasse, il [l’homme] veut commander en despote » […]. DDFC, Préambule

  • Dans cet extrait du Préambule, Olympe de Gouges critique violemment l’attitude des hommes face à la domination qu’ils exercent sur les femmes. D’emblée, l’autrice souligne l’incohérence entre l’époque des Lumières, censée être marquée par le progrès et la raison (« ce siècle de lumières et de sagacité »), et l’ignorance persistante des hommes quant à l’égalité des sexes. Elle brosse un portrait dévalorisant de l’arrogance intellectuelle des hommes à travers une accumulation de qualificatifs péjoratifs (bizarre, aveugle, boursouflé),
  • L’image du despote souligne l’injustice et l’abus de pouvoir, mettant en parallèle la domination des hommes sur les femmes avec les tyrannies politiques combattues par les Lumières. L’extrait met donc en évidence l’hypocrisie des Révolutionnaires qui prônent la raison et la liberté, tout en maintenant les femmes dans la soumission
  • Le registre dominant est le registre polémique, renforcé par une tonalité satirique : le portrait caricatural de l’homme (boursouflé de sciences et dégénéré) le ridiculise, soulignant son incohérence et son ignorance malgré son savoir apparent. La tonalité satirique dénonce avec force l’obscurantisme des hommes dans un siècle qui se prétend « éclairé ».

« Les mères, les filles, les sœurs, représentantes de la nation, demandent d’être constituées en Assemblée nationale ». DDFC, Préambule

  • Dans cet extrait du Préambule, Olympe de Gouges revendique explicitement la participation des femmes à la vie politique. En reprenant le vocabulaire institutionnel de la Révolution française, l’autrice réclame pour les femmes les mêmes droits de représentation que les hommes. L’énumération « Les mères, les filles, les sœurs » souligne que les femmes, en tant que citoyennes et membres de la société, doivent bénéficier des mêmes droits politiques que les hommes. Le parallèle avec la Révolution est explicite2: En les désignant comme représentantes de la nation, Olympe de Gouges insiste sur l’appropriation par les femmes d’un rôle jusqu’alors réservé aux hommes, contestant ainsi leur exclusion du pouvoir.
  • Ce passage s’inscrit dans une logique d’émancipation féminine et constitue une critique implicite de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789), qui n’accordait aucun droit politique aux femmes. Il permet en outre à l’autrice d’affirmer avec force l’exigence d’une reconnaissance politique des femmes, en l’inscrivant dans les idéaux de liberté et d’égalité portés par la Révolution française.
  • Le registre dominant ici est le registre argumentatif : la démonstration repose sur une logique d’égalité, en s’appuyant sur les principes révolutionnaires pour justifier la légitimité des revendications féminines. L’usage de verbes d’action forts (demandent d’être constituées) illustre une volonté de changement et une prise de parole directe.

II) Articles de la Déclaration des Droits de la femme et de la citoyenne :

« La Femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits ». DDFC, art. 1

  • L’article 1 de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne reprend presque mot pour mot l’article 1 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789), mais en y intégrant explicitement les femmes. En reprenant la formulation de la déclaration de 1789, Olympe de Gouges met en évidence les insuffisances d’un texte qui prône l’égalité tout en excluant la moitié de l’humanité.
  • Cette affirmation du principe d’égalité pose donc un principe fondamental : les femmes ont, dès leur naissance, les mêmes droits que les hommes. Cet article est particulièrement marquant car il constitue un manifeste politique en faveur de l’émancipation des femmes, en réclamant pour elles un statut juridique et citoyen équivalent à celui des hommes. Ce premier article fixe donc le cadre de toute la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne : une réhabilitation des droits des femmes dans un contexte révolutionnaire qui les a laissées de côté.
  • Le registre dominant est didactique et juridique : l’énoncé adopte un ton solennel, propre aux textes fondateurs, et pose par l’emploi du présent de vérité générale un principe universel et intemporel relevant du droit naturel1. La tonalité est par ailleurs revendicative : Il s’agit d’un acte politique fort qui défie directement l’ordre établi et demande une refonte constitutionnelle.

« […] l’exercice des droits naturels de la femme n’a de bornes que la tyrannie perpétuelle que l’homme lui oppose ; ces bornes doivent être réformées par les lois de la nature et de la raison. » DDFC, art. 4

  • Dans cet article, Olympe de Gouges dénonce les limites arbitraires imposées aux femmes et réclame une réforme fondée sur des principes universels relevant du « droit naturel »1. L’autrice affirme tout d’abord que les seules restrictions aux droits des femmes résultent d’une « tyrannie perpétuelle » exercée par les hommes. Elle met ainsi en lumière l’injustice de la Révolution qui entrave la liberté des femmes.
  • Cet article constitue par ailleurs un appel à une réforme législative : en proposant que ces limites injustes soient corrigées, Olympe de Gouges s’appuie sur « les lois de la nature et de la raison », principes chers aux philosophes des Lumières. Cela suggère que l’égalité entre les sexes est une exigence rationnelle et naturelle, et non une construction sociale. En invoquant la raison, l’autrice rejette par ailleurs les arguments traditionnels (force physique, coutumes, religion) qui justifieraient l’infériorisation des femmes. Ce passage s’inscrit donc dans une démarche révolutionnaire et juridique, visant à inscrire l’égalité des sexes dans le droit naturel et non dans un système de domination arbitraire.
  • Le registre dominant est le registre polémique. L’expression « tyrannie perpétuelle » souligne la violence et l’injustice de la domination masculine. La dimension argumentative est également essentielle : l’autrice ne se contente pas de dénoncer, elle propose une réforme fondée sur la nature et la raison : valeurs universelles qui renforcent la légitimité de sa revendication.

« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions mêmes fondamentales, la femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune […] ». DDFC, art. 10

  • Cet article est essentiel : Olympe de Gouges revendique la liberté d’expression pour les femmes et met en évidence l’injustice de leur exclusion des droits politiques. En reprenant le principe révolutionnaire de liberté d’opinion, Olympe de Gouges souligne que ce droit doit s’appliquer à tous, y compris aux femmes.
  • Par ailleurs, cet article met en évidence une contradiction : les femmes subissent les peines les plus lourdes (comme la peine de mort) mais sont privées de droits politiques. Si « la femme a le droit de monter sur l’échafaud, elle doit avoir également celui de monter à la Tribune » : par cette antithèse frappante, l’autrice dénonce les insuffisances du système révolutionnaire qui prône l’égalité, mais qui continue à exclure les femmes des droits citoyens. La Tribune, symbole du pouvoir et de la prise de parole publique, représente ici l’accès des femmes aux débats et à la vie politique.
  • Le registre dominant est le registre polémique et didactique. Polémique car l’opposition entre l’échafaud et la tribune est particulièrement provocante et force à une prise de conscience quant à l’incohérence du système. D’un point de vue argumentatif, l’autrice s’appuie sur un principe fondamental de la Révolution française (liberté d’opinion) pour revendiquer l’égalité des droits entre hommes et femmes, notamment en matière de participation politique.

« La masse des femmes, coalisée pour la contribution à celle des hommes, a le droit de demander compte, à tout agent public, de son administration ». DDFC, art. 15

  • Ce passage de l’article 15 de la Déclaration d’Olympe de Gouges revendique le droit des femmes à participer à la vie politique et à exiger des comptes des dirigeants, tout comme les hommes. En s’appuyant sur le principe fondamental de la souveraineté du peuple, l’autrice dénonce l’exclusion des femmes de la citoyenneté active et affirme qu’elles contribuent à la société (par le travail, les impôts, etc.), et doivent donc bénéficier des mêmes droits politiques, notamment celui de contrôle des affaires publiques (« a le droit de demander compte à tout agent public, de son administration »).
  • Ce passage est porteur d’une forte dimension revendicative. L’expression « la masse des femmes » souligne leur exclusion massive du pouvoir. De même, l’idée de « demander compte » est largement polémique face aux injustices du régime politique. Sur le plan argumentatif, le raisonnement est imparable : si les femmes contribuent à l’État, elles doivent avoir un droit de regard sur son administration. La tournure impersonnelle de la phrase cherche à convaincre, en plaçant les femmes dans un cadre collectif et légitime, qui ne peut être ignoré.

« Toute société, dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ; la Constitution est nulle, si la majorité des individus qui composent la nation, n’a pas coopéré à sa rédaction. » DDFC, art. 16

  • Cet article affirme un principe démocratique essentiel : une société ne peut être considérée comme légitime et conforme aux principes de justice que si les droits fondamentaux de tous sont garantis et que la séparation des pouvoirs est clairement définie. Inspirée par Montesquieu, Olympe de Gouges rappelle que sans séparation des pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire), une Constitution n’a aucune valeur réelle et ne peut être considérée comme valide.
  • L’originalité du texte d’Olympe de Gouges réside en outre dans l’ajout d’une condition essentielle à la légitimité d’une Constitution : la participation de la majorité des individus qui composent la nation à sa rédaction. Olympe de Gouges souligne donc implicitement que les femmes sont exclues de ce processus, alors qu’elles constituent une part essentielle de la population. Elle dénonce ainsi le caractère illégitime d’une constitution qui ne prendrait pas en compte les droits des femmes et ne serait élaborée que par les hommes. Olympe de Gouges défend ainsi un véritable principe d’égalité et de souveraineté populaire, soulignant que la démocratie ne peut exister sans la participation de tous. Cette vision anticipe les revendications féministes modernes en faveur du droit de vote et de l’égalité politique.
  • Le registre didactique et polémique domine largement : Olympe de Gouges utilise tout d’abord un raisonnement logique (« garantie des droits » pour tous et « séparation des pouvoirs ») pour établir la légitimité d’une Constitution. L’affirmation « n’a point de Constitution » et « la Constitution est nulle » pose un principe absolu, renforcé par l’utilisation du présent de vérité générale qui donne une dimension universelle à son raisonnement. Le registre polémique est également très marqué : la phrase « si la majorité des individus qui composent la nation, n’a pas coopéré à sa rédaction » comporte une critique implicite des Révolutionnaires qui excluent les femmes du processus législatif. L’emploi du qualificatif « nulle » est particulièrement polémique : il ne s’agit pas seulement d’un manquement, mais d’une invalidation complète de la Constitution si les femmes ne sont pas impliquées.

III) Postambule de la Déclaration des Droits de la femme et de la citoyenne :

« Femme, réveille-toi ! Le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l’univers ; reconnais tes droits ». DDFC, Postambule

  • Olympe de Gouges lance ici un appel vibrant aux femmes pour qu’elles prennent conscience de leur oppression et revendiquent leurs droits. On notera tout d’abord l’appel à la prise de conscience : l’impératif « Femme, réveille-toi ! » constitue une injonction directe. Il suggère que les femmes ont été maintenues dans une forme de passivité et qu’il est temps pour elles de s’émanciper.
  • Les références aux Lumières sont par ailleurs nombreuses : l’image du « tocsin », évoque une alarme ou un appel à la mobilisation, qui rappelle les grands événements de la Révolution française et donne à ce discours une dimension combative. De même, la référence à la raison est essentielle : la raison et la lutte pour l’égalité sont en effet l’arme des philosophes dans leurs combats contre l’obscurantisme. C’est en effet au nom de la raison qu’Olympe de Gouges dénonce les inégalités hommes-femmes. La raison évoque donc l’idée d’éclairer les hommes par la connaissance et l’accès au savoir. L’expression « se fait entendre dans tout l’univers » suggère enfin que la lutte pour l’égalité dépasse le cadre français et concerne toutes les femmes du monde. Ce passage s’inscrit donc dans une logique d’éveil et d’émancipation des femmes, les incitant à revendiquer activement leurs droits au même titre que les hommes l’ont fait lors de la Révolution.
  • Le registre dominant est le registre oratoire dont le but est de convaincre par la parole : recours à l’apostrophe, à la métaphore et à l’hyperbole, amplification rythmique de la phrase, ton emphatique, etc. L’usage d’impératifs et d’images fortes donne par ailleurs au texte un ton solennel destiné à frapper le lecteur autant qu’à satisfaire la logique. Le champ lexical de l’alerte (« tocsin ») et de la revendication (« reconnais tes droits ») rappelle les appels à la mobilisation du peuple pendant la Révolution.

« Quelles que soient les barrières que l’on vous oppose, il est en votre pouvoir de les affranchir ; vous n’avez qu’à le vouloir ». DDFC, Postambule

  • Dans cet extrait du Postambule, Olympe de Gouges adresse un message d’espoir et d’émancipation aux femmes, en les incitant à agir pour leur liberté. L’expression « Quelles que soient les barrières » montre que l’oppression des femmes est réelle et multiple, mais pas insurmontable : l’autrice insiste sur le fait que ces obstacles ne doivent pas être acceptés comme une fatalité. Le passage souligne en effet que la clé de l’émancipation des femmes réside dans leur propre volonté : « il est en votre pouvoir de les affranchir ». Cette phrase renforce l’idée que les femmes ne sont pas condamnées à subir, mais qu’elles peuvent agir et se libérer elles-mêmes. Le verbe « vouloir » est une exhortation à l’action : il met l’accent sur la prise de conscience et la détermination individuelle et collective nécessaires pour atteindre l’égalité.  Ce passage traduit donc une vision volontariste et engagée de la lutte féministe, insistant sur la nécessité pour les femmes de s’impliquer activement dans leur propre libération.
  • Le registre dominant est le registre exhortatif (exhortatif : qui incite à agir et pousse à l’action) et engagé. Olympe de Gouges lance un appel aux femmes dans le but de les sensibiliser, les inciter, les mobiliser pour qu’elles se révoltent contre leur condition. Ce texte constitue donc un appel à l’action et à l’engagement.

© Bruno Rigolt, janvier 2025.

1.  Le droit naturel désigne une théorie essentielle de la philosophie du droit selon laquelle il existe des droits fondamentaux inhérents à la nature humaine, indépendants des lois créées par les sociétés humaines. Ces droits sont considérés comme universels, inaliénables et intemporels. Ils sont souvent associés à des principes éhiques et moraux, et se trouvent au-delà du « droit positif » (créé par les autorités humaines et variable dans le temps).
2.  Le « Serment du Jeu de Paume » : le 20 juin 1789, les députés du Tiers-État, se voyant empêchés de se réunir dans la salle des États généraux, font le serment de ne pas se séparer avant d’avoir rédigé une constitution pour le royaume. Ce serment marque le début de l’Assemblée nationale constituante. Par la suite, cette Assemblée a travaillé sur l’élaboration de textes fondateurs, dont la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui sera adoptée le 26 août 1789. Ce texte fondamental pose les principes de liberté, d’égalité, de fraternité, et affirme les droits naturels et imprescriptibles de l’homme, notamment la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression.

Entraînement à la contraction et à l’essai (EAF écrit, séries technologiques)

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Contraction de texte et Essai (sujet inédit)
Parcours : « Écrire et combattre pour l’égalité »

Texte de la contraction : discours d’Isabelle Lonvis-Rome* prononcé le 30 janvier 2023 : « présentation du Plan national de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations liées à l’origine : 2023-2026 » (extraits).

* Ministre déléguée auprès de la Première ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances.

Cette année, ils ont été un million deux cent mille à se taire.
Un million deux cent mille à subir des insultes, des discriminations, des actes racistes ou antisémites, et à ne pas déposer plainte. Un million deux cent mille, c’est la population du Val d’Oise.
Un million deux cent mille, ce sont autant de femmes, d’hommes et d’enfants qui sont marginalisés, exclus, empêchés, raillés, violentés en raison de leur couleur de peau, origine, religion.
Ce sont autant de femmes et d’hommes obligés de changer leurs enfants d’école, de déménager, avant d’en venir à douter de leur présence en France, leur pays, tant les intimidations, la crainte, les agressions sont devenues invivables.
C’est à elles, c’est à eux que ce plan s’adresse. C’est à toutes et tous que ce plan s’adresse.
Ce plan, vous venez de le découvrir. Il est une réponse concrète à ce qui fait la honte de notre Nation. C’est le geste rassurant d’une République qui leur dit qu’ils doivent garder la tête haute. C’est aussi, et surtout, un avertissement aux auteurs de ces actes nauséabonds : nous ne transigerons pas.
Ce que nous réaffirmons, avec ce plan ambitieux, c’est qu’ici, sur le territoire de la République, chacun jouit des mêmes droits. Quelles que soient son origine, sa culture, sa religion ou sa couleur de peau. Il nous faut le répéter pour que personne ne perde foi en la République, en notre destinée commune.
Car oui, nous avons une destinée commune, un contrat social à façonner et à respecter. C’est aussi cela, faire Nation.
Faire Nation, c’est prôner l’universalisme.
Un universalisme républicain, et donc humaniste.
Pas un universalisme dévoyé.
Pas l’universalisme conquérant, qui veut que chacun se ressemble, qui nie l’existence d’un monde pluriel.
[…] L’universalisme auquel il nous faut aspirer est celui qui offre à chacun la dignité qui lui revient. Une société où chacun est l’égal de l’autre, comme le prône la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Car c’est bien sur l’État de droit que repose cet universalisme. Il nous faut être les garants de cet État de droit, le plus solide rempart contre la haine. Garants, aussi, de la liberté d’expression qui ne doit jamais piétiner la dignité humaine. NON, jamais la liberté d’expression ne sera prétexte à la haine raciste, antitsigane et antisémite. Tolérance zéro. […] Personne, dans la mise en place de ce plan, ne devra se sentir laissé pour compte. J’y veillerai. Je resterai à l’appui des autorités locales qui auront à décliner ces mesures, et sillonnerai le pays pour le porter à leurs côtés.
La lutte contre le racisme, l’antisémitisme, l’antitsiganisme et les discriminations liées aux origines doit d’abord concerner notre jeunesse. En ouvrant des écoles, nous fermerons des prisons, pour paraphraser Victor Hugo. C’est en formant des citoyens conscients et responsables que nous nous débarrasserons de ce mal dont notre société souffre depuis trop longtemps. La transmission mémorielle en est la clé. C’est pourquoi, plusieurs mesures ciblent l’éducation de tous les enfants et adolescents, et la formation de ceux qui les encadrent. Parmi les mesures ambitieuses qui vous ont été présentées, la visite d’un lieu de mémoire à destination des plus jeunes est essentielle. C’est par la connaissance de l’Histoire que l’on évitera la répétition des heures les plus sombres de l’humanité. Pour lutter aussi contre les stéréotypes liés à l’antitsiganisme, un travail mémoriel sera élaboré autour de l’Histoire des populations Roms et des Gens du voyage.
L’Histoire alerte trop souvent le présent.
Rien n’est plus éloigné que le jour passé ; et rien n’est plus proche que le jour qui vient.
Il est aussi impératif de ne jamais céder à la banalisation du racisme de l’antisémitisme et de l’antitsiganisme. À ce propos, Charles Péguy écrivait « Il y a quelque chose de pire qu’une âme perverse, c’est une âme habituée ».
Les discours haineux que certains proclament fièrement sur des plateaux de télévision comme s’ils étaient respectables, dans des vidéos sur internet à plusieurs millions de vues, dans des livres à gros tirage ou pendant une campagne électorale ne doivent pas devenir une habitude, une sale habitude.
Nous ne pouvons être la nation qui a fait entrer Simone Veil au Panthéon, tout en banalisant de tels propos. La politique est un combat, la haine n’y a pas sa place.
[…]
Je l’ai dit, l’éducation est le premier outil à notre disposition pour éradiquer ces fléaux. Le second est le traitement judiciaire.
Nous devons renforcer la confiance des citoyens dans les institutions de la République.
La Justice est une réponse clé au racisme, à l’antitsiganisme et à l’antisémitisme.
C’est pour cela que la prise de plainte sera améliorée, les forces de l’ordre seront outillés pour mieux qualifier les faits, les peines seront exécutées pour que les auteurs condamnés ne pensent plus pouvoir y échapper en fuyant à l’étranger. Le sentiment d’impunité doit cesser.
[…]
Les racistes, les antisémites, les antitsiganes, ceux qui distinguent les êtres selon ou en raison d’une couleur de peau, d’une religion, ou d’une nationalité, sont nos ennemis les plus redoutables. Ils sont les ennemis de la République.
Lorsque je pense à cet ennemi commun que nous avons, ce sont souvent les mots de Tahar Ben Jelloun, dans Le racisme expliqué à ma fille qui s’imposent à moi. « Très souvent, le raciste s’aime beaucoup. Il s’aime tellement qu’il n’a plus de place pour les autres, d’où son égoïsme ».
C’est ce qui fait que nous gagnerons cette bataille : nos cœurs républicains, eux, ne manqueront de place pour personne.
Je vous remercie.

[Discours d’Isabelle Lonvis-Rome : présentation du Plan national de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations liées à l’origine 2023-2026. Pour accéder à l’intégralité du discours, cliquez ici.]

Nombre de mots : 920 environ.

Activités d’écriture

CONTRACTION (10 points)
Vous résumerez ce texte en 230 mots. Une tolérance de +/– 10 % est admise : votre travail comptera au moins 205 mots et au plus 255 mots.

  • Vous placerez un repère dans votre travail tous les 50 mots.
  • Vous indiquerez, à la fin de votre contraction, le nombre total de mots utilisés.

ESSAI (10 points)
Dans son discours, Isabelle Lonvis-Rome affirme : « L’Histoire alerte trop souvent le présent ». Selon vous, en quoi les leçons du passé concernant les luttes pour l’égalité aident-elles à construire notre présent ? Vous développerez de manière organisée votre réponse à cette question, en prenant appui sur la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges, sur le texte de l’exercice de la contraction et sur ceux que vous avez étudiés dans le cadre du parcours « Ecrire et combattre pour l’égalité ». Vous pourrez aussi faire appel à vos lectures et à votre culture personnelle.

Présenter la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne à l’oral de l’EAF : comment préparer et réussir l’entretien ?

Vous allez présenter la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne à l’oral de l’EAF… Comment préparer et réussir l’entretien ?

Le choix de l’oeuvre d’Olympe de Gouges pour la deuxième partie de l’oral (entretien) peut s’avérer très intéressant : la Déclaration est en effet un texte bref, rédigé dans un style juridique et direct, ce qui en facilite la lecture. Chaque article énonce de manière explicite une revendication, que ce soit pour le droit de vote, l’égalité devant la loi, ou l’accès aux fonctions publiques et aux biens. Loin d’être théorique, le texte est également un appui à l’action politique et un appel au changement social : même si l’oeuvre se lit assez rapidement, la portée des revendications soulevées dans cette Déclaration est donc très importante puisque Olympe de Gouges défend des principes d’égalité et de justice sociale qui résonnent encore aujourd’hui.

Cela dit, votre présentation peut rapidement devenir maladroite si vous la préparez mal et si vous limitez votre réflexion à quelques textes déjà présentés pour l’exposé oral. N’oubliez pas que plus un livre est bref, plus la densité du texte demande donc une attention accrue pour saisir pleinement la portée des idées exprimées, ainsi que les subtilités et les nuances que l’œuvre cherche à transmettre.

Tout d’abord, soyez clair et structuré. Élaborez obligatoirement un plan pour que votre présentation soit logique et fluide le jour de l’examen. C’est d’autant plus important que votre présentation doit être très brève : 2 minutes 1/2 à 3 minutes maximum pour réaliser un exposé qui « impacte », vous devez donc être organisé. Le moyen le plus simple de faire une présentation bien construite est de mentionner clairement au brouillon chaque point que vous allez aborder au cours de votre exposé, et la façon dont vous allez l’aborder. Structurez votre intervention du début jusqu’à la fin de celle-ci.

Votre prestation orale doit être scénarisée, c’est-à-dire qu’elle doit obéir à un scénario. Le scénario, c’est l’itinéraire suivi dans l’exposé. Donc sur votre brouillon pensez à noter les grandes étapes qui doivent conduire votre démonstration : vous devez avoir devant vous les grandes lignes de votre exposé, accompagnées si possible de repères temporels (minutage par exemple), de mots clés, de notions ou de données importantes. Mettez-les en évidence sur votre feuille afin de les visualiser immédiatement : ainsi, vous éviterez les trous de mémoire qui sont particulièrement pénalisants à l’oral.

Avant l’oral, entraînez-vous à parler de l’œuvre, sans lire vos notes, afin de ne pas trop dépendre de votre feuille. Soignez également votre diction : prenez le temps de bien articuler et de justifier vos idées de manière concise.

Enfin, le plus important : n’oubliez pas que votre opinion personnelle est fondamentale. Vous devez obligatoirement apporter un éclairage personnel sur ce que vous ressentez ou comprenez dans l’œuvre. L’entretien en effet n’est pas un questionnaire de lecture mais bien plus un dialogue constructif permettant d’apprécier comment le candidat s’est approprié personnellement le texte et comment sa lecture prolonge les réflexions menées en classe sur l’œuvre intégrale et le parcours associé. Cette appropriation personnelle peut prendre plusieurs formes :

  • Réflexion critique : il ne faut surtout pas accepter passivement le contenu de l’œuvre, mais en discuter les implications, poser des questions voire même être en désaccord avec certains points.
  • Relation avec l’œuvre : vous devez montrer en quoi cette œuvre vous a touché ou comment elle résonne avec votre expérience personnelle, vos valeurs ou votre propre vécu.

Exemple de présentation (dans cet exemple, la durée de l’exposé est d’environ 2 minutes ½)

« L’œuvre que j’ai choisi de vous présenter est la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Il s’agit d’un texte publié le 14 août 1791 par Olympe de Gouges, femme des Lumières et militante abolitionniste, en réponse à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Dans ce texte fondateur de la cause féministe, Olympe de Gouges revendique l’égalité des sexes en matière de droits civils et politiques. Rédigée pendant la Révolution française, La Déclaration d’Olympe de Gouges condamne l’exclusion des femmes des droits proclamés en 1789 et défend leur participation à la vie publique.

Plusieurs points de cette Déclaration m’ont paru particulièrement importants.

En premier lieu, l’égalité hommes-femmes : Olympe de Gouges estime que les femmes doivent avoir les mêmes droits que les hommes, notamment le droit de vote, le droit d’accéder aux fonctions publiques et de participer à l’élaboration des lois. De plus, Olympe de Gouges aborde la question des libertés fondamentales : elle montre que la liberté, la propriété, la sécurité et la résistance à l’oppression doivent être garanties pour tous, indépendamment du genre. En prolongement de cette réflexion, l’autrice pose la question de la responsabilité des femmes : elle souligne que les femmes, tout comme les hommes, doivent assumer leurs devoirs civiques et légaux. Enfin, la réflexion autour du mariage et de l’égalité est un aspect important de cette œuvre. Olympe de Gouges s’en pred souvent au mariage, qu’elle dénonce comme un instrument d’inégalité : à la place, elle n’hésite pas à proposer  un « contrat social » garantissant l’équité entre conjoints.

Mal accueillie à son époque, cette Déclaration est aujourd’hui reconnue comme un texte pionnier du féminisme, affirmant des idées novatrices pour l’égalité des genres. Depuis 2016, un buste est même installé à l’Assemblée nationale pour honorer le rôle d’Olympe de Gouges dans l’histoire des droits des femmes et de la Révolution française. J’ai choisi de lire et de présenter ce livre pour le Baccalauréat car il m’a permis, en tant qu’adolescent, de réfléchir à mon rôle dans la société et à mes propres convictions. Ce texte m’a amené par exemple à me poser de nombreuses questions : pourquoi des droits qui semblent évidents de nos jours ne l’étaient pas à son époque ? Comment cette oeuvre met-elle en lumière plusieurs inégalités qui perdurent de nos jours, comme l’écart salarial ou les violences faites aux femmes ? C’est donc une œuvre qui encourage une réflexion critique sur les discriminations encore présentes dans le monde moderne. Il est important de se rappeler par exemple que les droits ne sont jamais acquis sans effort et qu’ils doivent être défendus. Toutes ces questions éclairent des débats comme l’accès des femmes à des postes de pouvoir, ou encore l’éducation des filles dans le monde.

Enfin, j’ai choisi l’œuvre d’Olympe de Gouges car je pense qu’elle peut susciter l’engagement et la réflexion citoyenne. Ainsi, Olympe de Gouges incarne le courage et l’action politique : elle a osé s’attaquer aux stéréotypes de genre et défier les préjugés obscurantistes de son époque pour défendre des convictions, au péril de sa vie. Cette lecture m’a donc montré combien il était important de défendre ses idées et de s’investir dans des causes importantes, comme l’égalité ou les droits humains. Bien que rédigée en 1791, cette Déclaration résonne encore au XXIème siècle : comme je l’évoquais, de nombreuses inégalités subsistent dans plusieurs domaines. Lire ce texte m’a donc aidé à comprendre qu’être féministe ou défendre l’égalité est un acte universel et intemporel, et pas seulement réservé aux femmes. D’ailleurs, Olympe de Gouges dépasse la question des femmes dans son texte, en posant la question de la dignité et des droits de tous.

Quelques questions (parmi tant d’autres…) que l’examinateur pourrait vous poser (il s’agit bien sûr de suggestions… Mais plus vous vous entraînerez, et plus vous serez préparé le jour J).

Examinateur : Êtes-vous rentré·e facilement dans l’œuvre ou vous a-t-elle déstabilisé ?
Candidat : Personnellement, je suis entré assez facilement dans ce texte. J’ai apprécié en particulier la structure claire inspirée de la Déclaration des Droits de l’homme. Le texte suit en effet une logique simple et reconnaissable, avec un préambule, un postambule et 17 articles numérotés, ce qui facilite la circulation dans le livre. J’ai également apprécié la forme de l’argumentation directe grâce à un langage percutant qui permet à chacun de faire des liens avec son propre vécu. Certains passages m’ont malgré tout déstabilisé lors de ma lecture : Olympe de Gouges consacre par exemple une partie importante à ce qu’elle appelle « Forme du contrat social de l’homme et de la femme ». Ce contrat s’inscrit avant tout dans le cadre du droit privé et aborde des questions liées au mariage, à la filiation et à la justice dans les relations conjugales. C’est une partie parfois très juridique, et j’ai eu davantage de mal à entrer dans le texte.

Examinateur : Justement, pouvez-vous m’en dire davantage sur ce « contrat social » ?
Candidat : J’ai été très intéressé par le contenu et les enjeux de ce contrat conjugal, à commencer par l’égalité dans le mariage : Olympe de Gouges n’hésite pas à aborder la question de l’indépendance économique et juridique des femmes : elle évoque des principes qui rappellent les débats modernes sur le régime matrimonial, en demandant par exemple que la femme conserve une autonomie financière et des droits égaux dans la gestion des biens du couple. De même, en proposant un contrat basé sur l’équité, elle anticipe des notions modernes comme le divorce équitable ou la répartition juste des responsabilités parentales en cas de séparation.
Enfin, le « contrat » que propose Olympe de Gouges inclut des dispositions sur la filiation, comme le devoir des parents de reconnaître leurs enfants, qu’ils soient légitimes ou non : Olympe de Gouges estime ainsi que les femmes doivent pouvoir forcer un père inconstant « à tenir ses engagements » envers un enfant naturel. Cette vision novatrice remet en question les discriminations envers les enfants nés hors mariage. Ce « contrat » est donc très novateur car il préfigure les évolutions du droit matrimonial moderne, comme la reconnaissance de l’égalité entre époux, la protection des enfants nés hors mariage ou l’accès au divorce.

Examinateur : Vous êtes-vous renseigné sur la vie de l’autrice ? Y a-t-il par exemple des aspects de sa vie personnelle qui se retrouvent dans le texte ?
Candidat : Oui en effet, la vie d’Olympe de Gouges est étroitement liée aux idées qu’elle défend dans sa Déclaration. D’abord, c’est une femme d’origine modeste et autodidacte : Olympe de Gouges (née Marie Gouze) est issue d’une famille de Montauban. Mariée à 17 ans contre sa volonté, elle devient veuve très tôt et décide de ne jamais se remarier. Cette expérience traumatisante explique sa critique virulente du mariage, qu’elle considère comme une institution oppressive pour les femmes ainsi que sa défense de l’union libre. Par exemple, sa proposition d’un « contrat social » dans le mariage repose sur son rejet du modèle patriarcal, fondé sur la soumission des femmes, qu’elle a elle-même subie très jeune. Par ailleurs, dans la vie d’Olympe de Gouges, l’affirmation d’une indépendance financière et intellectuelle sont fondamentales : ainsi, après avoir quitté Montauban, Olympe de Gouges s’installe à Paris, où elle s’engage dans la littérature et la politique. Elle devient une femme de lettres indépendante, vivant de ses écrits, ce qui était très rare à son époque. Cette indépendance se reflète dans son appel à une égalité économique et juridique dans le couple. Elle défend la capacité des femmes à être autonomes et à participer pleinement à la vie publique. Olympe de Gouges a également milité pour les opprimés : elle s’est toujours battue pour les droits des minorités et des exclus. Elle a même milité contre l’esclavage dans sa pièce Zamore et Mirza ou l’heureux naufrage et s’est battue pour l’égalité des droits, qu’il s’agisse des femmes ou des enfants illégitimes. Tous ces combats se retrouvent dans la Déclaration : elle insiste en particulier sur la reconnaissance des enfants nés hors mariage. Enfin, Olympe de Gouges a osé tenir tête aux autorités de son temps : elle s’est notamment opposée frontalement à Robespierre, ce qui a conduit à son arrestation et à son exécution en 1793. Dans le texte, son ton provocateur et direct, notamment envers les hommes et les autorités, reflète son caractère intrépide. Elle interpelle directement ses contemporains, les poussant à repenser la place des femmes dans la société. 

Examinateur : Connaissez-vous un autre livre d’Olympe de Gouges que vous pourriez recommander ?
Candidat : Deux textes m’ont personnellement intéressé : tout d’abord Zamore et Mirza ou l’Heureux Naufrage (1784) : l’action de cette pièce de théâtre se déroule dans une colonie et met en scène Zamore et Mirza, deux esclaves amoureux qui tentent d’échapper à leur condition. Par le biais de cette intrigue, Olympe de Gouges plaide pour l’abolition de l’esclavage : elle aborde par exemple une question morale audacieuse et profondément polémique pour son époque : celle du pardon accordé à un esclave vertueux pour avoir commis un crime, en réaction à l’injustice d’un maître corrompu. Au XVIIIème siècle, c’était un véritable affront : la société coloniale de l’époque reposait en effet sur une hiérarchie stricte où les esclaves étaient considérés comme des biens, dépourvus de toute moralité ou légitimité juridique face à leurs maîtres. En pardonnant le crime d’un esclave, Olympe de Gouges renverse cette hiérarchie : elle humanise l’esclave en lui attribuant des vertus comme la justice et la dignité morale, tout en dénonçant la corruption et la cruauté des esclavagistes. J’ai eu l’occasion de regarder l’exposition « Notre matrimoine »  réalisée par Clara magazine en partenariat avec l’association « Femmes Solidaires » au CDI de mon lycée : une femme m’a beaucoup touché et m’a permis de réfléchir différemment à la pièce Zamore et Mirza : il s’agit de « Solitude », née Rosalie en Guadeloupe vers 1772 et morte le 29 novembre 1802 : Solitude était une femme noire, née esclave en Guadeloupe, à une époque où l’esclavage était légalement pratiqué dans les colonies françaises. Elle a vécu sous l’oppression de l’esclavage, mais son nom reste gravé dans l’histoire pour sa résistance et son courage. Solitude a participé à la révolte de 1802, menée contre les troupes françaises de Napoléon, qui cherchaient à rétablir l’esclavage en Guadeloupe après son abolition par la Première République. Après la défaite de l’armée insurgée et la répression violente de la révolte, Solitude a été capturée et condamnée à la peine de mort. 

Examinateur : Vous me parliez d’une autre oeuvre d’Olympe de Gouges que vous connaissez…
Candidat : Oui, il s’agit de l’affiche intitulée « Les Trois Urnes, ou le Salut de la Patrie ». Olympe de Gouges fait imprimer cette affiche le 20 juillet 1793 : elle propose en particulier un référendum national permettant aux citoyens français de choisir le régime politique qui guidera la nation : monarchie, fédéralisme ou République. Ce texte, très novateur pour son époque, est une démonstration de son engagement pour la souveraineté populaire et la démocratie directe. À une époque où les luttes de pouvoir entre factions révolutionnaires dominent la scène politique, Olympe de Gouges place sa confiance dans le peuple. Elle estime que les citoyens eux-mêmes doivent décider du régime qui les gouvernera, plutôt que de laisser cette décision entre les mains des élites ou des factions politiques. En prônant un choix pacifique par voie de référendum, Olympe de Gouges s’oppose aux violences révolutionnaires et aux luttes fratricides qui divisent la France. Son affiche m’a beaucoup marqué car elle reflète une volonté de réconciliation entre les différentes visions politiques. Mais En pleine Terreur, alors que les Jacobins dominent la Convention nationale, toute critique de la République ou des révolutionnaires était perçue comme une trahison. En proposant la monarchie comme l’une des options des urnes, Olympe a donc pris un risque considérable : Cette affiche, perçue comme un acte contre-révolutionnaire par les Jacobins, a contribué à son arrestation et à sa condamnation à mort.

Examinateur : Y a-t-il un passage que vous avez particulièrement apprécié dans la Déclaration?
Candidat : il s’agit de l’article 10 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions mêmes fondamentales, la femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune […] ». Ce que j’ai partoiculièrement apprécié dans cet article, c’est le fait qu’Olympe de Gouges affirme que chaque individu, homme ou femme, a le droit d’exprimer ses idées sans crainte de persécution, même lorsque ces idées remettent en question des principes établis. Personnellement, le passage de cette citation qui m’a le plus interpellé est celui-ci : « La femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune » : Olympe de Gouges pointe une contradiction flagrante : si les femmes sont jugées égales aux hommes lorsqu’il s’agit de subir des punitions (comme la peine de mort), elles doivent l’être aussi pour exercer des droits politiques et accéder aux responsabilités publiques. Cette phrase souligne l’hypocrisie d’une société qui reconnaît l’égalité dans la condamnation, mais pas dans les droits. La mort tragique d’Olympe de Gouges donne à cette citation une résonance particulièrement forte. Monter à la tribune symbolise donc l’accès à la parole publique et au pouvoir politique. Cette citation est donc selon moi emblématique de la pensée d’Olympe de Gouges : elle revendique non seulement l’égalité entre les sexes, mais aussi une société plus juste, où chacun peut s’exprimer et participer librement.

Examinateur : Par quels aspects cette phrase que vous venez de commener peut-elle être mise en relation avec l’article 9 de la Déclaration qui stipule : « Toute femme étant déclarée coupable, toute rigueur est exercée par la loi » ? Comment comprenez-vous cette phrase ?
Candidat : Je pense que cette phrase dénonce une application plus sévère de la justice à l’égard des femmes, souvent sans égard pour les circonstances ou les causes profondes des actes. Olympe de Gouges a d’ailleurs souvent déploré les discriminations auxquelles les femmes étaient confrontées dans tous les aspects de la société, y compris dans la justice. Cette phrase est donc un appel à l’égalité devant la loi. En insistant sur l’idée que la loi doit être appliquée de manière équitable, sans tenir compte du sexe, Olympe de Gouges appelle à une réforme du système juridique, dans lequel les femmes, tout comme les hommes, devraient être jugées en fonction de leurs acre.

Examinateur : Vous avez situé Olympe de Gouges par rapport au contexte culturel des Lumières… Pouvez-vous étayer cet aspect ?
Candidat : La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges s’inscrit pleinement dans l’héritage des Lumières à travers la défense des droits humains, la critique des inégalités et l’engagement en faveur de la raison et du progrès social. Ce texte réinterprète et étend les principes des Lumières, souvent pensés exclusivement pour les hommes, afin d’y inclure les femmes. Par exemple, dans le Postambule de la Déclaration, Olympe de Gouges n’hésite pas à faire de la lutte pour l’émancipation des femmes un élément essentiel de la raison et du progrès : « Femme, réveille-toi ; le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l’univers ; reconnais tes droits. Le puissant empire de la nature n’est plus environné de préjugés, de fanatisme, de superstition et de mensonges. Le flambeau de la vérité a dissipé tous les nuages de la sottise et de l’usurpation ». Olympe de Gouges s’appuie ainsi sur la raison pour remettre en question l’obscurantisme. Elle montre que les inégalités entre hommes et femmes ne sont pas naturelles, mais le produit de préjugés, et qu’elles peuvent donc être déconstruites par la connaissance et l’accès au savoir. Elle demande que les femmes aient accès à l’éducation, condition nécessaire pour leur pleine participation à la vie publique, ce qui rejoint les idées de Condorcet sur l’éducation des femmes. Enfin, j’ai particulièrement apprécié l’appel fait aux femmes de sortir de leur pssivité pour revendiquer leur place dans la société, en particulier dans ces propos célèbres du Postambule : « Femme, réveille-toi ». Cette phrase m’a rappelé qu’Olympe de Gouges partage avec Emmanuel Kant une vision commune sur l’importance de penser par soi-même. En associant les idées d’Olympe de Gouges à la célèbre notion de « minorité » et de « majorité » développée par Kant dans son texte Qu’est-ce que les Lumières ? (1784), on peut comprendre comment leurs pensées se rejoignent et se complètent dans une quête commune pour la liberté et l’autonomie intellectuelle. Pour Kant, l’état de minorité désigne une condition dans laquelle l’individu ne pense pas par lui-même et dépend d’autrui pour guider sa conduite. Pareillement, Olympe de Gouges a bien montré qu’une femme qui ne pense pas par elle-même ne peut pas accéder à sa « majorité », ni se libèrer de la tutelle des hommes pour exercer son propre jugement.

Examinateur : Comment comprenez-vous l’aticle 15 de la Déclaration : « La masse des femmes, coalisée pour la contribution à celle des hommes, a le droit de demander compte, à tout agent public, de son administration » ?
Candidat : Je pense que cet article met l’accent sur le droit des femmes à participer à la vie politique et à exiger des comptes de ceux qui détiennent le pouvoir public. En disant que la « masse des femmes est coalisée pour la contribution », Olympe de Gouges reconnaît et revendique la contribution économique, sociale et politique des femmes à la société, qui est souvent ignorée ou minimisée. De même, L’expression « droit de demander compte » fait référence à la responsabilité des représentants publics envers les citoyens. Olympe de Gouges revendique ainsi le droit pour les femmes de contrôler les actions de l’État. Elle soutient que les autorités publiques doivent rendre des comptes de leurs actions et décisions, notamment en ce qui concerne la gestion des affaires publiques, la distribution des ressources, et l’organisation sociale. L’article 15 n’est pas seulement un appel à la transparence gouvernementale, mais aussi une revendication pour l’égalité politique. Olympe de Gouges affirme que les femmes, en tant que citoyennes, doivent avoir le même droit que les hommes de participer au contrôle des affaires publiques.

Examinateur : Si vous deviez inventer la couverture du livre, que feriez-vous ?
Candidat : Je pense que je choisirais une mise en page qui reflète à la fois l’audace intellectuelle d’Olympe de Gouges, son engagement pour l’égalité, et le contexte historique de l’œuvre. Concernant le fond et les couleurs, je privilégierais une palette de rouge, blanc et noir : le rouge car c’est une couleur emblématique de la Révolution : elle évoque l’engagement, le courage, et la justice. Le blanc, pour représenter la pureté de ses idéaux et la quête d’une société plus juste. Enfin, le noir, en écho à la tragédie de son exécution. Pour l’image centrale, je m’inspirerais d’un Portrait d’Olympe de Gouges : peut-être le Portrait d’Olympe réalisé par Alexandre Kucharski (voir ci-contre) qui est reproduit dans mon livre, mais j’aimerais le moderniser : par exemple en faisant un portrait numérique afin d’insister sur la modernité de son œuvre. En arrière-plan, je représenterais une image de la tribune et de l’échafaud, deux éléments symboliques rappelant l’article 10 que j’évoquais précédemment. La tribune pourrait être représentée par une silhouette féminine, debout, prête à s’exprimer. L’échafaud, en arrière-plan, serait plus abstrait : forme sombre, presque floue, pour évoquer l’idée du sacrifice et de la répression.

Examinateur : Est-ce que ce livre a influencé certains jugements que vous portez sur le monde ?
Candidat : Ce qui m’a le plus marqué dans la Déclaration des droits de la femme d’Olympe de Gouges concerne les questions d’égalité, de justice sociale, et de droits humains. Bien que le texte ait été écrit en 1791, ses principes sont encore actuels et résonnent dans de nombreux aspects des sociétés contemporaines. Cette oeuvre m’a poussé à adopter un regard critique sur les systèmes en place et à défendre des principes d’égalité et de liberté qui sont plus que jamais nécessaires dans le monde actuel. Olympe de Gouges a été une des premières femmes à défendre l’égalité des droits entre les femmes et les hommes dans un contexte où la soumission des femmes était profondément enracinée dans les sociétés européennes.  Cette influence se retrouve dans les débats modernes sur la parité, la lutte contre les violences faites aux femmes. Cet ouvrage m’a donc aidé à comprendre que l’égalité n’est pas simplement un principe abstrait, mais un droit fondamental à garantir dans chaque sphère de la société. Cette idée d’une justice égalitaire et universelle trouve également un écho dans les luttes pour les droits humains dans le monde, qu’il s’agisse des droits des réfugiés, des populations précaires, ou des droits à l’éducation et à la santé.

© Bruno Rigolt, janvier 2025.

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EAF Poésie : « Le bateau ivre » de Rimbaud et la « Lettre du voyant » : une poétique de l’insoumission.

  • Oral EAF. Objet d’étude : La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle
  • Parcours « Émancipations créatrices »
  • Lectures complémentaires. Approfondissements pour l’entretien au Bac :

« Le bateau ivre » de Rimbaud et la « Lettre du voyant » : une poétique de l’insoumission.

par Bruno Rigolt

Plan du cours :

  1. « Le bateau ivre » : analyse et pistes d’interprétation
  2. « Lien avec la « Lettre du voyant »
  3. Pistes de réflexion pour le parcours « émancipations créatrices »

« Le bateau ivre » :
analyse et pistes d’interprétation

___________William TURNER, « Tempête de Neige », 1842. Londres, Tate Britain

Astuce : lors de l’entretien oral, n’hésitez pas à valoriser votre culture générale  : par exemple, exploiter votre culture artistique peut être un atout pour enrichir vos démonstrations. Ainsi, le tableau de Turner intitulé « Tempête de neigne », qu’il a peint en 1842 est intéressant à exploiter : Turner est en effet célèbre pour ses représentations tumultueuses des éléments naturels, notamment les tempêtes en mer.  Cette toile par exemple capture la violence et la grandeur de l’océan, tout en évoquant l’atmosphère enivrante du « Bateau ivre » qui affronte des flots déchaînés, tout en se laissant emporter par eux dans une sorte d’ivresse poétique et de « dérèglement de tous les sens », pour reprendre une image célèbre de la « Lettre du voyant »..


« Le bateau ivre » raconte l’histoire d’un bateau qui se détache de toute ancre et part à l’aventure, emporté par les flots. C’est l’un des poèmes les plus célèbres d’Arthur Rimbaud. Écrit à la fin de l’été 1871, ce poème de 100 vers organisés en 25 quatrains représente par ailleurs l’une des œuvres majeures du mouvement symboliste. « Le Bateau Ivre » est écrit à un moment où Rimbaud traverse une crise existentielle et artistique profonde : dès l’adolescence, il manifeste en effet une personnalité rebelle et anticonformiste, ainsi qu’un goût prononcé pour l’aventure. À peine âgé de 16 ans, il est en rébellion contre la société bourgeoise et les valeurs de son époque. Ce poème naît donc dans un contexte de révolte intérieure et extérieure : révolte contre la famille, les conventions sociales, mais aussi contre la poésie traditionnelle (voir plus loin : la « Lettre du voyant »). Rimbaud cherche en effet à renverser les codes littéraires et à exprimer son désir d’affranchissement et d’émancipation, d’où l’aspect transgressif et novateur du poème. 

L’allégorie du bateau : un symbole de la révolte et de l’émancipation créatrice

Dès la première strophe, Rimbaud introduit le thème central : l’abandon total du poète à la liberté et à l’inconnu, symbolisés par le bateau qui échappe à tout contrôle : 

Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.

Cette première strophe est une évocation très suggestive de la rupture. Le bateau, métaphore du poète, se libère des « haleurs » : les haleurs, c’est-à-dire ceux ceux qui tiraient les bateaux le long des canaux ou des fleuves, symbolisent les forces traditionnelles qui dirigent et maîtrisent le cours du bateau. Ils symbolisent ici la soumission, la contrainte exercée par la société. Leur disparition marque ainsi une rupture avec l’ordre établi, les contraintes sociales, morales ou littéraires. Symboles de l’ordre et de la tradition, les haleurs sont « pris pour cible » par les Peaux-Rouges et leur violence barbare : « Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,/Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs ». Ce passage illustre la quête d’absolu de Rimbaud : un voyage audacieux où le rejet des conventions et l’abandon à l’inconnu deviennent les conditions nécessaires à la création poétique. Le bateau, vaisseau sans gouvernail, devient ici une allégorie de la révolte adolescente. En perdant le contrôle et en se laissant emporter par les vagues, le bateau symbolise un individu qui cherche à s’affranchir des restrictions sociales, des limites et des conventions. 

Le bateau est un moyen de transport, mais il devient également le symbole d’une exploration plus profonde, une métaphore d’une quête intérieure et spirituelle :

J’étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m’ont laissé descendre où je voulais. 

Le bateau est présenté ici comme libéré des contraintes, notamment de la logique utilitaire des « équipages ». Les équipages imposaient une direction, une organisation et une finalité au voyage maritime. Leur absence signifie une rupture avec l’autorité et les structures imposées. Par opposition, le terme « insoucieux » traduit un état d’esprit libre, détaché des responsabilités ou des attentes liées à des fonctions définies. Cela renvoie à l’idée de Rimbaud de s’affranchir des codes traditionnels et de rejeter les cadres imposés par la société. Ainsi, le bateau se souvient d’un passé où il était un simple outil économique, transportant des marchandises (« blés », « cotons »). Ces images évoquent la société marchande : le bateau était alors soumis à une fonction précise : privé de liberté, entièrement au service de l’ordre économique. Sur un plan poétique, cette fonction « domestiquée » du bateau reflète une poésie conventionnelle et utilitaire, confinée dans des cadres rigides et incapable de transcender la banalité (cf. l’image des « fleuves impassibles » dans la première strophe).

L’autonomie et la quête de liberté

« Les Fleuves m’ont laissé descendre où je voulais. » : dans ce vers, le bateau affirme sa libération totale. Les fleuves, qui jusque-là représentaient un cadre limité et dirigé, deviennent des espaces d’affranchissement et de liberté. Le bateau n’est plus contraint par un chemin tracé : ivre de bonheur, de liberté et d’espoir, il n’écoute plus que son désir d’aventures : ce vers illustre également l’idée que le poète, après s’être libéré des conventions, peut enfin explorer des territoires inédits, inventer de nouveaux langages, de nouvelles formes poétiques comme le suggère la troisième strophe du texte : 

La tempête a béni mes éveils maritimes.
Plus léger qu’un bouchon j’ai dansé sur les flots
Qu’on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l’œil niais des falots !

Cette strophe exprime un moment de jubilation et d’exaltation dans l’expérience de dérive et de liberté absolue. Elle met en scène le bateau désormais affranchi des contraintes terrestres, vivant une aventure initiatique où la tempête, loin d’être une menace, devient une alliée qui « sanctifie » ce voyage poétique (« la tempête a béni »). Traditionnellement associée à une force destructrice dans la littérature, la tempête est décrite ici de manière méliorative. En « bénissant » les « éveils maritimes » du bateau, elle devient une force initiatique, presque sacrée, qui accompagne la métamorphose du bateau. Le terme d’ « éveils maritimes » suggère un moment de prise de conscience initiatique et de révélation : au caractère utile du langage brut s’oppose le caractère sacré du poème. La dérive du bateau apparaît dès lors comme une aventure spirituelle. Non seulement une libération mais plus fondamentalement une purification, une « émancipation créatrice » propice à la renaissance et à la connaissance. Le bateau, et par extension le poète, entre dans un nouvel état, marqué par la liberté, l’expérimentation et l’exploration. La tempête symbolise également la violence nécessaire à toute transformation. Elle efface l’ordre ancien (les contraintes des haleurs, l’asservissement à la marchandisation) pour ouvrir un chemin vers l’inconnu.

Cette image illustre la vision rimbaldienne de la poésie comme bouleversement nécessaire,  rupture violente pour accéder à un « éveil » vers de nouvelles perceptions et réalités : « Je courus ! Et les Péninsules démarrées/N’ont pas subi tohu-bohus plus triomphants ».  Ces vers marquent un moment d’exaltation dans le voyage symbolique du bateau, qui représente à la fois la quête de liberté, l’effervescence créatrice et la révolte adolescente. Le mouvement, la démesure et le triomphe de l’émancipation sont au cœur de ces images percutantes : le verbe « courus », utilisé ici à la première personne, donne une impression de vitesse, d’élan irrésistible. Ce mouvement est spontané, presque impulsif, traduisant une urgence et une exaltation dans la quête d’ailleurs. En attribuant une action humaine au bateau, Rimbaud personnifie le navire, qui devient un alter ego du poète. Cette identification accentue l’idée d’un voyage spirituel ou poétique. Le « je » est également celui du poète en quête d’absolu. Il court vers l’inconnu, porté par une énergie créatrice débordante, refusant tout ancrage ou toute limite.

Les « Péninsules démarrées » accentuent cette image de rupture dans une sorte d’effondrement géographique : les « Péninsules démarrées » évoquent des terres arrachées à leur socle géographique, qui se détacheraient des continents pour être emportées par les flots. Cette métaphore représente une libération totale, un rejet des attaches ou des contraintes imposées par le monde terrestre. Ce bouleversement des structures naturelles peut également être lu comme une critique de l’ordre social, politique ou poétique, source de toutes les aliénations de l’individu. Le poète, comme le bateau, revendique une rupture avec les cadres établis pour accéder à une liberté sans bornes, comme le suggère le terme de « tohu-bohu » : ce terme hébreu, tiré de la Genèse dans l’Ancien Testament, désigne le chaos primordial, l’état informe du monde avant la création. Ici, il évoque une désorganisation totale, un bouleversement d’une intensité prodigieuse. Contrairement à une vision négative du chaos, Rimbaud le dépeint ici omme « triomphant ». Ce tohu-bohu est une force libératrice et féconde, qui permet au bateau (et au poète) de s’affranchir de l’ordre pour atteindre un état supérieur de liberté et de création. L’idée que même les « Péninsules démarrées » n’ont pas connu de tohu-bohu plus triomphants illustre une amplification spectaculaire. Ce dépassement des limites témoigne de l’ivresse ressentie par le bateau dans son expérience de liberté totale. Cette exaltation traduit également l’expérience poétique : en abandonnant les cadres traditionnels, le poète s’aventure dans un chaos de sensations et d’images, mais ce chaos est jubilatoire, porteur d’une créativité triomphante.

Cette légèreté reflète l’état d’esprit du poète, qui s’abandonne totalement aux forces naturelles et créatrices, sans crainte ni regret : « Plus léger qu’un bouchon j’ai dansé sur les flots ». Cette comparaison du bateau avec un bouchon flottant sur l’eau traduit une absence totale de contraintes. Cette image souligne une nouvelle insouciance et une communion parfaite avec les flots, comme si le bateau s’abandonnait au mouvement libérateur des éléments. La métaphore de la danse traduit une expérience exaltante et joyeuse : le bateau ne lutte pas contre les vagues, mais épouse leur mouvement, symbolisant une acceptation de la liberté absolue, aussi imprévisible soit-elle. La mer apparaît donc comme un espace de violence et de liberté qu’on peut interpréter comme un rejet du passé et des repères terrestres : « Dix nuits, sans regretter l’œil niais des falots ! ». Le poète exprime son indifférence à la sécurité matérielle en qualifiant les lumières des ports si réconfortantes pour les marins d’ « œil niais des falots ». Les falots désignent les lanternes de signalisation maritimes qui guident les bateaux. Qualifiés de « niais », ils incarnent une vision étriquée, une sécurité illusoire, et plus largement, les conventions et les limites du monde adulte. Par opposition, le « bateau ivre » exprime une rupture totale avec ce passé de dépendance et de soumission. Loin de regretter les falots, il les méprise, préférant l’aventure incertaine de la mer infinie.

Hokusai, « La Grande Vague de Kanagawa », c. 1830.
Cette célèbre estampe japonaise représente une immense vague prête à engloutir des bateaux. L’énergie dynamique et l’immensité de l’océan illustrent parfaitement l’idée d’une mer puissante et dominante, que le « bateau ivre » traverse.

Le voyage vers l’inconnu ou la quête de l’infini

Dans la suite du poème, le bateau est emporté par des forces qui échappent à son contrôle. Ballotté par les éléments, il dérive comme un adolescent perdu dans ses envies de liberté et son désir d’émancipation. Ce voyage sans destination claire représente la quête d’un idéal : voyage intérieur à la fois chaotique et libérateur. Mais ce refus de toute destination précise peut aussi symboliser la révolte contre la notion même de but ou de finalité imposée par la société adulte : le bateau perd toute maîtrise de lui-même, à l’image de l’adolescent qui, « plus sourd que les cerveaux d’enfants » (v. 10), rejette la raison et les valeurs classiques, laissant place à une expérience de dérive totale. Cette perte de contrôle peut aussi être vue comme une métaphore du désir de détruire les anciennes structures et de se construire une nouvelle identité plus libre et plus authentique qui l’amène à une véritable rencontre avec l’inconnu : tout au long du poème, le bateau traverse une série de paysages fabuleux et de scènes qui semblent préfigurer le surréalisme. Ce voyage mène le narrateur à des visions hallucinées et déroutantes, où les éléments naturels sont déformés, comme si l’environnement était une projection de l’état mental du poète.

Les paysages visionnaires que parcourt le bateau reflétent l’expérience de déréalisation de l’adolescent révolté qui traverse des mers mythologiques, des décors fantastiques et des scènes totalement oniriques :

Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs et les courants : je sais le soir,
L’Aube exaltée ainsi qu’un peuple de colombes,
Et j’ai vu quelquefois ce que l’homme a cru voir !

J’ai vu le soleil bas, taché d’horreurs mystiques,
Illuminant de longs figements violets,
Pareils à des acteurs de drames très antiques
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets !

J’ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,
Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,
La circulation des sèves inouïes,
Et l’éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs !

Le monde semble se transformer littéralement, comme si la perception de la réalité s’en trouvait modifiée. Cette rupture avec le réel peut symboliser la quête d’une autre réalité, un monde parallèle dans lequel le poète maudit cherche à échapper à l’ordinaire et à s’élever au-dessus de la réalité. Rimbaud crée ainsi une écriture totalement libérée des contraintes classiques grâce à une poésie de la quête et du déchiffrement, mettant en correspondance le réel et l’inconnu . Les métaphores sont débridées, l’imaginaire s’épanouit sans limite. Les sensations visuelles, sonores et tactiles se mêlent et se confondent dans un vertige sensoriel :

J’ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries
Hystériques, la houle à l’assaut des récifs,
Sans songer que les pieds lumineux des Maries
Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs !

J’ai heurté, savez-vous, d’incroyables Florides
Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux
D’hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides
Sous l’horizon des mers, à de glauques troupeaux !

Il y a ici une libération du langage et une volonté d’explorer la poésie sous un angle déroutant et transgressif, en brisant les codes traditionnels et en expérimentant la fusion des sensations. De fait, les synesthésies dans « Le bateau ivre » occupent une place essentielle dans la construction de l’imaginaire poétique. Ce procédé stylistique, qui consiste à associer des perceptions relevant de sens différents (vue, ouïe, toucher, odorat, goût), permet à Rimbaud d’exprimer une réalité intensifiée et visionnaire, en accord avec son idéal poétique formulé dans la Lettre du Voyant. Les synesthésies dans « Le bateau ivre » ne se limitent pas à la description du réel ; elles traduisent une expérience poétique où les frontières entre les sens s’effacent, ouvrant sur une perception élargie et visionnaire :

« J’ai vu des archipels sidéraux ! et des îles
Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur » (v. 85-86)

Plus le voyage avance, et plus les images deviennent surprenantes, voire incohérentes : fusionnant plusieurs sensations et dépassant les limites de la perception ordinaire pour ouvrir un champ visionnaire. En fusionnant les sens, Rimbaud fait éclater les frontières entre l’homme et la nature, entre le tangible et l’intangible, pour proposer une expérience unique, à la fois exaltante et bouleversante. Par son utilisation du langage et des images, Rimbaud crée un poème qui est tout sauf conformiste : la recherche de la beauté passe ainsi par la rupture, l’excès, l’insoumission :

Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,
Jeté par l’ouragan dans l’éther sans oiseau,
Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
N’auraient pas repêché la carcasse ivre d’eau ;

Libre, fumant, monté de brumes violettes,
Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur
Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,
Des lichens de soleil et des morves d’azur ;

Qui courais, taché de lunules électriques,
Planche folle, escorté des hippocampes noirs,
Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs ;

Le poème, par son intensité sensorielle et son langage débridé, incarne parfaitement l’affranchissement des traditions : l’utilisation d’images presque surréalistes et de métaphores surprenantes marque une volonté de renverser les conventions poétiques et de mettre en avant une liberté d’expression totale. Beaucoup d’œuvres surréalistes se sont d’ailleurs inspiré de l’esprit visionnaire et révolutionnaire de Rimbaud : bien qu’il précède ce mouvement, son écriture a profondément influencé les surréalistes qui ont cherché à explorer les méandres de l’inconscient et l’étrangeté du monde dans des paysages où se mêlent abstraction et figuration.

La désillusion et l’échec de la quête

La fin du poème traduit une forme de désenchantement : après avoir vécu des expériences extrêmes et eu des visions extraordinaires, le bateau se retrouve comme usé, vidé : « Mais, vrai, j’ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes./Toute lune est atroce et tout soleil amer ». Il aspire à une forme de repos ou de retour à une simplicité perdue. Faut-il y voir l’échec partiel de la quête de l’absolu ? La liberté totale entraîne une forme d’épuisement et de solitude.

Après l’immensité des flots océaniques et la liberté des espaces infinis, le poète évoque une « eau d’Europe », cadre beaucoup plus restreint et contingent. Cette évocation marque une rupture avec la grandeur et l’exaltation qui caractérisaient les strophes précédentes. Ce désir d’une « eau d’Europe » peut être interprété comme un aveu de fatigue ou de lassitude face à l’infini. L’expérience du voyage initiatique, si exaltante au départ, finit par confronter le poète à la réalité plus déceptive et plus sombre de la « flache noire et froide » : la « flache » dans le dialecte des Ardennes et du nord de la France évoque une simple flaque d’eau, une petite mare, par opposition à l’immensité des océans. Ce choix souligne un retour à une expérience terre-à-terre, loin des horizons grandioses. De même, les adjectifs « noire et froide » confèrent une atmosphère lugubre et désenchantée à la scène. L’eau ici, n’a plus rien de vivifiant ni de lumineux : elle est obscure, sombre, et désolante, symbole d’une désillusion ou d’une mélancolie profondes.

« Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche/Un bateau frêle comme un papillon de mai »…
(Illustration : © BR, janvier 2025)

Du « bateau ivre » au « bateau frêle »…

Si je désire une eau d’Europe, c’est la flache
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.

La fin du texte est profondément mélancolique : cet « enfant accroupi, plein de tristesse », est une image autobiographique qui renvoie au jeune Rimbaud lui-même, rêveur et solitaire, en quête d’évasion dans un monde étriqué qui le limite. La mention explicite de la « tristesse » contraste fortement avec les moments de jubilation vécus dans les strophes précédentes. Elle marque une impression d’échec et d’incomplétude, comme si le rêve d’ivresse échouait à se matérialiser dans le monde réel : l’émerveillement de l’ailleurs fait place à une mélancolie douloureuse qui pourrait aussi être interprétée comme une réflexion sur les limites de l’art lui-même et de sa capacité à atteindre une vérité pure et totale.

Toute cette scène suggère également une forme de regret ou de nostalgie : après avoir exploré les horizons les plus lointains, le poète revient à un souvenir d’enfance empreint de désillusion. Le « bateau frêle » et le « papillon de mai » expriment ici la fragilité des rêves. Le « bateau frêle » contraste avec le « bateau ivre », audacieux et triomphant des premières strophes. Il représente une fragilité, voire même une impuissance face aux rêves d’évasion. De même, la comparaison avec un « papillon de mai » accentue la fragilité et le caractère quelque peu illusoire du rêve. Le papillon est une créature délicate, symbole de beauté passagère, mais aussi de vulnérabilité face aux éléments.

L’enfant qui lâche ce bateau dans la « flache noire et froide », c’est bien sûr Rimbaud lui-même, qui accomplit un geste empreint de simplicité et de tristesse. Ce bateau miniature pourrait connoter les rêves de voyage et d’évasion du jeune poète, ici rétrécis à un cadre insignifiant, éphémère et désenchanté. Ces derniers vers expriment un moment de recul et de mélancolie : après les exaltations maritimes, le retour à une scène d’enfance intimiste symbolise un profond désenchantement, mais aussi une méditation douloureuse sur la fragilité des rêves. Cette « eau d’Europe » marque ainsi un contraste saisissant avec les horizons infinis explorés plus tôt, et rappelle que cette poétique de l’insoumission qui est à la base de l’œuvre de Rimbaud a un prix : celui de la perte d’innocence dans un contexte de crise de l’écriture elle-même.

© Bruno Rigolt, janvier 2025.

Lien entre la « Lettre du Voyant »

et « Le Bateau Ivre » de Rimbaud

Écrite en 1871 par Arthur Rimbaud à l’âge de 16 ans, la « Lettre du Voyant » est un texte fondateur dans lequel Rimbaud prône la rupture avec les conventions établies et expose sa vision novatrice de la poésie et du rôle du poète. Ce texte s’articule autour de l’idée que le poète doit devenir un « voyant » grâce à un « dérèglement de tous les sens ». Rimbaud y évoque une quête de l’absolu, une exploration de territoires inconnus à travers la poésie :

« Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant.
Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. »

Cette poétique de l’insoumission s’incarne pleinement dans son poème « Le bateau ivre », écrit peu de temps après. Les deux œuvres se nourrissent mutuellement et sont profondément liées.

Le poète voyant : une quête d’absolu

Dans la « Lettre du Voyant » Rimbaud affirme que le poète doit « se faire voyant », c’est-à-dire percevoir des vérités et des réalités qui échappent à l’homme ordinaire. Ce culte d’un renouveau métaphysique et mystique, amplifié par le refus de la vie quotidienne dans son conformisme banal, passe par un « dérèglement de tous les sens », c’est-à-dire une rupture avec les conventions et une immersion totale dans l’inconnu. Le poète-voyant n’est pas un simple artisan des mots, mais un être capable de capter l’invisible et de transmettre des visions nouvelles. Rimbaud écrit à ce titre : « Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant. Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens […]. Car il arrive à l’inconnu ! ». Dans « Le bateau ivre », cette émancipation est symbolisée par le bateau qui se libère de ses haleurs (l’autorité, la tradition) et navigue librement : le bateau représente ainsi symboliquement le poète en quête d’absolu : abandonné à lui-même et aux forces naturelles, il devient un symbole de la liberté créatrice.

Tout comme le « poète voyant », le bateau s’éloigne des voies tracées (les règles, les conventions), partant à la découverte de territoires inexplorés, qu’ils soient géographiques, spirituels ou poétiques, comme le suggère ce vers célèbre : « Et j’ai vu quelquefois ce que l’homme a cru voir ! ». 

Le bateau, dans son voyage hallucinatoire, accède à des visions qui dépassent l’entendement humain, illustrant l’idée que la poésie doit explorer l’inconnu et briser les limites du langage et de la perception. Dans la « Lettre du Voyant », Rimbaud rejette violemment la poésie classique et les normes bourgeoises : l’auteur dresse en effet un sévère réquisitoire contre les adeptes de la poésie traditionnelle, accusés de n’être que des « versificateurs ». Rimbaud parle même « d’innombrables générations idiotes ». Pour lui, le poète doit rompre avec les traditions et inventer un langage nouveau, capable de traduire l’indicible. Dans « Le bateau Ivre », le bateau s’affranchit des contraintes : il n’a plus de capitaine ni de gouvernail, symbolisant un rejet des cadres imposés, qu’ils soient sociaux ou littéraires.

Cette révolte contre les conventions est indissociable de la vision rimbaldienne de la poésie comme exploration radicale : « aube exaltée ainsi qu’un peuple de colombes, »archipels sidéraux », « incroyables Florides / Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux / D’hommes ! » ou même « l’éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs » : ces dérèglements de la réalité traduisent une perception exacerbée du monde, au-delà de ce qui est accessible à l’homme ordinaire. La dérive du bateau devient donc une allégorie, à la fois exaltante et périlleuse, de la liberté absolue. La poésie représente ainsi un espace infini et anarchique, où se mêlent des images surréalistes et des sensations extrêmes :

« J’ai vu des archipels sidéraux ! et des îles
Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur : »

Le bateau, à l’instar du poète, devient un explorateur de l’inconnu en quête d’un au-delà, d’une vérité transcendante. Cette recherche de l’abstraction, de l’ambiguïté, du mystère, amène à une forme d’idéalisation stupéfiante : les images, par leur hermétisme même, concourent à la création d’un univers dont le contenu réel nous échappe. Ce n’est pas un paysage maritime qui est représenté, mais un paysage pensé, façonné par le mystère de la langue, né d’une véritable fusion de l’homme et de l’univers, permettant de suggérer peu à peu, et conférant au réel force et pureté. Dans la « Lettre du Voyant », ce dérèglement de tous les sens est un processus nécessaire pour le poète, qui doit s’ouvrir à des perceptions nouvelles, même si cela implique une souffrance ou une perte de contrôle. Rimbaud insiste sur le fait que cette quête est à la fois exaltante et dangereuse. Elle demande de rompre avec la rationalité et d’accepter l’expérience de l’extrême. Rimbaud écrit à ce titre :

Toutes les formes d’amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n’en garder que les quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, — et le suprême Savant — Car il arrive à l’inconnu !

« Le bateau ivre » est donc une véritable mise en pratique des idées exposées dans la « Lettre du Voyant ». Le poème illustre la quête d’absolu par le « dérèglement de tous les sens », la révolte contre les conventions, et l’exploration de l’inconnu. Arthur Rimbaud est ainsi l’incarnation même de l’émancipation créatrice grâce au pouvoir de suggestion qui confère à la poésie une dimension presque surnaturelle et prophétique. Brève mais révolutionnaire, son œuvre se distingue, au-delà de ses provocations verbales, par sa volonté de briser les conventions, de réinventer la langue et de proposer une « poétique de l’insoumission », libérée de toutes les normes traditionnelles.

Comprendre l’intitulé du parcours
« Émancipations créatrices »

dans l’œuvre de Rimbaud

La notion d’émancipations créatrices désigne l’idée selon laquelle un auteur s’affranchit des normes, des contraintes ou des traditions pour créer librement et de manière innovante. Cette idée est particulièrement pertinente dans l’œuvre de Rimbaud, où elle incarne la quête de liberté d’expression, de renouvellement des formes et de remise en question des cadres établis. Chez Rimbaud, l’émancipation créatrice implique un rejet des modèles conventionnels (cf. la « Lettre du voyant »), L’acte créateur est ainsi présenté comme une revendication de la subjectivité, de la différence et de l’altérité : « Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant. » (« Lettre du voyant ») ; « Et j’ai vu quelquefois ce que l’homme a cru voir ! » (« Le bateau ivre », v. 32)
Cette dimension subversive débouche sur la recherche d’un idéal : quêteuse d’absolu et d’indéchiffrable, la poésie de Rimbaud s’inscrit ainsi dans une quête visant à transcender les limites de l’expérience humaine ou artistique : l’écriture poétique devient une manière de « voir » au-delà des apparences.

Pour le Bac, je vous conseille d’approfondir ces thématiques :

  • La libération des formes poétiques : même si Rimbaud utilise souvent le sonnet, il en rejette fréquemment les structures rigides (sonnets irréguliers). 
  • L’émancipation par la langue : montrez comment Rimbaud a cherché à réinventer l’expression poétique, par exemple en s’écartant des cadres classiques pour façonner une poésie visionnaire et novatrice, même si elle reste traditionnelle dans la forme.
  • La création de néologismes et d’images nouvelles : Rimbaud invente des mots, explore des associations d’idées audacieuses et forge des métaphores inédites.
  • Le langage visionnaire : dans sa célèbre « Lettre du Voyant » (1871), Rimbaud explicite son projet poétique : le poète doit « se faire voyant » par un « long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens ». Rimbaud vise une poésie qui transcende le réel pour atteindre une perception totale, presque mystique.
  • L’exploration de l’inconnu : Rimbaud s’affranchit des thèmes poétiques traditionnels pour explorer des sujets audacieux et transgressifs (cf. par exemple « Vénus anadyomène »)
  • La révolte sociale et spirituelle : dans des poèmes comme « Le Mal », il dénonce les inégalités sociales, la guerre, et les hypocrisies religieuses. Il remet en question les valeurs de son époque, rejetant les dogmes et célébrant une liberté totale.
  • L’exploration de l’absolu : son écriture s’aventure dans les limites de l’inconnu, du rêve et de l’imaginaire. « Le Bateau Ivre » est une odyssée poétique où le poète, libéré des contraintes, dérive vers des territoires inexplorés, symboles de l’infini.
  • L’introspection psychologique : Rimbaud ne se limite pas à décrire le monde extérieur ; il plonge dans les méandres de la conscience, explorant ses propres émotions et visions. Dans la « Lettre du voyant », il affirme : « Car Je est un autre. […]. Si les vieux imbéciles n’avaient pas trouvé du Moi que la signification fausse, nous n’aurions pas à balayer ces millions de squelettes qui, depuis un temps infini, ! […]. La première étude de l’homme qui veut être poète est sa propre connaissance, entière ; il cherche son âme, il l’inspecte, il la tente, l’apprend. » Tout d’abord, en affirmant que « je est un autre », Rimbaud fortement influencé par la découverte de l’inconscient, pense que le poète doit s’ouvrir à la richesse du monde ainsi qu’à la complexité du « moi ».
  • Le refus des institutions : Rimbaud est devenu le symbole de l’artiste qui refuse de se soumettre, vivant pour créer selon ses propres envies. Cet idéal de liberté prend sa source dans le refus du monde étriqué qui caractérise le Second Empire, et trouve sa résolution dans la création poétique d’un autre monde, à l’opposé des cadres imposés par la société et les conventions littéraires.
  • La célébration du vagabondage : plusieurs poèmes célèbrent les plaisirs modestes mais intenses de l’adolescence et du vagabondage : « Sensation » ; « Au Cabaret-Vert » ; « Ma Bohème »).
  • Le refus de l’école et de la famille : très jeune, il fuit la maison familiale et rejette l’autorité parentale. Ses fugues, notamment en Belgique et à Paris, sont autant de tentatives d’évasion de la société bourgeoise de Charleville. Après son aventure poétique, il devient marchand en Afrique, voyageant et découvrant des réalités totalement étrangères à sa vie d’adolescent.
  • Le rejet des institutions littéraires : Rimbaud ne cherche pas à entrer dans les cercles littéraires traditionnels et méprise l’idée de « carrière », comme en témoigne son abandon de la poésie à seulement 21 ans.
  • Le refus des normes religieuses, politiques et sociales : dans des poèmes comme « Le Mal » ou « Le Châtiment de Tartufe », Rimbaud s’en prend à l’Église, dénonçant son hypocrisie et son rôle dans la domination sociale. Beaucoup de textes critiquent également ouvertement la justice (« Bal des pendus », « Rages de Césars », « L’Éclatante Victoire de Sarrebruck » ; « A la musique » : satire des bourgeois et de leur étroitesse d’esprit).
  • Rimbaud, précurseur des avant-gardes : voulant faire du rêve et du « dérèglement de tous les sens » les concepts clés du processus de création, Rimbaud, par ses innovations formelles et thématiques, annonce le surréalisme (André Breton considérait Rimbaud comme un modèle). Son influence se retrouve également dans la musique, les arts visuels et la littérature moderne (Rimbaud influencera par exemple les écrivains de la Beat Generation, tels que Jack Kerouac ou Allen Ginsberg qui ont vu en lui une figure emblématique de la quête de liberté absolue, d’une écriture débridée et de la transgression des normes établies. 

© Bruno Rigolt, janvier 2025.

Annexe 1 : « Le bateau ivre »

Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.

J’étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m’ont laissé descendre où je voulais.

Dans les clapotements furieux des marées,
Moi, l’autre hiver, plus sourd que les cerveaux d’enfants,
Je courus ! Et les Péninsules démarrées
N’ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.

La tempête a béni mes éveils maritimes.
Plus léger qu’un bouchon j’ai dansé sur les flots
Qu’on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l’œil niais des falots !

Plus douce qu’aux enfants la chair des pommes sûres,
L’eau verte pénétra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin.

Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d’astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;

Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
Et rythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l’alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de l’amour !

Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs et les courants : je sais le soir,
L’Aube exaltée ainsi qu’un peuple de colombes,
Et j’ai vu quelquefois ce que l’homme a cru voir !

J’ai vu le soleil bas, taché d’horreurs mystiques,
Illuminant de longs figements violets,
Pareils à des acteurs de drames très antiques
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets !

J’ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,
Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,
La circulation des sèves inouïes,
Et l’éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs !

J’ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries
Hystériques, la houle à l’assaut des récifs,
Sans songer que les pieds lumineux des Maries
Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs !

J’ai heurté, savez-vous, d’incroyables Florides
Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux
D’hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides
Sous l’horizon des mers, à de glauques troupeaux !

J’ai vu fermenter les marais énormes, nasses
Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan !
Des écroulements d’eaux au milieu des bonaces,
Et les lointains vers les gouffres cataractant !

Glaciers, soleils d’argent, flots nacreux, cieux de braises !
Échouages hideux au fond des golfes bruns
Où les serpents géants dévorés des punaises
Choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums !

J’aurais voulu montrer aux enfants ces dorades
Du flot bleu, ces poissons d’or, ces poissons chantants.
– Des écumes de fleurs ont bercé mes dérades
Et d’ineffables vents m’ont ailé par instants.

Parfois, martyr lassé des pôles et des zones,
La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux
Montait vers moi ses fleurs d’ombre aux ventouses jaunes
Et je restais, ainsi qu’une femme à genoux…

Presque île, ballottant sur mes bords les querelles
Et les fientes d’oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds.
Et je voguais, lorsqu’à travers mes liens frêles
Des noyés descendaient dormir, à reculons !

Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,
Jeté par l’ouragan dans l’éther sans oiseau,
Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
N’auraient pas repêché la carcasse ivre d’eau ;

Libre, fumant, monté de brumes violettes,
Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur
Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,
Des lichens de soleil et des morves d’azur ;

Qui courais, taché de lunules électriques,
Planche folle, escorté des hippocampes noirs,
Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs ;

Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues
Le rut des Béhémots et les Maelstroms épais,
Fileur éternel des immobilités bleues,
Je regrette l’Europe aux anciens parapets !

J’ai vu des archipels sidéraux ! et des îles
Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur :
– Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t’exiles,
Million d’oiseaux d’or, ô future Vigueur ?

Mais, vrai, j’ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes.
Toute lune est atroce et tout soleil amer :
L’âcre amour m’a gonflé de torpeurs enivrantes.
Ô que ma quille éclate ! Ô que j’aille à la mer !

Si je désire une eau d’Europe, c’est la flache
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.

Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,
Ni traverser l’orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni nager sous les yeux horribles des pontons.

Annexe 2 : « Le bateau ivre » lu par Gérard Philipe

  • Je vous recommande d’écouter très attentivement la lecture magistrale qu’a effectuée Gérard Philippe de ce poème :

Annexe 3 : Arthur Rimbaud : Lettre à Paul Demeny, datée du 15 mai 1871, dite « Lettre du voyant » (extraits)

À Douai. Charleville, 15 mai 1871.

J’ai résolu de vous donner une heure de littérature nouvelle. […]

— Voici de la prose sur l’avenir de la poésie -Toute poésie antique aboutit à la poésie grecque ; Vie harmonieuse. — De la Grèce au mouvement romantique, — moyen-âge, — il y a des lettrés, des versificateurs. D’Ennius à Théroldus, de Théroldus à Casimir Delavigne, tout est prose rimée, un jeu, avachissement et gloire d’innombrables générations idiotes : Racine est le pur, le fort, le grand. — On eût soufflé sur ses rimes, brouillé ses hémistiches, que le Divin Sot serait aujourd’hui aussi ignoré que le premier venu auteur d’Origines. — Après Racine, le jeu moisit. Il a duré deux mille ans ! […]

Car Je est un autre. […]. Si les vieux imbéciles n’avaient pas trouvé du Moi que la signification fausse, nous n’aurions pas à balayer ces millions de squelettes qui, depuis un temps infini, ! ont accumulé les produits de leur intelligence borgnesse, en s’en clamant les auteurs ! […]

La première étude de l’homme qui veut être poète est sa propre connaissance, entière ; il cherche son âme, il l’inspecte, il la tente, l’apprend.

Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant.

Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d’amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n’en garder que les quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, — et le suprême Savant — Car il arrive à l’inconnu !

Entraînement au Bac de français (séries technologiques) : contraction + essai CORRIGÉS

Entraînement au Bac de français. Séries technologiques : ST2S | STI2D | STL | STMG

CONTRACTION DE TEXTE ET ESSAI : CORRIGÉS

  • Objet d’étude : La littérature d’idées du XVIe siècle au XVIIIe siècle
  • Parcours : « Ecrire et combattre pour l’égalité »

Méthodologie des exercices (contraction + essai) : cliquez ici.

Texte de la contraction : Hubertine Auclert, « Discours prononcé au Congrès ouvrier socialiste de Marseille », 1879.

Journaliste, écrivaine et militante féministe française, Hubertine Auclert (1848-1914) est une figure majeure dans l’histoire du mouvement féministe. Elle s’est battue toute sa vie en faveur de l’égalité des femmes et de leur droit de vote. En 1879, le parti socialiste français organise plusieurs congrès ouvriers afin de mener une lutte pour l’amélioration des conditions économiques et sociales du prolétariat. Hubertine Auclert y participe et tient les propos suivants devant plusieurs centaines d’auditrices et d’auditeurs…

Ah ! nous vivons sous une façon de République qui prouve que les mots les plus sublimes deviennent de vains titres qui s’étalent aux regards, quand dans les sociétés les principes qu’ils représentent ne sont pas intégralement appliqués. Une République qui maintiendra les femmes dans une condition d’infériorité ne pourra pas faire les hommes égaux. Avant que vous, hommes, vous conquerriez le droit de vous élever jusqu’à vos maîtres1, il vous est imposé le devoir d’élever vos esclaves, les femmes, jusqu’à vous.
Beaucoup n’ont jamais réfléchi à cela. Aussi bien, si dans cette imposante assemblée, je posais cette question : Êtes-vous partisans de l’égalité humaine ? Tous me répondraient : Oui. Car ils entendent en grande majorité, par égalité humaine, l’égalité des hommes entre eux. Mais si je changeais de thème, si pressant les deux termes — homme et femme — sous lesquels l’humanité se manifeste, je vous disais : Êtes-vous partisans de l’égalité de l’homme et de la femme ? Beaucoup me répondraient : Non. Alors que parlez-vous d’égalité, vous qui étant vous-mêmes sous le joug2, voulez garder des êtres au-dessous de vous. Que vous plaignez-vous des classes dirigeantes, puisque vous faites, vous dirigés, la même œuvre à l’égard des femmes que les classes dirigeantes ?
[…] On trouve bon de faire des recherches scientifiques sur tout. Chaque jour, on découvre aux animaux et aux végétaux des qualités nouvelles. On multiplie les expériences tendant à tirer des bêtes tout l’utile, des plantes tout le salutaire3. Mais jamais encore on n’a songé à mettre la femme dans une situation identique à celle de l’homme, de façon à ce qu’elle puisse se mesurer avec lui et prouver l’équivalence de ses facultés.
[…] Jamais on n’a essayé d’expérimenter avec impartialité la valeur de la femme et de l’homme. Jamais on n’a essayé de prendre un nombre déterminé d’enfants des deux sexes, de les soumettre à la même méthode d’éducation, aux mêmes conditions d’existence. […] Qu’on renverse les conditions, […] qu’on mette les garçons de 12 à 16 ans à la cuisine, à la couture et qu’on laisse les jeunes filles dans les écoles industrielles ; qu’on les fasse entrer en possession de tous les droits qui ont été jusqu’ici le lot exclusif des hommes ; qu’on enserre les jeunes gens dans l’étiquette et les préjugés à l’aide desquels on a garrotté4 les femmes ; bientôt les rapports entre la valeur des deux sexes seront totalement renversés.
Vous ne voulez pas faire cette expérience ? Savez-vous bien alors que vous nous permettez de croire, à nous femmes, que vous avez moins le doute que la crainte de notre égalité. En continuant à nous laisser dans une vie atrophiante, vous imitez, vous hommes civilisés, les barbares, possesseurs d’esclaves, qui exploitent avec grand profit la prétendue infériorité de leurs semblables.
[…]
Sachez-le, citoyens, ce n’est que sur l’égalité de tous les êtres que vous pouvez vous appuyer pour être fondés à réclamer votre avènement à la liberté. Si vous n’asseyez pas vos revendications sur la justice et le droit naturel, si vous, prolétaires5, vous voulez aussi conserver des privilèges, les privilèges de sexe, je vous le demande, quelle autorité avez-vous pour protester contre les privilèges des classes ? Que pouvez-vous reprocher aux gouvernants qui vous dominent, qui vous exploitent, si vous êtes partisans de laisser subsister dans l’espèce humaine des catégories de supérieurs et d’inférieurs ?
[…]
Finissez-en avec ces questions d’orgueil et d’égoïsme. Le droit de la femme ne vous ôte pas votre droit. Mettez donc franchement le droit […] à la place de l’autorité : car, si, en vertu de l’autorité, l’homme opprime la femme, par le fait de cette même autorité, l’homme opprime l’homme.
J’ai parlé pour le plus grand nombre. Je m’adresse maintenant à ceux qui se déclarent partisans de l’égalité de l’homme et de la femme, mais dont le mot d’ordre est Chut !… Ne perdons pas notre temps à nous occuper de ce détail. Un détail ! l’exploitation d’une moitié de l’humanité par l’autre moitié ! […]
Il y a trop longtemps qu’on fait espérer aux femmes une condition sociale égale à celle de l’homme. Quand en 1789 Olympe de Gouges présenta aux États-généraux au nom des femmes, son cahier de doléances et de réclamations, il lui fut répondu qu’il était inutile d’examiner la condition de la femme, attendu qu’un changement complet devant se faire dans la société, les femmes seraient affranchies6 comme l’homme.
La Révolution éclate : On proclame les droits de l’homme ; les femmes restent serves7. Ces femmes qui avaient travaillé à la Révolution croyaient naïvement avoir conquis leur part de liberté. Quand elles se virent tenues à l’écart de tout, elles réclamèrent. Alors, elles furent ridiculisées, bafouées, insultées […]. Et, en même temps que ces révolutionnaires autocrates8 décrétaient l’inégalité de la femme, ils faisaient entendre jusqu’au bout du monde les mots sonores d’Égalité, de Liberté !

Hubertine Auclert, « Discours prononcé au Congrès ouvrier socialiste de Marseille », 1879.

Nombre de mots : 800

NOTES

1. Les « maîres » désignent ici les bourgeois.
2. « être sous le joug » : être soumis, être dans l’asservissement moral ou social.
3. « tout le salutaire » : tous les bienfaits.
4. « garrotter » : au sens figuré, « Mettre dans l’impossibilité d’agir librement, priver de toute liberté d’action » (CNRTL)
5. « prolétaire » : travailleur appartenant au prolétariat, c’est-à-dire à la classe ouvrière.
6. « affranchies » : libérées.
7. « serves » : soumises.
8. « autocrate » : dont l’autorité est comparable à celle d’un monarque absolu.

Corrigé des activités d’écriture

1) Contraction

Vous résumerez ce texte en 200 mots. Une tolérance de +/– 10 % est admise : votre travail comptera au moins 180 mots et au plus 220 mots. Vous placerez un repère oblique (/) dans votre travail tous les 50 mots et indiquerez, à la fin de votre contraction, le nombre total de mots utilisés.

Corrigé de la contraction

___Pour avoir du sens, une République doit être animée par les plus vertueux principes. Aussi est-il vain de prôner l’égalité dans une République maintenant les femmes dans la servitude.
___Comment trouvez-vous légitime, messieurs les prolétaires, de vous révolter contre les bourgeois et illégitime que les femmes veuillent [50] s’affranchir de l’oppression masculine ?
___Pour vous convaincre, tentons l’expérience suivante : inversons le modèle patriarcal au profit des femmes : dès l’école, que les petites filles soient éduquées comme des garçons, et inversement : en modifiant les rapports de force, pareille expérience permettrait de renverser les stéréotypes [100] sexistes.
___Hommes, si vous refusez une telle expérience, c’est que vous en craignez les résultats. Tout civilisés que vous prétendez être, en maintenant les femmes sous le joug de la servitude, vous n’êtes que des barbares.
___Pire, comment prétendez-vous vous prévaloir de principes universels comme l’égalité, et dans [150] le même temps, être en contradiction avec le droit naturel en refusant aux femmes l’égalité ? Pareille attitude décrédibilise votre lutte pour l’égalité sociale.
___En opprimant la femme, l’homme s’opprime lui-même ! On nous a trop longtemps fait croire que les droits de l’Homme servaient également [200] les droits des femmes. Funeste erreur dont Olympe de Gouges et tant d’autres femmes ont injustement payé le prix.

Nombre de mots : 220

Comptage des mots :

  • Les l’, n’, s’, etc. comptent pour 2 mots : « l’homme » : 2 mots ; « s’affranchir » : 2 mots ; « l’homme s’opprime » : 4 mots.
  • Les mots composés comptent pour 2 mots à partir du moment où chacun des mots pris séparément a un sens : « est-il » : 2 mots ; « lui-même » : 2 mots ; mais « a-t-il » : 2 mots (Le t euphonique ne compte pas car il n’a pas de signification propre. Il est « euphonique », c’est-à-dire qu’il n’est utilisé que pour améliorer la sonorité de la langue).
  • Conseil : afin de compter rapidement les mots de votre contraction, écrivez au brouillon 10 mots par ligne dans un tableau :
Pour avoir du sens, une République doit être animée par 10
les plus vertueux principes. Aussi est- il vain de prôner 20

2) Essai

Hubertine Auclert écrit : « ce n’est que sur l’égalité de tous les êtres que vous pouvez vous appuyer pour être fondés à réclamer votre avènement à la liberté. » En quoi l’égalité de tous les êtres est-elle une juste condition d’accès à la liberté ? Vous développerez de manière organisée votre réponse à cette question, en prenant appui sur la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges, sur le texte de l’exercice de la contraction et sur ceux que vous avez étudiés dans le cadre du parcours : « Ecrire et combattre pour l’égalité ». Vous pourrez aussi faire appel à vos lectures et à votre culture personnelle.

Corrigé de l’essai

___Dans la lignée d’Olympe de Gouges, de Flora Tristan1 ou de Louise Michel2, Hubertine Auclert est une figure majeure du féminisme de la IIIème République. En octobre 1879, au Congrès ouvrier de Marseille, elle prend la parole pour réclamer que les femmes, au même titre que les hommes, fassent entendre leur voix. Dans un plaidoyer célèbre pour l’égalité, elle soutient que la revendication d’une vraie République ne peut se faire qu’au prix du suffrage féminin : « ce n’est que sur l’égalité de tous les êtres que vous pouvez vous appuyer pour être fondés à réclamer votre avènement à la liberté ». En quoi l’égalité de tous les êtres, comme l’affirme Hubertine Auclert, est-elle une juste condition d’accès à la liberté ? La problématique de cet essai questionnera l’importance de l’égalité comme fondement nécessaire afin de garantir la liberté pour tous. Après avoir exposé dans les deux premiers axes comment l’articulation entre la liberté et l’égalité est à la base d’une société démocratique fondée sur la sauvegarde des droits de l’humain, nous terminerons notre réflexion en montrant qu’il ne saurait y avoir de liberté sans fraternité.

___Pour commencer, l’égalité de tous les êtres est le thème central d’une pensée qui cherche à lutter contre la servitude et l’obscurantisme. De fait, comment parler d’égalité lorsque certaines personnes ou catégories sociales sont discriminées ou juridiquement défavorisées ? Comment parler d’égalité devant la loi quand les libertés individuelles sont menacées par les abus de pouvoir ? Comment se prétendre libre si on n’est pas un sujet égal, émancipé du despotisme ? C’est ainsi que dans la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, Olympe de Gouges pose d’emblée les bases de l’égalitarisme en vertu de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui dispose3 que « la loi doit être la même pour tous » : puisque les hommes ont réussi à s’affranchir des erreurs du passé, pourquoi les femmes ne bénéficieraient-elles pas aussi des progrès des Lumières ? Le postambule de la Déclaration est très clair à ce propos : « Femme, réveille-toi ! Le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l’univers ; reconnais tes droits ». L’égalité est donc la condition de la liberté. Comme l’affirme encore Olympe de Gouges dans l’article premier de la Déclaration, « la Femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits ». En rappelant le caractère naturel de l’égalité en droits des femmes et des hommes, Olympe de Gouges légitime donc les revendications des femmes à l’égalité. Reprenant l’article 4 de la Déclaration de 1789 qui stipule que « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui », Olympe de Gouges reformule avec subtilité l’argument en affirmant : « l’exercice des droits naturels de la femme n’a de bornes que la tyrannie perpétuelle que l’homme lui oppose ; ces bornes doivent être réformées par les lois de la nature et de la raison. » Comme on le voit, l’égalité est la condition de la liberté puisque personne ne peut imposer à autrui une contrainte à laquelle il échapperait lui-même. 

___En outre, il est nécessaire de rappeler que tous les êtres humains possèdent un droit égal à la liberté : le respect de ce droit devrait être la norme qui fonde les sociétés. Dans De l’esprit des lois, et plus particulièrement dans l’avertissement au lecteur, Montesquieu affirme : « ce que j’appelle la vertu dans la république est l’amour de la patrie, c’est-à-dire l’amour de l’égalité ». Pour Montesquieu, la question de l’égalité est donc à mettre en relation avec la liberté politique : en prônant la séparation des pouvoirs, les philosophes du siècle des Lumières ont cherché à promouvoir l’équilibre, favorisant ainsi la liberté. Mais une telle conception de la liberté n’est possible que si elle permet à tous les êtres humains, sans exception, d’être égaux. Que l’on songe à cet avertissement de Condorcet dans ses Réflexions sur l’esclavage des Nègres4 (1781) : « Réduire un homme à l’esclavage, l’acheter, le vendre, le retenir dans la servitude, ce sont de véritables crimes, et des crimes pires que le vol ». Pour Condorcet en effet, l’esclavage est le pire crime qui soit car il dépouille l’humain du droit naturel de propriété, y compris sur lui-même. Nous pourrions également rappeler cette phrase essentielle d’Olympe de Gouges dans ses Réflexions sur les hommes nègres où l’on peut lire : « L’homme partout est égal. Les rois justes ne veulent point d’esclaves […] ». Comment pourrait-on se prétendre libre si l’on fonde sa liberté sur l’infériorité de son semblable ? Nous pourrions évoquer dans le même ordre d’idées les thèses anti-esclavagistes développées au 18ème siècle par Voltaire, dans le conte philosophique Candide. Au chapitre 19, l’auteur nous amène à nous mettre à la place d’un esclave et à imaginer les souffrances que le malheureux endure. Comme on le voit, en suscitant l’empathie, la littérature d’idées secoue notre bonne conscience et nous oblige à développer notre sens critique afin de vouloir changer les choses pour vivre dans un monde plus juste.

___Enfin, si Hubertine Auclert a parfaitement raison d’affirmer que « l’égalité de tous les êtres est une juste condition d’accès à la liberté », nous pourrions ajouter qu’il n’y pas de véritable liberté sans fraternité. De fait, égalité ne veut pas dire similitude : une véritable égalité doit prendre en compte les différences dans un esprit de tolérance et d’équité. C’est ce que démontre Étienne de La Boétie en réfutant toute tentative de justification de la servitude et en mettant l’accent sur la nécessité de la fraternité comme condition de la liberté : « la nature, ministre de Dieu et gouvernante des hommes, nous a tous faits de même forme, et comme il semble, selon un même moule, afin que nous nous reconnaissions tous comme compagnons ou plutôt comme frères ». De fait, Étienne de La Boétie a été le premier auteur, dans son Discours sur la servitude volontaire, à avoir exprimé une formule semblable à la devise républicaine en montrant que la fraternité est, par l’égalité qu’elle reconnaît et institue, la condition même de la liberté. Comme on le voit, la liberté individuelle est mieux préservée au sein d’une société où les membres se traitent les uns les autres avec humanisme. Cette notion reflète l’idéal républicain selon lequel la liberté ne peut être pleinement réalisée que dans un contexte de solidarité entre les citoyens : le principe d’une démocratie reposant sur l’idée de « contrat social », c’est-à-dire l’obéissance à des valeurs communes. L’adhésion de l’individu au groupe doit donc être source de cohésion, voire de communion. De nos jours, de nombreux projets participatifs et inclusifs permettent à chacun d’exercer son sens critique tout en se conformant à un même idéal social humaniste : égalité des genres, fraternité, solidarité. Ainsi, l’échange participatif basé sur l’obligation sociale réciproque est une composante essentielle de nos démocraties modernes : réseaux sociaux, dispositifs solidaires d’échange, Web participatif, etc.

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___Comme nous avons essayé de le montrer tout au long de notre réflexion, l’égalité mais aussi la fraternité sont des conditions essentielles de toute société démocratique. Particulièrement à notre époque, où l’on accuse souvent le monde moderne d’isoler les individus ou de détruire le lien social, de nombreux projets communautaires, associatifs et participatifs voient pourtant le jour et permettent de repenser notre modernité et nos modèles civilisationnels dans l’espoir d’un nouveau « vivre ensemble », plus égalitaire et fraternel…

© février 2024, Bruno Rigolt

NOTES

1. Flora Tristan (1803-1844) est une écrivaine et militante française. Socialiste engagée, elle est connue pour ses plaidoyers en faveur des droits des femmes et des travailleurs. Citation célèbre (à mettre en relation avec la citation de Louise Michel) : « L’homme le plus opprimé peut opprimer un être, qui est sa femme. Elle est la prolétaire du prolétaire même ». (L’Union ouvrière, 1843).
2. Militante anarchiste, écrivaine et institutrice, Louise Michel (1830-1905) est une figure emblématique de la Commune de Paris en 1871, où elle s’était engagée activement. Toute sa vie durant, elle a lutté pour l’égalité des sexes, la justice sociale et la liberté des opprimé·e·s. Citation célèbre : « Esclave est le prolétaire, esclave entre tous est la femme du prolétaire» (Louise Michel, Mémoires, 1886).
3. En droit, le verbe « disposer » signifie décider, décréter, édicter. On dit qu’une loi ou qu’un article de droit « dispose que… »  Par exemple, l’article 6 de la Constitution française dispose que le Président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct.
4. À l’époque de Condorcet, le terme « nègre » désignait simplement les caractéristiques physiques propres à la race noire. Si le mot « nègre » n’a donc rien de péjoratif sous la plume de Condorcet, il a pris depuis dans la langue courante un sens fortement dépréciatif, voire raciste. Ainsi, dans votre essai, si vous citez Condorcet, vous ne changerez pas le terme « nègre » utilisé par l’auteur. En revanche, vous n’emploierez pas ce terme dans votre argumentaire.

Entraînement au Bac de français (séries technologiques) : contraction + essai

Entraînement au Bac de français. Séries technologiques : ST2S | STI2D | STL | STMG

CONTRACTION DE TEXTE ET ESSAI

  • Objet d’étude : La littérature d’idées du XVIe siècle au XVIIIe siècle
  • Parcours : « Ecrire et combattre pour l’égalité »
  • Méthodologie des exercices : cliquez ici.
  • Corrigés : cliquez ici.

 

Texte de la contraction : Hubertine Auclert, « Discours prononcé au Congrès ouvrier socialiste de Marseille », 1879.

Journaliste, écrivaine et militante féministe française, Hubertine Auclert (1848-1914) est une figure majeure dans l’histoire du mouvement féministe. Elle s’est battue toute sa vie en faveur de l’égalité des femmes et de leur droit de vote. En 1879, le parti socialiste français organise plusieurs congrès ouvriers afin de mener une lutte pour l’amélioration des conditions économiques et sociales du prolétariat. Hubertine Auclert y participe et tient les propos suivants devant plusieurs centaines d’auditrices et d’auditeurs…

Ah ! nous vivons sous une façon de République qui prouve que les mots les plus sublimes deviennent de vains titres qui s’étalent aux regards, quand dans les sociétés les principes qu’ils représentent ne sont pas intégralement appliqués. Une République qui maintiendra les femmes dans une condition d’infériorité ne pourra pas faire les hommes égaux. Avant que vous, hommes, vous conquerriez le droit de vous élever jusqu’à vos maîtres1, il vous est imposé le devoir d’élever vos esclaves, les femmes, jusqu’à vous.
Beaucoup n’ont jamais réfléchi à cela. Aussi bien, si dans cette imposante assemblée, je posais cette question : Êtes-vous partisans de l’égalité humaine ? Tous me répondraient : Oui. Car ils entendent en grande majorité, par égalité humaine, l’égalité des hommes entre eux. Mais si je changeais de thème, si pressant les deux termes — homme et femme — sous lesquels l’humanité se manifeste, je vous disais : Êtes-vous partisans de l’égalité de l’homme et de la femme ? Beaucoup me répondraient : Non. Alors que parlez-vous d’égalité, vous qui étant vous-mêmes sous le joug2, voulez garder des êtres au-dessous de vous. Que vous plaignez-vous des classes dirigeantes, puisque vous faites, vous dirigés, la même œuvre à l’égard des femmes que les classes dirigeantes ?
[…] On trouve bon de faire des recherches scientifiques sur tout. Chaque jour, on découvre aux animaux et aux végétaux des qualités nouvelles. On multiplie les expériences tendant à tirer des bêtes tout l’utile, des plantes tout le salutaire3. Mais jamais encore on n’a songé à mettre la femme dans une situation identique à celle de l’homme, de façon à ce qu’elle puisse se mesurer avec lui et prouver l’équivalence de ses facultés.
[…] Jamais on n’a essayé d’expérimenter avec impartialité la valeur de la femme et de l’homme. Jamais on n’a essayé de prendre un nombre déterminé d’enfants des deux sexes, de les soumettre à la même méthode d’éducation, aux mêmes conditions d’existence. […] Qu’on renverse les conditions, […] qu’on mette les garçons de 12 à 16 ans à la cuisine, à la couture et qu’on laisse les jeunes filles dans les écoles industrielles ; qu’on les fasse entrer en possession de tous les droits qui ont été jusqu’ici le lot exclusif des hommes ; qu’on enserre les jeunes gens dans l’étiquette et les préjugés à l’aide desquels on a garrotté4 les femmes ; bientôt les rapports entre la valeur des deux sexes seront totalement renversés.
Vous ne voulez pas faire cette expérience ? Savez-vous bien alors que vous nous permettez de croire, à nous femmes, que vous avez moins le doute que la crainte de notre égalité. En continuant à nous laisser dans une vie atrophiante, vous imitez, vous hommes civilisés, les barbares, possesseurs d’esclaves, qui exploitent avec grand profit la prétendue infériorité de leurs semblables.
[…]
Sachez-le, citoyens, ce n’est que sur l’égalité de tous les êtres que vous pouvez vous appuyer pour être fondés à réclamer votre avènement à la liberté. Si vous n’asseyez pas vos revendications sur la justice et le droit naturel, si vous, prolétaires5, vous voulez aussi conserver des privilèges, les privilèges de sexe, je vous le demande, quelle autorité avez-vous pour protester contre les privilèges des classes ? Que pouvez-vous reprocher aux gouvernants qui vous dominent, qui vous exploitent, si vous êtes partisans de laisser subsister dans l’espèce humaine des catégories de supérieurs et d’inférieurs ?
[…]
Finissez-en avec ces questions d’orgueil et d’égoïsme. Le droit de la femme ne vous ôte pas votre droit. Mettez donc franchement le droit […] à la place de l’autorité : car, si, en vertu de l’autorité, l’homme opprime la femme, par le fait de cette même autorité, l’homme opprime l’homme.
J’ai parlé pour le plus grand nombre. Je m’adresse maintenant à ceux qui se déclarent partisans de l’égalité de l’homme et de la femme, mais dont le mot d’ordre est Chut !… Ne perdons pas notre temps à nous occuper de ce détail. Un détail ! l’exploitation d’une moitié de l’humanité par l’autre moitié ! […]
Il y a trop longtemps qu’on fait espérer aux femmes une condition sociale égale à celle de l’homme. Quand en 1789 Olympe de Gouges présenta aux États-généraux au nom des femmes, son cahier de doléances et de réclamations, il lui fut répondu qu’il était inutile d’examiner la condition de la femme, attendu qu’un changement complet devant se faire dans la société, les femmes seraient affranchies6 comme l’homme.
La Révolution éclate : On proclame les droits de l’homme ; les femmes restent serves7. Ces femmes qui avaient travaillé à la Révolution croyaient naïvement avoir conquis leur part de liberté. Quand elles se virent tenues à l’écart de tout, elles réclamèrent. Alors, elles furent ridiculisées, bafouées, insultées […]. Et, en même temps que ces révolutionnaires autocrates8 décrétaient l’inégalité de la femme, ils faisaient entendre jusqu’au bout du monde les mots sonores d’Égalité, de Liberté !

Hubertine Auclert, « Discours prononcé au Congrès ouvrier socialiste de Marseille », 1879.

Nombre de mots : 800

NOTES

1. Les « maîres » désignent ici les bourgeois.
2. « être sous le joug » : être soumis, être dans l’asservissement moral ou social.
3. « tout le salutaire » : tous les bienfaits.
4. « garrotter » : au sens figuré, « Mettre dans l’impossibilité d’agir librement, priver de toute liberté d’action » (CNRTL)
5. « prolétaire » : travailleur appartenant au prolétariat, c’est-à-dire à la classe ouvrière.
6. « affranchies » : libérées.
7. « serves » : soumises.
8. « autocrate » : dont l’autorité est comparable à celle d’un monarque absolu.

 Activités d’écriture [Cliquez ici pour voir les corrigés]

1) Contraction

Vous résumerez ce texte en 200 mots. Une tolérance de +/– 10 % est admise : votre travail comptera au moins 180 mots et au plus 220 mots. Vous placerez un repère oblique (/) dans votre travail tous les 50 mots et indiquerez, à la fin de votre contraction, le nombre total de mots utilisés.

2) Essai

Hubertine Auclert écrit : « ce n’est que sur l’égalité de tous les êtres que vous pouvez vous appuyer pour être fondés à réclamer votre avènement à la liberté. » En quoi l’égalité de tous les êtres est-elle une juste condition d’accès à la liberté ? Vous développerez de manière organisée votre réponse à cette question, en prenant appui sur la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges, sur le texte de l’exercice de la contraction et sur ceux que vous avez étudiés dans le cadre du parcours : « Ecrire et combattre pour l’égalité ». Vous pourrez aussi faire appel à vos lectures et à votre culture personnelle.

Sujet + propositions de corrigé EAF séries technologiques 2023 Centres Etrangers Groupe 1 Contraction + essai : Olympe de Gouges

Sujet et corrigés Baccalauréat technologique [juin 2023 Centres Etrangers Groupe 1]

Œuvre : Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (du « préambule » au « postambule »). Parcours : écrire et combattre pour l’égalité.

Contraction : Vous ferez la contraction de ce texte en 195 mots. Une tolérance de plus ou moins 10% est admise : les limites sont donc fixées à au moins 175 mots et au plus 215 mots. Vous placerez un repère dans votre travail tous les 50 mots et vous indiquerez à la fin de la contraction le nombre de mots qu’elle comporte.

Essai : « Une chambre à soi, c’est aussi une fenêtre vers l’ailleurs », écrit Lucie Azéma. A-t-on besoin d’intimité et de solitude pour s’engager dans un combat pour l’égalité ?
Vous développerez de manière organisée votre réponse à cette question, en prenant appui sur la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (du « préambule » au « postambule ») d’Olympe de Gouges, sur le texte de l’exercice de la contraction (texte de Lucie Azéma) et sur ceux que vous avez étudiés dans l’année dans le cadre de l’objet d’étude « La littérature d’idées du XVIe siècle au XVIIIe siècle ». Vous pourrez aussi faire appel à vos lectures et à votre culture personnelle.

Texte : Lucie Azéma, Les femmes aussi sont du voyage, 2021.

___J’aime l’imprévisible du voyage, le frisson du dépaysement, l’adrénaline qui nous envahit lorsque l’on se plonge dans des environnements dont on ne maîtrise ni la langue, ni la culture, ni le climat. Ou, du moins, j’aime les aimer, parce qu’ils font écho aux livres d’aventures que j’ai dévorés, aux rêves que j’ai nourris en parcourant de longues distances sur les mappemondes à l’aide de mon simple index. En réalité, par bien des aspects, je ne suis pas une voyageuse. La traversée me semble moins séduisante que l’amarrage1, j’aime les arrivées beaucoup plus que les départs. Je cherche le temps long, sa densité, sa profondeur – la complexité du réel, celle qui n’est accessible que si l’on reste. Le voyage exige de s’attarder, de prendre refuge : s’acclimater, apprendre la langue, s’entourer de fenêtres pour mieux les traverser – et ainsi accéder à une chambre à soi.

___Le fait que les femmes aient traditionnellement été cantonnées à la sphère privée ne signifie pas qu’elles aient eu accès à une intimité – ni à elles-mêmes. Les interruptions constantes, liées aux obligations domestiques qui leur incombent, ainsi que leur dépendance financière, organisée par l’assignation2 à un travail non rémunéré, ont longtemps empêché l’esprit de liberté, d’invention et de créativité des femmes de se déployer. En 1929, Virginia Woolf3 livrait au monde la phrase qui deviendra la plus célèbre de toute son œuvre : « Il est indispensable qu’une femme possède quelque argent et une chambre à soi si elle veut écrire une œuvre de fiction ». L’écrivaine soulignait ainsi l’absolue nécessité pour les femmes d’accéder à une certaine intimité, matérialisée par une pièce « dont la porte est pourvue d’une serrure » et à la liberté d’esprit, rendue possible grâce à un minimum d’argent personnel.

___Accéder à une chambre à soi permet d’appréhender l’intérieur, non plus comme le lieu de l’aliénation4 des femmes, mais comme celui où elles peuvent s’atteindre. Un espace dans lequel elles aménagent une oasis de solitude consentie, retranchée du monde, où elles peuvent écrire, lire, dormir ; un lieu qui donne sa place au silence, leur permettant de se dérober temporairement au monde extérieur pour mieux l’assimiler. La chambre à soi est celle qui se referme sur l’imagination et la rêverie, sur ce que Gaston Bachelard appelle « l’immensité de l’intime ». Grâce au voyage et à la solitude qu’il offre, les femmes se réapproprient non seulement le dehors, mais aussi le dedans, car il crée un aller-retour de l’un vers l’autre, et lie ces deux espaces jusqu’à les confondre et n’en former plus qu’un : le territoire intime de la voyageuse.

___Le monde est peuplé de chambres à soi : elles éclosent5 à la vue quand le train ralentit ou lorsque l’avion se met à descendre lentement. Elles sont là, fourmillantes, comme autant de petits points lumineux qui forment la constellation de nos intimités – maisons temporaires, alvéoles6 propices à laisser le temps se dilater et à vider des tasses de thé jusque tard dans la nuit. En voyage, la chambre à soi peut prendre la forme d’une auberge, d’une guest house, d’un ryokan japonais, d’une yourte kirghize, d’un bungalow dans la jungle, d’un caravansérail, d’un hôtel capsule, d’une cabine de bateau ou de train, etc. Certaines voyageuses se contentent de peu, d’une chambre vétuste7 et de quelques éléments qui leur suffisent à créer un sentiment d’appartenance au lieu : « Assez de lumière pour écrire, un feu, une couverture en peau de mouton, du raki8 – on n’a besoin de rien de plus ni de moins » écrit Schwarzenbach alors qu’elle séjourne à Konya, en Turquie. D’autres, au contraire, voient les choses en grand, comme Anne Brassey, qui, au XIXe siècle, transforma sa cabine de bateau en une véritable demeure flottante, ou bien à la manière d’Alexine Tinné, qui installait des campements gigantesques à chacune de ses étapes, et faisait transporter par ses domestiques une bibliothèque entière, un service à thé en porcelaine de Chine qu’elle aimait remplir de lait, un chevalet et des couleurs pour peindre.

___Si chaque voyageuse a ses préférences concernant la chambre qui va lui servir de port d’attache, toutes ont en commun d’avoir consacré plusieurs pages à décrire le bonheur d’accéder à une chambre à soi à l’autre bout du monde. « Logé partout mais enfermé nulle part, telle est la devise du rêveur de demeures », écrit Bachelard. […] Une chambre à soi,
c’est aussi une fenêtre vers l’ailleurs.
(778 mots)

1. Amarrage : fait d’attacher un bateau à un quai ou une rive.
2.
Assignation : ici, obligation de faire quelque chose.
3. Virginia Woolf : écrivaine britannique ; Gaston Bachelard, philosophe français ; Annemarie Schwarzenbach, écrivaine et aventurière suisse ; Annie Brassey, écrivaine et voyageuse anglaise ; Alexine Tinné, photographe et exploratrice néerlandaise.
4. Aliénation : ici, privation de liberté.
5. Éclosent : font leur apparition.
6. Alvéoles : ici, recoins, refuges.
7. Vétuste : qui est usée par le temps, qui n’est plus en bon état.
8. Raki : boisson consommée au Proche-Orient.

Corrigé de la contraction : mise en ligne dans les prochains jours.

Corrigé de l’essai

ESSAI : RAPPEL DU SUJET

 « Une chambre à soi, c’est aussi une fenêtre vers l’ailleurs », écrit Lucie Azéma. A-t-on besoin d’intimité et de solitude pour s’engager dans un combat pour l’égalité ?

Vous développerez de manière organisée votre réponse à cette question, en prenant appui sur la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (du « préambule » au « postambule ») d’Olympe de Gouges, sur le texte de l’exercice de la contraction (texte de Lucie Azéma) et sur ceux que vous avez étudiés dans l’année dans le cadre de l’objet d’étude « La littérature d’idées du XVIe siècle au XVIIIe siècle ». Vous pourrez aussi faire appel à vos lectures et à votre culture personnelle.

 

___Dans Les Femmes sont aussi du voyage, essai publié en 2021, Lucie Azema dénonce la vision masculine de l’aventure : selon elle, le voyage est l’un des moyens les plus symboliques pour que les femmes s’affranchissent de leur condition. À ce titre, elle affirme : « Une chambre à soi, c’est aussi une fenêtre vers l’ailleurs ». De tels propos interrogent : a-t-on besoin d’intimité et de solitude pour s’engager dans un combat pour l’égalité ? Si, comme nous le verrons dans une première partie, la revendication de l’intimité est une condition essentielle dans le combat pour l’égalité, nous montrerons cependant en quoi écrire et combattre pour l’égalité nécessite l’engagement collectif.

___L’intimité et la solitude peuvent jouer un rôle important lorsque l’on s’engage dans un combat pour l’égalité.
___Tout d’abord, s’approprier un lieu pour soi, comme un territoire de liberté et d’autonomie, permet de prendre du recul, de réfléchir et d’explorer ses propres convictions et valeurs. Le repli sur soi correspondrait ainsi à une quête d’authenticité amenant à mieux comprendre les injustices et les inégalités. Dans Une chambre à soi, essai féministe écrit par Virginia Woolf en 1929, l’autrice insiste sur la nécessité pour les femmes d’avoir un espace personnel et une indépendance économique afin de pouvoir développer leur pensée et leur créativité face aux hommes. Woolf soutient que les femmes ont été historiquement exclues des opportunités et des ressources nécessaires pour se consacrer pleinement à l’écriture ou à d’autres formes d’expression artistique. Comme le rappelle l’autrice, « Il est indispensable qu’une femme possède quelque argent et une chambre à soi si elle veut écrire une œuvre de fiction ». De tels propos mettent en évidence l’importance d’avoir un espace physique et psychologique où les femmes peuvent se retirer du monde extérieur et se concentrer sur leurs propres pensées et expériences.
___En outre, l’intimité et la solitude sont parfois nécessaires : combien de révoltés ont fait l’expérience de la solitude, et fait de cette solitude la source de leur combat ! Qu’elle soit subie ou volontaire, douloureuse ou sereine, la solitude permet l’affirmation du moi : Nelson Mandela est l’un des exemples les plus emblématiques du combat pour l’égalité, notamment pendant sa période de détention. Pendant 27 ans, Mandela a été emprisonné en raison de son rôle de leader dans la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud. Pendant sa captivité, il a utilisé son temps de solitude pour réfléchir, étudier et développer sa vision de l’égalité et de la justice. La solitude de sa cellule lui a offert un espace pour approfondir ses idées, renforcer sa détermination et cultiver son leadership. Il a également pu communiquer avec d’autres prisonniers politiques et militants, partageant des idées et des stratégies pour lutter contre l’oppression et promouvoir l’égalité. Loin des regards du public, Mandela a ainsi continué à être un symbole de résistance et d’espoir pour la population sud-africaine, ainsi que pour les citoyens du monde entier. 
___L’expérience de la solitude prend donc une forte dimension politique : la conquête de la liberté naît alors d’un refus des règles sociales imposées. C’est ainsi qu’Olympe de Gouges, dans sa défense acharnée de l’égalité entre les hommes et les femmes et dans son désir de promouvoir une nouvelle forme, plus juste, de « contrat social », a été souvent amenée à faire de sa solitude une marque d’affranchissement et de prise de conscience identitaire. Toute son œuvre est en effet marquée du sceau de l’autonomie et de l’anticonformisme. Sa pièce de théâtre, Zamore et Mirza ou L’Heureux Naufrage, dont le propos est de dénoncer l’esclavage des Noirs n’a ainsi pratiquement jamais été représentée tant les propriétaires d’esclaves ont fait pression pour l’interdire. Seule contre tous, Olympe de Gouges a également dû s’opposer à nombre de révolutionnaires, notamment Robespierre et Marat, pour promouvoir ses idées féministes. La conquête de la liberté naît donc d’un refus des règles sociales. Mais à quel prix ? Ainsi, l’isolement est souvent un très grand risque et amène l’individu à se mettre en marge de la société.

___Nous pouvons donc comprendre que l’engagement dans un combat pour l’égalité ne saurait se limiter à l’intimité et à la solitude. L’action collective, la solidarité et la collaboration avec d’autres personnes sont tout aussi cruciales pour promouvoir de réels changements sociaux.

___L’action individuelle, comme nous venons de le voir, est souvent limitée dans ses moyens et son application. Le collectif au contraire permet une meilleure organisation des forces individuelles.
___En premier lieu, l’implication dans une cause collective permet de repenser la citoyenneté et les rapports de pouvoir. La nécessité du collectif parcourt à ce titre toute l’œuvre d’Olympe de Gouges. Femme d’engagement et de conviction, ses appels à l’union et à la solidarité des femmes sont essentiels. Dans sa Déclaration, Olympe de Gouges ne lutte pas seulement pour les droits des femmes : elle les appelle aussi à s’éduquer contre les préjugés et à s’émanciper collectivement du sort dans lequel elles sont maintenues, afin d’en arriver à une nouvelle société plus juste, inspirée de la philosophie des Lumières : la lutte pour ces droits ne peut aboutir que si les femmes prennent conscience de leur déplorable sort et s’emparent de ces revendications afin de s’affranchir de la tutelle masculine. C’est ainsi que le postambule de la Déclaration élargit la destination du texte à l’ensemble des femmes : « Quelles que soient les barrières que l’on vous oppose, il est en votre pouvoir de les affranchir ; vous n’avez qu’à le vouloir ». Les hommes eux-mêmes sont appelés à évoluer et à ne plus être de « serviles adorateurs rampant à [leurs] pieds ». 

___Comme nous le comprenons, la lutte pour l’égalité réussit d’autant mieux que les gens sont unis afin de faire entendre leurs voix. Le mouvement MeToo en tant que manifestation internationale de solidarité et de prise de parole des femmes victimes d’agressions sexuelles ou de harcèlement a permis à cet égard un véritable élan universel. Lancé en 2017 en réaction aux révélations d’abus sexuels dans l’industrie du cinéma, il s’est rapidement répandu à travers le monde et a permis à de nombreuses femmes de partager leurs expériences et de dénoncer les comportements prédateurs. MeToo a eu ainsi un impact considérable en suscitant des débats sur le consentement, l’égalité des sexes et la culture du silence entourant les agressions sexuelles. En favorisant également de nouvelles formes de sociabilité politique, le mouvement a encouragé des changements profonds dans plusieurs secteurs comme l’industrie du divertissement, la politique, etc. Il a mis en évidence l’ampleur du problème et a ouvert la voie à des avancées essentielles sur les violences sexistes et la nécessité d’un changement culturel pour faire bouger les consciences et agir sur la vie publique.
___Si la lutte pour l’égalité prend davantage d’importance quand elle est menée de manière collective, c’est enfin parce que s’associer, collaborer à un processus collectif, c’est passer d’un engagement militant personnel au soutien d’intérêts communautaires. En ce sens, le collectif façonne le lien social : la lutte contre les inégalités implique des actions nombreuses de sensibilisation, de mobilisation… Autant de luttes qui passent par le collectif et la force du groupe. Nous pourrions mentionner l’exemple de l’actrice Emma Watson, ambassadrice de bonne volonté à l’ONU. Dans un discours intitulé : « l’égalité des sexes est aussi votre problème ! » prononcé le 20 septembre 2014 à l’ONU dans le cadre de la campagne « HeForShe », mouvement mondial des Nations Unies pour l’égalité des sexes, Emma Waton interpelle les hommes en ces termes : « Messieurs, j’aimerais profiter de cette opportunité pour vous inviter formellement. L’égalité des sexes est aussi votre problème ». Comprenons qu’écrire et combattre pour l’égalité, plus qu’un engagement individuel, est surtout un engagement collectif. Par sa nature, l’humain est un être social : c’est en effet par le collectif qu’on peut transformer les normes sociétales et les stéréotypes qui perpétuent les inégalités, afin de promouvoir une société plus équitable et juste.

___Au terme de ce travail, il apparaît que le combat pour l’égalité nous engage à la fois individuellement et collectivement. Si la lutte pour l’égalité a pour fondement l’individualisme, elle place souvent l’individu en conflit avec la société comme le prouve le destin tragique d’Olympe de Gouges. Dans un autre registre, la série de films Hunger Games montre bien la difficulté du combat de Katniss Everdeen, la célèbre héroïne de la tétralogie : à la fois proche des masses populaires par ses origines sociales, elle est un moteur de l’action collective. Mais sa conduite transgressive, dominée par un individualisme exacerbé, rend bien souvent inefficace son action individuelle : même en voulant agir pour la communauté, elle apparaît souvent comme une rebelle fragile et solitaire. Cela montre bien qu’en travaillant ensemble, les personnes engagées dans la lutte collective pour l’égalité peuvent partager leurs expériences, renforcer leur voix, accroître leur influence et exercer une pression plus efficace sur les institutions et les décideurs. Cette solidarité est essentielle pour promouvoir un changement réel et durable vers plus d’égalité et de justice sociale.

© BR, juin 2023

  • Cet autre entraînement au Baccalauréat technologique (contraction + essai) pourrait également vous intéresser : sujet + corrigé)

Un Automne en Poésie… Saison 12… Aujourd’hui le poème de Timëa D.

Rêvélation
14 novembre 2022 – 17 décembre 2022

« Rêves et Révélation »
maquette graphique : Bruno Rigolt, © octobre 2022
(Peinture numérique et Photomontage à partir de Bansky (2005).

Les élèves de Première G7 et de Première STMG3 du Lycée en Forêt (Montargis) sont fiers de vous présenter la douzième saison de l’exposition « Un Automne en Poésie », manifestation d’art qui entend marquer de son empreinte la création littéraire lycéenne.

Les créations artistiques des élèves seront publiées
du lundi 14 novembre 2022 au samedi 17 décembre 2022.

Rêvélation ou la transmutation du visible vers l’invisible…

La thématique retenue pour cet atelier d’écriture invite à entrer dans les coulisses de la fabrication poétique. Parce qu’elle est associée au Ciel, c’est-à-dire à un processus de révélation, la poésie est l’art de la transmutation de la boue en or grâce au pouvoir des mots : au sein de leurs œuvres, et dans le sillage des Fleurs du Mal de Baudelaire, les élèves ont cherché à réenchanter et à réinventer le monde pour le rendre plus idéal… Ainsi comprise, la poésie devient quête spirituelle par laquelle s’opère la métamorphose de la boue en or, du banal vers l’extraordinaire, du visible vers l’invisible…

Plusieurs textes seront publiés chaque semaine, dans l’Espace Pédagogique Contributif
jusqu’au 17 décembre 2022 (dernière livraison).

Découvrez aujourd’hui le poème de Timëa D. (Classe de 1ère G7)
Hier, 17 novembre : Chloé A. (Classe de 1ère STMG3)
Dimanche 20 novembre : Alice D. (Classe de 1ère G7)

  

Bourrasques enflammées

par Timëa D.
Classe de Première G7

              

Le peuple des feuilles tombe
Tel le roulement des vagues maritimes
Étésien pourtant, le ciel automnal devient agressif, électrique,
Un souffle de chaleur et de rancœur : la plage s’attriste
Elle n’aura plus les souvenirs qui la faisaient vibrer,
Effacés par une simple bourrasque…

Le coquillage me fait entendre la forêt enflammée.
Les oiseaux enneigés repartent
Pour une virée sableuse et voyageuse.
Errant sans but, divaguant, attendant,
L’hiver viendra et l’été s’oubliera
Je ne veux pas les laisser partir, je ne peux pas.

Me voilà, dansant dans les tornades envoûtantes,
Ces pétales de couleurs, par milliers s’envolent
Orange, rouge et jaune deviennent l’hymne du vent.
Bercée par cette capacité onirique et nostalgique,
Ma perception s’embrouille de cette volupté
Et se laisse emporter dans ce puits de beauté.

« Me voilà, dansant dans les tornades envoûtantes,
Ces pétales de couleurs, par milliers s’envolent
Orange, rouge et jaune deviennent l’hymne du vent…
»

Illustration : © Timëa D., novembre 2022.

 

ZOOM EAF : Baudelaire et l’alchimie poétique

Parcours Alchimie poétique : la boue et l'or

L’alchimie poétique dans Les Fleurs du Mal

L’alchimie est aussi vieille que le monde. Les premiers théoriciens de cette discipline se retrouvent à Alexandrie en Égypte ainsi que dans Ibn Butlan’s Risalat da`wat al-atibbala philosophie grecque de l’Antiquité, notamment chez Platon et Aristote. Ce sont les philosophes arabes qui seront les héritiers de ces recherches et transmettront à l’occident latin au Moyen Âge le savoir alchimique1.

Manuscrit alchimiste syrien (vers 1273) →
Jérusalem, Museum for Islamic Art.

1. Le mot alchimie a des origines gréco-égyptiennes (« chemeia »). Il vient de l’arabe « al » signifiant « le, la » et du grec « kimiya », signifiant « transmutation de métaux ». 

On associe généralement l’alchimie à la découverte de la pierre philosophale en vue de la transmutation des métaux vils en métaux précieux. Cette définition superficielle explique que le grand public ait souvent confondu les alchimistes avec les magiciens, les sorciers, voire les empoisonneurs, les charlatans et autres falsificateurs.

La transmutation du corps physique en corps spirituel

La réalité est en effet bien différente : loin de se réduire à la transformation du plomb en or, l’alchimie vise à une transformation de l’homme par la transmutation du corps physique en corps spirituel. Réservée à certains initiés, elle autorise l’accès à des réalités considérées comme idéales, donc inaccessibles au vulgaire et au commun des mortels.

C’est sans doute ce qui explique que les poètes aient été fascinés par le savoir alchimique. Au XIXème siècle par exemple, on retrouve chez de nombreux poètes plusieurs aspects rappelant cette fascination : ainsi, dans leur refus de la vie quotidienne et du conformisme banal, les symbolistes chercheront à donner à la poésie un sens caché : leur quête de l’idéal s’apparente à une quête spirituelle du monde invisible et de la beauté parfaite, « déesse et immortelle » (Baudelaire, « L’étranger »).

Alchimie : Les Grands Articles d’Universalis

Conçu comme une « aristocratie de l’esprit » et placé au-dessus de tout dans une perspective élitiste, l’art n’est réservé qu’à quelques initiés, seuls capables d’en saisir le sens caché. Ce culte d’un renouveau métaphysique et mystique, amplifié par le refus de la vie quotidienne dans son conformisme banal, conduira les auteurs à une volonté de recréation du langage qui va ouvrir la voie à une poétique nouvelle, plus abstraite et conceptuelle. « Au caractère utile du langage brut s’oppose le caractère sacré du poème. Comme Baudelaire, Mallarmé pense en effet qu’ « il y a dans le Verbe quelque chose de sacré »2.

2. I. Merlin, Poètes de la révolte de Baudelaire à Michaux, Alchimie de l’être et du verbe, éd. de l’École, Paris 1971.

Louis Gabriel Eugène Isabey, « Le cabinet d’un alchimiste » (détail), 1845.
Lille, Palais des Beaux-Arts.

Le poète est celui qui sait déchiffrer le monde et ses symboles

Avant tout « élitiste », la poésie symboliste est largement ésotérique : accessible aux seuls initiés, elle vise la recherche d’une langue pure et subjective, qu’on pourrait qualifier de « Symbolisme allégorique », capable d’exprimer dans toute sa force l’Idée et l’Absolu comme en témoignent ce jugement sans appel de Mallarmé : « Que les masses lisent la morale, mais de grâce ne leur donnez pas notre poésie à gâter »3. Transcendé par la poésie, l’art revêt donc une dimension spirituelle et mystique proche du Sacré : le monde visible n’est que le reflet imparfait du monde invisible, accessible seulement aux initiés, et  que l’Art, dans sa quête de l’idéal, cherche à atteindre.

3. Stéphane Mallarmé, « Hérésies artistiques. L’Art pour tous », L’Artiste, 15 septembre 1862 (tome 2, p. 127). Pour lire l’intégralité du texte, cliquez ici.

Pour Baudelaire, nous ne pouvons voir les objets du monde de l’esprit qu’à travers leurs correspondances terrestres, c’est-à-dire leurs symboles : il y aurait donc, derrière les signes matériels, concrets fournis par la nature une signification à déchiffrer, un monde invisible et supérieur que la poésie peut faire entrevoir grâce aux « correspondances » qu’il y a entre le monde matériel des perceptions, des sensations et l’univers supérieur qu’est le monde des idées :

« Correspondances »

La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.
Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

D’après le symboliste américain Stuart Merrill (1863-1915), « le Poète doit être celui qui rappelle aux hommes l’Idée éternelle de la Beauté dissimulée sous les formes transitoires de la vie imparfaite » : tel un alchimiste, le poète est donc celui qui sait déchiffrer le monde et ses symboles afin de passer des « formes transitoires de la vie imparfaite » à l’idéal de la beauté.

Parce qu’elle est associée au Ciel, c’est-à-dire à un processus de révélation, la poésie est en effet l’art de la transmutation du profane au sacré grâce au pouvoir des mots. Ainsi pour Baudelaire, la poésie c’est l’alchimie, autrement dit la transmutation de la matière en esprit, la métamorphose de la boue en or spirituel.

Comme le note avec justesse le poète suisse Marc Eigeldinger, « Baudelaire est vraisemblablement, avant Rimbaud, le premier poète en France à concevoir la poésie comme une opération magique, une « alchimie du verbe ». Aussi use-t-il de termes empruntés aux sciences occultes ou à la religion pour définir le sacré du langage. Le verbe poétique se caractérise par sa vertu incantatoire, sa puissance de charme et d’enchantement. Baudelaire note dans Fusées (XI) : « De la langue et de l’écriture, prises comme opérations magiques, sorcellerie évocatoire. »4

4. Marc Eigeldinger, « Baudelaire et l’alchimie verbale ».

Héritier du romantisme et du Parnasse, Baudelaire assigne au poète le rôle de métamorphoser le monde vil et médiocre en le libérant de la corruption. Dans l’« Ébauche d’un épilogue pour la deuxième édition des Fleurs du mal » (1861), il affirme :

« Ô vous, soyez témoins que j’ai fait mon devoir
Comme un parfait chimiste et comme une âme sainte.
Car j’ai de chaque chose extrait la quintessence,
Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or. »

Adressés à Paris, ces propos sont la consécration de la poésie dans son pouvoir transfigurateur, inspiré par la nostalgie d’un paradis à jamais perdu : faire de l’or avec de la boue. Baudelaire exprime très bien cette nécessité : « Perdu dans ce vilain monde, coudoyé par les foules, je suis comme un homme lassé dont l’œil ne voit en arrière, dans les années profondes, que désabusement et amertume, et devant lui qu’un orage où rien de neuf n’est contenu, ni enseignement, ni douleur »5.

Dès lors, tout comme l’alchimiste qui cherche à retrouver les secrets enfouis, Baudelaire voit dans la poésie non pas le moyen d’extraire les fleurs du mal, mais d’idéaliser la réalité grâce à la magie des mots afin de transfigurer le réel corrompu en parole poétiqueComme il a été très justement dit, « tel un alchimiste, Baudelaire opère la transmutation de la substance matérielle en substance poétique, il transfigure les objets par la vertu du langage et métamorphose la boue de la capitale en or spirituel […] »6.

Initié, il est également celui qui « comprend sans effort/Le langage des fleurs et des choses muettes » Élévation »). On peut voir dans cette faculté les signes d’une véritable alchimie spirituelle : libéré de la matière, semblable au « prince des nuées » (« L’albatros »), inspiré et « voyant », il cherche à atteindre l’élévation spirituelle en parvenant aux mêmes états d’illumination que les alchimistes métamorphosant la matière brute et désordonnée, en pur esprit

5. Baudelaire, « Fusées », Œuvres posthumes, Paris, Mercure de France, p. 97.
6. Marc Eigeldinger, Le Soleil de la poésie, 1991, Braconnière p. 96.

« extraire la beauté du Mal »

Parce qu’il est en rupture avec une société qui lui refuse les moyens d’atteindre l’idéal, le poète prend donc le parti d’assumer, de revendiquer la laideur et d’en extraire la beauté. Dans un premier projet de préface qui ne verra finalement pas le jour, Baudelaire écrit :

« Des poètes illustres s’étaient partagé depuis longtemps les provinces les plus fleuries du domaine poétique. Il m’a paru plaisant, et d’autant plus agréable que la tâche était plus difficile, d’extraire la beauté du Mal » :

« Extraire la beauté du mal », c’est pour le poète maudit, affirmer le lien entre la beauté et la souffrance, transformer l’existence médiocre et spleenétique en idéal esthétique. Quête vouée quelque peu à l’échec : la grandeur du poète est précisément ce qui fait sa misère dans la société. La fin de « L’albatros » évoque très bien cette contrepartie douloureuse du génie :

« Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher. »

Une « œuvre au noir » ou l’alchimie inversée

Loin d’être seulement une alchimie positive, l’œuvre de Baudelaire apparaît plus souvent comme une « œuvre au noir », une alchimie inversée : l’or devient fer. Cette damnation amène alors un désir de provocation de la société bourgeoise et une totale contradiction avec les codes de l’époque, allant même jusqu’à une propension au négativisme parfaitement exprimée dans la célèbre dédicace à Théophile Gautier : « Au poète impeccable […] je dédie ces fleurs maladives ». Par leur contact mortifère, les poèmes métamorphosent le bien en mal : les fleurs naissent du désespoir.

← Odilon Redon (1840-1916), illustration pour Les Fleurs du mal de Baudelaire (Bruxelles, Deman, 1890). Coll. Archives Larbor.

Ainsi transparait dans les poèmes de Baudelaire un accablement douloureux, profondément spirituel et cérébral qui affecte le lecteur comme dans le poème « Spleen » (n° 78, « Quand le ciel bas et lourd…) : « […] l’Espoir,/ Vaincu, pleure, et l’Angoisse atroce, despotique, / Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir ». On retrouve dans ces derniers vers la consécration du Spleen comme négation de l’Idéal.

Alors que dans le projet d’épilogue la poésie présente cette vertu alchimique de transfigurer la boue en or, c’est-à-dire le spleen en idéal, dans « Alchimie de la douleur », Baudelaire, en tant qu’alchimiste inversé, avoue son échec : la douleur se change, non en or, mais en images funèbres :

L’un t’éclaire avec son ardeur,
L’autre en toi met son deuil, Nature !
Ce qui dit à l’un : Sépulture !
Dit à l’autre : Vie et splendeur !

Hermès inconnu qui m’assistes
Et qui toujours m’intimidas,
Tu me rends l’égal de Midas,
Le plus triste des alchimistes ;

Par toi je change l’or en fer
Et le paradis en enfer ;
Dans le suaire des nuages

Je découvre un cadavre cher,
Et sur les célestes rivages
Je bâtis de grands sarcophages.

Dans le poème « Bénédiction », Baudelaire avait exalté la vertu purificatrice de la souffrance, présentée comme un « divin remède à nos impuretés/Et comme la meilleure et la plus pure essence ». Dans « Alchimie de la douleur », nous assistons au contraire à un renversement de l’alchimie : de l’or au plomb, de l’idéal au spleen, du paradis à l’enfer. Sorte d’anti-Midas, le poète transforme l’or en mort. Comme l’a très bien dit Max Milner7 : « Baudelaire a donc l’impression d’être lui-même l’objet, ou la matière première, d’une alchimie maléfique qui opère à contre-courant de l’art, puisque non seulement elle transforme tout ce qu’il touche ou contemple en matière vile, mais encore elle le prive de cette volonté qui lui est si nécessaire pour créer ».

7. Max Milner, Baudelaire, Les Fleurs du mal, texte présenté et commenté par Max Milner, illustrations de Paul Kallos, Les Lettres françaises, 1978.

Cette alchimie inversée exprime autant l’horreur que la fascination : s’il se lamente sur sa douloureuse condition, c’est pour mieux assumer ce choix du malheur, comme on le voit très bien dans le poème « Horreur sympathique« , ultime provocation permettant à l’artiste de féconder sa création : 

Cieux déchirés comme des grèves,
En vous se mire mon orgueil,
Vos vastes nuages en deuil

Sont les corbillards de mes rêves,
Et vos lueurs sont le reflet
De l’Enfer où mon coeur se plaît. 

L’art doit transmuer la vie…

Au-delà de l’imaginaire occulte et monstrueux qui a tant fasciné le XIXe siècle, c’est donc le Diable en lui-même qui intrigue le poète, lui accordant une place sans précédent que Sainte-Beuve a bien mis en évidence dans une lettre adressée à Baudelaire le 20 juillet 1857 : « Vous vous êtes fait Diable ». Satan, que l’on peut associer à la monstruosité morale, à la déchéance de l’être humain et à la manifestation de tous ses vices, constitue alors une part du poète, qui essaye en tant qu’alchimiste de comprendre cette « boue » afin de façonner son esprit à la noire lumière de la corruption. 

Si Baudelaire embellit ou enlaidit, de manière souvent exagérée, les personnages et les situations, c’est donc pour conférer à l’art une place prépondérante : la misère du spleen ou la laideur de l’art se transmuent en beauté négative, seule manière d’exprimer des sentiments authentiques et nous interpeller sur ce qu’il y a de faux et d’hypocrite dans la rêverie. Métaphore de l’illusion et du rêve, le « fond du gouffre » (« Le voyage ») est pour Baudelaire le lieu de la révélation : extraire la beauté de la laideur la plus hideuse par la « sorcellerie évocatoire » du langage.

Odilon Redon, « L’araignée en pleurs » (dessin), vers 1881. →

Comme l’affirmait Michel Ribon dans Archipel de la laideur (1995), « […] la chose laide, dès qu’elle surgit devant nous, repousse tout notre être dans la nausée ou le dégoût, la répugnance, l’indignation ou la révolte. […] Mais, par sa fascination même, la laideur, qui multiplie dans le réel ses figures d’archipel, se propose à l’artiste comme un défi à relever […] ». C’est donc dans l’exagération même que réside l’art véritable : en glorifiant certains aspects par exemple, ou en exagérant à l’inverse les défauts, le poète devient créateur.

D’où cette fascination et cette obsession pour le macabre. En faisant du mal son sujet, Baudelaire le met en valeur, le rend presque moralement nécessaire, consubstantiel à la beauté et à l’idéal :

Alors, ô ma beauté ! Dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j’ai gardé la forme et l’essence divine
De mes amours décomposés !

Ainsi, cette voluptueuse alchimie de la charogne qui amène à esthétiser le déchet par le renversement de la beauté en laideur devient une façon de nous interpeller sur le rôle de l’art : loin de l’esthétique habituelle, le poète nous oblige à voir la surface rugueuse de la beauté afin de chercher la vérité secrète des choses. Pour lui, l’art doit transmuer la vie et purifier le réel, en vertu d’une mystérieuse alchimie. Le monde de l’art est donc bien, comme il le dit lui-même, un « autre monde », supérieur au monde réel :

« La Poésie est ce qu’il y a de plus réel,
c’est ce qui n’est complétement vrai que dans un autre monde. »8

8. Charles Baudelaire, « Puisque réalisme il y a », Œuvres complètes de Charles Baudelaire, Texte établi par Jacques Crépet, Louis Conard, libraire-éditeur, , Juvenilia, p. 299.

Une citation pour aller plus loin…
« Transmuer la misère en bonheur – grâce à l’or – voilà le grand, l’incroyable et mystérieux coup d’alchimie. Non pas la matière en une autre matière mais bien la matière en esprit » (Pierre Reverdy, Le Livre de mon bord,1948).

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La contraction de texte et l’essai au Bac technologique

Après le commentaire, le deuxième sujet proposé au choix à l’épreuve anticipée de français du Bac technologique consiste à contracter un texte puis à rédiger un essai sur une problématique commune au texte initial et à l’œuvre de littérature d’idées que vous avez étudiée.

1. La contraction de texte (notée sur 10 points)

La contraction de texte est un exercice d’analyse et de rédaction qui consiste à résumer un texte en utilisant un nombre de mots déterminé. Comme le précisent les Instructions officielles, la contraction de texte permet d’apprécier l’aptitude du candidat à reformuler une argumentation de manière précise. Elle prend appui sur un texte relevant d’une forme moderne et contemporaine de la littérature d’idées. D’une longueur de 750 mots environ, ce texte fait l’objet d’un exercice de contraction au quart, avec une marge autorisée de plus ou moins 10 %. Le candidat doit indiquer à la fin de l’exercice le nombre de mots utilisés.
Source : https://www.education.gouv.fr/bo/20/Special7/MENE2019312N.htm

L’étape préparatoire

  • Crayons et surligneurs en main, lisez le texte une première fois.
    Soyez tout d’abord attentif au paratexte (qui peut vous fournir des indications utiles pour situer l’auteur, comprendre le contexte, identifier le genre du texte, etc.).
  • Essayez ensuite de repérer le thème (de quoi parle le texte ?) ainsi que la thèse défendue par l’auteur (et le cas échéant, la thèse réfutée) : soutient-il sa thèse explicitement ou implicitement ?
  • Intéressez-vous également à l’énonciation que vous devrez restituer fidèlement : utilisez le « je » si le texte est à la 1ère personne. Quels jugements de valeurs sont exprimés ? L’art de la persuasion fait reposer son efficacité sur la dimension affective, des termes mélioratifs ou péjoratifs : par exemple, l’auteur peut marquer sa présence en mettant en avant ses émotions, ses jugements pour mieux persuader. Il peut également s’adresser directement au lecteur pour l’impliquer avec l’apostrophe, des questions ou les pronoms de la 2e personne. Mais le point de vue peut être nuancé, avec des verbes d’opinion (affirmer, douter), des adverbes (« assurément », « peut-être »), etc. Il arrive parfois que l’auteur s’efface afin de donner une dimension plus universelle à son argumentation. Il emploie alors le pronom indéfini « on » ou la première personne du pluriel « nous » qui implique une connivence avec le lecteur. Dans tous les cas, vous devrez vous mettre à la place de l’auteur l’auteur et adopter la même position et le même ton que lui.

La lecture approfondie du texte

Relisez soigneusement le texte afin d’en établir précisément le plan :

  • Encadrez les mots clés c’est-à-dire les mots importants du texte (qu’on ne peut remplacer par un synonyme satisfaisant sans en altérer le sens).
  • Surlignez les principaux arguments du texte : ils ont pour fonction d’étayer la thèse défendue par l’auteur (et le cas échéant, la thèse réfutée). C’est une étape essentielle : n’oubliez pas que le but d’un texte argumentatif est de convaincre au moyen de preuves objectives, de raisonnements et d’arguments. Il vous donc identifier les différentes étapes de l’argumentation en veillant à hiérarchiser les idées relevées.
  • Repérez également les exemples : contrairement aux arguments qui portent sur des idées générales, les exemples portent sur des faits particuliers ou concrets : ne les retenez que s’ils ont une valeur illustrative. Les exemples à valeur illustrative sont souvent reliés à la thèse par des connecteurs logiques de conséquence (« ainsi », « par exemple », etc.).
  • Encadrez les connecteurs logiques
  • Barrez les éléments non essentiels à la contraction.

La rédaction de la contraction

RAPPEL : vous devez conserver les marques d’énonciation du texte. Si l’auteur dit « je », votre contraction doit être à la première personne. Surtout n’écrivez pas « l’auteur dit que » : c’est une maladresse lourdement sanctionnée. Vous devez vous mettre à la place de l’auteur.

  • N’oubliez pas que la contraction est un exercice de logique : elle doit donc comporter les idées essentielles du texte et respecter les étapes de la démonstration de l’auteur. N’ajoutez aucune idée personnelle : la nécessité de l’objectivité est impérative.
  • Votre contraction doit être concise : le montage de citations est interdit : vous ne devez pas reprendre les expressions utilisées par l’auteur. Vous devez donc reformuler en dégageant l’essentiel : la  reprise des formulations du texte, sauf si elle se justifie (mots clés, dont la suppression empêcherait la compréhension du message), contrevient aux principes de l’exercice. L’effort de reformulation est donc indispensable, ce qui exige de la part du candidat un langage concis, précis et diversifié.

2 erreurs majeures à éviter : 

  • conserver la syntaxe (c’es-à-dire calquer la structure des phrases) en remplaçant chaque mot par un synonyme ;
  • faire un « montage de citations » en collant bout à bout des phrases du texte d’origine.

Ce qu’il faut faire :

  • Respectez l’articulation et le mouvement du texte : votre contraction doit mettre en évidence l’organisation de l’argumentation en repérant les grandes articulations de la démonstration. Vous devez en effet conserver l’ordre des idées afin d’exposer le plus rigoureusement toutes les étapes du raisonnement mis en œuvre par l’auteur. Par exemple, si le texte comporte 3 paragraphes, cela signifie que vous devrez faire 3 paragraphes dans votre résumé.
  • Attention toutefois : certains textes comportent de nombreux paragraphes, parfois très courts : cela ne veut pas dire que vous devez faire autant de paragraphes, ce qui nuirait à la cohérence de votre contraction. il est préférable de repérer l’articulation logique de la démonstration afin de rendre compte de cette articulation dans votre contraction.

Avant de recopier au propre votre contraction…

  • Comptez très attentivement vos mots en ne dépassant pas l’écart toléré de 10%
  • Rédigez intégralement votre contraction (pas d’abréviations)
  • Relisez soigneusement votre texte qui doit être compréhensible et rédigé très clairement. Attention : l’orthographe et la syntaxe sont pénalisantes. 
choix du sujet + étape préparatoire 40 minutes
Lecture approfondie du texte + notes 40 minutes
Rédaction de la contraction + comptage + relecture 40 minutes

Pour vous entraîner… Regardez ces 2 corrigés de contractions :

2. L’essai argumentatif (noté sur 10 points)

Après la contraction de texte, il vous faut rédiger un « essai ». Cet exercice noté sur 10 points relève de l’argumentation. Il est basé sur un thème défini abordé lors de la contraction de texte. Le sujet amène le plus souvent le candidat à soutenir un raisonnement illustré par des exemples répondant à une problématique dans le but de convaincre un lecteur en justifiant ou en confrontant des thèses successives. 

Les Instructions officielles précisent : « Le sujet de l’essai porte sur le thème ou la question que le texte partage avec l’œuvre et le parcours étudiés durant l’année dans le cadre de l’objet d’étude La littérature d’idées du XVIe au XVIIIe siècle. Pour développer son argumentation, le candidat s’appuie sur sa connaissance de l’œuvre et des textes étudiés pendant l’année ; il peut en outre faire appel à ses lectures et à sa culture personnelles« .
Source : https://www.education.gouv.fr/bo/20/Special7/MENE2019312N.htm

Analyser le sujet et trouver une problématique

Lisez attentivement le sujet afin de déterminer le type de plan qu’il vous faudra utiliser.

  1. Le plan dialectique : ce plan est pratiqué quand le sujet invite à mettre en débat une opinion : il invite le plus souvent à défendre un point de vue dans la thèse (votre première partie) en trouvant au moins deux arguments illustrés d’exemples, et à le nuancer dans l’antithèse (votre deuxième partie) en trouvant également deux arguments illustrés d’exemples.
  2. Le plan thématique : à la différence du plan dialectique, ce type de plan n’amène pas à une discussion mais à analyser un problème clairement identifiable dans l’énoncé, ou à étayer (= soutenir) la validité d’une thèse donnée. Les différents paragraphes de votre travail abordent chacun un aspect particulier du sujet.

Convaincre et persuader… Quel que soit le type de sujet, il s’agit de proposer des pistes de réflexion à partir desquelles le lecteur construira sa propre opinion en pesant par exemple le pour et le contre. À la différence de la contraction qui exige une stricte neutralité, vous devez clairement affirmer votre opinion.

Pensez à mettre en valeur votre démarche argumentative : vos arguments doivent toujours être illustrés par un ou plusieurs exemples tirés du texte à contracter, des œuvres étudiées en classe (notamment l’œuvre étudiée et le parcours associé).ou de votre culture générale (littérature, arts, actualité…) : le but étant de séduire votre lecteur par votre force de conviction.

L’introduction

Elle doit comporter :

  • L’entrée en matière. Appelée également « amorce », ou « accroche », l’entrée en matière a pour but d’éveiller l’intérêt du lecteur et situer le cadre du sujet.
  • L’annonce du sujet : vous devez rappeler l’intitulé du sujet. N’hésitez pas à reformuler (brièvement, de façon claire et concise) le sujet afin de fournir un éclaircissement. Essayez ensuite de formuler une problématique. Cette deuxième étape est essentielle puisqu’elle amène à poser la question à laquelle votre devoir va répondre.
  • L’annonce du plan : c’est évidemment une étape incontournable puisqu’il s’agit pour le candidat d’annoncer la manière dont il va traiter le sujet, en lien avec la problématique. Surtout, ne rentrez pas dans le détail des arguments. Annoncez synthétiquement les grands axes de votre réflexion.

Le développement

Rédigez ensuite votre développement en reprenant le plan que vous avez établi au brouillon. Votre développement doit comporter entre 2 et 4 paragraphes (par exemple, s’il y a 2 parties, chaque partie comportera 2 paragraphes).

Le paragraphe argumentatif doit respecter certaines règles simples :

  1. Annoncer l’idée (au moyen d’un connecteur logique marquant la relation au paragraphe précédent) en une ou deux phrases succinctes dans un souci de clarté. Il faut qu’en vous lisant le correcteur (et n’importe quel lecteur) puisse répondre spontanément à la question : « De quoi est-il question dans ce paragraphe ? » Votre formulation se doit donc d’être précise et claire.
  2. Développer l’idée. C’est la phase d’approfondissement et d’explicitation : de fait, il est très maladroit de trouver dans certaines copies un argument certes pertinent, mais qui n’est pas développé. D’où une impression de superficialité, puisque le lecteur n’a pas pu suivre et donc comprendre votre logique démonstrative. Avant de passer à l’exemple, il est donc impératif d’étayer l’idée annoncée.
  3. Illustrer l’idée. C’est la fonction des exemples. Vous ne devez pas les multiplier afin d’éviter l’impression de « catalogue » que présentent certaines mauvaises copies : un ou deux exemples bien ciblés et rattachés à la problématique sont préférables à une succession d’exemples qui feraient perdre au paragraphe son unité de composition et de sens. Pensez à développer votre exemple : soyez tout d’abord précis dans vos références (titre de l’œuvre, numéro de chapitre, référence de partie, etc.) ; commentez, même brièvement l’exemple choisi en montrant en quoi il vient illustrer l’argument avancé.

La conclusion
Elle se doit d’être brève et synthétique. Elle comporte en général deux étapes :

  • Le bilan : il ne s’agit pas de rappeler les étapes du raisonnement, ce qui vous amènerait à d’inévitables redites, mais les résultats auxquels vous êtes parvenu au terme de votre démonstration. Rappelez-vous que la ou les questions posées par la problématique dans l’introduction doivent trouver en conclusion leur réponse. La conclusion doit donc vous amener à une prise de position.
  • L’ouverture (ou élargissement). Cette question fait souvent débat : est-il utile d’ouvrir les perspectives par un nouveau questionnement, sans tomber dans des considérations qui n’auraient plus aucun rapport avec le sujet ? Oui, à la condition que ce questionnement ait une légitimité, une justification. Or, force est de reconnaître que beaucoup de conclusions débouchent sur des élargissements peu probants d’un point de vue intellectuel, ce qui est pénalisant, particulièrement en fin de devoir : si vous manquez d’inspiration, évitez d’élargir. Certes, il est possible d’ouvrir une perspective, mais en restant dans les limites de la problématique posée, au risque de laisser le correcteur sur une mauvaise impression.

Analyse du sujet et choix de la problématique 30 minutes
Recherche des idées/exemples + élaboration du plan 45 minutes
Rédaction au propre + relecture 45 minutes

Pour vous entraîner… Regardez ces 2 corrigés d’essais :

Entraînement à l’EAF. Dissertation sur « Les Fleurs du mal » de Baudelaire. Travaux d’élèves. Découvrez le travail de Marion M.

Entraînement à l’EAF
Dissertation sur programme [2021, 2022]

 

  • Objet d’étude : La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle
  • Œuvre intégrale : Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal
  • Parcours associé : Alchimie poétique : la boue et l’or

Il y a quelques semaines, j’ai décidé de proposer à la classe de Première Générale 8 du Lycée en Forêt le sujet de dissertation suivant :

« Transmuer la misère en bonheur – grâce à l’or – voilà le grand, l’incroyable et mystérieux coup d’alchimie. Non pas la matière en une autre matière mais bien la matière en esprit » (Pierre Reverdy, Le Livre de mon bord, 1948). Ces propos du poète Pierre Reverdy s’accordent-ils avec votre lecture des Fleurs du Mal ? Votre réflexion prendra appui sur l’œuvre de Baudelaire et votre connaissance du parcours associé.

Le travail, commenté en classe, a donné lieu à l’élaboration collective d’un plan en trois parties. Les élèves avaient ensuite la rude tâche d’élaborer leur dissertation. Parmi tous les travaux qu’il m’a été donné de lire, quelques-uns, particulièrement remarquables, seront publiés dans cet Espace Pédagogique Contributif.

Après avoir publié la dissertation d’Océane S., je vous laisse découvrir aujourd’hui la dissertation de Marion M.*. (Classe de Première générale 8, promotion 2020-2021).
Note obtenue : 20/20. Bravo à elle pour ce travail de haute tenue intellectuelle.

* Découvrez une autre contribution de Marion sur ce blog pédagogique : https://brunorigolt.org/2020/11/22/un-automne-en-poesie-saison-10-2020-2021-troisieme-livraison/#marionm 

Rappel du sujet :

« Transmuer la misère en bonheur – grâce à l’or – voilà le grand, l’incroyable et mystérieux coup d’alchimie. Non pas la matière en une autre matière mais bien la matière en esprit » (Pierre Reverdy, Le Livre de mon bord,1948). Ces propos du poète Pierre Reverdy s’accordent-ils avec votre lecture des Fleurs du Mal ? Votre réflexion prendra appui sur l’œuvre de Baudelaire et votre connaissance du parcours associé *.

*  Même si Marion n’a pas exploité le parcours mais uniquement Les Fleurs du Mal, sa dissertation n’en est pas moins très probante.

______Parce qu’elle est associée au Ciel, c’est-à-dire à un processus de révélation, la poésie est l’art de la transmutation du profane au sacré grâce au pouvoir des mots : elle est la confidente des émotions créatrices les plus intimes et les plus fortes. Au sein de leurs œuvres, les poètes ont toujours cherché à réenchanter et à réinventer le monde en le rendant meilleur ou plus idéal. C’est ainsi que dans Le livre de mon bord, recueil de notes écrites entre 1930 et 1936, Pierre Reverdy écrit à propos de la poésie : « Transmuer la misère en bonheur – grâce à l’or – voilà le grand, l’incroyable et mystérieux coup d’alchimie. Non pas la matière en une autre matière, mais bien la matière en esprit ».

______Nous pouvons nous demander en quoi cette citation, qui met au jour les secrets de la fabrique poétique, s’accorde avec Les Fleurs du Mal de Baudelaire, recueil poétique souvent associé aux images négatives altérant cette alchimie du bonheur dont parle si bien Pierre Reverdy. Comme nous le comprenons, la problématique qui se dégage de ces premières impressions amène à questionner l’essence même de la poésie : amène-t-elle nécessairement au beau ?

______Certes, comme nous le verrons dans une première partie, les propos de Pierre Reverdy sont très représentatifs de la quête d’une beauté idéale entreprise par Baudelaire. Cependant, cette affirmation trouve aussi ses limites comme le montre l’attirance, voire la fascination pour le mal qui semble parcourir d’un souffle fiévreux la poésie baudelairienne. Nous achèverons notre réflexion en montrant dans notre troisième partie combien au-delà de cette crise du sens, la poésie amène par la transmutation de « la matière en esprit », à une quête idéale de sens.

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______En premier lieu, la poésie est l’une des conditions qui permet à l’humain de satisfaire ses désirs en produisant du beau. Comme le suggère Pierre Reverdy, elle opère la transmutation de « la misère en bonheur ». À ce titre, si la poésie de Baudelaire puise son inspiration dans les sphères de la réalité immédiate et matérielle, c’est pour s’en abstraire grâce au pouvoir de l’imagination créatrice, apte à métamorphoser la condition humaine, malheureuse et vulgaire, par l’alchimie du Verbe.

______La poésie a tout d’abord pour dessein de transmuer un monde matériel bien souvent déceptif en une ivresse apte à éveiller l’espoir ou l’amour. Si Baudelaire paraît si attiré par cette notion d’alchimie, c’est sans doute parce qu’il se transforme en un magicien, capable de transmuer, à la manière d’un alchimiste, les mots et les sentiments pour nous emporter vers l’ailleurs. C’est ainsi que l’appel du voyage, thème particulièrement récurent dans Les Fleurs du Mal, apparaît comme la possibilité d’échapper au spleen. Cette urgence irrépressible du voyage serait comme ce qui permet au poète d’accéder à une réalité épanouissante : face à ce monde sans merveille, monotone et misérable, le voyage permet au contraire d’accéder à un monde extraordinaire. La recherche de l’exotisme et de l’ailleurs permet donc d’accéder à une forme de plénitude : le voyage en effet n’est pas forcément un déplacement physique en poésie, il peut être un simple appel à rêver, à rechercher le bonheur, là où on ne le voit pas forcément. Dans l’un de ses poèmes intitulé « Le Flacon », Baudelaire évoque cet exotisme suggestif par lequel les parfums qui jaillissent de celui-ci, semblent évoquer toute la magie de l’Orient. Cet appel au voyage, rien qu’en humant les odeurs d’un vieux flacon retrouvé, nous amène à comprendre ce pouvoir évocateur de la poésie.

______N’est-elle pas en effet ce qui permet à l’humain d’appréhender la richesse d’un monde dont notre compréhension reste bien souvent provisoire et partielle ? Marcel Proust, dans La Prisonnière, écrivait que « le seul véritable voyage […] ce ne serait pas d’aller vers de nouveaux paysages, mais d’avoir d’autres yeux ». La poésie serait alors, comme nous le montrerons plus fondamentalement dans notre troisième partie, ces « autres yeux » permettant au poète, en s’évadant de la société, d’accéder à la révélation du mystère afin d’atteindre l’idéal par le pouvoir de l’imaginaire. Remarquons à ce titre que cette quête de l’idéal est aussi une quête du bonheur. Dans Le Peintre de la vie moderne, Baudelaire définissait le Beau comme « promesse du bonheur » : voici sans doute pourquoi dans Les Fleurs du mal l’imaginaire et le sensoriel sont si entremêlés. Comment ne pas évoquer ici le poème « Parfum exotique », illustration parfaite de la doctrine des synesthésies, chère à Baudelaire ? Par le mélange des sensations qui semblent se fondre et fusionner entre elles, le poète semble passer du monde matériel visible vers le monde invisible de l’idéal : mystérieuse alchimie dans laquelle chacune des qualités sensorielles des objets naturels entre en dialogue avec les autres sensations. Comme on le voit, la mystérieuse sensualité de ce paysage exotique fait de la poésie l’expression d’un paysage rêvé et idéalisé.

______En recherchant, à travers différentes dimensions, à la fois sensitives et sensorielles, des éléments positifs qui lui apporteraient un certain bonheur, le poète parvient à établir des correspondances entre le monde matériel et le monde spirituel, afin de dépasser le spleen pour le transmuer en beauté. Cette quête de l’idéal se retrouve particulièrement dans la recherche de la femme aimée. Quête platonique de l’amour et quête de l’immortelle beauté des choses ne font qu’un : la pureté angélique qui se dégage de la femme remplit le poète d’admiration. C’est ce rapport émerveillé au réel que la poésie intériorise. Ce point de vue est parfaitement illustré par le poème « À une passante » : le poète croise dans la rue une femme qui l’attire et qui est de très grande « beauté », elle le fait « renaître » sur le moment, offrant un sentiment de bonheur intense, entrelacement contradictoire de sensualité et de métaphysique, qui s’évanouit plus tard et le pousse à rechercher cette femme lorsqu’il comprend qu’il ne la reverra sans doute plus. C’est précisément l’impossibilité de cette quête qui en fonde paradoxalement la possibilité : comme si l’émerveillement devant la mystérieuse inconnue débouchait sur la quête d’une beauté pure, en réaction à la société bourgeoise, matérialiste et vulgaire. L’émerveillement amoureux apparaît donc comme un moyen d’appréhender plus intimement le monde, même quand sa compréhension nous échappe.

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______La poésie des Fleurs du mal, comme nous avons essayé de le montrer dans cette première partie, apparaît comme une transmutation de « la misère en bonheur », pour reprendre les propos de Pierre Reverdy. Mais on peut cependant s’interroger sur sa capacité à donner un sens positif à l’indéterminé, à l’incertain, à l’inconnu, Certes, Baudelaire exprime, au travers de l’alchimie poétique, l’appel du voyage de même que de la quête de la beauté, mais cette transmutation de la misère en bonheur est souvent périlleuse, au point d’apparaître comme la négation de l’idéal. D’ailleurs, ainsi que nous allons l’étudier dans notre deuxième partie, le poète n’exprime pas toujours le positif, bien au contraire ! Il peut également chercher à exprimer la douleur, l’imperfection ou le négatif.

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______Ce qui symbolise aux yeux d’une majorité de lecteurs l’univers baudelairien est bien l’alchimie négative : si le poète effectue une transmutation, c’est souvent une transmutation du bien en mal. D’où cette fascination pour la dissonance, le difforme, la laideur, voir le satanique qui caractérisent particulièrement Les Fleurs du mal.

______Nous pouvons observer de prime abord un profond mal-être qui prend à la fois les caractéristiques du désespoir et de la provocation. Par leur contact mortifère, « ces fleurs maladives » métamorphosent le bien en mal : les fleurs naissent du désespoir. Ainsi transparait dans les poèmes de Baudelaire un accablement douloureux, profondément spirituel et cérébral qui affecte le lecteur comme dans le poème « Spleen » (n° 78, Spleen et Idéal) : Baudelaire semble exprimer autant ses désillusions sociales qu’une souffrance personnelle : « de longs corbillards défilent lentement dans mon âme » : le mal ici n’a rien de passager ; c’est bien un mal métaphysique qui s’exprime dans un univers déboussolé et absurde. À un niveau existentiel, le poème évoque bien la vacuité et la vanité de la vie face à laquelle l’homme ne parvient pas à se résigner, cherchant toujours un impossible sens. Mais nous pourrions également interpréter l’œuvre comme une ultime provocation dans le but de « bousculer » les lecteurs, les choquer et ainsi les faire réfléchir sur eux-mêmes. Il apparaît chez Baudelaire une attirance pour le mal qui est consubstantielle à l’alchimie du Verbe : figurer l’infigurable par plaisir et par sentiment de puissance. Baudelaire est en effet un poète maudit, incompris de la société et conscient de sa propre altérité : au-delà de la censure dont plusieurs poèmes ont fait l’objet comme « Les Bijoux », « Lesbos » ou encore « Les Métamorphoses du vampire », ce que révèlent ces pièces condamnées, c’est la volonté très nette chez Baudelaire de repousser les limites de la transgression et de plonger dans les profondeurs de l’âme humaine, en quête d’un art absolu.

______En outre, nous voyons que Baudelaire esthétise énormément la laideur au point d’amener à un renversement de la beauté. Rompant avec la tradition classique, le poète se plait à introduire la trivialité, le choquant ou le cauchemardesque au sein de l’œuvre d’art : cette alchimie négative trouve son inspiration dans le médiocre ou le laid, et la transmutation d’une chose belle et précieuse en laideur. C’est ainsi que dans le poème « Horreur sympathique » (FM, « Spleen et Idéal », n° LXXXIV), le poète s’exclame : « Vos vastes nuages en deuil / Sont les corbillards de mes rêves ». De même, dans l’« Ébauche d’un épilogue pour la deuxième édition des Fleurs du mal » (1861), Baudelaire affirme : « tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or ». Adressés à Paris, ces propos sont la consécration du pouvoir maléfique du poète qui au contraire de Midas, change le bien en mal. Il y a donc une esthétisation de la laideur, élevée au rang de beauté inversée : dans le laid, on retrouve le beau, mais un beau antithétique, à l’opposé des thèmes préférés des romantiques : ainsi l’amour est-il à la fois « paradis » et « enfer ». Cette alchimie inversée se perçoit également très bien dans les « Litanies de Satan » : dans ce poème subversif qui est une sorte de contre-prière, Satan est imploré, glorifié. Cela témoigne, encore une fois, de l’attirance pour le mal que Baudelaire ressent, mais une attirance esthétique : le laid, donc le mal, est régulièrement sublimé, voire complétement esthétisé dans une sorte de sorcellerie évocatoire dominée par les pouvoirs du Verbe et les vertus de la forme poétique.

______Enfin, si dans un grand nombre de ses poèmes, Baudelaire embellit ou enlaidit, parfois de manière si exagérée les personnages et les situations, c’est sans doute pour conférer à l’art une place prépondérante : la misère du spleen ou la laideur de l’art se transmuent en beauté négative, seule manière d’exprimer des sentiments authentiques. Métaphore de l’illusion et du rêve, le « fond du gouffre » (« Le voyage ») est pour Baudelaire le lieu de la révélation. Extraire la beauté de la laideur la plus hideuse par la « sorcellerie évocatoire » du langage, là est sans doute l’effet magique de la poésie. Comme l’affirmait Michel Ribon dans Archipel de la laideur (1995), « […] la chose laide, dès qu’elle surgit devant nous, repousse tout notre être dans la nausée ou le dégoût, la répugnance, l’indignation ou la révolte. […] Mais, par sa fascination même, la laideur, qui multiplie dans le réel ses figures d’archipel, se propose à l’artiste comme un défi à relever […] ». C’est donc dans l’exagération même que réside l’art véritable : en glorifiant certains aspects par exemple, ou en exagérant à l’inverse les défauts, le poète devient créateur : la femme parfaite idéalisée dans « A une passante » n’est pas si différente de la « mendiante Rousse » dont le « haillon trop court » la rend totalement laide. Dans les deux cas, le réalisme des images cède le pas au à la souffrance, à la déviation, à la douleur ou au bizarre : comme s’il fallait embrasser la tentation du mal pour trouver l’inspiration. La beauté et l’amour ne suffisent pas à la quête de l’idéal : le poète doit assumer sa part d’obscurité, aussi malheureux soit-il, pour trouver la Lumière…

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______Au terme de ces deux premières parties, il apparaît que la poésie chez Baudelaire incarne une tension parfaitement résumée par les termes de spleen et d’déal. Pour extraire la quintessence de toute chose, le poète comme nous l’avons vu, procède à une alchimie verbale qui consiste à trouver dans la souffrance le salut. Il nous faut désormais interroger plus profondément cette poésie à la lumière de la citation de Pierre Reverdy : alchimie malheureuse qui « change l’or en fer et le paradis en enfer », la poésie n’est-elle pas plus fondamentalement une quête spirituelle, ou plutôt une fusion de la matière et de l’esprit ?

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______Lorsque Pierre Reverdy dit de la poésie qu’elle transmue « la matière en esprit », il montre qu’elle opère à la manière d’un principe créateur. En ce sens, dans Les Fleurs du mal, Baudelaire ne cherche-t-il pas, par la Parole, à transmuer la matière en Lumière ? Ainsi comprise, la poésie devient quête spirituelle par laquelle s’opère la métamorphose du visible vers l’invisible.

______En premier lieu, nous allons montrer que la quête de l’indicible et du spirituel que l’on retrouve dans le recueil des Fleurs du Mal peut s’apparenter chez Baudelaire à une imitation du principe créateur : l’artiste a pour but d’exprimer l’inexprimable, et sa quête de l’idéal s’apparente à cette « Alchimie du Verbe » dont rêvait Rimbaud. En cherchant à faire voir le monde autrement qu’il n’est, le poète « transmue la parole du monde en parole de lumière et les clefs de son langage sont les symboles de la science d’Hermès parce que ce sont les signes que le poète aperçoit immédiatement et déchiffre d’emblée, dans la nature et dans l’art. Sa poésie est aussi naturellement alchimique que l’alchimie est naturellement poétique, et leurs métamorphoses ne font qu’un seul chant » [1]. Ces propos fondamentaux de Roger Parisot nous semblent s’appliquer parfaitement aux Fleurs du Mal : ce n’est pas une simple alchimie qu’opère Baudelaire : il transforme la boue en or spirituel : le langage incarne ici la réflexion, l’esprit et l’inexprimable que veut évoquer le poète : cet or spirituel représente donc toute une réflexion, et toute une symbolique. Comme le montre très bien Marc Eigeldinger dans Le Soleil de la poésie, essai consacré à Baudelaire, Gautier et Rimbaud : « Tel un alchimiste, Baudelaire opère la transmutation de la substance matérielle en substance poétique, il transfigure les objets par la vertu du langage et métamorphose la boue de la capitale en or spirituel […] » [2]. Nous pourrions évoquer ici le poème « L’Aube spirituelle » dans lequel Baudelaire semble chercher l' »inaccessible azur » dans le souvenir d’une femme aimée. S’il est attiré par le gouffre, le poète, « être lucide et pur », aspire à la lumière et au spirituel : véritable quête de l’indicible, qu’il combine à une quête du spirituel.

______Par ailleurs, le poète est un déchiffreur : il perçoit « ce que l’homme a cru voir », comme disait si bien Rimbaud dans « Le bateau ivre » : il voit l’invisible. Au-delà des éléments banals de la vie, des déceptions récurrentes, le poète explore un tout autre univers grâce à cette alchimie spirituelle qui consiste, en détournant le monde de lui-même, à concevoir un autre monde, ou à faire surgir une autre vision du monde. Dans « La lettre du Voyant » rédigée en mai 1871, Rimbaud dit qu’il « faut être voyant, se faire voyant ». Cette expression signifie que le poète doit dépasser les apparences afin de voir l’invisible afin d’avoir la révélation de l’inconnu, c’est-à-dire voir le monde comme il n’a jamais été vu. Cet aspect, très prôné par le surréalisme, cher à Reverdy, et surtout le symbolisme, fait du poète le créateur ultime. Ce culte d’un renouveau métaphysique et mystique, amplifié par le refus de la vie quotidienne dans son conformisme banal, conduira les auteurs à une volonté de recréation du langage qui va ouvrir la voie à une poétique nouvelle, plus abstraite et conceptuelle. C’est ainsi que la poésie symboliste se plaît à déchiffrer les mystères du monde grâce à des symboles qui restent inaccessibles au non initié. Grâce aux symboles, le poète cherche à atteindre une sensibilité et une vérité supérieures. Nous pourrions évoquer ici le poème « Élévation » dans lequel Baudelaire affirme qu’il « comprend sans effort/Le langage des fleurs et des choses muettes ». Ces « choses muettes » ne sont-elles pas ici « l’invisible », « l’indicible » ? Ainsi, Il réinvente le monde en lui donnant une autre vie.

______En définitive, ne faut-il pas aborder Les Fleurs du Mal comme une œuvre profondément symboliste ? Rappelons que pour ce mouvement, qui s’est développé dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle, la poésie doit puiser dans l’imaginaire des symboles pour construire du sens. Les sensations et les impressions sont favorisées plutôt que les descriptions trop concrètes ou trop réalistes, car la poésie symboliste proclame le pouvoir de l’Esprit sur les sens, de l’art sur la nature, de la subjectivité sur l’objectivité, de l’imaginaire sur le réel. Nous retrouvons très bien cet aspect dans « l’Albatros », Baudelaire symbolise le poète non compris par la société au travers de l’oiseau, véritable allégorie du poète maudit. Tantôt « Albatros », tantôt « Vampire » ou « Étranger », le poète, s’il puise dans le monde la matière de son inspiration, s’en détache pour mieux le recréer. Ainsi amène-t-il à porter un regard renouvelé sur le monde qui nous entoure. Dans le poème « Correspondances », Baudelaire traduit par un jeu de synesthésies les liens invisibles qui se tissent entre le monde banal et quotidien, et le monde de la création : « Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants/Doux comme les hautbois, verts comme les prairies… ». Par le jeu des correspondances, dans chaque couleur ou sensation semble s’épanouir une autre vision du monde, dont la fonction herméneutique est essentielle [3] : en parfait alchimiste, le poète nous invite à comprendre que la véritable poésie repose sur une quête : elle engage le lecteur dans un voyage, une errance qui se révèlent être une aventure extraordinaire et transfiguratrice. Au-delà de cette quête de l’indicible et du spirituel que nous évoquions, la poésie apparaîtrait ainsi plus qu’une transmutation de la matière en esprit : mais par le pouvoir de l’esprit, elle permet de toucher la matière pure.

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______Pour conclure, si le poète baudelairien, comme nous avons essayé de le montrer tout au long de notre travail, est tellement en quête de cette alchimie poétique qui fascine tant les créateurs, c’est que le poète tient en ses mains le bien et le mal : la poésie est son libre-arbitre. Voici pourquoi il peut tantôt chercher l’idéal mais aussi succomber au mal : le but de l’art est ainsi d’amener à une quête idéale de sens. Au-delà du bien et du mal, l’objet même de la poésie réside peut-être dans cette quête d’un autre monde, capable de restituer l’ordinaire de façon extraordinaire, en amenant un peu d’humanité et en étant au plus près de la condition humaine. Pierre Reverdy écrivait à ce titre que « le poète ne vit guère que de sensations, aspire aux idées, et en fin de compte n’exprime que des sentiments ». De tels propos invitent à comprendre la dimension proprement humaine de l’alchimie poétique. Par la poésie, le banal, le futile, l’anodin prennent paradoxalement une valeur transcendante car ils sont riches d’un monde à explorer, dans lequel l’insignifiant devient signifiant…

©  Marion M.(Lycée en Forêt, Classe de Première Générale 8), novembre 2020.
Relecture du manuscrit  corrections et ajouts éventuels : Bruno Rigolt, février 2021.

NOTES

[1] Roger Parisot, « Poésie alchimique et matière de l’œuvre chez Robert Marteau », in :  Richard Millet (dir.), Pour saluer Robert Marteau, Cahier d’hommages, Champ Vallon p. 186.

[2] Marc Eigeldinger, Le Soleil de la poésie, 1991, Braconnière p. 96

[3] Herméneutique : c’est-à-dire le déchiffrement, le décryptage, l’interprétation des symboles.

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Entraînement à l’EAF. Dissertation sur « Les Fleurs du mal » de Baudelaire. Travaux d’élèves. Découvrez le travail d’Océane S.

Entraînement à l’EAF
Dissertation sur programme [2020-2021]

 

  • Objet d’étude : La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle
  • Œuvre intégrale : Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal
  • Parcours associé : Alchimie poétique : la boue et l’or

Il y a quelques semaines, j’ai décidé de proposer à la classe de Première Générale 8 du Lycée en Forêt le sujet de dissertation suivant :

« Transmuer la misère en bonheur – grâce à l’or – voilà le grand, l’incroyable et mystérieux coup d’alchimie. Non pas la matière en une autre matière mais bien la matière en esprit » (Pierre Reverdy, Le Livre de mon bord, 1948). Ces propos du poète Pierre Reverdy s’accordent-ils avec votre lecture des Fleurs du Mal ? Votre réflexion prendra appui sur l’œuvre de Baudelaire et votre connaissance du parcours associé.

Le travail, commenté en classe, a donné lieu à l’élaboration collective d’un plan en trois parties. Les élèves avaient ensuite la rude tâche d’élaborer leur dissertation. Parmi tous les travaux qu’il m’a été donné de lire, quelques-uns, particulièrement remarquables, seront publiés dans cet Espace Pédagogique Contributif.

Je vous laisse découvrir aujourd’hui la dissertation d’Océane S*. (Classe de Première générale 8, promotion 2020-2021).
Note obtenue : 20/20. Bravo à elle pour ce travail de haute tenue intellectuelle.
Lisez également le travail de Marion M. qui porte sur le même sujet.

* Découvrez une autre contribution d’Océane sur ce blog pédagogique : https://brunorigolt.org/2020/11/22/un-automne-en-poesie-saison-10-2020-2021-troisieme-livraison/

Rappel du sujet :

« Transmuer la misère en bonheur – grâce à l’or – voilà le grand, l’incroyable et mystérieux coup d’alchimie. Non pas la matière en une autre matière mais bien la matière en esprit » (Pierre Reverdy, Le Livre de mon bord,1948). Ces propos du poète Pierre Reverdy s’accordent-ils avec votre lecture des Fleurs du Mal ? Votre réflexion prendra appui sur l’œuvre de Baudelaire et votre connaissance du parcours associé.

______Associée aux sciences occultes du Moyen-Âge, l’alchimie est l’art de la transmutation, permettant de convertir les métaux les plus vils en or. C’est également le cas de l’art poétique qui dans sa quête d’une transformation spirituelle par la parole, métamorphose le monde, donnant une forme transcendante à la réalité. À ce titre, le poète Pierre Reverdy écrivait dans Le Livre de mon bord : « Transmuer la misère en bonheur – grâce à l’or – voilà le grand, l’incroyable et mystérieux coup d’alchimie. Non pas la matière en une autre matière mais bien la matière en esprit ». Ces propos qui mettent en évidence l’association entre quête alchimique et quête poétique, nous amènent cependant à nous interroger : la poésie, comme dans l’art alchimique, ne serait-elle qu’un moyen de transformation du mal, afin d’atteindre l’idéal ? Le poète a-t-il seulement pour but d’esthétiser et d’embellir la réalité ?

______Ces questionnements fondent la problématique de notre travail à laquelle nous répondrons selon une triple perspective : si la poésie comme nous le montrerons tout d’abord, transmue la misère en bonheur, le poète peut aussi être attiré par le mal, et s’y abandonner. Enfin, il conviendra de dépasser ce dualisme quelque peu réducteur : indépendamment du bien et du mal, l’art poétique ne constitue-t-il pas, comme le suggère Pierre Reverdy, un dépassement du réel, et une alchimie de « la matière en esprit » ? Nous étayerons notre démonstration par Les Fleurs du mal de Charles Baudelaire ainsi que le parcours qui lui est associé « Alchimie poétique : la boue et l’or ».

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______En premier lieu, nous pouvons considérer que la poésie est un moyen d’idéaliser la banale réalité. Dans Les Fleurs du Mal, Baudelaire évoque à de nombreuses reprises cette aspiration à l’élévation et à la beauté, notamment par un appel de l’ailleurs, qui apparaît comme une sorte d’échappatoire à la misérable condition humaine. C’est ainsi que dans le poème « L’invitation au voyage », le poète s’évade là où « tout n’est qu’ordre et beauté, / Luxe, calme et volupté » : évocation lyrique et presque surnaturelle d’un monde enchanteur et d’un bonheur primitiviste que la vie quotidienne dans son conformisme banal serait incapable de comprendre. C’est en effet cette quête onirique, toujours caractérisée par une éternelle insatisfaction, voire un refus du monde présent, qui pousse le poète à partir à la recherche d’un ailleurs vague et imprécis, tel que le dépeint Mallarmé dans « Brise marine » [1] : « Fuir ! Là-bas fuir ! Je sens que les oiseaux sont ivres / D’être parmi l’écume inconnue et les cieux ! ». En contrepoint de ce sentiment d’échec existentiel, la poésie procède donc à la fois d’un appel à se libérer des vestiges du quotidien et d’une invitation à entreprendre le voyage rêvé qui est au cœur des ambitions métaphysiques du symbolisme. Le voyage apparaît ici comme une fuite hors du monde, sans réelle attache ni destination : fuite vers un ailleurs plus beau, où les sensations ne seraient plus émoussées par le vulgaire et le banal. Voici sans doute pourquoi la quête du bonheur s’accompagne toujours d’un voyage idéalisé. Plus qu’un simple dépaysement, le voyage est prétexte à une quête de l’inspiration.  Mallarmé annonce dans ce même poème l’idée d’un voyage métaphorique, d’une évasion par le rêve et l’imagination grâce au pouvoir évocateur de la poésie : « Mais ô mon cœur, entends le chant des matelots ! ». Ainsi, la poésie peut-elle « transmuer la misère en bonheur » pour reprendre les mots de Pierre Reverdy, puisqu’elle permet l’idéalisation du réel.

______D’autre part, cette quête du Bonheur va avec celle de l’amour. Envisagé comme quête de l’inaccessible, l’idéal baudelairien est indéniablement sentimental et féminin : cette aspiration à la perfection, au divin, au beau, se manifeste en effet à travers la femme, partagée entre la beauté de Vénus et la grâce spirituelle de la Vierge. « Fugitive beauté / Dont le regard m’a fait renaître » : ainsi la décrit-il dans « À une passante » (Tableaux parisiens) où l’instantanéité du moment et la rencontre qui n’a pas eu lieu est ce qui justement la rend si fascinante, puisqu’elle laisse place aux espoirs et à l’imaginaire fantasmé du poète. Comme un lieu inaccessible, la femme idéale reste à jamais hors du temps, car elle n’existe pas : elle est l’expression tourmentée d’un rêve utopique parfaitement exprimé dans le poème « Un hémisphère dans une chevelure » [2] : « Si tu pouvais savoir tout ce que je vois ! tout ce que je sens ! tout ce que j’entends dans tes cheveux ! […] Dans l’ardent foyer de ta chevelure, je respire l’odeur du tabac mêlé à l’opium et au sucre ; dans la nuit de ta chevelure, je vois resplendir l’infini de l’azur tropical […] ». Nous pourrions rattacher ces exemples à la théorie de « l’art pour l’art » fondée sur le culte de la beauté, « déesse et immortelle » tel que la décrit Baudelaire dans « L’étranger » (Le Spleen de Paris). A cette quête de la beauté personnifiée dans la femme comme source inspiratrice, correspond la perfection du langage poétique, comme quête de l’art pour l’art. Il n’est donc pas étonnant que Baudelaire s’exclame : « La poésie, pour peu qu’on veuille descendre en soi-même, interroger son âme, rappeler ses souvenirs d’enthousiasme, n’a pas d’autre but qu’elle-même […] » [3]. La poésie n’aurait ainsi de dessein qu’elle-même, à l’opposé de toute préoccupation utilitaire ou matérialiste.

______Pourtant, la poésie ne serait-elle que purement « gratuite » ? N’est-elle pas au contraire la révélation de la condition humaine.? Au-delà de sa propre personne, Baudelaire est en effet sensible à la misère du monde qu’il superpose à la sienne. Dès lors, nous pouvons affirmer que la poésie, comme quête du sens, vise à transmuer la misère humaine : en cherchant à métamorphoser la société vulgaire, le poète métamorphose « la boue en or » et la douleur en plénitude. De fait, les poèmes des Fleurs du Mal, bien que représentatifs d’un profond désespoir intérieur, nous paraissent refléter un état d’âme commun à tous les mortels, dont la triste condition ne pourrait être soulagée que par l’art. C’est ainsi que dans « Les petites vieilles », les femmes décrépies dont il est question sont des « monstres » qui gardent pourtant un semblant de beauté, car leurs yeux sont des « puits faits d’un million de larmes / Des creusets qu’un métal refroidi pailleta ». Le poète est donc celui qui réécrit et par la même occasion embellit le monde grossier par la quête d’une vérité supérieure. Comment ne pas évoquer ici les deux derniers vers du « Mendiant » de Victor Hugo (Les Contemplations) : « Et je regardais, sourd à ce que nous disions, / Sa bure où je voyais des constellations » ? Ainsi, les poètes voient-ils et prennent-ils conscience de ce que les autres méprisent et rejettent.  « La poésie est l’étoile », rappelle à ce titre Hugo dans « La fonction du poète » : comparable à un guide, le poète en éclaireur de l’humanité, conduit les hommes vers la quête du sens. C’est dans cette transmutation que réside le bonheur : telle est la mission, le rôle social du poète, car celui-ci a l’aptitude de voir l’inestimable dans la boue, prélude d’une sorcellerie évocatoire dont il s’agit de découvrir la formule magique. Nous pouvons donc considérer que le poète est un alchimiste de la misère en bonheur : son or n’a rien de métallique ni de vulgaire, il est par une quête de l’idéal, la noble perfection de l’âme qu’il réenchante par le Verbe créateur.

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______Au terme de ces premières réflexions, nous devons cependant nous interroger : la poésie se limite-t-elle seulement à cette alchimie positive ? L’œuvre de Baudelaire n’est-elle pas une « œuvre au noir » qui apparaît, sous de nombreux aspects, à l’opposé du « bien » et du bonheur ?

______Il faut tout d’abord rappeler le rejet de la société et de ses valeurs morales de la part du poète, qui n’y occupe plus qu’une place marginale : il s’y sent étranger et « maudit » pour reprendre la célèbre expression de Paul Verlaine [4]. Cette discrimination amène alors un désir de provocation de la société bourgeoise et une totale contradiction avec les codes de l’époque, allant même jusqu’à une propension au négativisme parfaitement exprimée dans la célèbre dédicace à Théophile Gautier : « Au poète impeccable […] je dédie ces fleurs maladives ». Par leur contact mortifère, les poèmes métamorphosent le bien en mal : les fleurs naissent du désespoir. Ainsi transparait dans les poèmes de Baudelaire un accablement douloureux, profondément spirituel et cérébral qui affecte le lecteur comme dans le poème « Spleen » (n° 78, Spleen et Idéal) : « […] l’Espoir,/ Vaincu, pleure, et l’Angoisse atroce, despotique, / Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir ». On retrouve dans ces derniers vers la consécration du Spleen comme négation de « l’Idéal ». À la quête artistique et amoureuse que nous évoquions dans notre première partie, succède le désespoir. L’idéal semble en effet tellement inaccessible que la désillusion suit. Cette opposition Spleen/Idéal qui compose la première partie des Fleurs du Mal est d’autant plus frappante que les deux thèmes se côtoient tout au long de la section. Nous observons peu à peu l’idéal et l’espoir décroitre et le spleen émerger puis triompher à la fin de la section :

« Par toi je change l’or en fer
Et le paradis en enfer ;
Dans le suaire des nuages

Je découvre un cadavre cher,
Et sur les célestes rivages
Je bâtis de grands sarcophages. »

Alors que dans le projet d’épilogue, la poésie présente cette vertu alchimique de transfigurer la « boue » en « or », c’est-à-dire le spleen en idéal, dans « Alchimie de la douleur », la douleur se change, non en or, mais en images funèbres. Cette alchimie inversée exprime autant l’horreur que la fascination : s’il se lamente sur sa douloureuse condition, c’est pour mieux assumer ce choix du malheur ; ultime provocation permettant à l’artiste de féconder sa création.

______Qu’on ne s’y trompe pas en effet : il apparaît chez Baudelaire une attirance pour le mal qui est consubstantielle à l’alchimie du Verbe. Rien que par son titre oxymorique, Les Fleurs du Mal est un recueil qui ne cesse de fasciner par la métaphore alchimique qu’il met en œuvre : figurer l’infigurable. Au-delà de la censure dont plusieurs poèmes ont fait l’objet comme « Les Bijoux », « Lesbos », « Femmes damnées » ou encore « Les Métamorphoses du vampire », ce que révèlent ces pièces condamnées, c’est la volonté très nette chez Baudelaire de repousser les limites de la transgression et de plonger dans les profondeurs de l’âme humaine, en quête d’un art absolu. Au-delà de l’imaginaire occulte et monstrueux qui a tant fasciné le XIXe siècle, c’est donc le Diable en lui-même qui intrigue le poète, qui bien que croyant, n’hésitera pas à le mentionner à de nombreuses reprises dans ses poèmes, lui accordant ainsi une place sans précédent que Sainte-Beuve a bien mis en évidence dans une lettre qu’il adressa à Baudelaire le 20 juillet 1857 : « Vous vous êtes fait Diable ». Satan, que l’on peut associer à la monstruosité morale, à la déchéance de l’être humain et à la manifestation de tous ses vices, constitue alors une part du poète, qui essaye en tant qu’alchimiste de comprendre cette « boue » afin de façonner son esprit à la noire lumière de la corruption. De là, peut-on encore affirmer que Baudelaire est un poète de l’idéal et du beau ? Comme nous le comprenons, il n’y a pas de « poésie heureuse » pour Baudelaire. S’il s’est fait Diable, c’est peut-être pour mieux nous interpeller sur ce qu’il y a de faux et d’hypocrite dans la rêverie. D’où cette fascination, voire cette obsession pour le mal : n’est-elle pas ce qui justement fait de son recueil une œuvre originale, où sont mêlés intimement les deux opposés ? En faisant du mal son sujet, Baudelaire le met en valeur, le rend presque moralement nécessaire, consubstantiel à la beauté et à l’idéal.

______Enfin, la poésie de Baudelaire est caractérisée par une esthétisation de la laideur, indépendamment de toute considération morale. Cette prise de conscience vise à « émotionnaliser » l’art afin d’en découvrir la vérité idéale. Mais cette vérité n’est pas belle à voir : elle pousse le poète à rechercher et extraire la beauté dans ce qu’il y a de plus laid et de plus trivial, comme pour nous révéler l’image de notre humble condition. Et cela dans le travail même des mots, qui grâce à l’or poétique prennent une toute autre dimension. Cet intérêt pour ce que le monde rejette sert aussi à interpeller le lecteur, qui se remet alors en question. Par exemple, dans le poème « Une charogne », le poète compare la femme aimée à un cadavre en décomposition, et au-delà de la simple provocation, il s’agit surtout de transformer l’immonde en objet poétique :

Alors, ô ma beauté ! Dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j’ai gardé la forme et l’essence divine
De mes amours décomposés !

Esthétiser le déchet par le renversement de la beauté en laideur, c’est aussi s’inscrire dans la tradition lyrique pour mieux la détourner ; l’idylle amoureuse devient un memento mori : façon de nous interpeller sur le rôle de l’art. Loin de l’esthétique habituelle, le poète nous oblige à voir la surface rugueuse de la beauté. De cette poésie de la laideur, qui est aussi une méditation sur la mort et l’amour, nous retiendrons un aspect essentiel de l’œuvre du poète, qui est la dualité entre le bien et le mal, entre la joie et la douleur, entre l’ombre et la lumière… « J’aime l’araignée et j’aime l’ortie », écrivait justement Victor Hugo dans Les Contemplations (XXVII), où il appelle à « aimer » les êtres les plus vils. Dans le même ordre d’idées, nous pourrions citer Baudelaire qui affirmait : « Le beau est toujours bizarre. Je ne veux pas dire qu’il soit volontairement, froidement bizarre, car dans ce cas il serait un monstre sorti des rails de la vie. Je dis qu’il contient toujours un peu de bizarrerie, de bizarrerie naïve, non voulue, inconsciente, et que c’est cette bizarrerie qui le fait être particulièrement le Beau ». Ces propos [5] sont riches d’enseignement : le langage ne dit donc pas nécessairement le beau, mais il permet au contraire une interrogation sur notre façon de juger la beauté et la laideur. Si Baudelaire rejette tant la doctrine classique, avec sa mesure, sa bienséance et son bon goût, c’est certes pour provoquer mais plus fondamentalement pour nous amener à percevoir différemment le monde. Nous pouvons ainsi en déduire que le mal sous toutes ses formes fait partie intégrante de la poésie qui sert non seulement à l’exprimer, mais aussi, par le biais de celui-ci, à amener à un profond questionnement existentiel.

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______Parvenus à ce point de notre réflexion, il nous faut dès lors questionner plus profondément les propos de Pierre Reverdy : qu’est-ce que réellement la poésie ? Quelle vérité primordiale s’en dégage ? Quelle dimension peut prendre l’art poétique au-delà de la dialectique négative que nous avons étudiée entre le bonheur et la misère, le spleen et l’idéal, le bien et le mal ? Nous allons donc voir en quoi la poésie permet de transmuer la « matière en esprit ».

______Quêteur d’invisible, le poète est tout d’abord à la recherche d’une poésie pure. Grâce à la mystérieuse alchimie qui préside à la création, la poésie nous amène inévitablement à une quête spirituelle et salvatrice incontestablement présente dans l’œuvre de Baudelaire. Celui-ci cherche par l’art poétique un monde supérieur au réel et à la matérialité : « C’est à la fois par la poésie et à travers la poésie […] que l’âme entrevoit les splendeurs situées derrière le tombeau ; et quand un poème exquis amène les larmes au bord des yeux, ces larmes ne sont pas la preuve d’un excès de jouissance, elles sont bien plutôt le témoignage […] d’une nature exilée dans l’imparfait et qui voudrait s’emparer immédiatement, sur cette terre même, d’un paradis révélé » [6]. Ces propos de Baudelaire sont révélateurs : l’aspiration poétique vers l’au-delà et le Ciel ramène ici à une dimension spirituelle que seuls les poètes peuvent entrevoir. Marc Eigeldinger évoque très bien cet aspect dans Le Soleil de la poésie, essai consacré à Baudelaire, Gautier et Rimbaud : « Tel un alchimiste, Baudelaire opère la transmutation de la substance matérielle en substance poétique, il transfigure les objets par la vertu du langage et métamorphose la boue de la capitale en or spirituel […] » [7]. Ainsi le poète devient-il un véritable magicien des mots et de la réalité, et la poésie l’expression harmonieuse et sublimée de ce qu’il y a de plus universel dans l’homme : poésie de l’âme ou « poésie pure » selon l’expression de Paul Valéry, apte à nous faire pénétrer au plus profond du secret du monde. Nous pouvons donc considérer que la vraie poésie n’est ni bien ni mal, mais qu’elle possède plutôt ce caractère presque mystique qui permet au poète d’exprimer l’ineffable et de reconstruire spirituellement l’univers.

______Il ressort de nos considérations précédentes que le poète est celui qui perçoit l’invisible, l’immatériel, car il dépasse les apparences pour avoir la révélation de l’inconnu : il voit le monde comme il n’a jamais été vu. Il s’agit en effet d’accéder par la poésie à un autre univers, ignoré du commun des mortels. Comment ne pas songer ici à la « Lettre du voyant » de Rimbaud : « Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant ». Ainsi, la poésie, parce qu’elle mène à la quête d’une « Alchimie du Verbe » (Rimbaud) est un art d’initiés qui seuls saisissent le sens de sa dimension spiritualiste et mystique. Cette vision élitiste est exprimée par Baudelaire dans « Elévation » : le poète est un être supérieur qui « comprend sans effort / Le langage des fleurs et des choses muettes ! ». Nous pourrions également mentionner ces propos si célèbres de Mallarmé, affirmant en 1884 que « la poésie est l’expression, par le langage humain ramené à son rythme essentiel, du sens mystérieux des aspects de l’existence ; elle doue ainsi d’authenticité notre séjour et constitue la seule tâche spirituelle ». C’est à juste titre qu’on a souligné les dérives hermétiques de la poésie symboliste, en particulier celle de Baudelaire ou de Mallarmé dont le langage introduit de la subjectivité dans toute représentation artistique, au risque de devenir parfois quelque peu « artificiel ». De fait, ce « désir de forger, par la syntaxe aussi bien que par le vocabulaire, par l’archaïsme ou le néologisme, une langue poétique absolument distincte de la langue courante » [8] aboutit immanquablement à la quête de l’idéalité, en réaction contre le réalisme et le naturalisme. Il faut comprendre que la poésie « transforme la matière en esprit » uniquement pour ceux qui la conçoivent : c’est le poète qui choisit son lecteur, celui-là qui sera capable de voir et saisir le sens de l’invisible.

______Enfin, « transformer la matière en esprit » revient à transmuer le langage ordinaire en chant poétique, c’est-à-dire à conférer aux mots toute leur puissance évocatrice. Le langage poétique devient alors la forme matérielle et visible de l’idée, donnant au réel un caractère sublime, épuré puisqu’il est suggéré seulement par l’abstraction : « Ce toit tranquille où marchent des colombes », magiquement évoqué par Paul Valéry dans « Le Cimetière marin », n’est-ce pas aussi la poésie « mise au monde » par l’homme ? Tant il est vrai que toute connaissance est une « co-naissance ». Grâce à la métaphore in absentia, la mer et ses voiliers deviennent un « toit » et des « colombes ». Cette recherche de l’abstraction, de l’ambiguïté, du mystère, amène à une forme d’idéalisation stupéfiante : les images, par leur hermétisme même, concourent à la création d’un univers dont le contenu réel nous échappe parce qu’il ouvre à l’insondable : ce n’est pas un paysage maritime qui est représenté, mais un paysage pensé, façonné par le mystère de la langue, né d’une véritable fusion de l’homme et de l’univers, permettant de suggérer peu à peu, et conférant au réel force et pureté. Mallarmé dira même que « nommer un objet, c’est supprimer les trois quarts de la jouissance du poème qui est faite de deviner peu à peu : le suggérer, voilà le rêve » [9]. Le symbolisme, c’est donc aussi et surtout ce pouvoir de suggestion de la poésie, qui permet de recréer le réel, faisant des poètes les déchiffreurs du monde où le réel et l’immatériel s’entrecroisent, où s’unissent la matière et l’esprit : cette union intime de l’idéal et de la poésie fait du poète un prophète, c’est-à-dire, étymologiquement parlant, un interprète de Dieu, dont le langage est sacré et le souffle inspirateur. La poésie devient ainsi acte de connaissance mais aussi acte de foi et de création grâce à l’écriture.

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______Comme nous avons essayé de le montrer en suivant les propos de Pierre Reverdy, la poésie des Fleurs du Mal, plus qu’une dualité douloureuse entre l’expérience de la réalité et l’aspiration à la beauté, amène par l’esprit à un véritable déchiffrement et une renaissance de la vision du monde. C’est cette alchimie poétique qui éloigne le poète du contingent, et qui paradoxalement le rattache pourtant au réel. S’il transmue « la matière en esprit » grâce au langage, véritable creuset d’une alchimie du Verbe, le poète a besoin de cette matière : c’est résolument dans l’humain que se situe sa poésie. Comme l’écrivait justement Pierre Reverdy dans Pour en finir avec la poésie, « s’il n’a pas en lui la matière ou, du moins, s’il n’a pas le pouvoir de garder le contact puissant avec la vie — s’il n’est pas en communion peut-être douloureuse mais profondément intime avec elle, s’il n’est pas un creuset où toutes les sensations que la vie peut donner à un être viennent se fondre, il trébuchera au seuil de l’expression et sa plume ne tracera jamais autre chose que des lignes de cendre sur une feuille de papier ». Ces propos confèrent à l’art poétique toute sa mission transformatrice et humaniste, faisant du poète le grand alchimiste de la vie. Ainsi que l’affirmait Victor Hugo dans la préface des Orientales, « tout est sujet ; tout relève de l’art ; tout a droit de cité en poésie […]. Le poète est libre » et tout, dans le monde, est matière à esprit…

©  Océane S.(Lycée en Forêt, Classe de Première Générale 8), novembre 2020.
Relecture du manuscrit  et ajouts éventuels : Bruno Rigolt, janvier 2021.

NOTES

  • [1] Mallarmé, Poésies. Du Parnasse contemporain, 1866.
  • [2] Petits poèmes en prose, XVII, 1857.
  • [3] Baudelaire, Notes nouvelles sur Edgar Allan Poe, 1857.
  • [4] Paul Verlaine, Les Poètes maudits, 1884.
  • [5] Baudelaire, Exposition Universelle de 1855.
  • [6] Baudelaire, L’Art romantique, 1869.
  • [7] Marc Eigeldinger, Le Soleil de la poésie, 1991, Braconnière p. 96
  • [8] Bertrand Marchal, Le Symbolisme, A. Colin (« Esthétique Lettres Sup. ») Paris 2011, page 21.
  • [9] Réponse de Mallarmé à Jules Huret dans l’Enquête sur l’évolution littéraire. Mallarmé, Œuvres complètes II. Bibl. de la Pléiade, Paris 2003, p. 700.

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Préparez-vous efficacement à l’oral du bac de français

L’oral de l’Épreuve Anticipée de Français

Voici pour toutes les sections (générales et technologiques), les points essentiels que vous devez connaître pour présenter dans de bonnes conditions l’épreuve de français à l’oral du Bac.

  • Durée : 20 minutes
  • Préparation : 30 minutes
  • Coefficient 5 : baccalauréat général et technologique

Rappels de méthode

Commencez à planifier vos révisions dès le deuxième trimestre. N’attendez surtout pas le dernier moment ! Pendant l’année, vous devez vous constituer des fiches de révision sur :
  • les objets d’étude ;
  • les mouvements littéraires et culturels abordés ;
  • les auteurs et les textes étudiés.

N’oubliez pas également de préparer la 2ème partie de l’épreuve qui porte sur l’œuvre que vous avez choisi de présenter ! Attention : l’ouvrage étant laissé au choix du candidat, vous devez évidemment le lire avec soin et le maîtriser.

Votre arrivée dans la salle d’examen…

Tout d’abord, présentez-vous impérativement à l’heure (indiquée sur votre convocation) muni(e) des documents demandés :

  1. votre convocation ;
  2. une pièce OFFICIELLE prouvant votre identité (CNI, passeport, titre de séjour, etc.) ;

    Si vous avez oublié un document officiel (pièce d’identité, convocation, etc.), allez IMMÉDIATEMENT AU SECRÉTARIAT DU BAC afin de faire régulariser votre situation (on pourra être amené à vous demander de repasser dans la journée avec les documents manquants pour vérification). Si vous arrivez juste à temps pour l’épreuve, signalez le problème à l’examinateur : dans la plupart des cas, il vous fera passer l’oral et vous demandera de régulariser dans la journée votre situation auprès du secrétariat d’examen. Il pourra également vous demander de lui présenter en main propre vos justificatifs. Cela dit, je vous conseille de ne RIEN oublier : cela fait toujours mauvaise impression.

  3. le « récapitulatif des œuvres et textes étudiés » (votre liste d’oral), qui doit mentionner les textes étudiés pendant l’année :
    • Baccalauréat général : 16 textes travaillés en lecture suivie ;
    • Baccalauréat technologique : 12 textes travaillés en lecture suivie ;
    • Votre récapitulatif comportera également une partie individuelle indiquant l’œuvre présentée pour l’entretien (lecture cursive obligatoire ou œuvre étudiée en classe).
  4.  des stylos, des surligneurs, ainsi qu’une MONTRE (ou un petit réveil, un minuteur, etc.). Pendant la préparation et le déroulement de l’épreuve, n’hésitez pas à regarder votre montre pour bien gérer le temps.
    ATTENTION : vous n’avez PAS le droit de sortir votre téléphone portable même pour voir l’heure ! Pensez à l’éteindre complètement (S’il venait à sonner ou à vibrer, cela pourrait être interprété comme une tentative de tricherie, et vous pénaliser lourdement) et à le ranger avec vos affaires personnelles que vous déposerez à l’entrée de la salle.

Le travail de préparation

La préparation à l’oral dure 30 minutes. Pendant ce temps, il vous faudra préparer votre explication de texte mais aussi votre réponse à la question de grammaire posée. Celle-ci ne peut concerner qu’un passage de l’extrait faisant l’objet de l’explication de texte.

L’exposé. Votre exposé sur le texte se compose d’une brève présentation suivie d’une lecture à voix haute « juste, pertinente et expressive » (notée sur 2 points). Vient ensuite votre explication (évaluée sur 8 points) qui doit durer 8 minutes. Enfin, vous terminerez votre exposé en répondant à la question de grammaire (2 points) qui vous a été posée avant le temps de préparation.

L’entretien. Votre exposé sera suivi d’un entretien de 8 minutes qui fera le point sur votre connaissance de l’œuvre que vous avez choisie* : tout d’abord, vous la présenterez brièvement (2 à 3 minutes maximum) en justifiant de façon personnelle et motivée vos choix de lecture. Ce sera l’occasion pour vous de faire preuve de conviction. Votre présentation sera suivie d’un échange avec l’examinateur (5 à 6 minutes) au cours duquel il vous amènera à détailler des aspects plus précis : n’hésitez pas à développer votre culture en mettant en valeur votre appropriation du texte en tant que lecteur. Cet entretien pourra éventuellement être élargi à des questionnements plus larges de culture générale liés à l’auteur, à l’œuvre et à son contexte de publication (contexte culturel, social, etc.).

* Rappel : La lecture cursive appartient obligatoirement à un autre siècle que l’œuvre intégrale étudiée.

Première partie de l’oral : exposé sur un des textes du récapitulatif (12 points)

L’explication de texte à l’oral

  • Il s’agit d’une lecture suivie : c’est-à-dire que vous devez expliquer le texte en suivant l’ordre de sa composition.
  • À la différence du commentaire qui amène à mettre en valeur des axes principaux, l’explication linéaire vise à rendre évident l’agencement du texte. Il s’agit donc d’éclairer progressivement, à partir de vos remarques de détail, le sens global.
  • CONSEIL : Attention en effet à ne pas réduire votre analyse à une énumération de remarques sur la forme. Relever des figures de style, des procédés d’écriture, etc. n’a d’intérêt que dans la mesure où vos remarques permettent de mettre en lumière la progression de la pensée de l’auteur. Vous devez donc privilégier les outils d’analyse (registres de langue, emploi des temps, étude des figures de style, des connotations, etc.) en les mettant au service de l’interprétation

Le déroulement de l’exposé

Avant de lire le texte, faites obligatoirement une brève introduction. Dans votre présentation, vous pouvez d’abord situer brièvement le passage en portant votre attention sur les éléments qui permettent de le contextualiser dans l’œuvre ou dans le parcours associé. Puis vous en présentez brièvement le sujet (c’est-à-dire le problème posé qui correspond souvent à l’idée directrice). Votre présentation doit donc rendre compte de l’essentiel du texte, en mettant en valeur un questionnement auquel vous allez répondre tout au long de votre exposé par l’explication linéaire.

Pour voir en détail les étapes de l’introduction, regardez cette fiche récapitulative :

La lecture à voix haute du texte (2 points)

Puis vous lisez le texte en y mettant de l’enthousiasme : adoptez par exemple un timbre de voix vivant et engagé mettant en valeur non seulement la forme du texte, mais surtout son contenu et sa signification. Respectez la ponctuation en faisant des pauses au bon moment afin de mettre en valeur les nuances du texte.

Les Instructions officielles |source| précisent que votre lecture doit se faire « à voix haute juste, pertinente et expressive ». Si vous avez une voix monocorde et plutôt faible, efforcez-vous de corriger ces défauts. Votre lecture en effet doit à la fois être expressive et posée. Elle vise à montrer que le texte est compris : le ton que vous employez est important dans l’évaluation (2 points) que l’on fait de votre lecture. N’oubliez pas de marquer des pauses. Elles sont importantes non seulement pour mettre en valeur les mots porteurs de sens, mais aussi afin de déstresser le jour de l’examen (vous reprenez votre respiration pendant les pauses). Dernière remarque : en poésie, le respect de la versification est bien entendu déterminant.

CONSEIL N’oubliez pas que lire un poème, un texte de littérature d’idées, de la fiction ou un extrait de théâtre entraîne des postures vocales différentes : un texte ne se réduit pas à des phrases : votre lecture doit en éclairer le sens ! Les Instructions officielles précisent que votre lecture doit contenir une « intention de sens » : cela signifie que lors de votre lecture à l’oral, il ne s’agit pas seulement de réciter le texte de manière mécanique, mais d’en exprimer et d’en transmettre la signification profonde. Avant de lire, rappelez-vous votre analyse du passage afin d’en faire ressortie au moment de la lecture, les idées, les émotions, les enjeux et les subtilités.

Adaptez également votre élocution (intonation, rythme, pauses) afin de refléter les nuances et les émotions du texte. Identifiez les moments forts (par exemple, dialogues, descriptions, passages didactiques, lyriques ou polémiques) et adaptez votre ton en conséquence.

Lire un texte poétique

– La lecture d’un texte poétique obéit à des règles strictes : respectez la versification et tenez compte de la diérèse, qui consiste à prononcer en deux syllabes distinctes deux voyelles successives d’un même mot : « Va te purifier (pu-ri-fi-er) dans l’air supérieur (su-pé-ri-eur) » (Baudelaire, « Élévation », FM) : ici 12 syllabes (alexandrin).
– N’oubliez pas qu’en poésie, le « e » muet ne se prononce pas en fin de mot si le mot suivant commence par une voyelle, et qu’il ne se prononce pas non plus en fin de vers.
– Tenez compte des enjambements : dans ce cas, les vers doivent être lus sans discontinuité, comme s’il s’agissait d’un seul vers).
Marquez les pauses (n’hésitez pas à faire des annotations au crayon avant de lire le texte).
– Votre lecture doit également produire de l’émotion : c’est fondamental en poésie ! N’oubliez pas que même si le poète utilise des mots de tous les jours, il nous invite à en métamorphoser le sens.

Lire un texte appartenant à la littérature d’idées

– Marquez les articulations argumentatives en insistant sur les connecteurs logiques.
– Mettez en évidence les registres (ironie, registre polémique, etc.) et les sous-entendus (marques de l’implicite). Votre lecture doit permettre d’interpréter les intentions de l’auteur
– Mettez en valeur la situation d’énonciation (par exemple, les marques de présence de la première personne, la modalité exclamative, interrogative…).
– Insistez sur les mots-clés permettant de mettre en valeur une idée, les indices de jugement, les termes modalisateurs, etc.

Lire un extrait de roman

– Mettez en évidence l’imaginaire de la scène : votre lecture doit permettre à la personne qui vous écoute de se représenter le cadre, les personnages. Elle doit « donner à voir ».
– Dans les passages narratifs, variez l’intonation pour refléter l’évolution de l’histoire (rebondissements, tournants du récit, etc.) : une modulation de la voix aide à distinguer les moments de calme, ou au contraire de tension. Pensez à faire transparaître, à travers votre intonation, les sentiments du narrateur et des protagonistes.
– Les passages descriptifs ont souvent une fonction documentaire et/ou poétique. Dans ce cas, la description peut être réaliste, contemplative, lyrique (paysages en accord avec l’état d’âme) ou au contraire critique, satirique (portraits) : votre lecture doit impérativement en tenir compte.

Lire un texte relevant du théâtre

Tout en vous gardant de « théâtraliser » à l’excès, la lecture d’un texte théâtral doit faire imaginer la représentation, les mimiques et le jeu des acteurs : oubliez que vous êtes assis à la table et faites comme si vous étiez en train de « jouer » le rôle.
– Si le passage implique plusieurs points de vue, variez votre intonation pour différencier les voix et donner vie à chacun des personnages.
– Votre professeur vous conseillera également de lire les didascalies. Dans certaines pièces, elles abondent et font partie intégrante du texte. Ne pas les lire constituerait un manquement. De plus, à moins d’être un acteur entraîné, il est présomptueux de croire qu’on peut tenir compte des indications données sans les lire : cela entraîne souvent les candidats à de fréquentes coupures dans la lecture, et bien souvent à des erreurs préjudiciables. Il est donc préférable de lire les didascalies en variant l’intonation (qui doit être plus neutre) et en réduisant légèrement le volume de la voix.

L’explication linéaire (8 points)

L‘explication du texte doit associer (sans les dissocier surtout) l’étude du style (remarques précises et variées avec maîtrise des notions et des termes spécifiques) et du sens afin de permettre un repérage et une interprétation efficaces. Ne séparez jamais le fond de la forme : de fait, la forme elle-même contribue au sens. Pour y parvenir, le candidat doit ainsi mettre en œuvre des savoir-faire et utiliser des outils propres à l’examen d’un texte court : c’est également sur la pertinence de leur choix et la qualité de leur utilisation qu’il sera jugé : remarques placées au bon endroit, en cohérence avec l’axe annoncé, remarques ordonnées permettant de mettre en valeur la progression du texte et donc la construction du sens.

Conseils

  • Annoncez au fur et à mesure les phases d’exploration que vous allez conduire. Pensez à mettre en avant les transitions permettant de suivre le fil de l’exposé. Après chaque analyse, tirez un bref bilan (déduction) avant de poursuivre votre exploration du texte.
  • Vos différentes remarques sur le texte doivent être fondées sur des références précises : quand vous citez le texte, n’oubliez pas de justifier toujours le lien entre l’affirmation que vous proposez et la citation retenue.
  • Enfin, rappelez-vous que l’examinateur note la manière dont vous serez capable de structurer et d’orienter vos remarques en fonction des conclusions partielles et de la conclusion générale à laquelle vous voulez aboutir : c’est le parcours analytique.

La conclusion de votre exposé

Proposez un bilan global synthétique permettant d’élargir le texte au parcours de lecture, à l’œuvre, au mouvement culturel, à un autre texte étudié, etc.

La question de grammaire

Comme le précisent les Instructions, « la question porte uniquement sur le texte : elle vise l’analyse syntaxique d’une courte phrase ou d’une partie de phrase ». Cette question peut reposer par exemple sur un exercice de manipulation d’un extrait (transformation, déplacement, changement de classe grammaticale, etc.).

Rappel : quelques points importants du programme de grammaire en Première :

Deuxième partie de l’oral : l’entretien (8 points)

Trois compétences sont essentielles :

  • Cherchez tout d’abord à mettre en avant votre aptitude à développer un propos, à étayer un point de vue, une idée. L’examinateur par exemple appréciera particulièrement qu’un·e candidat·e défende son point de vue sur une problématique de lecture, à la condition que ce point de vue soit fondé bien entendu et favorise l’expression d’une appréciation critique*, d’une émotion ou d’un jugement d’ordre esthétique.
  • Votre capacité à dialoguer avec l’examinateur est également essentielle : l’aisance dans la communication, l’utilisation pertinente des notes, la valorisation de votre culture générale sont évidemment des atouts. Je vous conseille d’être très attentif aux questions posées : certains candidats par exemple n’écoutent pas bien les questions, ce qui les conduit à répondre de façon erronée ou allusive.
  • Enfin, l’examinateur évaluera la qualité de votre expression orale : l’emploi d’un lexique précis, d’une langue correcte, et la connaissance du vocabulaire de l’analyse littéraire, constituent des critères importants de l’évaluation. Rappelez-vous aussi que la nervosité ne sert à rien : mieux vous aurez préparé l’épreuve, plus vous devriez être calme.

* Attention : « critique » n’a pas ici le sens d’un jugement négatif porté sur l’auteur ou le texte, mais bien plus d’une appréciation objective et vigilante.

L’organisation de votre présentation :

Un problème qui se pose souvent aux candidats tient à l’organisation de la présentation de l’oeuvre choisie.  N’oubliez pas que votre prestation doit être très brève (2 minutes à 3 minutes maximum) et ne constitue « qu’un point de départ pour les interactions qui le suivent et qui constituent l’essentiel de l’épreuve » (B. O. n° 17 du 25 avril 2019). Vous avL’organisation de votre présentationez donc intérêt à préparer soigneusement votre intervention car ce que vous direz va orienter l’entretien avec l’examinateur.

Dès que vous commencerez ce travail de préparation chez vous, je vous conseille de vous poser les questions suivantes : « Qu’est-ce que je veux prouver exactement ? », « D’où est-ce que je vais partir… Pour parvenir où ? » Veillez à structurer votre présentation en choisissant une idée directrice, c’est-à-dire le thème central à partir duquel vous organiserez votre démonstration. Évitez également de trop multiplier les questionnements, qui risquent de faire perdre de vue le principe d’organisation logique de votre exposé.

Concernant les citations, elles sont certes utiles, à la condition de les choisir à bon escient et de ne pas les multiplier, afin d’éviter la lourdeur encyclopédique. Veillez également à soigner particulièrement la conclusion puisqu’elle est le dernier élément que l’examinateur aura encore à l’esprit au moment de débuter l’échange.

  • Tout d’abord, soyez clair et structuré. Élaborez obligatoirement un plan pour que votre présentation soit logique et fluide le jour de l’examen. C’est d’autant plus important que votre présentation doit être très brève : 2 minutes 1/2 à 3 minutes maximum pour réaliser un exposé qui « impacte » : vous devez donc être organisé.
    • Le moyen le plus simple de faire une présentation bien construite est de mentionner clairement au brouillon chaque point que vous allez aborder au cours de votre exposé, et la façon dont vous allez l’aborder.
    • Structurez votre intervention du début jusqu’à la fin de celle-ci.

Votre prestation orale doit être scénarisée, c’est-à-dire qu’elle doit obéir à un scénario. Le scénario, c’est l’itinéraire suivi dans l’exposé. Donc sur votre brouillon pensez à noter les grandes étapes qui doivent conduire votre démonstration : vous devez avoir devant vous les grandes lignes de votre exposé, accompagnées si possible de repères temporels (minutage par exemple), de mots clés, de notions ou de données importantes. Mettez-les en évidence sur votre feuille afin de les visualiser immédiatement :

Par exemple : 1. Introduction (20 à 30 sec.), 2. Résumé (30 sec.), 3. Pourquoi ce livre ?(45 sec.) 4. Analyse personnelle : thèmes, style… (45 sec.), 5. Conclusion (20 sec.). Ce sont des exemples : à adapter selon votre convenance.

Quelques astuces pour éviter les trous de mémoire :

  • Avant l’oral, entraînez-vous à parler de l’œuvre, sans lire vos notes, afin de ne pas trop dépendre de votre feuille.
  • Soignez également votre diction : prenez le temps de bien articuler et de justifier vos idées de manière concise.
  • Enfin, le plus important : n’oubliez pas que votre opinion personnelle est fondamentale. Vous devez obligatoirement apporter un éclairage personnel sur ce que vous ressentez ou comprenez dans l’œuvre. Cette appropriation personnelle peut prendre plusieurs formes :
    • Réflexion critique : il ne faut surtout pas accepter passivement le contenu de l’œuvre, mais en discuter les implications, poser des questions voire même être en désaccord avec certains points.
    • Relation avec l’œuvre : vous devez montrer en quoi cette œuvre vous a touché ou comment elle résonne avec votre expérience personnelle, vos valeurs, etc.

CONSEIL Comprendre la notion d’appropriation personnelle de l’œuvre…
L’examinateur cherchera à apprécier la capacité du candidat à aller au-delà d’une simple restitution du contenu du livre. Vous devez être capable d’en proposer une interprétation personnelle, en montrant comment l’œuvre résonne en vous, que ce soit par rapport à vos expériences, à vos émotions ou à vos convictions. Une approche originale ou une réflexion qui ouvre sur des pistes nouvelles, même si elles ne sont pas celles communément attendues, témoigne d’une appropriation recevable du texte (surtout si le candidat sait montrer qu’il a une vision éclairée et nuancée de l’œuvre, sans se limiter à une lecture superficielle).

Quelques questions souvent posées à l’entretien…

Il ne s’agit bien entendu que de pistes. Le but étant qu’un véritable échange s’instaure avec l’examinateur. L’entretien en effet n’est pas un questionnaire de lecture mais bien plus un dialogue interactif et constructif permettant d’apprécier comment le candidat s’est approprié personnellement le texte et comment sa lecture prolonge les réflexions menées en classe sur l’œuvre intégrale et le parcours associé.

  • Pourquoi avoir choisi cette œuvre en particulier ? Quels sentiments a-t-elle provoqué en vous ?
  • Êtes-vous rentré·e facilement dans l’œuvre ou vous a-t-elle déstabilisé·e ?
  • Avez-vous lu cette œuvre rapidement, passionnément, difficilement ?
  • Vous êtes-vous renseigné·e sur le contexte littéraire/culturel/social dans lequel l’oeuvre a été publiée ?
  • Vous êtes-vous renseigné·e sur la vie de l’auteur ? Y a-t-il des aspects qui se retrouvent dans le récit ?
  • Quels thèmes principaux repérez-vous dans ce livre ?
  • Quel est pour vous le message du livre ? A-t-il changé votre vision du monde ?
  • Pourquoi l’auteur a-t-il donné ce tire ?  Si vous deviez donner un autre titre au livre, quel serait-il ?
  • Que pensez-vous de la fin de l’œuvre ? Auriez-vous envisagé un dénouement différent ?
  • Quelle idée soutenue par l’auteur vous a le plus marqué·e ?
  • Pourriez-vous dire que ce livre a influencé certains jugements que vous portez sur le monde ?
  • Ce livre vous a-t-il fait voir différemment le rôle de l’écrivain ?
  • Comment réagiriez-vous face à une personne qui n’a pas aimé le livre ?
  • Quels sont les personnages mis en scène dans le texte et quel rapport entretiennent-ils entre eux ?
  • Vous êtes-vous identifié·e au personnage principal ? ou à un autre personnage ?
  • Quel passage de l’œuvre vous a le plus marqué·e ? Pourquoi ?
  • Quelle citation avez-vous retenue vous paraissant bien illustrer ce livre ?
  • Pensez-vous que ce livre aurait pu intéresser les lecteurs d’une autre époque ?
  • Pourquoi l’auteur a-t-il préféré recourir à la fiction pour transmettre son message ?
  • Si vous deviez inventer la couverture du livre, que feriez-vous ?
  • Connaissez-vous un autre livre du même auteur que vous pourriez recommander ?

Pour l’entraînement…

Pensez à travailler dans 2 directions :

  1. Tout d’abord, entraînez-vous à 2 ou 3 par exemple. Interrogez-vous à tour de rôle dans les conditions de l’examen (20 à 25 minutes de préparation et le même temps d’entretien : 2 camarades interrogeant afin de varier l’axe des questions). 
  2. De plus, essayez d’élargir vos connaissances sur les courants littéraires et les contextes — historique ou culturel — afin de pouvoir enrichir vos analyses.
Adoptez la « positive » attitude ! La connaissance du cours ou de l’œuvre ne suffisent pas… Si vos connaissances sont évidemment essentielles, vous réussirez d’autant mieux cette épreuve que vous adopterez face à l’examinateur une attitude positive, si vous êtes convaincant (et convaincu !). Comment voulez-vous qu’on croie en vous si vous apparaissez penaud, peu sûr, vaincu d’avance ? Votre réussite dépend d’abord de votre motivation et de votre implication : ce sont vos réactions personnelles de lecteur, votre sensibilité face au texte, votre intérêt et votre motivation qui prouveront que vous possédez les aptitudes pour atteindre les objectifs fixés par l’épreuve. C’est un détail, mais il est essentiel : tenez-vous droit·e et ne soyez pas nonchalant·e, avachi·e sur la table ! Votre but, c’est de faire valoir votre culture et votre personnalité. N’importe quel examinateur (moi le premier !) serait agacé par l’attitude désinvolte ou relâchée d’un·e candidat·e.
_© Bruno Rigolt, février 2024.
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Bonne chance à toutes et à tous !
Donnez le meilleur de vous-même, et ne cédez jamais au découragement, qui est toujours une facilité ! Ayez également une bonne image de vous-même, quel que soit le résultat.

Copyright © 2020, 2025, Bruno Rigolt

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Dissertation littéraire

Sujet corrigé
Bruno Rigolt

Rappel du sujet : 

Émile Zola dans Le Roman expérimental (1880) affirme qu’une œuvre littéraire doit être « un procès-verbal, rien de plus : elle n’a que le mérite de l’observation exacte […] ». Ce jugement s’accorde-t-il avec votre lecture de Thérèse Desqueyroux et de L’Étranger ?


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[Introduction]
Elle se compose de trois étapes essentielles : l
’entrée en matière et l’annonce du sujet ; la définition d’une problématique ; l’annonce du plan.

_____En réaction aux écrivains romantiques de la première moitié du XIXe siècle, les romanciers réalistes et naturalistes ont en commun de « dire toute la vérité » selon l’expression bien connue de Maupassant. Fortement marqué par le développement des sciences, Zola définira même le roman selon une méthode indissociable d’une interprétation scientifique et déterministe de la société. C’est ainsi que dans le Roman expérimental, essai paru en 1880, il théorise la doctrine naturaliste en ces termes : « L’œuvre devient un procès-verbal, rien de plus ; elle n’a que le mérite de l’observation exacte […] ».

_____La sévérité d’un tel jugement prête cependant à discussion : le genre romanesque doit-il se borner à présenter un « reflet » de la société, à en être seulement le « miroir », ou doit-il nourrir d’autres ambitions ? Ces questionnements fondent la problématique de notre travail.

_____Si le roman, comme nous le concéderons d’abord, est fondé sur une méthode d’observation objective, nous verrons qu’il peut aussi recomposer le réel, notamment par la remise en question de la notion de personnage telle qu’elle a été élaborée auparavant. Il conviendra enfin de dépasser cette dialectique quelque peu réductrice pour envisager une définition plus profonde du genre romanesque : comme moteur de la conscience humaine, le roman ne permettrait-il pas plutôt, loin d’aliéner l’homme au réel, de l’ouvrir au contraire à un questionnement intérieur, questionnement avant tout philosophique et existentiel ? Nous étayerons notre démonstration par les deux œuvres au programme : Thérèse Desqueyroux de François Mauriac et l’Étranger d’Albert Camus.

*      *
*

[Développement]
Pour les sujets qui comportent une thèse à discuter, le plan sera évidemment dialectique (thèse validée/discutée/réajustée = certes/mais/en fait).

[Thèse]

_____En premier lieu, il convient de situer le genre romanesque dans le cadre des canons définis par le Naturalisme. Les termes employés par Zola confèrent en effet à l’écriture les caractères d’un « procès-verbal », d’une « observation exacte » de la réalité.

_____Les deux romans soumis à notre étude relèvent par plusieurs aspects de l’analyse naturaliste. Dans Thérèse Desqueyroux, nous retrouvons par exemple une méthode d’observation des personnages qui les enracine fortement dans un déterminisme social et héréditaire : argent, pouvoir, instinct de propriété les conditionnent au point qu’ils semblent ne pas pouvoir échapper à leur destin. Ainsi Thérèse rêve d’un avenir différent, mais elle ne parviendra jamais à le construire. Son crime est le rêve quelque peu bovaryste d’un ailleurs d’autant plus illusoire qu’elle est littéralement prisonnière du milieu et des circonstances sociales. Jeune bourgeoise provinciale, elle a fait un mariage de convenance : placée sous le signe de l’enfermement et de l’incommunicabilité, sa vie de couple met en relief la banalité de l’existence, dans ce qu’elle a de plus ordinaire et trivial. De même, nous avons l’impression que Camus dans L’Étranger, refusant tout artifice rhétorique, se plaît à détailler jusqu’aux limites extrêmes la condition subalterne et médiocre de Meursault, qui apparaît comme le contraire d’un héros. D’ailleurs, le meurtre de l’Arabe s’inscrit dans une forme de fatalité qui n’est pas sans rappeler, autant le naturalisme et son déterminisme, que le fatum de la tragédie antique. Ainsi Meursault voit-il constamment le destin lui échapper : le meurtre de même que la condamnation à mort semblent conditionnés par une existence dérisoire et absurde, vécue dans une passivité et une immédiateté dépourvues de profondeur. Cette existence banale est parfaitement rendue comme l’a souligné Roland Barthes, par l’écriture blanche du roman, dépouillée dans son lexique et sa syntaxe.

_____En outre, nous pouvons noter dans les deux œuvres un refus d’idéaliser le réel. De même que Zola n’économise dans ses romans aucun détail horrible, quitte à choquer par son souci d’être vrai les lecteurs et le « bon goût », Mauriac multiplie les remarques sur le conservatisme politique et social qui règne à Argelouse. Supprimant tout suspens dramatique, l’auteur a restitué le climat oppressant d’une classe sociale soucieuse avant tout de sa réputation. Cette trahison du spirituel est bien rendue par Bernard Desqueyroux : homme d’habitude et de principes, il organise sa vie selon un plan méthodique qui en dit long sur les préjugés de son milieu. De même, Balion, Balionte et Gardère, les domestiques, sont décrits sans concession dans toute leur petitesse et leur médiocrité humaine. Avec une ironie féroce, l’auteur dresse ainsi le « procès-verbal » de cette société du simulacre et de la dissimulation. Camus peint également sans idéalisation l’âpre réalité de la condition humaine : témoin le regard mécanique et froidement informatif que Meursault porte sur les pensionnaires de l’hospice de Marengo, sur la scène de l’enterrement ou le déroulement du crime. Ce parti pris de réalisme se retrouve dans le misérabilisme des situations : Salamano, le voisin de palier de Meursault, promenant son chien qu’il insulte souvent « le long de la rue de Lyon » selon un itinéraire qui n’a pas changé depuis huit ans. Nous pourrions évoquer aussi les accents pétainistes des discours de la Cour lors du procès ou les « cris de haine » de la foule préfigurant à la fin du roman l’exécution capitale. Dans ce monde obscur et lourd, c’est bien la morale des apparences sociales qui domine.

_____Cette observation de la vie réelle dans ce qu’elle a de plus trivial parfois confère aux deux romans un caractère réaliste assez marqué qui conduit à une vision pessimiste du monde : ainsi, la société condamne Thérèse et Meursault tous deux pour avoir refusé de « jouer le jeu » pour reprendre la célèbre formule camusienne dans la préface à l’édition américaine de L’Étranger : dans leur refus même, et malgré leur acte criminel, ils trouvent la dignité et une sorte de salut. Loin du simulacre du monde et de la tentation de chercher refuge et facilité dans le mensonge, le réalisme de leur crime oblige en effet à voir la réalité en face, à ne pas la dissimuler derrière le masque trompeur des apparences et de la médiocrité. Les auteurs examinent les personnes de la réalité, font l’étude des interactions entre l’individu et son milieu afin de montrer la vérité en face : il s’agit de la peinture de l’existence décrite de façon prosaïque, loin de toute transcendance divine ou morale. Meursault est bien un antihéros qui refuse « d’avoir une apparence ou un langage qui trahiraient son être », selon le commentaire de Camus lui-même. On trouve ainsi chez les deux romanciers une évocation très crue de la mort, qu’il s’agisse de l’incipit célèbre de L’Étranger ou des détails sordides de l’empoisonnement chez Mauriac : « Thérèse pourrait réciter la formule inscrite sur l’enveloppe et que l’homme déchiffre d’une voix coupante : Chloroforme : 30 grammes. Aconitine granules n° 20. Digitaline sol. : 20 grammes ». Comme nous le comprenons, le réalisme dont il est question ne doit pas être confondu avec de simples effets de réel : il s’agit plus fondamentalement de peindre un antihéros écrasé par les déterminismes aliénants et de mettre en évidence la loi inexorable des rapports de force et de l’agencement du monde.

[Déduction générale]
_____Ainsi que nous avons cherché à le montrer, les personnages de Thérèse et de Meursault n’assument pas de fonction irréalisante ou même idéalisante. Loin de nier le réel pour lui substituer l’imaginaire ou la quête transcendante, ils s’enracinent au contraire dans l’histoire et l’espace déterministe dans lequel ils vivent : leur drame est précisément de ne pouvoir s’échapper de ce destin imposé que par l’exil ou la mort.

*      *
*

[Transition]
_____Pour autant, on aurait tort de réduire Thérèse Desqueyroux et l’Étranger à deux romans « d’observation ». Si le projet scientifique de Zola est bien de peindre des êtres seulement « déterminés », c’est-à-dire définis et gouvernés par leur hérédité, leur milieu social et les circonstances qu’ils traversent, Mauriac et Camus dans leur négation de l’histoire comme absolu et dans leur refus des idéologies, donnent au contraire à leur personnage une épaisseur psychologique et humaine qui dépasse largement le cadre de la reproduction exacte de la vie.

*      *
*

[Antithèse]

_____L’œuvre littéraire, contrairement à ce qu’affirme Zola, n’a pas seulement pour but l’observation exacte : au contraire, la fiction peut chercher à contester une vision du monde donnée a priori. Loin de la neutralité du procès-verbal, « la création, comme l’écrit Camus dans L’Homme révolté, est exigence d’unité et refus du monde. Mais elle refuse le monde à cause de ce qui lui manque et au nom de ce que, parfois, il est ». Si le réel est donc nécessaire à l’art, la création propose un nouveau monde qui passe par une esthétique de la révolte ; révolte artistique et métaphysique contre l’absurdité et le non-sens.

_____Il convient de noter pour commencer combien l’écriture chez Mauriac et Camus est profondément déstabilisatrice : loin de viser à « l’observation », elle cherche plutôt la contestation du romanesque traditionnel : si Roland Barthes que nous évoquions précédemment voit dans l’écriture de l’Étranger un « style de l’absence », c’est que le je de la narration, en échappant précisément au narrateur lui-même, libère le récit de toute rationalité. D’où cette « parole du silence » chez Meursault, « transparente aux choses et opaque aux significations ». Comme l’a bien montré Jean-Paul Sartre, l’hermétisme des émotions conduit le lecteur au sentiment de l’absurde, par le fait même qu’elle le contraint à prendre ses distances avec l’histoire racontée. Ce qui est en effet surprenant dans ce roman tient au fait que, si la façon d’écrire pourrait faire penser parfois à un journal intime, l’absence de toute affectivité, de toute implication émotionnelle, remet en cause l’identification du lecteur au héros. De même, dans Thérèse Desqueyroux, le récit souvent lacunaire fait perdre au lecteur ses repères : la longue analepse sous forme de monologue intérieur qui domine dans la première partie du roman, loin de guider le lecteur vers la résolution d’un problème, le perd au contraire dans l’attente, la réflexion sur la mort et la culpabilité : la place du monologue intérieur ainsi que la technique de l’analepse sont donc bien loin des enquêtes de Zola, entièrement soumises à l’« expérimentation scientifique » : délaissant volontairement le réalisme objectif de l’affaire Henriette Canaby, Mauriac nous plonge davantage dans la subjectivité du personnage. Comme il le dira lui-même, « J’ai emprunté […] les circonstances matérielles de l’empoisonnement mais je n’ai pris qu’une silhouette ».

_____D’ailleurs, Il n’y a pas vraiment de schéma actantiel dans les deux romans : pas de quête suivie, pas d’objet, pas d’état final définitif, et nous pourrions appliquer à Thérèse ce que Camus dit à propos de Meursault : « le héros du livre est condamné parce qu’il ne joue pas le jeu. En ce sens, il est étranger à la société où il vit, il erre, en marge ». Dans leur exigence d’authenticité, Meursault ou Thérèse ne « jouent » pas la « comédie humaine » ou plutôt « l’inhumaine comédie » : ils ne luttent pas, ils ne se battent pas. Leur drame est donc de refuser le réel qui leur est proposé pour s’enfoncer plus encore dans la banalité transgressive de leur quotidien. Aucune individualité typisée chez ces personnages hors-norme : même leur crime semble dénué d’enjeu. Maurice Maucuer faisait à ce titre remarquer très justement : « On peut donc penser que ce refus d’insérer l’action romanesque dans le déroulement d’événements historiques précis, que ce parti pris d’annuler l’histoire […] traduisent sans doute la volonté de peindre, sans s’arrêter aux particularités d’une époque, une vérité humaine qui est de tous les temps » (Maurice Maucuer, Thérèse Desqueyroux, éd. Hatier, coll. Profil d’une œuvre, p. 28). Pareillement, Meursault ne semble pas avoir d’identité ou de fonction sociale clairement marquée : comme dans le poème de Baudelaire intitulé « L’étranger », l’aspect énigmatique et anticonformiste du personnage est rendu par ses réponses, plus déroutantes les unes que les autres, et qui lui confèrent une sorte d’hermétisme. Au statut de marginal dans le poème répond l’anonymat d’un petit employé algérois sans importance : c’est là le paradoxe de ces personnages « indéchiffrables » voués au silence et à l’incompréhension.

_____Ce refus d’ancrage référentiel est bien sûr irréductible au réalisme tel que le conçoit Émile Zola. Pour l’auteur de Germinal, le roman doit raconter la lutte du capital contre le travail. Ainsi, d’un point de vue narratif par exemple, les étapes du conflit entre les mineurs et le patronat rythment la progression du récit et font monter la tension dramatique. Dans nos deux romans au contraire, tout semble joué d’avance au point qu’il n’y a pas vraiment d’énigme. De même Thérèse et Meursault ne répondent pas à la caractérisation du personnage telle que l’envisagent les romanciers réalistes. Loin de donner à son héros une identité crédible et significative, Camus refuse par exemple le point de vue omniscient qui permettrait de dévoiler le passé de Meursault, de révéler ses pensées, en somme d’organiser un portrait détaillé. S’il assiste à l’enterrement de sa mère sans verser de larmes, s’il accepte avec indifférence la demande en mariage de Marie, s’il ne fait preuve d’aucun remords pendant les onze mois que dure l’instruction, c’est non parce qu’il est ce « monstre », ce criminel au « cœur endurci » que décrira le procureur lors du procès, mais parce qu’il refuse, dans une attitude de « défi », de se plier au « jeu » du monde. En ce sens, il est tout sauf le représentant d’une catégorie sociale. De même, il n’y a pas de type romanesque chez Thérèse au sens défini par Balzac : « Un type […] est un personnage qui résume en lui-même les traits caractéristiques de tous ceux qui lui ressemblent plus ou moins, il est le modèle du genre ». Point de « modèle » donc chez ces personnages hors-norme, irréductibles à toute caractérisation objective.

[Déduction générale]
_____Alors que le héros réaliste est confronté à une réalité impitoyable face à laquelle il doit déployer son énergie pour survivre ou s’élever, le personnage chez Mauriac et Camus est donc l’expression d’une crise existentielle et identitaire majeure au point qu’on pourrait parler de « mort du personnage » dans les deux romans. Devenue « opaque » sous le regard d’une conscience indéchiffrable, la conscience du personnage présente un aspect énigmatique, voire hermétique.

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[Transition]
_____Parvenus à ce stade de la réflexion, il convient de s’interroger : faut-il envisager le roman, et plus particulièrement le personnage, uniquement sous l’angle du projet réaliste ? Ne peut-on lire L’Étranger ou Thérèse Desqueyroux comme des romans de l’énigme de soi ? Tout l’intérêt de l’écriture fictionnelle à partir du vingtième siècle a été précisément de renouveler la fonction de l’écrivain : à l’enquête chère à Zola, nos deux romans privilégient davantage la quête : quête intérieure indissociable d’un profond questionnement existentiel.

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[Synthèse]

_____Si observation de la réalité il y a, chez Mauriac et Camus c’est une observation du moi le plus intime du personnage, c’est-à-dire l’expression d’un monde intérieur. Point de départ d’une réflexion sur le sens de la vie, le thème de la mort, omniprésent dans les deux œuvres, débouche sur une méditation philosophique essentielle : pourquoi vivre si c’est pour mourir, pourrait dire Camus ? De même, dans Thérèse Desqueyroux, le roman invite le lecteur, grâce au monologue intérieur, à une pratique de l’introspection.

_____De fait, il faut lire d’abord nos deux œuvres comme des romans humanistes qui renvoient à une souffrance de l’être. Romans humanistes mais aussi romans philosophiques : Camus disait justement qu’« un roman n’est jamais qu’une philosophie mise en images », et il est certain qu’en montrant des comportements dépourvus de signification, L’Étranger est révélateur d’une interrogation sur le sens de la vie, déjà esquissée dans Le Mythe de Sisyphe : « Dans cet univers indéchiffrable et limité, le destin de l’homme prend désormais son sens. Un peuple d’irrationnels s’est dressé et l’entoure jusqu’à sa fin dernière. Dans sa clairvoyance revenue et maintenant concertée, le sentiment de l’absurde s’éclaire et se précise. Je disais que le monde est absurde et j’allais trop vite. Ce monde en lui-même n’est pas raisonnable, c’est tout ce qu’on en peut dire. Mais ce qui est absurde, c’est la confrontation de cet irrationnel et de ce désir éperdu de clarté dont l’appel résonne au plus profond de l’homme ». Plus simplement Camus définira l’absurde comme le « divorce entre l’homme et sa vie ». C’est de cette « confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde » que naît le sentiment de l’absurde. Ainsi, l’Étranger comme Thérèse Desqueyroux d’ailleurs ne se réduit pas à un contenu narratif : il est d’abord un roman sur la quête d’authenticité. Le but en effet est de nous amener à trouver dans l’existence la nostalgie d’une vérité « profondément humaine » : l’homme peut tromper les autres mais il ne peut se tromper lui-même. Dans le Mythe de Sisyphe, Camus écrivait à ce titre : « La divine disponibilité du condamné à mort devant qui s’ouvrent les portes de la prison par une certaine petite aube, cet incroyable désintéressement à l’égard de tout, sauf de la flamme pure de la vie, la mort et l’absurde sont ici, on le sent bien, les principes de la seule liberté raisonnable : celle qu’un cœur humain peut éprouver et vivre ».

_____Ces propos, on le pressent, sont de la plus haute importance : prendre conscience de l’absurde pour Camus est presque une obligation morale ; c’est ainsi sauvegarder sa liberté en retrouvant le rapport d’unité à soi-même et au monde. De façon similaire, le crime de Thérèse est une mise en cause de la vie dans ce qu’elle a de plus trivial : vie médiocre, dépourvue de sens, qui aliène à soi-même. Romans de l’incommunicabilité, Thérèse Desqueyroux et l’Étranger sont aussi des romans du silence, du non-dit, de l’ellipse. Dans le monde du simulacre qu’ils cherchent à fuir, il n’y a de place que pour le mensonge, la dissimulation, l’hypocrisie sociale ; et sans doute comprenons-nous mieux la révolte de Meursault à la fin du roman lorsqu’il évoque sa mère : « personne n’avait le droit de pleurer sur elle ». Ce mot « personne » englobe les autres, mais aussi Meursault lui-même, qui se révèle alors celui qui a refusé de pleurer, comme les autres auraient voulu qu’il pleurât pour se conformer aux usages. La révolte de Meursault n’est donc pas une révolte politique au sens où l’entendait Zola : c’est davantage une révolte métaphysique contre les conventions sociales. Pareillement, le personnage de Thérèse ne se limite pas au portrait d’une criminelle. Loin de nous livrer le personnage une fois pour toutes, Mauriac par le truchement de la « remontée des souvenirs », nous présente au contraire un personnage complexe, contradictoire : par son refus de se soustraire à la vacuité du monde, il s’y confronte : le crime apparaît ainsi comme une révolte contre une société prisonnière des préséances et des simulacres odieux. Thérèse et Meursault doivent donc disparaître, seule manière pour l’homme de donner du sens à sa vie dans un monde neutre, un monde qui a cessé d’avoir un sens, où les valeurs sont détruites. La mort n’est plus vécue comme négation mais comme révolte de l’homme contre sa condition, en faisant face jusqu’au bout au nihilisme.

_____Ce refus d’élever le héros de roman au mythe est essentiel. Alors que dans Germinal par exemple, le réalisme de Zola débouche sur une grande fresque historique qui implique une simplification constante des personnages, nos deux romans présentent au contraire des êtres soumis au resserrement temporel et spatial qui est celui des tragédies. Cette atmosphère de huis-clos, en bousculant perpétuellement notre horizon d’attente, oblige à pénétrer l’univers subjectif du héros, et donc à pénétrer dans l’atelier de fabrication du roman : jusqu’à quel point le romancier est-il maître de ses personnages ? Que pense vraiment Meursault ? Est-il possible, quoi que nous fassions, de sonder les profondeurs de l’âme de Thérèse ? Tous deux nous amènent à réfléchir sur nous-même et à nous questionner : de même que Meursault à la fin du roman renonce à donner un sens illusoire à sa vie, Thérèse refuse d’expliquer rationnellement son geste. La complexité du roman ne repose-t-elle pas en grande partie sur la complexité intérieure du personnage ? Complexité bien plus grande encore que le personnage social. Comme l’écrira Mauriac dans Le Roman, « Il s’agit de laisser à nos héros l’illogisme, l’indétermination, la complexité des êtres vivants », donc « laisser aux personnages l’indétermination et le mystère de la vie ». Alors que le roman réaliste va de l’énigme à sa résolution, nos deux romans vont à l’opposé du geste à l’énigme. L’exploration du personnage débouche ainsi sur son propre mystère. En acceptant l’exécution finale, Meursault accepte d’être le bouc émissaire d’une société profondément absurde, déclarant un homme coupable pour la seule raison qu’on ne l’a pas vu pleurer à l’enterrement de sa mère.  Il devient ainsi véritablement libre en acceptant le jugement dernier comme une « grâce » qui préfigure obscurément l’espérance et le salut du monde. De même, l’épilogue de Thérèse Desqueyroux peut se lire selon un sens profondément spirituel. Incapable de fournir à Bernard un mobile précis pour justifier son crime, la jeune femme affirme : « Il se pourrait que ce fût pour voir dans vos yeux une inquiétude, une curiosité, du trouble enfin ». Le champ philosophique dans les deux œuvres est donc celui du déchiffrement : le roman transforme ainsi une interrogation sur le réel en questionnement existentiel.

[Déduction générale]
____Ambiguïté et complexité des personnages vont donc de pair chez Mauriac et Camus qui s’emploient à questionner nos préjugés de lecteur : entre attirance et recul, nous sommes contraints de rentrer dans la subjectivité des personnages, et d’envisager le roman sous l’angle de l’examen de conscience : derrière la figure sulfureuse d’une empoisonneuse ou d’un « barbare » sans remords « étranger » aux hommes mais ouvert « à la tendre indifférence du monde », il faut chercher une valeur symbolique qui est de nous pousser à trouver un sens existentiel à la vie : ainsi les deux romans peuvent s’interpréter comme une quête de conscience morale, symbolisée par « cette nuit chargée de signes et d’étoiles », sur laquelle s’achève L’Étranger.

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[Conclusion]
Elle se doit d’être brève et synthétique. Elle comporte en général deux étapes : le bilan ; l’ouverture (ou élargissement).

_____L’exploration du personnage est l’un des mystères sans cesse renouvelé de la complexité du roman. Si les propos d’Émile Zola, en faisant l’apologie de la réalité objective, limitent le travail de l’écrivain à l’observation sociale, il faut reconnaître que tout l’intérêt de L’Étranger et de Thérèse Desqueyroux est d’amener le lecteur, bien au-delà de l’histoire racontée qui nous conduirait de prime abord à condamner deux criminels, à un profond questionnement intérieur.

_____À la trivialité des récits, qui par plusieurs aspects rappelle les querelles et débats soulevés par le Naturalisme, les deux romans mettent donc en évidence une vision profondément contradictoire et complexe de l’être humain. Ainsi, le réel ne suffit point à l’homme pour trouver du sens. Le but du roman n’est-il pas justement de nous confronter à l’indicible ? En cela, il fait émerger un profond message humain, chargé de nous faire entrevoir le bonheur dans l’opacité du monde…

Bruno Rigolt
© mars 2018, Bruno Rigolt/Espace Pédagogique Contributif


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© Bruno Rigolt, mars 2018

Concours d’art oratoire… Méthodologie, techniques et entraînements…


Concours d’art oratoire

Bruno Rigolt

méthodologie,
techniques et entraînements
Techniques de persuasion et de rhétorique ; procédés de l’éloquence, etc.


 PLAN

Présentation
Le déroulement de l’épreuve
Les types de sujet
Le barème d’évaluation
16 exemples de sujets inédits
Les compétences requises pour le concours
Entraînement n°1 : exploiter la métaphore filée, les anaphores, les interrogations oratoires
Entraînement n°2 : faire sensation à l’oral : les techniques d’accroche
Choisir un angle d’attaque percutant
partir d’une anecdote à fort pouvoir de conviction ou d’émotion : le storytelling
adopter un angle d’attaque original, voire décalé
les questions rhétoriques et la fonction de contact
Souriez, parlez avec assurance et conviction, d’une voix bien placée…
Entraînement n°3 : faire sensation à l’oral : structurer les grandes étapes de votre démonstration
« scénarisez » votre intervention !
Complétez et organisez votre brouillon

Ne perdez pas de vue le sujet !
Exemple pratique : intégrer plusieurs techniques oratoires
Zoom sur les techniques utilisées
Entraînement n°4 : faire sensation à l’oral : conclure une prestation… Les techniques de chute
Planifiez votre conclusion et préparez-la soigneusement !

Présentation


C

comme chaque année, le Rotary Club de Montargis propose aux élèves de Seconde et Première du Lycée en Forêt de participer à un concours d’art oratoire qui a lieu traditionnellement au mois de mars. Si vous aimez prendre la parole, saisissez cette occasion unique de vous exprimer à l’oral face à un public (des professionnels et quelques enseignants du Lycée). 

Le déroulement de l’épreuve…

Le jour de l’épreuve, vous aurez le choix entre quatre sujets imposés. Après avoir pris connaissance des sujets, vous n’en retiendrez qu’un seul, que vous préparerez sur place (au CDI) en 30 minutes exactement.

Les sujets proposés portent sur des questions de culture générale :

  • Économie et Société,
  • Littérature et philosophie,
  • Sciences et techniques,
  • Et quelques sujets faisant davantage appel à vos capacités d’originalité.

Votre prestation doit durer 5 minutes au moins ! Le jury attend évidemment des exposés argumentés et réfléchis, ce qui n’empêche nullement l’improvisation : mettez-vous en scène, interpellez votre public un peu comme un acteur « qui fait son numéro » ! Pourquoi pas du Slam si vous en avez le talent. Rien n’est pire qu’un exposé lu de façon monocorde : surprenez le jury !

Le barème d’évaluation

  1. L’art oratoire et l’éloquence (10 points) ;
  2. La rhétorique : l’art du “discours”, la qualité de vos arguments et de vos exemples (10 points).
  1. L’art oratoire touche à l’art de bien parler. Un orateur persuasif est celui qui sait s’exprimer avec aisance et clarté, moduler le son de sa voix afin d’éviter la monotonie par exemple. La capacité d’émouvoir, de persuader par la parole sont donc essentielles. Au niveau de l’évaluation, la diction est fondamentale puisque vous devez persuader d’abord par la parole ! Ne négligez surtout pas le travail sur la langue : c’est ce qu’on appelle l’élocution, c’est-à-dire le choix du style. Par exemple, l’emploi de figures de rhétorique semble tout indiqué : métaphores, comparaisons, interpellation de votre auditoire grâce aux interrogations oratoires, aux apostrophes, etc.

  2. La rhétorique, c’est l’art du discours. Vous avez toutes et tous déjà travaillé sur l’écrit d’invention : cela va vous servir pour le concours ! L’invention, au sens étymologique (du latin inventio) est la capacité de savoir construire un projet, c’est-à-dire de convaincre en organisant votre propos. Vous serez donc noté sur la manière dont vous avez disposé vos idées, structuré votre parcours argumentatif. Pensez à utiliser les procédés propres au discours (choix des arguments, des exemples, des techniques de persuasion, techniques d’amplification, voire de dramatisation) en rapport avec le sujet.

Cliquez sur l’image pour l’agrandir…

Seize exemples de sujets entièrement inédits (dans l’esprit du Concours) :

  • Histoire et société :
    – Réussir sa vie, c’est être riche de…
    – Est-il possible de concilier le développement durable avec une société où tout semble éphémère ?
    – Pensez-vous qu’il faut réinventer un nouveau modèle social pour notre monde ?
    – C’est quoi, un “faiseur d’histoire(s)” ?

  • Littérature et Philosophie :
    – C’est quoi, être libre ?
    – Quel est l’avantage d’apprendre le Français dans le monde contemporain ?
    – La violence est-elle une force ou une faiblesse ?
    – Et si le plus beau voyage était un voyage immobile ?

  • Sciences et Techniques :
    – Les robots “humanoïdes” sont de plus en plus répandus dans le monde : faut-il en avoir peur ?
    – Comment se dérouleront les cours au Lycée en 2050 ?
    – Le progrès du moteur est-il le moteur du progrès?
    – La morale est-elle l’ennemie de l’Art ?

  • Sujets “inclassables” :
    – Pourquoi est-ce blanc plutôt que noir ?
    – C’est quoi un “po-aime” ?
    – Faites votre éloge.
    – Faire le tour du monde ou faire un tour ?

Les compétences requises pour le concours…

La prise de parole en public requiert plusieurs compétences. Voici quelques conseils pour affronter l’épreuve…

  1. Commencez d’abord à vous préparer “physiquement” à la prise de parole. Choisissez avec soin votre tenue ce jour-là : certes, ce n’est pas un défilé de mode, mais vous parlerez d’autant mieux que vous vous sentirez à l’aise dans vos vêtements (et vos baskets !). N’oubliez pas non plus que la principale difficulté… C’est vous : donc inutile de vous mettre trop la pression avant ! Partez gagnant(e) en vous disant que de toute façon vous n’avez strictement rien à perdre. Dès que vous rentrez, soyez souriant/e, pensez aussi à dire Bonjour ! Cela paraît évident mais parfois, avec le trac…

  2. Regardez votre public. N’oubliez pas non plus que même si une personne du jury ne semble pas faire attention à votre présence quand vous parlez, cela ne veut rien dire : elle donnera un avis sur votre prestation juste après votre départ. Donc regardez tout le monde (et pas seulement une seule personne parce qu’elle vous aura regardé(e) avec bienveillance ou parce que vous la connaissez (votre prof par exemple). Veillez également à vous tenir correctement : inutile de se raidir, mais il ne faut pas non plus être avachi !

  3. Improviser… Mais pas trop ! Bien sûr, le concours exige une certaine part d’improvisation, mais n’en faites pas trop non plus, car cela risquerait de vous entraîner sur un terrain parfois glissant, en particulier au niveau de la maîtrise du non-verbal (la gestuelle) : quand on improvise, on a tendance à “théâtraliser” un peu trop parfois : en libérant la parole, on libère trop ses gestes et on en arrive à “gesticuler”. Donc, gardez toujours une certaine distance en essayant d’articuler au mieux le geste et les registres de langue que vous allez employer (didactique, comique, lyrique, etc.)

  4. S’entraîner avec… une glace et un smartphone ! Voici un excellent exercice qui vous permettra de vérifier que vous maîtrisez votre voix et votre respiration lors de la prise de parole : chez vous, essayez en vous regardant obligatoirement devant une glace (une grande si possible : celle de la salle de bain ou de votre armoire fera l’affaire!) de parler HAUT et FORT. L’exercice d’entraînement que je vous propose consiste à lire un texte neutre (une définition de cours par exemple, comme ça vous ne perdez pas de temps) en regardant le moins possible votre support et en vous fixant le plus possible dans la glace. Relisez plusieurs fois votre texte en variant l’intonation (neutralité, colère, joie, rire, émotion, interpellation, etc.). Si possible, enregistrez-vous avec votre smartphone, un MP3, etc. et écoutez ce que ça donne afin de corriger les petits problèmes (placement de la voix par exemple). Prenez ensuite un sujet au hasard : accordez-vous 20 minutes de préparation et lancez-vous, sans lire vos notes (vous pouvez même vous entraîner dans les transports en commun pour la recherche des arguments) : essayez de trouver des idées créatives, originales, et faites si possible votre exposé devant d’autres personnes : des copains ou des copines, la famille, etc. afin de vous confronter à un public. Si vous êtes seul chez vous, mettez-vous devant une glace et parlez HAUT et FORT en vous obligeant à parler tout en vous regardant.

 

10 sujets d’entraînement…


Voici 10 sujets sur lesquels vous pouvez vous entraîner :

  1. Sur le fronton du Panthéon à Paris est inscrite la devise suivante : « Aux grands hommes la patrie reconnaissante ». Pensez-vous qu’au nom de la parité, il faudrait modifier cette devise ?
  2. Que pensez-vous de ce proverbe : « Qui aime bien châtie bien » ?
  3. Que vous inspirent ces propos d’Antoine de Saint-Exupéry : « La meilleure façon d’unir les hommes, c’est encore de les faire travailler ensemble ».
  4. Peut-on justifier la violence ?
  5. Qu’est-ce qu’un « grand homme » ?
  6. Que vous inspire cette citation de Shakespeare : « Rien n’est plus commun que le désir d’être remarquable » ?
  7. « Parlez-nous de vous »…
  8. Comment faire pour marquer son temps ?
  9. Selon vous, faudrait-il que les robots un jour aient des droits ?
  10. Si la poésie avait une couleur, quelle serait-elle ?
M

algré les apparences, vous verrez que les sujets proposés obéissent tous à des mêmes règles. Il est important tout d’abord de structurer votre exposé afin que le jury suive et comprenne votre démarche : montrez que vous savez où vous allez ! Quel que soit le sujet choisi, privilégiez d’abord un angle d’approche, c’est-à-dire une problématique qui va orienter votre démarche. Surtout ne rédigez pas : cela vous amènerait à lire (ce qui ne serait plus de l’oral, mais une lecture de texte) et donc à être éliminé/e.

Posez-vous des questions,
Faites preuve de curiosité intellectuelle !

Imaginez par exemple que vous avez choisi le sujet n°2 : Que pensez-vous de ce proverbe : « Qui aime bien châtie bien » ? Voici un sujet qui peut surprendre au départ, puisqu’il amène à considérer que c’est une preuve d’affection que d’être dur avec quelqu’un : « Je te punis comme il faut, donc je t’aime bien ». Ces deux pensées contradictoires (associer l’amour à une peine sévère) amènent à plusieurs interrogations : par exemple, faut-il éduquer en « châtiant » nécessairement ? N’est-ce pas l’expression d’une volonté de puissance que de prétendre aimer en disposant du sort d’autrui ? Ainsi, la peine de mort, qui est la punition la plus extrême, est-elle dans ces conditions le témoignage d’un amour suprême ? Mais on peut prendre le contre-pied de cet adage : « Qui aime bien ne châtie point ». Dans ces conditions, est-ce que cela signifie : « Qui aime bien, laisse faire » ? Ainsi, innocenter un « voyou » n’est-ce pas lui signifier du mépris et de l’indifférence ? Ne pas châtier, ce serait donc… mal aimer ? Par opposition, « bien châtier » serait faire preuve de courage, d’engagement, d’attention à l’égard de celui qu’on aime. Comme vous le voyez, posez-vous des questions, envisagez le sujet selon plusieurs angles, selon plusieurs points de vue.

Les ressources de l’art oratoire

Rappel : votre oral doit durer 5 minutes au moins ! Les prestations des candidats sont évaluées sur le style, l’élocution, l’expression française et la force de conviction de chacun. Vous devrez développer avant tout la communication : n’oubliez pas que vous allez être noté/e en premier lieu sur votre désir de communiquer. Cultivez votre leadership ! Pensez par exemple à adapter votre voix à la situation de communication ; pensez aussi à adapter votre registre de langue afin d’impliquer vos destinataires. Un orateur persuasif est celui qui sait s’exprimer avec aisance et clarté, moduler le son de sa voix afin d’éviter la monotonie par exemple : n’hésitez pas à jouer de plusieurs registres (langue populaire/familière/courante/soutenue), à trouver le « ton juste » (enjoué, ironique, oratoire, lyrique, etc.) : la capacité d’émouvoir, de persuader par la parole sont en effet essentielles.

Enfin, au niveau de l’évaluation, la diction est fondamentale puisque vous devez persuader d’abord par la parole :

  • Obligez-vous à faire à l’oral des PHRASES COMPLÈTES à partir de mots clés.
  • Même à l’oral, entraînez-vous à ponctuer correctement, en jouant sur l’intonation.
  • Attention enfin à la reprise trop fréquente de tournures (qui risquerait de rendre votre oral monotone ou pesant pour les auditeurs).

Les sujets proposés au concours vous amèneront également à convaincre, à persuader votre auditoire : sortez des banalités. Certes, il n’est pas question de choquer, de provoquer, mais de surprendre, et d’exploiter pleinement votre personnalité. Pensez enfin à adopter des outils linguistiques appropriés. Ne négligez surtout pas le travail sur la langue : c’est ce qu’on appelle l’élocution, c’est-à-dire le choix du style. Par exemple, l’emploi de figures de rhétorique semble tout indiqué : métaphores, comparaisons, interpellation de votre auditoire, gradations, interrogations oratoires, etc.

Entraînements à l’épreuve

① exploiter la métaphore filée, les anaphores, les interrogations oratoires

Aujourd’hui, je vous propose de vous entraîner sur trois procédés essentiels dans l’art oratoire :

  • Métaphore filée ;
  • Anaphores ;
  • Interrogations rhétoriques.

1. La métaphore filée

Prenons un sujet type : vous souhaitez par exemple plaider pour plus de justice sociale. Si vous êtes astucieux, vous allez exploiter la technique de la métaphore filée. Comme vous le savez, on entend par là une métaphore qui se prolonge, qui est développée à travers un même réseau lexical. Si vous avez du mal à trouver ou à formuler vos idées, la métaphore filée constitue une aide précieuse.

Imaginons un candidat qui n’a que peu d’arguments, par exemple « plus de justice sociale permettra d’améliorer les conditions de vie et le monde ». Malgré sa justesse, l’idée en elle-même est assez pauvre et banale du fait de son manque d’originalité. Néanmoins, vous allez voir comment une métaphore filée peut la transformer. Pensez par exemple au champ lexical de la construction : « rebâtir, construire, fondations, pierre, maison, édifice, murs… » etc.

Reprenons maintenant notre idée de départ en l’étayant grâce à une métaphore filée :

« Plus de justice sociale permettra d’améliorer les conditions de vie et le monde : il faut en effet que tous les murs qui séparent les hommes tombent : mur de l’indifférence, mur du racisme, mur de l’égoïsme. Le monde n’est pas seulement un ensemble de continents, c’est notre maison commune. En ce début de vingt-et-unième siècle, il est peut-être temps de rebâtir le monde pour plus de justice sociale, de construire une nouvelle société, plus humaine, plus fraternelle. Il nous appartient de poser les fondations d’un monde plus respectueux des valeurs communes. Un nouvel humanisme est nécessaire ! Alors que le vieil édifice s’écroule, des voix rappellent qu’il faut poser la première pierre de la fraternité ! »

2. Même exemple que précédemment mais avec des anaphores et des interrogations oratoires :

« Mesdames, Messieurs, voilà ce que je vous propose : il faut que tous les murs qui séparent les hommes tombent : mur de l’indifférence, mur de la misère, mur de l’égoïsme. Peut-on accepter de vivre ainsi ? Avons-nous été créés pour nous déchirer ? Pour nous haïr ? Plus de justice sociale ne permettrait-elle pas d’améliorer les conditions de vie et le monde ?

Mesdames, Messieurs, notre monde en effet n’est pas seulement un ensemble de continents, c’est notre maison commune. Devons-nous accepter de laisser mourir cette maison et d’en voir s’écrouler les fondations ? Devons-nous nous résoudre à partir en laissant les clés sur la porte ? Notre terre doit-elle être condamnée à devenir une maison abandonnée ? En ce début de vingt-et-unième siècle, il est peut-être temps de rebâtir le monde, de construire une nouvelle société, plus humaine, plus fraternelle.

Mesdames, Messieurs, il nous appartient de poser les fondations d’un monde plus respectueux des valeurs communes. Un nouvel humanisme est nécessaire ! Alors que le vieil édifice s’écroule, des voix rappellent qu’il faut poser la première pierre de la fraternité ! »


  • Pour vous entraîner : gardez si vous le souhaitez le sujet de départ et refaites l’exercice en respectant le même ordre : 1) métaphore filée, 2) métaphore filée + anaphores et interrogations oratoires) mais en utilisant le champ lexical du voyage ou du déplacement (route, partir, chemin, départ, etc.) : comme vous l’avez vu, c’est d’abord un travail de style et d’approfondissement qui est attendu de vous.

Faire sensation à l’oral : les techniques d’accroche

Ne négligez pas les premiers instants ! Étant donné la brièveté des prestations orales (moyenne des temps de parole 5 à 7 minutes environ), la première minute est en effet déterminante pour la réussite de votre intervention.

Voici aujourd’hui, quelques techniques pour travailler votre accroche et renforcer l’adhésion du jury à votre discours…


Technique 1 : choisir un angle d’attaque percutant


C

réez une réaction en rentant rapidement dans le vif du sujet. À la différence de l’écrit, évitez d’introduire par une accroche trop longue (type : du général au particulier), moins adaptée pour un oral bref. Au contraire, attaquez d’emblée en posant un point de vue particulier sur le sujet, donc en partant du concret pour aller vers l’abstrait (raisonnement inductif) et non de l’abstrait vers le concret (raisonnement déductif). Ce point de vue doit être suffisamment original pour séduire, interpeller, surprendre votre auditoire.

Imaginez le sujet suivant : « Progrès technique ou tradition ? »

La difficulté ici serait de partir d’un point de vue trop « académique », par exemple : « Nombreux sont les auteurs à s’être interrogés sur les conséquences du progrès technique. S’il présente d’indéniables avantages, ne risque-t-il pas en revanche d’introduire une déconnexion croissante avec les valeurs qui sous-tendent la tradition ? ». Rien de plus ennuyeux que cette entrée en matière !

Ce qui ne convient pas ici, c’est d’une part le point de vue adopté, (plan dialectique stéréotypé sans aucune originalité), et d’autre part l’impossibilité en 5 minutes de traiter correctement le sujet en raison d’une absence de problématique véritable, et d’une approche beaucoup trop vague, obligeant à rester dans les généralités. Pour mieux élaborer votre questionnement, privilégiez un angle d’attaque original :

Mesdames et Messieurs, Pardonnez-moi si j’ai un peu oublié le sujet, car pour tout vous dire, je suis parti très loin pendant ces 30 minutes de préparation, j’étais sur le chemin de l’Espérance, puis j’ai tourné à gauche, juste derrière les ruches, là où il y a le chemin de Sainte-Marie. Ah oui, c’est vrai… J’ai oublié de vous raconter… Pour tout vous dire, chaque été, je retourne à Sospel dans les Alpes maritimes. Si vous y allez un jour, laissez derrière vous la route départementale 2204, ou même la Départementale 2566, laissez les chiffres, les cahots de la route, les kilomètres avalés à toute vitesse… Ne regardez pas trop le tachymètre numérique multifonction, oubliez la clim, le laser, le GPS multidirectionnel, parce que vous savez… sur le chemin de la Condamine… ou même le chemin du Paradour ou le chemin du Sourcier… les multimètres multifonction… Et le GPS multidirectionnel sur les cailloux… De toute façon avec la vieille grange qui coupe le chemin vous n’irez pas très loin ! 

Et puis j’ai oublié de vous parler du vieux moulin et de Mathieu, le potier… Son idéologie à lui, c’est les cigales, c’est la terre, c’est la main qui façonne l’argile, le geste répété depuis des siècles pour fabriquer l’objet artisanal… Ce geste qui apprend à l’homme à posséder la matière, le savoir-faire patrimonial… Pensez donc : une vie à entretenir la tradition que lui avait apprise son père, que lui-même tenait de son père… et… je ne sais pas trop mais disons que ça dure depuis un certain temps… Pardonnez-moi je vous raconte tout ça et je crois que j’ai carrément oublié le sujet…

L’astuce ici est de donner l’impression de se détourner du sujet, alors qu’on le traite à fond ! Bien entendu, sur votre brouillon, vous faites en sorte de ne noter que quelques mots clés qui serviront de base à votre démonstration. En aucun cas, vous ne devez rédiger le texte (à part quelques expressions percutantes qui seront semi-rédigées : « Son idéologie à lui, c’est → cigales → terre → main… argile, geste répété… siècles… objet artisanal »).

  • D 2204
  • D 2566
  • chiffres, cahots de la route, kilomètres avalés à toute vitesse… tachymètre numérique multifonction, climatisation,
  • laser, GPS multidirectionnel
  • Chemin de l’espérance
  • Chemin de Sainte-Marie
  • Sospel, Alpes maritimes, Méditerranée, cailloux, vieille grange,
  • potier, cigales, argile, tradition, patrimoine

Vous allez même voir que l’accroche du général au particulier, qui ne convenait pas du tout précédemment, s’intègre désormais plus facilement du fait de l’angle d’attaque choisi qui permet à l’auditeur de mieux percevoir la problématique. Reprenons la fin de l’extrait en rajoutant l’accroche et en approfondissant un peu la démonstration :

Et puis j’ai oublié de vous parler du vieux moulin et de Mathieu, le potier… Son idéologie à lui, c’est les cigales, c’est la terre, c’est la main qui façonne l’argile, le geste répété depuis des siècles pour fabriquer l’objet artisanal… Ce geste qui apprend à l’homme à posséder la matière, le savoir-faire patrimonial… Alors oui, quand on me parle des avantages du progrès technique, moi j’ai envie de dire : « Certes le progrès est bénéfique, mais n’a-t-il pas introduit une déconnexion croissante avec les valeurs qui sous-tendent la tradition ? » Ces valeurs, ce sont les chemins de Sospel ou d’ailleurs… Car dans le monde, il y a encore plein de mains comme la main de Mathieu, ces mains qui façonnent encore au XXIe siècle des plats en terre et pas des GPS multidirectionnels, des « choses », des « marchandises », des « produits », des « trucs » en plastique et autres gadgets jetables.

Techniques utilisées :

  1. On élabore par quelques mots choisis un scénario imaginaire  en jouant sur les motivations inconscientes des auditeurs : le vieux moulin, Mathieu le potier, etc. 
  2. Pour impliquer le destinataire, on exploite les indices personnels : le « vous » donne au destinataire le sentiment d’être directement sollicité par l’émetteur.
  3. On associe presque sous forme d’oxymore deux termes en totale opposition : idéologie ≠ cigales. La notion d’idéologie dans l’inconscient collectif renvoie en effet à l’idée de système global (voire totalitaire) alors que les cigales évoquent au contraire la nature dans ce qu’elle a de plus poétique, d’infime, d’imperceptible : vos auditeurs peuvent ainsi se projeter très facilement grâce à cette composante imaginaire et affective.
  4. Cela permet d’amener l’idée de tradition et de transmission patrimoniale en centrant sur le petit détail (oublié par la société technicienne) de la main qui façonne l’argile.
  5. On peut alors poser le sujet sous forme plus abstraite à l’aide d’une tournure concessive : « certes… mais… »
  6. Puis on élargit du particulier au général (« les chemins de Sospel ou d’ailleurs. Car dans le monde… ») afin de donner à la réflexion une portée plus universelle.
  7. Pour finir, on reprend un exemple concret sous forme oppositive (la main de Mathieu ≠ choses, marchandises, produits, trucs) qui amène la problématique qui sera développée par la suite : la technique a déshumanisé l’homme.


Technique 2 : partir d’une anecdote à fort pouvoir de conviction ou d’émotion : le storytelling


« R

aconte-moi une histoire » Inspirez-vous de ce que les publicitaires appellent le storytelling, autrement dit le fait de raconter des récits « à fort pouvoir de séduction et de conviction » (Sébastien Durand, Le Storytelling : Réenchantez votre communication !, Paris Dunod 2011). Utilisé pour vanter un produit afin de nouer entre la marque et le consommateur un lien affectif privilégiant la communication émotionnelle, le Storytelling est d’une grande efficacité pour accrocher l’auditoire en s’adressant à ses émotions et à son ressenti : dans de nombreux cas, notamment à l’oral, cela permet d’aborder ensuite plus efficacement l’argumentaire. Dans l’exemple précédent, raconter à vos auditeurs ce qu’ils ont envie d’entendre permet de les faire adhérer très rapidement à votre univers : même si c’est un peu facile et convenu, il paraît évident que s’évader sur un petit chemin des Alpes maritimes à quelques kilomètres de la Méditerranée fera davantage rêver que si l’on évoque les sirènes du progrès technique. Car en fait, on touche les gens au cœur. N’hésitez pas, à la condition de le maîtriser, à user de quelques familiarités, car elles participent de la fonction de contact. Ainsi, dans l’exemple précédent, le mélange de deux registres (didactique-soutenu/anecdotique-familier) permet en effet d’accrocher davantage l’auditoire : 

Et puis j’ai oublié de vous parler du vieux moulin et de Mathieu, le potier… Son idéologie à lui, c’est les [au lieu de : « ce sont les »] cigales, c’est la terre, c’est la main qui façonne l’argile, le geste répété depuis des siècles pour fabriquer l’objet artisanalCe geste qui apprend à l’homme à posséder la matière, le savoir-faire patrimonial… Alors oui, quand on me parle des avantages du progrès technique, moi j’ai envie de dire : « Certes le progrès est bénéfique, mais n’a-t-il pas introduit une déconnexion croissante avec les valeurs qui sous-tendent la tradition ? »


Technique 3 : adoptez un angle d’attaque original, voire décalé


C

eci afin de permettre une mise en perspective inattendue avec le sujet. Le but est certes que vous répondiez au sujet, mais plus encore de vous arranger de telle manière que le sujet réponde à votre point de vue.

Imaginez par exemple le sujet suivant : « Faites votre éloge ».

Sujet difficile car il risque bien souvent d’amener le candidat à faire une sorte d’énumération de qualités, rapidement lassante. De plus, l’entrée en matière d’un tel sujet n’est pas évidente. Il y a intérêt ici à jouer sur l’interpellation du jury afin de le surprendre. Par exemple, jouer sur le détournement humoristique :

Mesdames et Messieurs, je voudrais vous poser une question : « Quand tout va mal, y a-t-il un avantage d’être optimiste ? » Parce que je vais vous parler de quelqu’un qui un jour a eu la bonne idée de faire son éloge devant un très éminent jury, c’était un certain… 28 février 2017. Je m’en souviens comme si c’était aujourd’hui : imaginez un garçon brillant, plein d’humour, avec de bons résultats scolaires… Un garçon enthousiaste à l’idée de participer à un concours d’art oratoire, alors que dans le même temps il avait cours de Maths… Ah oui un peu comme moi c’est vrai maintenant que vous me le dites… Je n’avais pas fait le rapprochement voyez-vous. Mais ne parlons pas de moi ! C’est bien Rimbaud qui disait « Je est un autre », non ?

Comme vous le voyez, le candidat joue ici à fond sur 4 éléments :

  • la stratégie de diversion : partir d’un autre sujet (« Quand tout va mal, y a-t-il un avantage d’être optimiste ? ») pour mieux éveiller la curiosité de l’auditoire.
  • l’humour, qui favorise la distance autocritique ;
  • l’interpellation du jury par le moyen de la prosopopée : figure de personnification consistant à faire parler une personne vivante ou morte présente ou absente, un être inanimé, en exprimant ce qu’elle serait supposée dire en des circonstances précises : « Ah oui un peu comme moi, c’est vrai maintenant que vous me le dites ».
  • Enfin, la citation très célèbre de Rimbaud (tirée de la « Lettre du voyant ») termine l’accroche par une judicieuse référence littéraire qui amène à questionner le sujet à partir d’un point de vue particulier qui joue sur le dédoublement d’énonciation.

Imaginons un autre sujet : « Faut-il avoir peur de la science ? »

Comme vous allez le voir, le candidat avance une thèse opposée au sens commun et amène à considérer le sujet selon un autre point de vue. N’hésitez pas à montrer votre personnalité !

« Faut-il avoir peur de la science ? » La question relative aux dangers de la science ne serait-elle donc qu’une question rhétorique ? Car pour le sens commun, la science est responsable de tout. Qui n’a pas en mémoire L’Étrange Cas du Dr. Jekyll et de Mr. Hyde de stevenson ? Qui n’a pas eu peur en songeant à la créature échappant à son inventeur : Frankenstein ? Ne nous dit-on pas tous les jours que « Big Brother  » contrôle en maître absolu nos communications électroniques ?

Oui… Les procès à l’encontre de la science ne manquent pas… Et pourtant, Mesdames et Messieurs, si vous me le permettez, j’aimerais reformuler le sujet : non pas « Faut-il avoir peur de la vérité scientifique ? », mais « Faut-il avoir peur de la vérité morale ? ». Non pas « Faut-il avoir peur du progrès ? », mais « Faut-il avoir peur de ne pas maîtriser le progrès ? ». Non pas « Faut-il avoir peur de la science ? », mais « Faut-il avoir peur de l’homme ? »

Techniques utilisées : 

Premier paragraphe :

  • partir d’une idée portée par le sens commun (« la science fait peur ») ;
  • Étayer rapidement la thèse réfutée sous une forme concessive à l’aide de quelques exemples célèbres qui sont presque des « évidences » (Mr. Hyde, Frankenstein, Big Brother…).

Deuxième paragraphe :

  • Réfuter le sens commun sous forme de structure oppositive (anaphore ternaire : « non pas… mais… »)
  • Privilégier une gradation partant du sens commun (la science fait peur) pour aller vers le sens philosophique (ce n’est pas la science mais l’homme qui fait peur). Ici, la gradation, la structure antithétique identique et le rythme ternaire permettent d’agir sur votre auditoire : n’oubliez pas que la notion d’argumentation suppose en effet l’action d’un énonciateur sur un auditoire, qui vise à modifier ses convictions et à gagner son adhésion.

Technique 4 : les questions rhétoriques et la fonction de contact


Les questions rhétoriques permettent une bonne entrée en matière. Jouez également sur la fonction de contact :

L

a fonction de contact ou “communication phatique” pour parler comme les linguistes joue un rôle essentiel dans le lien social. Elle n’a pas en soi de contenu informationnel : elle sert à maintenir la communication. Si je dis par exemple « hum hum » ou encore « hein ? », « alors », je ne communique pas réellement d’information. En revanche je maintiens avec mon auditoire un lien afin de renforcer mes propos. Certaines expressions comme « N’est-ce pas ? » font partie de ce qu’on appelle les « marqueurs communicationnels » : il ne s’agit certes pas d’en abuser mais leur emploi peut s’avérer très utile, notamment dans l’entrée en matière de votre oral, afin de mieux capter l’attention de vos auditeurs. N’oubliez pas non plus d’exploiter les questions rhétoriques (ou oratoires)

Prenons par exemple le sujet suivant : « dans nos sociétés de l’hyper-communication, a-t-on encore du temps pour la parole ? »

Imaginez cette entrée en matière (avec votre téléphone en main) :

Allooooo, allo allo, oui… Non… Ah oui… on peut dire ça comme ça… Oui mais… Mais non pas du tout… Mais non, tu ne me déranges pas… Mais là tu vois je suis au Lycée… et JE N’AI VRAIMENT PAS LE TEMPS, je…

– (vous vous adressez au jury) : Mesdames et Messieurs, excusez-moi, je suis à vous tout de suite, je suis en pleine communica…
– (avec votre pseudo-interlocuteur au téléphone) : mais évidemment… mmm mmm… (de plus en plus haut et fort) Mais c’est naturel, c’est tout naturel… Mais j’aurais fait la même chose… Mais oui… Quoique… Vu comme ça… Ah oui sous cet angle ça change tout… Mais là je ne peux vraiment pas… On se rappelle, c’est ça… Oui…  Mais évidemment… É-VI-DEM-MENT. C’est ça… À très vite… 
– (vous adressant au jury) : Oh ! Excusez-moi… Vous devez vous demander ce que je faisais… Oh pardon de nouveau, mais j’ai un SMS très important, je dois y répondre (vous tapotez sur quelques touches) Maintenant je me dis que… si ça se trouve… vous n’auriez pas répondu vous… Ah si ? Ah cool ! Vous me rassurez ! (vous tapotez encore quelques secondes sur les touches du téléphone).

– (Au jury) N’est-ce pas cool quand même ? On n’est pas bien là ? Quel plaisir d’hypercommuniquer quand même… Voilà un avantage qu’on n’avait pas avant… Avant les gens communiquaient simplement, banalement, ordinairement, lentement. Il fallait un temps inouï pour échanger de vive voix tandis que maintenant tout va hypervite.  La preuve : vous voyez le temps qu’on perd à se parler avec la parole. Je n’ai toujours pas pu évoquer le sujet important pour lequel je suis ici alors que j’ai déjà répondu à 2 SMS.  Maintenant, depuis le Web 2.0 tout va très vite, on hypercommunique, on échange sur des tas de trucs, ça permet de rester en contact ! Mais j’en viens à vous parler de ce qui nous occupe :  « Dans nos sociétés de l’hypercommunication… »

Comme vous le remarquez, le candidat n’a pas beaucoup d’arguments à développer. L’astuce consiste donc à faire un numéro d’acteur en renforçant le pathos, c’est-à-dire les émotions et en martelant le message-clé à l’aide de l’ironie et du décalage. Ce qui serait jugé beaucoup trop lourd à l’écrit devient au contraire un gage d’efficacité à l’oral.

Vous pouvez exploiter également les questions oratoires (ou rhétoriques) : bien posées, elles sont utiles pour faire adhérer les auditeurs à votre propos. Hâtez-vous d’y répondre vous-même afin de donner plus de rythme à votre prestation.

Un dernier mot sur ce qu’on appelle la prétérition, du latin praeteritio (« action de passer sous silence ») : il s’agit d’une figure de style consistant à parler de quelque chose après avoir annoncé qu’on n’allait pas en parler. On peut feindre l’hésitation, la réticence : « Je ne vous dirai pas que » : couplée à l’anaphore et à la prosopopée (voyez plus haut), la prétérition est un gage d’efficacité.

Imaginez par exemple le sujet suivant : « Faîtes-vous des rêves ? »

Techniques employées : Prétérition + anaphores + prosopopée + questions rhétoriques + gradation

Mesdames et Messieurs,

Ne me demandez surtout pas si je fais des rêves parce que je n’en fais pas du tout. Ne me demandez pas non plus de vous les raconter. Ne me demandez pas si j’aimerais en faire car pour tout vous dire, je n’en ai pas la moindre idée. Vous vous dites certainement : mais pourquoi diable quelqu’un qui ne fait pas de rêves a-t-il choisi pareil sujet ? Il y avait trois autres sujets pourtant tous passionnants [arrangez-vous pour en avoir mémorisé un ou deux].

Oh ! Je sais… Vous allez me dire que si j’ai choisi ce sujet, c’est que je rêvais de dire quelque chose de bien, quelque chose de beau, quelque chose de grand, avec des anaphores et de belles gradations ternaires. Alors là oui, vous vous rapprochez des moyens, mais il faut que je vous parle du but : pour tout vous dire, je ne fais pas de rêves parce que, comme un certain Martin Luther-King le 4 avril 1968  j’ai UN rêve, un rêve bien à moi : je fais le rêve de réinventer l’humain, rien que cela.

Nous connaissons tous ces mots restés célèbres : « Je rêve qu’un jour sur les collines rousses de Géorgie les fils d’anciens esclaves et ceux d’anciens propriétaires d’esclaves pourront s’asseoir ensemble à la table de la fraternité… » Nous connaissons tous ce texte parce que vous et moi, nous faisons chaque nuit, chaque jour, chaque heure, chaque minute, chaque instant le même rêve de nous asseoir « tous ensemble à la table de la fraternité »…

Mais ce qui était un rêve sous les Trente Glorieuses n’est-il pas devenu un cauchemar aujourd’hui ? Quel supplice me direz-vous de faire chaque fois le même rêve et de voir ce rêve à chaque fois non réalisé. N’est-ce pas absurde ? Moi aussi je rêvais d’un monde de fraternité, mais mon rêve est une fenêtre ouverte sur les délits de faciès et les discriminations. Moi aussi, j’ai rêvé d’un monde de parole mais mon rêve est une fenêtre ouverte sur le silence des hommes et le cri des enfants.

Alors oui je fais un rêve… Mais il est temps que ce rêve devienne réalité, parce que sinon ce rêve est un cauchemar, et parce qu’un rêve n’a de sens que s’il dépasse les méandres du sommeil, le simulacre du songe. Devant vous, Mesdames et Messieurs, je fais le rêve de la réalité, parce qu’il est temps, comme aurait dit Albert Camus, d’« imaginer Sisyphe heureux »…


Technique 5 : Souriez, parlez avec assurance et conviction, d’une voix bien placée…


P

ensez à augmenter ou au contraire à ralentir votre débit de parole. N’oubliez pas d’accompagner vos arguments par des gestes d’ouverture, qui vont jouer le rôle de métaphore visuelle en traduisant physiquement vos idées, votre personnalité, votre charisme. Comme il a été très bien dit, « l’expression orale, pour être percutante, doit mobiliser toute votre personne, c’est-à-dire pas seulement votre intellect, mais aussi votre regard, votre voix, votre intériorité, votre gestuelle, votre attitude physique » |source|. Pensez par exemple à décoller les coudes du corps afin de renforcer l’amplitude des gestes. Ne restez pas figé/e : soyez bien campé/e « dans vos baskets » (surtout ne vous dandinez pas pour vous donner une convenance !). Donnez-vous de la force de conviction : n’oubliez pas que la gestuelle participe de l’effet produit sur l’auditoire !

Lien utile : regardez cette page du Journal du Net : destinée à renforcer l’efficacité personnelle des managers à l’oral, elle comporte de nombreuses aides précieuses !


Pour finir… Quelques sujets dans l’esprit du concours afin de vous entraîner :

  • « On peut tromper tout le monde, mais on ne peut tromper la vérité. » Que vous inspire ce jugement de Maxime Gorki ?
  • Pour voyager, faut-il partir loin ?
  • Y a-t-il des leçons de l’Histoire ?
  • Faites l’éloge de la lenteur.
  • Le plus beau métier du monde…

Faire sensation à l’oral : structurer les grandes étapes de votre démonstration

Prérequis : avant d’aborder cet entraînement, il est préférable d’avoir pris connaissance :

Même à l’oral, vous devez veillez à structurer votre démonstration. Il faut que les auditeurs perçoivent clairement l’idée directrice (c’est-à-dire la thèse que vous allez soutenir), les arguments et les exemples utilisés. Voici aujourd’hui, quelques techniques pour vous aider à structurer les grandes étapes de votre démonstration…


« Quelle est la première qualité de l’orateur ? L’action, — La seconde ? L’action. — La troisième ? L’action. »

Démosthène (384 avant J.-C. − 322 avant J.-C.)

T

out d’abord je ne reviens pas sur les techniques d’accroche que nous avons abordées dans l’entraînement précédent : ne négligez surtout pas cette étape ! Au brouillon, demandez-vous d’abord quels sont les objectifs que vous voulez atteindre dans votre exposé, au risque d’avancer à l’aveuglette.

Vous ne devez pas vous contenter de répondre à la question posée, mais aller au-delà : il est donc très important lors de la phase préparatoire de « commencer par la fin » c’est-à-dire d’avoir une idée dès le début du « pourquoi » de votre prestation, c’est-à-dire dans quelle perspective vous allez parler.

Soyez enthousiaste ! Sinon vous n’arriverez pas à convaincre efficacement. Certains candidats donnent parfois l’impression de traiter le sujet sous la forme « Je-vais-répondre-à-la-question-qui-m’a-été-posée » ou « parce-qu’on-m’a-demandé-de-traiter-le-sujet ». Mais on ne vous a rien demandé du tout !  Vous êtes venu/e de votre plein gré et c’est vous qui avez choisi le sujet. Rappelez-vous ce jugement de Sénèque (4 avant J. C. − 65 après J. C.), un philosophe et brillant orateur latin : « Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles. »

Vous devez donc être convaincu/e que si vous avez choisi ce sujet c’est parce que vous avez quelque chose à dire et qu’il vous faut convaincre à l’aide d’un argumentaire efficace.


La règle d’or : « scénarisez » votre intervention !


P

our réaliser un exposé oral qui « impacte », vous devez être organisé/e. Le moyen le plus simple de faire une présentation bien construite est de mentionner clairement au brouillon chaque point que vous allez aborder au cours de votre exposé, et la façon dont vous allez l’aborder. Structurez votre intervention du début jusqu’à la fin de celle-ci. Votre prestation orale doit être scénarisée, c’est-à-dire qu’elle doit obéir à un scénario.

Le scénario, c’est l’itinéraire suivi dans l’exposé. Donc sur votre brouillon pensez à noter les grandes étapes qui doivent conduire votre démonstration : vous devez avoir devant vous les grandes lignes de votre exposé, accompagnées si possible de repères temporels (minutage par exemple), de mots clés, de notions ou de données importantes. Mettez-les en évidence sur votre feuille afin de les visualiser immédiatement : ainsi, vous éviterez les trous de mémoire qui sont particulièrement pénalisants à l’oral.

Sur une petite fiche synthétique, qui vous servira de fil conducteur, vous devez avoir devant vous les grandes lignes de votre exposé, accompagnées de repères temporels, de mots clés, de notions ou de données importantes…

Un peu comme le montage au cinéma, la question du découpage de l’exposé est en effet essentielle afin de bien mettre en œuvre votre raisonnement. Dans l’exemple ci-dessus, le candidat a scénarisé son exposé de telle sorte que les contenus importants (arguments :; anecdotes, exemples : ; citations :) sont clairement planifiés sur le papier : grâce à cette méthode, vos idées seront plus claires avant de vous lancer. 


Complétez et organisez votre brouillon


S

ur votre brouillon, pensez à utiliser des codes afin de lire le moins possible au moment de l’oral. Par exemple :

  • ⇏ : antithèse
  • ⇓ : transition
  • ⇛ : conclusion
  • ♡ : appel aux émotions en sollicitant la sympathie et l’imaginaire de l’auditoire
  • ♪ : intonation de la voix, expression gestuelle,
  • etc.

Bien entendu, choisissez vos codes « à vous » : l’essentiel est que vous parveniez à anticiper : n’oubliez pas qu’avec le trac souvent ou le manque d’entraînement, on en oublie certains éléments qui paraissaient pourtant très évidents lors de la préparation. Si par exemple, à côté de quelques mots clés, vous notez : « ♡ et ♪ », vous vous rappellerez quand vous serez devant le jury que vous devez toucher, mettre de l’émotion dans la voix, etc.

 Faites appel aux émotions et intégrez-les dans votre scénario !

Comme nous l’avons vu dans l’entraînement précédent, quand vous voulez convaincre, rappelez-vous qu’il est tout aussi efficace de faire appel aux émotions qu’à la logique : la communication dite « non verbale » est donc très importante car elle permet aussi aux auditeurs de s’identifier aux arguments de l’orateur. Par exemple, à la condition de bien les maîtriser, la gestuelle vous permettra de ressentir davantage vos arguments, et ainsi de mieux toucher votre public.

Une bonne argumentation repose en effet sur deux éléments majeurs :

  • le déroulement d’un raisonnement : l’expression d’un message oral suppose un projet argumentatif développé dans le cadre d’une démonstration ;
  • mais aussi la mise en œuvre de techniques de séduction au moyen du langage (expression émotionnelle) et de la gestuelle. Un discours brillant sur le papier peut s’avérer décevant à l’écoute parce que l’orateur aura trop accordé d’importance au fond, au détriment de la forme du message.

Nous avons abordé dans le premier entraînement certaines figures d’amplification comme l’anaphore, la gradation ou l’hyperbole. Si elles se révèlent utiles pour renforcer votre argumentaire, elles sont en outre nécessaires pour mettre en valeur la cohésion du discours. N’oubliez pas qu’à la différence de l’écrit, le jury ne verra pas la structure de votre travail (paragraphes, alinéas, etc.).

Les connecteurs logiques sont évidemment essentiels. De même, les procédés oratoires, les tonalités employées serviront à renforcer votre propos et à mieux mettre en évidence la structure de l’exposé. Ne négligez pas l’usage des exclamations, le rythme, les changements de registres :

  • didactique : quand vous voulez informer ou expliquer ;
  • lyrique ou pathétique : lorsque vous cherchez à toucher votre public ;
  • polémique si vous voulez prendre à témoin l’auditoire.

Les impacts de l’image corporelle sont très importants à l’oral ! Les émotions concourent à l’effet du discours sur votre auditoire : c’est la raison pour laquelle vous devez les planifier dans votre exposé. La pratique réfléchie des intonations, des gestes, des postures du corps est essentielle car elle permet non seulement de relancer l’intérêt de vos auditeurs, mais aussi de renforcer l’argumentaire. Pensez donc à planifier ces moments !


Ne perdez pas de vue le sujet !


J’

ai souvent vu des orateurs qui, à trop vouloir improviser, oubliaient complètement le sujet posé. C’est la raison pour laquelle je vous recommande de ne pas perdre de vue votre objectif. Ayez donc obligatoirement un fil conducteur afin d’organiser l’ordre des messages.

Une fois le plan scénarisé (voir plus haut), prévoyez aussi les moments de votre exposé où vous allez faire les transitions entre parties, et surtout rappeler le sujet posé (ce que vous avez dit et ce que vous allez dire) :  flèches verticales rouges dans l’exemple ci-dessus) : cela évite le risque de sortir du sujet.

Imaginez par exemple le sujet suivant : « Être scandaleux, c’est dire aujourd’hui ce que tout le monde dira dans dix ans ». Que vous inspire ce jugement de Wolinsky ?

Un tel sujet peut amener très vite au dérapage car il éveille de nombreuses problématiques de discussion : la liberté d’expression ; la réflexion sur la notion de scandale (Rimbaud par exemple a été jugé « scandaleux » : pour autant ce serait réduire Rimbaud que d’affirmer qu’il a été juste en avance sur son temps) ; la légitimité ou non du scandaleux ; la définition même du scandale (un scandale au sens étymologique du terme, est un écart à travers lequel le surnaturel émerge dans le quotidien) ; etc. Le risque ici serait de s’embarquer dans de trop nombreuses discussions. D’où l’intérêt de rappeler (flèches rouges ) le sujet posé afin de bien montrer au jury que s’il y a dérapage, c’est un dérapage maîtrisé.

N’oubliez pas enfin que « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement ». Si vous n’êtes pas sûr/e de vous, annoncez au fur et à mesure votre démarche argumentative afin que le jury perçoive bien vos objectifs : « J’ai choisi de vous parler de [sujet], pour deux raisons. En premier lieu… Par ailleurs… ». Cela vous évitera les « flottements », les hésitations et vous intéresserez davantage votre auditoire. 


Exemple pratique : intégrer plusieurs techniques oratoires


 

Partons du sujet suivant : « Faites l’éloge de la justice. »


« Bon appétit, Messieurs, ô ministres intègres » [citation], aurais-je pu dire comme Ruy Blas défiant ironiquement les Grands d’Espagne… Mais point d’ironie dans mon propos. Je recommence donc : Bonjour à vous Mesdames et Messieurs, ô jury intègre ». J’ai une question à vous poser : peut-on faire l’éloge de la justice ? Et d’abord, de quelle justice parle-t-on ici ? Qu’est-ce  qui est juste ? Qu’est-ce qui est légitime ? Ce qui est légal ? Ce qui est moral ? [interrogations à valeur polémique]

La guillotine, ce chef-d’œuvre du progrès humain pour certains est encore au XXIe siècle un idéal pour les nostalgiques de la haine [notez le registre ironique et polémique ainsi que les indices de jugement]… Dois-je vous rappeler ce que vous connaissez déjà et qu’on appelle dans tous les bons dictionnaires des évidences ? [interpellation du jury] Évidence de la peine de mort. Évidence de la justification de la torture. Évidence de la corruption, des pendaisons au nom de… [ici, le risque est que le jury puisse penser que le candidat s’égare, d’où l’intérêt de faire une relance].

Oui, tout cela… au nom de quoi ? « De la barbarie ? » Certes non. « De l’injustice ? » Pas davantage. Tout cela au nom de la justice ! [Notez les termes évaluatifs ainsi que l’exagération pour toucher l’auditoire. De même, le paradoxe, en s’opposant au sens commun (la justice a pour vocation d’être juste), a pour effet d’interpeller l’auditeur]

Cette justice-là Mesdames et Messieurs… Cette justice-là [anaphore], je n’en ferai pas l’éloge car la justice, la vraie justice est celle du cœur [le candidat pose sa thèse] : c’est de cette justice-là que j’ai choisi de vous parler. Il faut aimer pour bien juger, et non juger en prétendant aimer [ici le chiasme, qui croise des termes en opposition ou en parallèle permet de renforcer l’idée]. Faire l’éloge de la justice, c’est donc  faire l’éloge de la vérité du cœur.

[Changement de ton, modification de la situation d’énonciation afin d’éveiller la curiosité de l’auditoire]

Il n’avait que sept ans… Sept ans et demi, Mesdames et Messieurs… C’était le 4 décembre 1851, lors du coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte. Sept ans et demi… Il s’appelait Boursier je crois, tué lors d’une fusillade rue Tiquetonne, à Paris, près du faubourg Montmartre… Et Victor Hugo dans un poème célèbre a fait l’éloge de la vérité du cœur ; il a fait l’éloge de la justice. [lien avec le sujet : passage d’un exemple illustratif à l’argumentatif]

Ce « Souvenir de la nuit du Quatre » m’est resté à ce jour en mémoire. Et moi aussi, en ce 28 février, j’ai envie de faire l’éloge de la vraie justice, de cette justice du cœur que j’évoquais à l’instant [Rappel du sujet] Utopie dira-t-on ? Mais ne trouvez-vous pas que le monde serait plus beau à vivre si l’amour avait davantage de place que la mort ? Si les crayons avaient davantage de place que la haine ? [Questions rhétoriques] J’ai envie de dire : « Aime et non pas Haine ». C’est de cette justice-là, Mesdames et Messieurs, que je veux faire l’éloge devant vous [rappel du sujet].

 ZOOM sur les techniques utilisées…

  • Accroche par citation : bien utilisée, la citation lors de l’entrée en matière est tout à fait judicieuse : dans notre cas de figure, elle joue sur l’interpellation (« Bon appétit, Messieurs » ainsi que le jugement de valeur (« ô ministres intègres »). Employé ironiquement chez Hugo pour railler la prétendue probité des Grands d’Espagne, le terme pose d’emblée la question de la justice et surtout de sa définition (la force n’est pas le droit).
  • Interpellation + questions : « J’ai une question à vous poser » : jugée notamment à l’écrit quelque peu familière, l’interpellation, à la condition de ne pas en abuser à l’oral, permet de toucher l’auditoire. Par son aspect assez polémique ici, elle participe à un style fondé sur l’amplification. L’énumération de questions qui vient ensuite permet d’amener le sujet qui sera débattu : faire l’éloge de la justice, certes… Mais « de quelle justice parle-t-on ? »
  • Dans le deuxième paragraphe, l’exemple de la guillotine, allusion directe aux exécutions publiques légitimées par le Droit révolutionnaire au XVIIIe siècle ainsi que la formule ironique (« Ce chef d’œuvre du progrès humain ») joue sur l’évaluation émotionnelle et débouche sur une série d’exemples à valeur argumentative corroborant la thèse réfutée : si la justice n’est pas moralement juste, elle est illégitime.
  • Troisième et quatrième paragraphes : ils mettent en opposition la thèse réfutée et la thèse qui sera soutenue : « la vraie justice est celle du cœur ». (= la vraie justice ne consiste pas à appliquer la loi parce qu’elle est légale mais parce qu’elle est morale et c’est de cette morale du cœur qu’elle doit tirer sa légitimité).
  • Le cinquième paragraphe (« Il n’avait que sept ans et demi…») exploite une technique qui, bien maîtrisée, peut s’avérer tout à fait concluante : la mise en scène de l’événement. Normalement, un énoncé de récit s’insère difficilement dans des textes où domine le système du discours, du fait de la rupture avec la situation d’énonciation qu’il entraîne : ici, en troublant momentanément les repères temporels, de même que par sa force émotionnelle et persuasive, l’anecdote dramatique qui est racontée à l’imparfait opère une sorte de décentrage obligeant les auditeurs à chercher la raison de cette rupture temporelle. Le retour au système du discours par l’emploi anaphorique du passé composé (« Et Victor Hugo dans un poème célèbre a fait l’éloge de la vérité du cœur ; il a fait l’éloge de la justice. ») permet de réaffirmer la thèse soutenue (« la vraie justice est celle du cœur »). Ce rappel est essentiel : dans le cas contraire, on pourrait croire que le candidat s’égare, et qu’il oublie le sujet. À l’inverse, rappeler le sujet en exploitant un témoignage bouleversant ainsi qu’un argument d’autorité (la référence à Hugo fonctionne comme garant de la justesse des propos) permet de justifier les grandes étapes du raisonnement et montrer vers quoi il vous a conduit.
  • Le dernier paragraphe, sur un ton plus didactique et solennel (« Ce ‘Souvenir de la nuit du Quatre’ m’est resté à ce jour en mémoire ») permet de préciser la problématique par une série d’antithèses posées sous forme de questions rhétoriques (« Mais ne trouvez-vous pas que… » amenant les auditeurs à reconnaître la justesse de vos idées. N’hésitez pas à les exploiter : elles permettent de toucher l’auditoire et d’influencer son opinion. Enfin, les sonorités quasi homophones des consonnes « m » et « n » (« J’ai envie de dire : ‘Aime et non pas Haine’ ») participe d’une stratégie de persuasion : les sonorités ont donc ici une teneur argumentative susceptible de mettre l’auditoire dans une disposition émotionnelle favorable à la thèse défendue.

 

Faire sensation à l’oral : conclure une prestation… Les techniques de chute

« On

a oublié de sortir le train d’atterrissage ? » Même si l’exposé s’est bien déroulé, il est toujours délicat de conclure, et bien souvent le plus dur, après qu’on a multiplié dans les airs les figures de voltige oratoire et autres acrobaties rhétoriques, c’est d’atterrir ! De fait, la « chute » (c’est le cas de le dire !), si elle est mal maîtrisée, risque de s’avérer périlleuse. Voici aujourd’hui, quelques techniques pour vous aider à élaborer une conclusion percutante…

« […] la syntaxe de l’improvisation n’est pas celle de l’écriture.  »

André Malraux, préface aux Oraisons funèbres, 1971

« Dans un souci d’efficacité, mettons-nous à la place du destinataire. Qu’attend-il de la fin d’une réflexion ?  D’une part une réponse claire à la problématique posée par l’introduction et d’autre part une esquisse de réflexion sur la mise en œuvre de cette réponse.  »

Bernard Meyer,  Les Pratiques de communication : de l’enseignement supérieur à la vie professionnelle
Armand Colin, « Cursus », 2e édition, Paris 2007, page 174.

Mirabeau (Le Bignon, 1749 – Paris, 1791)
« L’Orateur » (gravure dessinée par H. Baron, et gravée sur acier par Léopold Massard, 1843)
In : Augustin Challamel, Wilhelm Ténin, Les Français sous la Révolution. Quarante scènes et types. Paris, 1843.


Planifiez votre conclusion et préparez-la soigneusement !


Au

même titre que l’accroche (voir entraînement n°2), la conclusion de votre prestation revêt un rôle fondamental et pourtant peu de candidats lui accordent l’importance qu’elle mérite : comme nous l’avons vu, vous devez la préparer soigneusement et la planifier dès l’introduction. Ainsi qu’il a été très justement dit, « commencez […] par la fin, la conclusion, puisque c’est elle qui synthétise l’essentiel de ce que vous voulez démontrer. Votre conclusion, c’est précisément l’idée-force, déjà identifiée, et qui vous a donné le cap […]. Si vous avez eu de la difficulté à formuler cette idée-force, le fait de commencer par la conclusion vous aidera à la mettre en évidence » |Thierry Destrez, Demain, je parle en public, 4e édition, Paris Dunod 2007, page 28|.

Étant donné la brièveté des prestations orales (6 à 7 minutes en moyenne), la conclusion se réduit parfois à d’inévitables redites, surtout si elle est mal préparée.

Or la conclusion joue un rôle majeur :

  • Elle constitue tout d’abord un bilan synthétique vous permettant de montrer que vous avez répondu au sujet (on parle aussi de conclusion fermée).
  • Pensez à bien recentrer sur l’idée principale en valorisant l’argument essentiel que l’auditoire doit mémoriser, au risque de vous éparpiller dans d’interminables considérations (souvent creuses) qui laisseraient le jury sur une impression de redite.
  • Par ailleurs, la conclusion doit ouvrir une perspective : on parle à ce titre de conclusion ouverte. Un élargissement bien maîtrisé doit entraîner l’adhésion de vos auditeurs.

N’oubliez pas un point important que nous avons rappelé dans cette série d’entraînements : la nécessité de différencier l’oral d’une production écrite. Certes, comme à l’écrit, votre conclusion doit contenir un bilan du développement et ouvrir des perspectives. Mais plus encore qu’à l’écrit, impliquez-vous en valorisant des données concrètes ! Plutôt que de conclure sur de l’abstrait, plus délicat parfois à maîtriser, vous pouvez terminer par un exemple à valeur argumentative, ou une anecdote qui synthétise l’essentiel de votre démonstration et en montre la cohérence.

Faites également confiance à votre talent d’orateur : certes, je vous conseille de ne pas trop improviser sur le fond, c’est-à-dire le contenu, le message lui-même qui se doit dans la mesure du possible d’être envisagé (au moins sous forme de plan détaillé) à l’avance. Il est plus facile en revanche d’improviser sur la forme, c’est-à-dire le style qui sous-tend le message, et qui, avec un peu de pratique, vient assez spontanément. Comme l’a dit l’écrivain André Malraux, « […] la syntaxe de l’improvisation n’est pas celle de l’écriture ». L’orateur qui écrit son texte ne l’achève que quand il le prononce, « et il le modifie en parlant » |propos cités par Marie Gérard-Geffray, « Malraux orateur : de l’action présente à la quête de l’intemporel ». In : Colloque Les Mondes de Malraux, 15-16 octobre 2010, Institut catholique de Paris, page 6|

Conclusion fermée ? Conclusion ouverte ? Attention aux pièges des conclusions trop « ouvertes » ne débouchant finalement sur pas grand chose ! Si une conclusion ouverte, qui se termine par exemple par une question indirecte ouvrant sur un thème lié ou une nouvelle perspective, est évidemment une bonne chose, vous devez éviter le piège d’ouvrir sur de l’évasif qui ferait perdre à votre présentation son unité organique et structurelle. Restez concis et trouvez un élargissement qui apparaît comme une conséquence nécessaire de votre démonstration.

Astuce : si vous n’avez pas d’idée, arrangez-vous pour ne pas terminer sur une platitude, des banalités, au risque de laisser le jury sur une impression mitigée. Une technique utilisée parfois consiste à reprendre un élément de l’accroche ou du début de la démonstration, en le réinvestissant de telle sorte que vous entraînerez l’adhésion, l’envie de vous suivre dans votre démonstration. Comme le rappelle encore Thierry Destrez (op. cit. page 49) : « Sachez faire une conclusion incitative […], trouvez un raccourci saisissant, une formule « choc » qui synthétise le cœur du message : c’est ainsi que vous frapperez l’intérêt et la mémoire […]. La conclusion est votre temps fort : elle n’est pas la fin, mais le point culminant de votre présentation ».

À moins de bien maîtriser les techniques, évitez d’utiliser pour la conclusion des figures d’insistance trop marquées (gradations, etc.) : surtout lorsque la prestation est brève, elles donnent un effet assez théâtralisé et manquent de naturel. Attention aussi aux conclusions sous forme de citations toutes faites, plaquées artificiellement sur le sujet.

En revanche, si votre citation vous paraît bien choisie, cela peut être une bonne idée. Mon conseil : ne terminez pas sur la citation mais arrangez-vous pour glisser après la citation quelques mots qui vous permettront de valoriser votre point de vue (et non celui de l’auteur). 

Imaginez par exemple que vous vouliez terminer sur cette célèbre citation de Montaigne : « Un honnête homme, c’est un homme mêlé » (Chapitre 9 du troisième livre des Essais).

  • Regardez la première conclusion : « Tout voyage nous amène à connaître l’autre, à nous ouvrir aux différences. Ainsi, comme l’a si bien dit Montaigne, « Un honnête homme, c’est un homme mêlé ».
    Ce qui est maladroit dans cette conclusion, c’est que le candidat ne valorise pas suffisamment sa pensée. De plus, les marques de l’énonciation sont effacées, ce qui fait qu’on en oublie plus ou moins la pensée de l’orateur pour ne retenir que la phrase de Montaigne.
  • Regardez maintenant la seconde conclusion : « Tout voyage nous amène à connaître l’autre, à nous ouvrir aux différences. Ainsi, comme l’a si bien dit Montaigne, « Un honnête homme, c’est un homme mêlé ». Et je crois qu’en effet il faut célébrer la diversité culturelle pour mieux promouvoir les identités, nous mêler à l’extraordinaire richesse du monde pour en célébrer les particularités. Tant il est vrai que diversité n’a jamais voulu dire uniformité. Voilà le sens du voyage et, Mesdames et Messieurs, je vous pose une question : le plus beau voyage n’est-il pas une rencontre ? Rencontre avec autrui, rencontre avec vous-mêmes, rencontre avec soi-même… ».
    Comme vous le voyez à travers cet exemple, le candidat choisit de réinvestir la citation de Montaigne en lui donnant une autre orientation. Cette technique permet au jury de retenir davantage la problématique interculturelle posée par le candidat à partir de la citation de Montaigne.

Certains candidat/es se demandent comment prendre congé… Terminez par quelques mots de remerciement brefs (« Mesdames et Messieurs, merci de m’avoir écouté ») : inutile de faire long !

Bruno Rigolt
© février 2018, Bruno Rigolt/Espace Pédagogique Contributif


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Bientôt le concours d'art oratoire 2018… Méthodologie, techniques et entraînements…


Concours d’art oratoire

Bruno Rigolt

méthodologie,
techniques et entraînements
Techniques de persuasion et de rhétorique ; procédés de l’éloquence, etc.


 PLAN


Présentation
Le déroulement de l’épreuve
Les types de sujet
Le barème d’évaluation
16 exemples de sujets inédits
Les compétences requises pour le concours
1.
Entraînement n°1 : exploiter la métaphore filée, les anaphores, les interrogations oratoires
2.
2-1
2-2
2-3
2-4
2-5
Entraînement n°2 : faire sensation à l’oral : les techniques d’accroche
Choisir un angle d’attaque percutant
partir d’une anecdote à fort pouvoir de conviction ou d’émotion : le storytelling
adopter un angle d’attaque original, voire décalé
les questions rhétoriques et la fonction de contact
Souriez, parlez avec assurance et conviction, d’une voix bien placée…
3.
3-1
3-2
3-2
3-3
3-4
Entraînement n°3 : faire sensation à l’oral : structurer les grandes étapes de votre démonstration
« scénarisez » votre intervention !
Complétez et organisez votre brouillon

Ne perdez pas de vue le sujet !
Exemple pratique : intégrer plusieurs techniques oratoires
Zoom sur les techniques utilisées
4.

4-1
Entraînement n°4 : faire sensation à l’oral : conclure une prestation… Les techniques de chute
Planifiez votre conclusion et préparez-la soigneusement !

Présentation

C

comme chaque année, le Rotary Club de Montargis propose aux élèves de Seconde et Première du Lycée en Forêt de participer à un concours d’art oratoire qui aura lieu le mercredi 21 mars 2018 et le jeudi 22 mars 2018. Si vous aimez prendre la parole, saisissez cette occasion unique de vous exprimer à l’oral face à un public (des professionnels et quelques enseignants du Lycée). 

Le déroulement de l’épreuve…

Le jour de l’épreuve, vous aurez le choix entre quatre sujets imposés. Après avoir pris connaissance des sujets, vous n’en retiendrez qu’un seul, que vous préparerez sur place (au CDI) en 30 minutes exactement.

Les sujets proposés portent sur des questions de culture générale :

  • Économie et Société,
  • Littérature et philosophie,
  • Sciences et techniques,
  • Et quelques sujets faisant davantage appel à vos capacités d’originalité.

Votre prestation doit durer 5 minutes au moins ! Le jury attend évidemment des exposés argumentés et réfléchis, ce qui n’empêche nullement l’improvisation : mettez-vous en scène, interpellez votre public un peu comme un acteur « qui fait son numéro » ! Pourquoi pas du Slam si vous en avez le talent. Rien n’est pire qu’un exposé lu de façon monocorde : surprenez le jury !

Le barème d’évaluation
  1. L’art oratoire et l’éloquence (10 points) ;
  2. La rhétorique : l’art du “discours”, la qualité de vos arguments et de vos exemples (10 points).
  1. L’art oratoire touche à l’art de bien parler. Un orateur persuasif est celui qui sait s’exprimer avec aisance et clarté, moduler le son de sa voix afin d’éviter la monotonie par exemple. La capacité d’émouvoir, de persuader par la parole sont donc essentielles. Au niveau de l’évaluation, la diction est fondamentale puisque vous devez persuader d’abord par la parole ! Ne négligez surtout pas le travail sur la langue : c’est ce qu’on appelle l’élocution, c’est-à-dire le choix du style. Par exemple, l’emploi de figures de rhétorique semble tout indiqué : métaphores, comparaisons, interpellation de votre auditoire grâce aux interrogations oratoires, aux apostrophes, etc.

  2. La rhétorique, c’est l’art du discours. Vous avez toutes et tous déjà travaillé sur l’écrit d’invention : cela va vous servir pour le concours ! L’invention, au sens étymologique (du latin inventio) est la capacité de savoir construire un projet, c’est-à-dire de convaincre en organisant votre propos. Vous serez donc noté sur la manière dont vous avez disposé vos idées, structuré votre parcours argumentatif. Pensez à utiliser les procédés propres au discours (choix des arguments, des exemples, des techniques de persuasion, techniques d’amplification, voire de dramatisation) en rapport avec le sujet.

Cliquez sur l’image pour l’agrandir…
Seize exemples de sujets entièrement inédits (dans l’esprit du Concours) :
  • Histoire et société :
    – Réussir sa vie, c’est être riche de…
    – Est-il possible de concilier le développement durable avec une société où tout semble éphémère ?
    – Pensez-vous qu’il faut réinventer un nouveau modèle social pour notre monde ?
    – C’est quoi, un “faiseur d’histoire(s)” ?

  • Littérature et Philosophie :
    – C’est quoi, être libre ?
    – Quel est l’avantage d’apprendre le Français dans le monde contemporain ?
    – La violence est-elle une force ou une faiblesse ?
    – Et si le plus beau voyage était un voyage immobile ?

  • Sciences et Techniques :
    – Les robots “humanoïdes” sont de plus en plus répandus dans le monde : faut-il en avoir peur ?
    – Comment se dérouleront les cours au Lycée en 2050 ?
    – Le progrès du moteur est-il le moteur du progrès?
    – La morale est-elle l’ennemie de l’Art ?

  • Sujets “inclassables” :
    – Pourquoi est-ce blanc plutôt que noir ?
    – C’est quoi un “po-aime” ?
    – Faites votre éloge.
    – Faire le tour du monde ou faire un tour ?

Les compétences requises pour le concours…

La prise de parole en public requiert plusieurs compétences. Voici quelques conseils pour affronter l’épreuve…

  1. Commencez d’abord à vous préparer “physiquement” à la prise de parole. Choisissez avec soin votre tenue ce jour-là : certes, ce n’est pas un défilé de mode, mais vous parlerez d’autant mieux que vous vous sentirez à l’aise dans vos vêtements (et vos baskets !). N’oubliez pas non plus que la principale difficulté… C’est vous : donc inutile de vous mettre trop la pression avant ! Partez gagnant(e) en vous disant que de toute façon vous n’avez strictement rien à perdre. Dès que vous rentrez, soyez souriant/e, pensez aussi à dire Bonjour ! Cela paraît évident mais parfois, avec le trac…

  2. Regardez votre public. N’oubliez pas non plus que même si une personne du jury ne semble pas faire attention à votre présence quand vous parlez, cela ne veut rien dire : elle donnera un avis sur votre prestation juste après votre départ. Donc regardez tout le monde (et pas seulement une seule personne parce qu’elle vous aura regardé(e) avec bienveillance ou parce que vous la connaissez (votre prof par exemple). Veillez également à vous tenir correctement : inutile de se raidir, mais il ne faut pas non plus être avachi !

  3. Improviser… Mais pas trop ! Bien sûr, le concours exige une certaine part d’improvisation, mais n’en faites pas trop non plus, car cela risquerait de vous entraîner sur un terrain parfois glissant, en particulier au niveau de la maîtrise du non-verbal (la gestuelle) : quand on improvise, on a tendance à “théâtraliser” un peu trop parfois : en libérant la parole, on libère trop ses gestes et on en arrive à “gesticuler”. Donc, gardez toujours une certaine distance en essayant d’articuler au mieux le geste et les registres de langue que vous allez employer (didactique, comique, lyrique, etc.)

  4. S’entraîner avec… une glace et un smartphone ! Voici un excellent exercice qui vous permettra de vérifier que vous maîtrisez votre voix et votre respiration lors de la prise de parole : chez vous, essayez en vous regardant obligatoirement devant une glace (une grande si possible : celle de la salle de bain ou de votre armoire fera l’affaire!) de parler HAUT et FORT. L’exercice d’entraînement que je vous propose consiste à lire un texte neutre (une définition de cours par exemple, comme ça vous ne perdez pas de temps) en regardant le moins possible votre support et en vous fixant le plus possible dans la glace. Relisez plusieurs fois votre texte en variant l’intonation (neutralité, colère, joie, rire, émotion, interpellation, etc.). Si possible, enregistrez-vous avec votre smartphone, un MP3, etc. et écoutez ce que ça donne afin de corriger les petits problèmes (placement de la voix par exemple). Prenez ensuite un sujet au hasard : accordez-vous 20 minutes de préparation et lancez-vous, sans lire vos notes (vous pouvez même vous entraîner dans les transports en commun pour la recherche des arguments) : essayez de trouver des idées créatives, originales, et faites si possible votre exposé devant d’autres personnes : des copains ou des copines, la famille, etc. afin de vous confronter à un public. Si vous êtes seul chez vous, mettez-vous devant une glace et parlez HAUT et FORT en vous obligeant à parler tout en vous regardant.

 
10 sujets d’entraînement…


Voici 10 sujets sur lesquels vous pouvez vous entraîner :

  1. Sur le fronton du Panthéon à Paris est inscrite la devise suivante : « Aux grands hommes la patrie reconnaissante ». Pensez-vous qu’au nom de la parité, il faudrait modifier cette devise ?
  2. Que pensez-vous de ce proverbe : « Qui aime bien châtie bien » ?
  3. Que vous inspirent ces propos d’Antoine de Saint-Exupéry : « La meilleure façon d’unir les hommes, c’est encore de les faire travailler ensemble ».
  4. Peut-on justifier la violence ?
  5. Qu’est-ce qu’un « grand homme » ?
  6. Que vous inspire cette citation de Shakespeare : « Rien n’est plus commun que le désir d’être remarquable » ?
  7. « Parlez-nous de vous »…
  8. Comment faire pour marquer son temps ?
  9. Selon vous, faudrait-il que les robots un jour aient des droits ?
  10. Si la poésie avait une couleur, quelle serait-elle ?
M

algré les apparences, vous verrez que les sujets proposés obéissent tous à des mêmes règles. Il est important tout d’abord de structurer votre exposé afin que le jury suive et comprenne votre démarche : montrez que vous savez où vous allez ! Quel que soit le sujet choisi, privilégiez d’abord un angle d’approche, c’est-à-dire une problématique qui va orienter votre démarche. Surtout ne rédigez pas : cela vous amènerait à lire (ce qui ne serait plus de l’oral, mais une lecture de texte) et donc à être éliminé/e.

Posez-vous des questions,
Faites preuve de curiosité intellectuelle !

Imaginez par exemple que vous avez choisi le sujet n°2 : Que pensez-vous de ce proverbe : « Qui aime bien châtie bien » ? Voici un sujet qui peut surprendre au départ, puisqu’il amène à considérer que c’est une preuve d’affection que d’être dur avec quelqu’un : « Je te punis comme il faut, donc je t’aime bien ». Ces deux pensées contradictoires (associer l’amour à une peine sévère) amènent à plusieurs interrogations : par exemple, faut-il éduquer en « châtiant » nécessairement ? N’est-ce pas l’expression d’une volonté de puissance que de prétendre aimer en disposant du sort d’autrui ? Ainsi, la peine de mort, qui est la punition la plus extrême, est-elle dans ces conditions le témoignage d’un amour suprême ? Mais on peut prendre le contre-pied de cet adage : « Qui aime bien ne châtie point ». Dans ces conditions, est-ce que cela signifie : « Qui aime bien, laisse faire » ? Ainsi, innocenter un « voyou » n’est-ce pas lui signifier du mépris et de l’indifférence ? Ne pas châtier, ce serait donc… mal aimer ? Par opposition, « bien châtier » serait faire preuve de courage, d’engagement, d’attention à l’égard de celui qu’on aime. Comme vous le voyez, posez-vous des questions, envisagez le sujet selon plusieurs angles, selon plusieurs points de vue.

Les ressources de l’art oratoire

Rappel : votre oral doit durer 5 minutes au moins ! Les prestations des candidats sont évaluées sur le style, l’élocution, l’expression française et la force de conviction de chacun. Vous devrez développer avant tout la communication : n’oubliez pas que vous allez être noté/e en premier lieu sur votre désir de communiquer. Cultivez votre leadership ! Pensez par exemple à adapter votre voix à la situation de communication ; pensez aussi à adapter votre registre de langue afin d’impliquer vos destinataires. Un orateur persuasif est celui qui sait s’exprimer avec aisance et clarté, moduler le son de sa voix afin d’éviter la monotonie par exemple : n’hésitez pas à jouer de plusieurs registres (langue populaire/familière/courante/soutenue), à trouver le « ton juste » (enjoué, ironique, oratoire, lyrique, etc.) : la capacité d’émouvoir, de persuader par la parole sont en effet essentielles.

Enfin, au niveau de l’évaluation, la diction est fondamentale puisque vous devez persuader d’abord par la parole :

  • Obligez-vous à faire à l’oral des PHRASES COMPLÈTES à partir de mots clés.
  • Même à l’oral, entraînez-vous à ponctuer correctement, en jouant sur l’intonation.
  • Attention enfin à la reprise trop fréquente de tournures (qui risquerait de rendre votre oral monotone ou pesant pour les auditeurs).

Les sujets proposés au concours vous amèneront également à convaincre, à persuader votre auditoire : sortez des banalités. Certes, il n’est pas question de choquer, de provoquer, mais de surprendre, et d’exploiter pleinement votre personnalité. Pensez enfin à adopter des outils linguistiques appropriés. Ne négligez surtout pas le travail sur la langue : c’est ce qu’on appelle l’élocution, c’est-à-dire le choix du style. Par exemple, l’emploi de figures de rhétorique semble tout indiqué : métaphores, comparaisons, interpellation de votre auditoire, gradations, interrogations oratoires, etc.

Entraînements à l’épreuve

① exploiter la métaphore filée, les anaphores, les interrogations oratoires

Aujourd’hui, je vous propose de vous entraîner sur trois procédés essentiels dans l’art oratoire :

  • Métaphore filée ;
  • Anaphores ;
  • Interrogations rhétoriques.

1. La métaphore filée

Prenons un sujet type : vous souhaitez par exemple plaider pour plus de justice sociale. Si vous êtes astucieux, vous allez exploiter la technique de la métaphore filée. Comme vous le savez, on entend par là une métaphore qui se prolonge, qui est développée à travers un même réseau lexical. Si vous avez du mal à trouver ou à formuler vos idées, la métaphore filée constitue une aide précieuse.

Imaginons un candidat qui n’a que peu d’arguments, par exemple « plus de justice sociale permettra d’améliorer les conditions de vie et le monde ». Malgré sa justesse, l’idée en elle-même est assez pauvre et banale du fait de son manque d’originalité. Néanmoins, vous allez voir comment une métaphore filée peut la transformer. Pensez par exemple au champ lexical de la construction : « rebâtir, construire, fondations, pierre, maison, édifice, murs… » etc.

Reprenons maintenant notre idée de départ en l’étayant grâce à une métaphore filée :

« Plus de justice sociale permettra d’améliorer les conditions de vie et le monde : il faut en effet que tous les murs qui séparent les hommes tombent : mur de l’indifférence, mur du racisme, mur de l’égoïsme. Le monde n’est pas seulement un ensemble de continents, c’est notre maison commune. En ce début de vingt-et-unième siècle, il est peut-être temps de rebâtir le monde pour plus de justice sociale, de construire une nouvelle société, plus humaine, plus fraternelle. Il nous appartient de poser les fondations d’un monde plus respectueux des valeurs communes. Un nouvel humanisme est nécessaire ! Alors que le vieil édifice s’écroule, des voix rappellent qu’il faut poser la première pierre de la fraternité ! »

2. Même exemple que précédemment mais avec des anaphores et des interrogations oratoires :

« Mesdames, Messieurs, voilà ce que je vous propose : il faut que tous les murs qui séparent les hommes tombent : mur de l’indifférence, mur de la misère, mur de l’égoïsme. Peut-on accepter de vivre ainsi ? Avons-nous été créés pour nous déchirer ? Pour nous haïr ? Plus de justice sociale ne permettrait-elle pas d’améliorer les conditions de vie et le monde ?

Mesdames, Messieurs, notre monde en effet n’est pas seulement un ensemble de continents, c’est notre maison commune. Devons-nous accepter de laisser mourir cette maison et d’en voir s’écrouler les fondations ? Devons-nous nous résoudre à partir en laissant les clés sur la porte ? Notre terre doit-elle être condamnée à devenir une maison abandonnée ? En ce début de vingt-et-unième siècle, il est peut-être temps de rebâtir le monde, de construire une nouvelle société, plus humaine, plus fraternelle.

Mesdames, Messieurs, il nous appartient de poser les fondations d’un monde plus respectueux des valeurs communes. Un nouvel humanisme est nécessaire ! Alors que le vieil édifice s’écroule, des voix rappellent qu’il faut poser la première pierre de la fraternité ! »


  • Pour vous entraîner : gardez si vous le souhaitez le sujet de départ et refaites l’exercice en respectant le même ordre : 1) métaphore filée, 2) métaphore filée + anaphores et interrogations oratoires) mais en utilisant le champ lexical du voyage ou du déplacement (route, partir, chemin, départ, etc.) : comme vous l’avez vu, c’est d’abord un travail de style et d’approfondissement qui est attendu de vous.

Faire sensation à l’oral : les techniques d’accroche

Ne négligez pas les premiers instants ! Étant donné la brièveté des prestations orales (moyenne des temps de parole 5 à 7 minutes environ), la première minute est en effet déterminante pour la réussite de votre intervention.

Voici aujourd’hui, quelques techniques pour travailler votre accroche et renforcer l’adhésion du jury à votre discours…


Technique 1 : choisir un angle d’attaque percutant

C

réez une réaction en rentant rapidement dans le vif du sujet. À la différence de l’écrit, évitez d’introduire par une accroche trop longue (type : du général au particulier), moins adaptée pour un oral bref. Au contraire, attaquez d’emblée en posant un point de vue particulier sur le sujet, donc en partant du concret pour aller vers l’abstrait (raisonnement inductif) et non de l’abstrait vers le concret (raisonnement déductif). Ce point de vue doit être suffisamment original pour séduire, interpeller, surprendre votre auditoire.

Imaginez le sujet suivant : « Progrès technique ou tradition ? »

La difficulté ici serait de partir d’un point de vue trop « académique », par exemple : « Nombreux sont les auteurs à s’être interrogés sur les conséquences du progrès technique. S’il présente d’indéniables avantages, ne risque-t-il pas en revanche d’introduire une déconnexion croissante avec les valeurs qui sous-tendent la tradition ? ». Rien de plus ennuyeux que cette entrée en matière !

Ce qui ne convient pas ici, c’est d’une part le point de vue adopté, (plan dialectique stéréotypé sans aucune originalité), et d’autre part l’impossibilité en 5 minutes de traiter correctement le sujet en raison d’une absence de problématique véritable, et d’une approche beaucoup trop vague, obligeant à rester dans les généralités. Pour mieux élaborer votre questionnement, privilégiez un angle d’attaque original :

Mesdames et Messieurs, Pardonnez-moi si j’ai un peu oublié le sujet, car pour tout vous dire, je suis parti très loin pendant ces 30 minutes de préparation, j’étais sur le chemin de l’Espérance, puis j’ai tourné à gauche, juste derrière les ruches, là où il y a le chemin de Sainte-Marie. Ah oui, c’est vrai… J’ai oublié de vous raconter… Pour tout vous dire, chaque été, je retourne à Sospel dans les Alpes maritimes. Si vous y allez un jour, laissez derrière vous la route départementale 2204, ou même la Départementale 2566, laissez les chiffres, les cahots de la route, les kilomètres avalés à toute vitesse… Ne regardez pas trop le tachymètre numérique multifonction, oubliez la clim, le laser, le GPS multidirectionnel, parce que vous savez… sur le chemin de la Condamine… ou même le chemin du Paradour ou le chemin du Sourcier… les multimètres multifonction… Et le GPS multidirectionnel sur les cailloux… De toute façon avec la vieille grange qui coupe le chemin vous n’irez pas très loin ! 

Et puis j’ai oublié de vous parler du vieux moulin et de Mathieu, le potier… Son idéologie à lui, c’est les cigales, c’est la terre, c’est la main qui façonne l’argile, le geste répété depuis des siècles pour fabriquer l’objet artisanal… Ce geste qui apprend à l’homme à posséder la matière, le savoir-faire patrimonial… Pensez donc : une vie à entretenir la tradition que lui avait apprise son père, que lui-même tenait de son père… et… je ne sais pas trop mais disons que ça dure depuis un certain temps… Pardonnez-moi je vous raconte tout ça et je crois que j’ai carrément oublié le sujet…

L’astuce ici est de donner l’impression de se détourner du sujet, alors qu’on le traite à fond ! Bien entendu, sur votre brouillon, vous faites en sorte de ne noter que quelques mots clés qui serviront de base à votre démonstration. En aucun cas, vous ne devez rédiger le texte (à part quelques expressions percutantes qui seront semi-rédigées : « Son idéologie à lui, c’est → cigales → terre → main… argile, geste répété… siècles… objet artisanal »).

  • D 2204
  • D 2566
  • chiffres, cahots de la route, kilomètres avalés à toute vitesse… tachymètre numérique multifonction, climatisation,
  • laser, GPS multidirectionnel
  • Chemin de l’espérance
  • Chemin de Sainte-Marie
  • Sospel, Alpes maritimes, Méditerranée, cailloux, vieille grange,
  • potier, cigales, argile, tradition, patrimoine

Vous allez même voir que l’accroche du général au particulier, qui ne convenait pas du tout précédemment, s’intègre désormais plus facilement du fait de l’angle d’attaque choisi qui permet à l’auditeur de mieux percevoir la problématique. Reprenons la fin de l’extrait en rajoutant l’accroche et en approfondissant un peu la démonstration :

Et puis j’ai oublié de vous parler du vieux moulin et de Mathieu, le potier… Son idéologie à lui, c’est les cigales, c’est la terre, c’est la main qui façonne l’argile, le geste répété depuis des siècles pour fabriquer l’objet artisanal… Ce geste qui apprend à l’homme à posséder la matière, le savoir-faire patrimonial… Alors oui, quand on me parle des avantages du progrès technique, moi j’ai envie de dire : « Certes le progrès est bénéfique, mais n’a-t-il pas introduit une déconnexion croissante avec les valeurs qui sous-tendent la tradition ? » Ces valeurs, ce sont les chemins de Sospel ou d’ailleurs… Car dans le monde, il y a encore plein de mains comme la main de Mathieu, ces mains qui façonnent encore au XXIe siècle des plats en terre et pas des GPS multidirectionnels, des « choses », des « marchandises », des « produits », des « trucs » en plastique et autres gadgets jetables.

Techniques utilisées :

  1. On élabore par quelques mots choisis un scénario imaginaire  en jouant sur les motivations inconscientes des auditeurs : le vieux moulin, Mathieu le potier, etc. 
  2. Pour impliquer le destinataire, on exploite les indices personnels : le « vous » donne au destinataire le sentiment d’être directement sollicité par l’émetteur.
  3. On associe presque sous forme d’oxymore deux termes en totale opposition : idéologie ≠ cigales. La notion d’idéologie dans l’inconscient collectif renvoie en effet à l’idée de système global (voire totalitaire) alors que les cigales évoquent au contraire la nature dans ce qu’elle a de plus poétique, d’infime, d’imperceptible : vos auditeurs peuvent ainsi se projeter très facilement grâce à cette composante imaginaire et affective.
  4. Cela permet d’amener l’idée de tradition et de transmission patrimoniale en centrant sur le petit détail (oublié par la société technicienne) de la main qui façonne l’argile.
  5. On peut alors poser le sujet sous forme plus abstraite à l’aide d’une tournure concessive : « certes… mais… »
  6. Puis on élargit du particulier au général (« les chemins de Sospel ou d’ailleurs. Car dans le monde… ») afin de donner à la réflexion une portée plus universelle.
  7. Pour finir, on reprend un exemple concret sous forme oppositive (la main de Mathieu ≠ choses, marchandises, produits, trucs) qui amène la problématique qui sera développée par la suite : la technique a déshumanisé l’homme.


Technique 2 : partir d’une anecdote à fort pouvoir de conviction ou d’émotion : le storytelling

« R

aconte-moi une histoire » Inspirez-vous de ce que les publicitaires appellent le storytelling, autrement dit le fait de raconter des récits « à fort pouvoir de séduction et de conviction » (Sébastien Durand, Le Storytelling : Réenchantez votre communication !, Paris Dunod 2011). Utilisé pour vanter un produit afin de nouer entre la marque et le consommateur un lien affectif privilégiant la communication émotionnelle, le Storytelling est d’une grande efficacité pour accrocher l’auditoire en s’adressant à ses émotions et à son ressenti : dans de nombreux cas, notamment à l’oral, cela permet d’aborder ensuite plus efficacement l’argumentaire. Dans l’exemple précédent, raconter à vos auditeurs ce qu’ils ont envie d’entendre permet de les faire adhérer très rapidement à votre univers : même si c’est un peu facile et convenu, il paraît évident que s’évader sur un petit chemin des Alpes maritimes à quelques kilomètres de la Méditerranée fera davantage rêver que si l’on évoque les sirènes du progrès technique. Car en fait, on touche les gens au cœur. N’hésitez pas, à la condition de le maîtriser, à user de quelques familiarités, car elles participent de la fonction de contact. Ainsi, dans l’exemple précédent, le mélange de deux registres (didactique-soutenu/anecdotique-familier) permet en effet d’accrocher davantage l’auditoire : 

Et puis j’ai oublié de vous parler du vieux moulin et de Mathieu, le potier… Son idéologie à lui, c’est les [au lieu de : « ce sont les »] cigales, c’est la terre, c’est la main qui façonne l’argile, le geste répété depuis des siècles pour fabriquer l’objet artisanalCe geste qui apprend à l’homme à posséder la matière, le savoir-faire patrimonial… Alors oui, quand on me parle des avantages du progrès technique, moi j’ai envie de dire : « Certes le progrès est bénéfique, mais n’a-t-il pas introduit une déconnexion croissante avec les valeurs qui sous-tendent la tradition ? »


Technique 3 : adoptez un angle d’attaque original, voire décalé

C

eci afin de permettre une mise en perspective inattendue avec le sujet. Le but est certes que vous répondiez au sujet, mais plus encore de vous arranger de telle manière que le sujet réponde à votre point de vue.

Imaginez par exemple le sujet suivant : « Faites votre éloge ».

Sujet difficile car il risque bien souvent d’amener le candidat à faire une sorte d’énumération de qualités, rapidement lassante. De plus, l’entrée en matière d’un tel sujet n’est pas évidente. Il y a intérêt ici à jouer sur l’interpellation du jury afin de le surprendre. Par exemple, jouer sur le détournement humoristique :

Mesdames et Messieurs, je voudrais vous poser une question : « Quand tout va mal, y a-t-il un avantage d’être optimiste ? » Parce que je vais vous parler de quelqu’un qui un jour a eu la bonne idée de faire son éloge devant un très éminent jury, c’était un certain… 28 février 2017. Je m’en souviens comme si c’était aujourd’hui : imaginez un garçon brillant, plein d’humour, avec de bons résultats scolaires… Un garçon enthousiaste à l’idée de participer à un concours d’art oratoire, alors que dans le même temps il avait cours de Maths… Ah oui un peu comme moi c’est vrai maintenant que vous me le dites… Je n’avais pas fait le rapprochement voyez-vous. Mais ne parlons pas de moi ! C’est bien Rimbaud qui disait « Je est un autre », non ?

Comme vous le voyez, le candidat joue ici à fond sur 4 éléments :

  • la stratégie de diversion : partir d’un autre sujet (« Quand tout va mal, y a-t-il un avantage d’être optimiste ? ») pour mieux éveiller la curiosité de l’auditoire.
  • l’humour, qui favorise la distance autocritique ;
  • l’interpellation du jury par le moyen de la prosopopée : figure de personnification consistant à faire parler une personne vivante ou morte présente ou absente, un être inanimé, en exprimant ce qu’elle serait supposée dire en des circonstances précises : « Ah oui un peu comme moi, c’est vrai maintenant que vous me le dites ».
  • Enfin, la citation très célèbre de Rimbaud (tirée de la « Lettre du voyant ») termine l’accroche par une judicieuse référence littéraire qui amène à questionner le sujet à partir d’un point de vue particulier qui joue sur le dédoublement d’énonciation.

Imaginons un autre sujet : « Faut-il avoir peur de la science ? »

Comme vous allez le voir, le candidat avance une thèse opposée au sens commun et amène à considérer le sujet selon un autre point de vue. N’hésitez pas à montrer votre personnalité !

« Faut-il avoir peur de la science ? » La question relative aux dangers de la science ne serait-elle donc qu’une question rhétorique ? Car pour le sens commun, la science est responsable de tout. Qui n’a pas en mémoire L’Étrange Cas du Dr. Jekyll et de Mr. Hyde de stevenson ? Qui n’a pas eu peur en songeant à la créature échappant à son inventeur : Frankenstein ? Ne nous dit-on pas tous les jours que « Big Brother  » contrôle en maître absolu nos communications électroniques ?

Oui… Les procès à l’encontre de la science ne manquent pas… Et pourtant, Mesdames et Messieurs, si vous me le permettez, j’aimerais reformuler le sujet : non pas « Faut-il avoir peur de la vérité scientifique ? », mais « Faut-il avoir peur de la vérité morale ? ». Non pas « Faut-il avoir peur du progrès ? », mais « Faut-il avoir peur de ne pas maîtriser le progrès ? ». Non pas « Faut-il avoir peur de la science ? », mais « Faut-il avoir peur de l’homme ? »

Techniques utilisées : 

Premier paragraphe :

  • partir d’une idée portée par le sens commun (« la science fait peur ») ;
  • Étayer rapidement la thèse réfutée sous une forme concessive à l’aide de quelques exemples célèbres qui sont presque des « évidences » (Mr. Hyde, Frankenstein, Big Brother…).
Deuxième paragraphe :
  • Réfuter le sens commun sous forme de structure oppositive (anaphore ternaire : « non pas… mais… »)
  • Privilégier une gradation partant du sens commun (la science fait peur) pour aller vers le sens philosophique (ce n’est pas la science mais l’homme qui fait peur). Ici, la gradation, la structure antithétique identique et le rythme ternaire permettent d’agir sur votre auditoire : n’oubliez pas que la notion d’argumentation suppose en effet l’action d’un énonciateur sur un auditoire, qui vise à modifier ses convictions et à gagner son adhésion.

Technique 4 : les questions rhétoriques et la fonction de contact

Les questions rhétoriques permettent une bonne entrée en matière. Jouez également sur la fonction de contact :
L

a fonction de contact ou “communication phatique” pour parler comme les linguistes joue un rôle essentiel dans le lien social. Elle n’a pas en soi de contenu informationnel : elle sert à maintenir la communication. Si je dis par exemple « hum hum » ou encore « hein ? », « alors », je ne communique pas réellement d’information. En revanche je maintiens avec mon auditoire un lien afin de renforcer mes propos. Certaines expressions comme « N’est-ce pas ? » font partie de ce qu’on appelle les « marqueurs communicationnels » : il ne s’agit certes pas d’en abuser mais leur emploi peut s’avérer très utile, notamment dans l’entrée en matière de votre oral, afin de mieux capter l’attention de vos auditeurs. N’oubliez pas non plus d’exploiter les questions rhétoriques (ou oratoires)

Prenons par exemple le sujet suivant : « dans nos sociétés de l’hyper-communication, a-t-on encore du temps pour la parole ? »
Imaginez cette entrée en matière (avec votre téléphone en main) :

– Allooooo, allo allo, oui… Non… Ah oui… on peut dire ça comme ça… Oui mais… Mais non pas du tout… Mais non, tu ne me déranges pas… Mais là tu vois je suis au Lycée… et JE N’AI VRAIMENT PAS LE TEMPS, je…

– (vous vous adressez au jury) : Mesdames et Messieurs, excusez-moi, je suis à vous tout de suite, je suis en pleine communica…
– (avec votre pseudo-interlocuteur au téléphone) : mais évidemment… mmm mmm… (de plus en plus haut et fort) Mais c’est naturel, c’est tout naturel… Mais j’aurais fait la même chose… Mais oui… Quoique… Vu comme ça… Ah oui sous cet angle ça change tout… Mais là je ne peux vraiment pas… On se rappelle, c’est ça… Oui…  Mais évidemment… É-VI-DEM-MENT. C’est ça… À très vite… 
– (vous adressant au jury) : Oh ! Excusez-moi… Vous devez vous demander ce que je faisais… Oh pardon de nouveau, mais j’ai un SMS très important, je dois y répondre (vous tapotez sur quelques touches) Maintenant je me dis que… si ça se trouve… vous n’auriez pas répondu vous… Ah si ? Ah cool ! Vous me rassurez ! (vous tapotez encore quelques secondes sur les touches du téléphone).

– (Au jury) N’est-ce pas cool quand même ? On n’est pas bien là ? Quel plaisir d’hypercommuniquer quand même… Voilà un avantage qu’on n’avait pas avant… Avant les gens communiquaient simplement, banalement, ordinairement, lentement. Il fallait un temps inouï pour échanger de vive voix tandis que maintenant tout va hypervite.  La preuve : vous voyez le temps qu’on perd à se parler avec la parole. Je n’ai toujours pas pu évoquer le sujet important pour lequel je suis ici alors que j’ai déjà répondu à 2 SMS.  Maintenant, depuis le Web 2.0 tout va très vite, on hypercommunique, on échange sur des tas de trucs, ça permet de rester en contact ! Mais j’en viens à vous parler de ce qui nous occupe :  « Dans nos sociétés de l’hypercommunication… »

Comme vous le remarquez, le candidat n’a pas beaucoup d’arguments à développer. L’astuce consiste donc à faire un numéro d’acteur en renforçant le pathos, c’est-à-dire les émotions et en martelant le message-clé à l’aide de l’ironie et du décalage. Ce qui serait jugé beaucoup trop lourd à l’écrit devient au contraire un gage d’efficacité à l’oral.

Vous pouvez exploiter également les questions oratoires (ou rhétoriques) : bien posées, elles sont utiles pour faire adhérer les auditeurs à votre propos. Hâtez-vous d’y répondre vous-même afin de donner plus de rythme à votre prestation.

Un dernier mot sur ce qu’on appelle la prétérition, du latin praeteritio (« action de passer sous silence ») : il s’agit d’une figure de style consistant à parler de quelque chose après avoir annoncé qu’on n’allait pas en parler. On peut feindre l’hésitation, la réticence : « Je ne vous dirai pas que » : couplée à l’anaphore et à la prosopopée (voyez plus haut), la prétérition est un gage d’efficacité.

Imaginez par exemple le sujet suivant : « Faîtes-vous des rêves ? »

Techniques employées : Prétérition + anaphores + prosopopée + questions rhétoriques + gradation

Mesdames et Messieurs,

Ne me demandez surtout pas si je fais des rêves parce que je n’en fais pas du tout. Ne me demandez pas non plus de vous les raconter. Ne me demandez pas si j’aimerais en faire car pour tout vous dire, je n’en ai pas la moindre idée. Vous vous dites certainement : mais pourquoi diable quelqu’un qui ne fait pas de rêves a-t-il choisi pareil sujet ? Il y avait trois autres sujets pourtant tous passionnants [arrangez-vous pour en avoir mémorisé un ou deux].

Oh ! Je sais… Vous allez me dire que si j’ai choisi ce sujet, c’est que je rêvais de dire quelque chose de bien, quelque chose de beau, quelque chose de grand, avec des anaphores et de belles gradations ternaires. Alors là oui, vous vous rapprochez des moyens, mais il faut que je vous parle du but : pour tout vous dire, je ne fais pas de rêves parce que, comme un certain Martin Luther-King le 4 avril 1968  j’ai UN rêve, un rêve bien à moi : je fais le rêve de réinventer l’humain, rien que cela.

Nous connaissons tous ces mots restés célèbres : « Je rêve qu’un jour sur les collines rousses de Géorgie les fils d’anciens esclaves et ceux d’anciens propriétaires d’esclaves pourront s’asseoir ensemble à la table de la fraternité… » Nous connaissons tous ce texte parce que vous et moi, nous faisons chaque nuit, chaque jour, chaque heure, chaque minute, chaque instant le même rêve de nous asseoir « tous ensemble à la table de la fraternité »…

Mais ce qui était un rêve sous les Trente Glorieuses n’est-il pas devenu un cauchemar aujourd’hui ? Quel supplice me direz-vous de faire chaque fois le même rêve et de voir ce rêve à chaque fois non réalisé. N’est-ce pas absurde ? Moi aussi je rêvais d’un monde de fraternité, mais mon rêve est une fenêtre ouverte sur les délits de faciès et les discriminations. Moi aussi, j’ai rêvé d’un monde de parole mais mon rêve est une fenêtre ouverte sur le silence des hommes et le cri des enfants.

Alors oui je fais un rêve… Mais il est temps que ce rêve devienne réalité, parce que sinon ce rêve est un cauchemar, et parce qu’un rêve n’a de sens que s’il dépasse les méandres du sommeil, le simulacre du songe. Devant vous, Mesdames et Messieurs, je fais le rêve de la réalité, parce qu’il est temps, comme aurait dit Albert Camus, d’« imaginer Sisyphe heureux »…


Technique 5 : Souriez, parlez avec assurance et conviction, d’une voix bien placée…

P

ensez à augmenter ou au contraire à ralentir votre débit de parole. N’oubliez pas d’accompagner vos arguments par des gestes d’ouverture, qui vont jouer le rôle de métaphore visuelle en traduisant physiquement vos idées, votre personnalité, votre charisme. Comme il a été très bien dit, « l’expression orale, pour être percutante, doit mobiliser toute votre personne, c’est-à-dire pas seulement votre intellect, mais aussi votre regard, votre voix, votre intériorité, votre gestuelle, votre attitude physique » |source|. Pensez par exemple à décoller les coudes du corps afin de renforcer l’amplitude des gestes. Ne restez pas figé/e : soyez bien campé/e « dans vos baskets » (surtout ne vous dandinez pas pour vous donner une convenance !). Donnez-vous de la force de conviction : n’oubliez pas que la gestuelle participe de l’effet produit sur l’auditoire !

Lien utile : regardez cette page du Journal du Net : destinée à renforcer l’efficacité personnelle des managers à l’oral, elle comporte de nombreuses aides précieuses !


Pour finir… Quelques sujets dans l’esprit du concours afin de vous entraîner :

  • « On peut tromper tout le monde, mais on ne peut tromper la vérité. » Que vous inspire ce jugement de Maxime Gorki ?
  • Pour voyager, faut-il partir loin ?
  • Y a-t-il des leçons de l’Histoire ?
  • Faites l’éloge de la lenteur.
  • Le plus beau métier du monde…

Faire sensation à l’oral : structurer les grandes étapes de votre démonstration

Prérequis : avant d’aborder cet entraînement, il est préférable d’avoir pris connaissance :

Même à l’oral, vous devez veillez à structurer votre démonstration. Il faut que les auditeurs perçoivent clairement l’idée directrice (c’est-à-dire la thèse que vous allez soutenir), les arguments et les exemples utilisés. Voici aujourd’hui, quelques techniques pour vous aider à structurer les grandes étapes de votre démonstration…


« Quelle est la première qualité de l’orateur ? L’action, — La seconde ? L’action. — La troisième ? L’action. »

Démosthène (384 avant J.-C. − 322 avant J.-C.)

T

out d’abord je ne reviens pas sur les techniques d’accroche que nous avons abordées dans l’entraînement précédent : ne négligez surtout pas cette étape ! Au brouillon, demandez-vous d’abord quels sont les objectifs que vous voulez atteindre dans votre exposé, au risque d’avancer à l’aveuglette.

Vous ne devez pas vous contenter de répondre à la question posée, mais aller au-delà : il est donc très important lors de la phase préparatoire de « commencer par la fin » c’est-à-dire d’avoir une idée dès le début du « pourquoi » de votre prestation, c’est-à-dire dans quelle perspective vous allez parler.

Soyez enthousiaste ! Sinon vous n’arriverez pas à convaincre efficacement. Certains candidats donnent parfois l’impression de traiter le sujet sous la forme « Je-vais-répondre-à-la-question-qui-m’a-été-posée » ou « parce-qu’on-m’a-demandé-de-traiter-le-sujet ». Mais on ne vous a rien demandé du tout !  Vous êtes venu/e de votre plein gré et c’est vous qui avez choisi le sujet. Rappelez-vous ce jugement de Sénèque (4 avant J. C. − 65 après J. C.), un philosophe et brillant orateur latin : « Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles. »

Vous devez donc être convaincu/e que si vous avez choisi ce sujet c’est parce que vous avez quelque chose à dire et qu’il vous faut convaincre à l’aide d’un argumentaire efficace.


La règle d’or : « scénarisez » votre intervention !

P

our réaliser un exposé oral qui « impacte », vous devez être organisé/e. Le moyen le plus simple de faire une présentation bien construite est de mentionner clairement au brouillon chaque point que vous allez aborder au cours de votre exposé, et la façon dont vous allez l’aborder. Structurez votre intervention du début jusqu’à la fin de celle-ci. Votre prestation orale doit être scénarisée, c’est-à-dire qu’elle doit obéir à un scénario.

Le scénario, c’est l’itinéraire suivi dans l’exposé. Donc sur votre brouillon pensez à noter les grandes étapes qui doivent conduire votre démonstration : vous devez avoir devant vous les grandes lignes de votre exposé, accompagnées si possible de repères temporels (minutage par exemple), de mots clés, de notions ou de données importantes. Mettez-les en évidence sur votre feuille afin de les visualiser immédiatement : ainsi, vous éviterez les trous de mémoire qui sont particulièrement pénalisants à l’oral.

Sur une petite fiche synthétique, qui vous servira de fil conducteur, vous devez avoir devant vous les grandes lignes de votre exposé, accompagnées de repères temporels, de mots clés, de notions ou de données importantes…

Un peu comme le montage au cinéma, la question du découpage de l’exposé est en effet essentielle afin de bien mettre en œuvre votre raisonnement. Dans l’exemple ci-dessus, le candidat a scénarisé son exposé de telle sorte que les contenus importants (arguments :; anecdotes, exemples : ; citations :) sont clairement planifiés sur le papier : grâce à cette méthode, vos idées seront plus claires avant de vous lancer. 


Complétez et organisez votre brouillon

S

ur votre brouillon, pensez à utiliser des codes afin de lire le moins possible au moment de l’oral. Par exemple :

  • ⇏ : antithèse
  • ⇓ : transition
  • ⇛ : conclusion
  • ♡ : appel aux émotions en sollicitant la sympathie et l’imaginaire de l’auditoire
  • ♪ : intonation de la voix, expression gestuelle,
  • etc.

Bien entendu, choisissez vos codes « à vous » : l’essentiel est que vous parveniez à anticiper : n’oubliez pas qu’avec le trac souvent ou le manque d’entraînement, on en oublie certains éléments qui paraissaient pourtant très évidents lors de la préparation. Si par exemple, à côté de quelques mots clés, vous notez : « ♡ et ♪ », vous vous rappellerez quand vous serez devant le jury que vous devez toucher, mettre de l’émotion dans la voix, etc.

 Faites appel aux émotions et intégrez-les dans votre scénario !

Comme nous l’avons vu dans l’entraînement précédent, quand vous voulez convaincre, rappelez-vous qu’il est tout aussi efficace de faire appel aux émotions qu’à la logique : la communication dite « non verbale » est donc très importante car elle permet aussi aux auditeurs de s’identifier aux arguments de l’orateur. Par exemple, à la condition de bien les maîtriser, la gestuelle vous permettra de ressentir davantage vos arguments, et ainsi de mieux toucher votre public.

Une bonne argumentation repose en effet sur deux éléments majeurs :
  • le déroulement d’un raisonnement : l’expression d’un message oral suppose un projet argumentatif développé dans le cadre d’une démonstration ;
  • mais aussi la mise en œuvre de techniques de séduction au moyen du langage (expression émotionnelle) et de la gestuelle. Un discours brillant sur le papier peut s’avérer décevant à l’écoute parce que l’orateur aura trop accordé d’importance au fond, au détriment de la forme du message.

Nous avons abordé dans le premier entraînement certaines figures d’amplification comme l’anaphore, la gradation ou l’hyperbole. Si elles se révèlent utiles pour renforcer votre argumentaire, elles sont en outre nécessaires pour mettre en valeur la cohésion du discours. N’oubliez pas qu’à la différence de l’écrit, le jury ne verra pas la structure de votre travail (paragraphes, alinéas, etc.).

Les connecteurs logiques sont évidemment essentiels. De même, les procédés oratoires, les tonalités employées serviront à renforcer votre propos et à mieux mettre en évidence la structure de l’exposé. Ne négligez pas l’usage des exclamations, le rythme, les changements de registres :

  • didactique : quand vous voulez informer ou expliquer ;
  • lyrique ou pathétique : lorsque vous cherchez à toucher votre public ;
  • polémique si vous voulez prendre à témoin l’auditoire.

Les impacts de l’image corporelle sont très importants à l’oral ! Les émotions concourent à l’effet du discours sur votre auditoire : c’est la raison pour laquelle vous devez les planifier dans votre exposé. La pratique réfléchie des intonations, des gestes, des postures du corps est essentielle car elle permet non seulement de relancer l’intérêt de vos auditeurs, mais aussi de renforcer l’argumentaire. Pensez donc à planifier ces moments !


Ne perdez pas de vue le sujet !

J’

ai souvent vu des orateurs qui, à trop vouloir improviser, oubliaient complètement le sujet posé. C’est la raison pour laquelle je vous recommande de ne pas perdre de vue votre objectif. Ayez donc obligatoirement un fil conducteur afin d’organiser l’ordre des messages.

Une fois le plan scénarisé (voir plus haut), prévoyez aussi les moments de votre exposé où vous allez faire les transitions entre parties, et surtout rappeler le sujet posé (ce que vous avez dit et ce que vous allez dire) :  flèches verticales rouges dans l’exemple ci-dessus) : cela évite le risque de sortir du sujet.

Imaginez par exemple le sujet suivant : « Être scandaleux, c’est dire aujourd’hui ce que tout le monde dira dans dix ans ». Que vous inspire ce jugement de Wolinsky ?

Un tel sujet peut amener très vite au dérapage car il éveille de nombreuses problématiques de discussion : la liberté d’expression ; la réflexion sur la notion de scandale (Rimbaud par exemple a été jugé « scandaleux » : pour autant ce serait réduire Rimbaud que d’affirmer qu’il a été juste en avance sur son temps) ; la légitimité ou non du scandaleux ; la définition même du scandale (un scandale au sens étymologique du terme, est un écart à travers lequel le surnaturel émerge dans le quotidien) ; etc. Le risque ici serait de s’embarquer dans de trop nombreuses discussions. D’où l’intérêt de rappeler (flèches rouges ) le sujet posé afin de bien montrer au jury que s’il y a dérapage, c’est un dérapage maîtrisé.

N’oubliez pas enfin que « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement ». Si vous n’êtes pas sûr/e de vous, annoncez au fur et à mesure votre démarche argumentative afin que le jury perçoive bien vos objectifs : « J’ai choisi de vous parler de [sujet], pour deux raisons. En premier lieu… Par ailleurs… ». Cela vous évitera les « flottements », les hésitations et vous intéresserez davantage votre auditoire. 


Exemple pratique : intégrer plusieurs techniques oratoires

 

Partons du sujet suivant : « Faites l’éloge de la justice. »


« Bon appétit, Messieurs, ô ministres intègres » [citation], aurais-je pu dire comme Ruy Blas défiant ironiquement les Grands d’Espagne… Mais point d’ironie dans mon propos. Je recommence donc : Bonjour à vous Mesdames et Messieurs, ô jury intègre ». J’ai une question à vous poser : peut-on faire l’éloge de la justice ? Et d’abord, de quelle justice parle-t-on ici ? Qu’est-ce  qui est juste ? Qu’est-ce qui est légitime ? Ce qui est légal ? Ce qui est moral ? [interrogations à valeur polémique]

La guillotine, ce chef-d’œuvre du progrès humain pour certains est encore au XXIe siècle un idéal pour les nostalgiques de la haine [notez le registre ironique et polémique ainsi que les indices de jugement]… Dois-je vous rappeler ce que vous connaissez déjà et qu’on appelle dans tous les bons dictionnaires des évidences ? [interpellation du jury] Évidence de la peine de mort. Évidence de la justification de la torture. Évidence de la corruption, des pendaisons au nom de… [ici, le risque est que le jury puisse penser que le candidat s’égare, d’où l’intérêt de faire une relance].

Oui, tout cela… au nom de quoi ? « De la barbarie ? » Certes non. « De l’injustice ? » Pas davantage. Tout cela au nom de la justice ! [Notez les termes évaluatifs ainsi que l’exagération pour toucher l’auditoire. De même, le paradoxe, en s’opposant au sens commun (la justice a pour vocation d’être juste), a pour effet d’interpeller l’auditeur]

Cette justice-là Mesdames et Messieurs… Cette justice-là [anaphore], je n’en ferai pas l’éloge car la justice, la vraie justice est celle du cœur [le candidat pose sa thèse] : c’est de cette justice-là que j’ai choisi de vous parler. Il faut aimer pour bien juger, et non juger en prétendant aimer [ici le chiasme, qui croise des termes en opposition ou en parallèle permet de renforcer l’idée]. Faire l’éloge de la justice, c’est donc  faire l’éloge de la vérité du cœur.

[Changement de ton, modification de la situation d’énonciation afin d’éveiller la curiosité de l’auditoire]

Il n’avait que sept ans… Sept ans et demi, Mesdames et Messieurs… C’était le 4 décembre 1851, lors du coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte. Sept ans et demi… Il s’appelait Boursier je crois, tué lors d’une fusillade rue Tiquetonne, à Paris, près du faubourg Montmartre… Et Victor Hugo dans un poème célèbre a fait l’éloge de la vérité du cœur ; il a fait l’éloge de la justice. [lien avec le sujet : passage d’un exemple illustratif à l’argumentatif]

Ce « Souvenir de la nuit du Quatre » m’est resté à ce jour en mémoire. Et moi aussi, en ce 28 février, j’ai envie de faire l’éloge de la vraie justice, de cette justice du cœur que j’évoquais à l’instant [Rappel du sujet] Utopie dira-t-on ? Mais ne trouvez-vous pas que le monde serait plus beau à vivre si l’amour avait davantage de place que la mort ? Si les crayons avaient davantage de place que la haine ? [Questions rhétoriques] J’ai envie de dire : « Aime et non pas Haine ». C’est de cette justice-là, Mesdames et Messieurs, que je veux faire l’éloge devant vous [rappel du sujet].

 ZOOM sur les techniques utilisées…

  • Accroche par citation : bien utilisée, la citation lors de l’entrée en matière est tout à fait judicieuse : dans notre cas de figure, elle joue sur l’interpellation (« Bon appétit, Messieurs » ainsi que le jugement de valeur (« ô ministres intègres »). Employé ironiquement chez Hugo pour railler la prétendue probité des Grands d’Espagne, le terme pose d’emblée la question de la justice et surtout de sa définition (la force n’est pas le droit).
  • Interpellation + questions : « J’ai une question à vous poser » : jugée notamment à l’écrit quelque peu familière, l’interpellation, à la condition de ne pas en abuser à l’oral, permet de toucher l’auditoire. Par son aspect assez polémique ici, elle participe à un style fondé sur l’amplification. L’énumération de questions qui vient ensuite permet d’amener le sujet qui sera débattu : faire l’éloge de la justice, certes… Mais « de quelle justice parle-t-on ? »
  • Dans le deuxième paragraphe, l’exemple de la guillotine, allusion directe aux exécutions publiques légitimées par le Droit révolutionnaire au XVIIIe siècle ainsi que la formule ironique (« Ce chef d’œuvre du progrès humain ») joue sur l’évaluation émotionnelle et débouche sur une série d’exemples à valeur argumentative corroborant la thèse réfutée : si la justice n’est pas moralement juste, elle est illégitime.
  • Troisième et quatrième paragraphes : ils mettent en opposition la thèse réfutée et la thèse qui sera soutenue : « la vraie justice est celle du cœur ». (= la vraie justice ne consiste pas à appliquer la loi parce qu’elle est légale mais parce qu’elle est morale et c’est de cette morale du cœur qu’elle doit tirer sa légitimité).
  • Le cinquième paragraphe (« Il n’avait que sept ans et demi…») exploite une technique qui, bien maîtrisée, peut s’avérer tout à fait concluante : la mise en scène de l’événement. Normalement, un énoncé de récit s’insère difficilement dans des textes où domine le système du discours, du fait de la rupture avec la situation d’énonciation qu’il entraîne : ici, en troublant momentanément les repères temporels, de même que par sa force émotionnelle et persuasive, l’anecdote dramatique qui est racontée à l’imparfait opère une sorte de décentrage obligeant les auditeurs à chercher la raison de cette rupture temporelle. Le retour au système du discours par l’emploi anaphorique du passé composé (« Et Victor Hugo dans un poème célèbre a fait l’éloge de la vérité du cœur ; il a fait l’éloge de la justice. ») permet de réaffirmer la thèse soutenue (« la vraie justice est celle du cœur »). Ce rappel est essentiel : dans le cas contraire, on pourrait croire que le candidat s’égare, et qu’il oublie le sujet. À l’inverse, rappeler le sujet en exploitant un témoignage bouleversant ainsi qu’un argument d’autorité (la référence à Hugo fonctionne comme garant de la justesse des propos) permet de justifier les grandes étapes du raisonnement et montrer vers quoi il vous a conduit.
  • Le dernier paragraphe, sur un ton plus didactique et solennel (« Ce ‘Souvenir de la nuit du Quatre’ m’est resté à ce jour en mémoire ») permet de préciser la problématique par une série d’antithèses posées sous forme de questions rhétoriques (« Mais ne trouvez-vous pas que… » amenant les auditeurs à reconnaître la justesse de vos idées. N’hésitez pas à les exploiter : elles permettent de toucher l’auditoire et d’influencer son opinion. Enfin, les sonorités quasi homophones des consonnes « m » et « n » (« J’ai envie de dire : ‘Aime et non pas Haine’ ») participe d’une stratégie de persuasion : les sonorités ont donc ici une teneur argumentative susceptible de mettre l’auditoire dans une disposition émotionnelle favorable à la thèse défendue.

 

Faire sensation à l’oral : conclure une prestation… Les techniques de chute

« On

a oublié de sortir le train d’atterrissage ? » Même si l’exposé s’est bien déroulé, il est toujours délicat de conclure, et bien souvent le plus dur, après qu’on a multiplié dans les airs les figures de voltige oratoire et autres acrobaties rhétoriques, c’est d’atterrir ! De fait, la « chute » (c’est le cas de le dire !), si elle est mal maîtrisée, risque de s’avérer périlleuse. Voici aujourd’hui, quelques techniques pour vous aider à élaborer une conclusion percutante…

« […] la syntaxe de l’improvisation n’est pas celle de l’écriture.  »

André Malraux, préface aux Oraisons funèbres, 1971

« Dans un souci d’efficacité, mettons-nous à la place du destinataire. Qu’attend-il de la fin d’une réflexion ?  D’une part une réponse claire à la problématique posée par l’introduction et d’autre part une esquisse de réflexion sur la mise en œuvre de cette réponse.  »

Bernard Meyer,  Les Pratiques de communication : de l’enseignement supérieur à la vie professionnelle
Armand Colin, « Cursus », 2e édition, Paris 2007, page 174.

Mirabeau (Le Bignon, 1749 – Paris, 1791)
« L’Orateur » (gravure dessinée par H. Baron, et gravée sur acier par Léopold Massard, 1843)
In : Augustin Challamel, Wilhelm Ténin, Les Français sous la Révolution. Quarante scènes et types. Paris, 1843.


Planifiez votre conclusion et préparez-la soigneusement !

Au

même titre que l’accroche (voir entraînement n°2), la conclusion de votre prestation revêt un rôle fondamental et pourtant peu de candidats lui accordent l’importance qu’elle mérite : comme nous l’avons vu, vous devez la préparer soigneusement et la planifier dès l’introduction. Ainsi qu’il a été très justement dit, « commencez […] par la fin, la conclusion, puisque c’est elle qui synthétise l’essentiel de ce que vous voulez démontrer. Votre conclusion, c’est précisément l’idée-force, déjà identifiée, et qui vous a donné le cap […]. Si vous avez eu de la difficulté à formuler cette idée-force, le fait de commencer par la conclusion vous aidera à la mettre en évidence » |Thierry Destrez, Demain, je parle en public, 4e édition, Paris Dunod 2007, page 28|.

Étant donné la brièveté des prestations orales (6 à 7 minutes en moyenne), la conclusion se réduit parfois à d’inévitables redites, surtout si elle est mal préparée.

Or la conclusion joue un rôle majeur :

  • Elle constitue tout d’abord un bilan synthétique vous permettant de montrer que vous avez répondu au sujet (on parle aussi de conclusion fermée).
  • Pensez à bien recentrer sur l’idée principale en valorisant l’argument essentiel que l’auditoire doit mémoriser, au risque de vous éparpiller dans d’interminables considérations (souvent creuses) qui laisseraient le jury sur une impression de redite.
  • Par ailleurs, la conclusion doit ouvrir une perspective : on parle à ce titre de conclusion ouverte. Un élargissement bien maîtrisé doit entraîner l’adhésion de vos auditeurs.

N’oubliez pas un point important que nous avons rappelé dans cette série d’entraînements : la nécessité de différencier l’oral d’une production écrite. Certes, comme à l’écrit, votre conclusion doit contenir un bilan du développement et ouvrir des perspectives. Mais plus encore qu’à l’écrit, impliquez-vous en valorisant des données concrètes ! Plutôt que de conclure sur de l’abstrait, plus délicat parfois à maîtriser, vous pouvez terminer par un exemple à valeur argumentative, ou une anecdote qui synthétise l’essentiel de votre démonstration et en montre la cohérence.

Faites également confiance à votre talent d’orateur : certes, je vous conseille de ne pas trop improviser sur le fond, c’est-à-dire le contenu, le message lui-même qui se doit dans la mesure du possible d’être envisagé (au moins sous forme de plan détaillé) à l’avance. Il est plus facile en revanche d’improviser sur la forme, c’est-à-dire le style qui sous-tend le message, et qui, avec un peu de pratique, vient assez spontanément. Comme l’a dit l’écrivain André Malraux, « […] la syntaxe de l’improvisation n’est pas celle de l’écriture ». L’orateur qui écrit son texte ne l’achève que quand il le prononce, « et il le modifie en parlant » |propos cités par Marie Gérard-Geffray, « Malraux orateur : de l’action présente à la quête de l’intemporel ». In : Colloque Les Mondes de Malraux, 15-16 octobre 2010, Institut catholique de Paris, page 6|

Conclusion fermée ? Conclusion ouverte ? Attention aux pièges des conclusions trop « ouvertes » ne débouchant finalement sur pas grand chose ! Si une conclusion ouverte, qui se termine par exemple par une question indirecte ouvrant sur un thème lié ou une nouvelle perspective, est évidemment une bonne chose, vous devez éviter le piège d’ouvrir sur de l’évasif qui ferait perdre à votre présentation son unité organique et structurelle. Restez concis et trouvez un élargissement qui apparaît comme une conséquence nécessaire de votre démonstration.

Astuce : si vous n’avez pas d’idée, arrangez-vous pour ne pas terminer sur une platitude, des banalités, au risque de laisser le jury sur une impression mitigée. Une technique utilisée parfois consiste à reprendre un élément de l’accroche ou du début de la démonstration, en le réinvestissant de telle sorte que vous entraînerez l’adhésion, l’envie de vous suivre dans votre démonstration. Comme le rappelle encore Thierry Destrez (op. cit. page 49) : « Sachez faire une conclusion incitative […], trouvez un raccourci saisissant, une formule « choc » qui synthétise le cœur du message : c’est ainsi que vous frapperez l’intérêt et la mémoire […]. La conclusion est votre temps fort : elle n’est pas la fin, mais le point culminant de votre présentation ».

À moins de bien maîtriser les techniques, évitez d’utiliser pour la conclusion des figures d’insistance trop marquées (gradations, etc.) : surtout lorsque la prestation est brève, elles donnent un effet assez théâtralisé et manquent de naturel. Attention aussi aux conclusions sous forme de citations toutes faites, plaquées artificiellement sur le sujet.

En revanche, si votre citation vous paraît bien choisie, cela peut être une bonne idée. Mon conseil : ne terminez pas sur la citation mais arrangez-vous pour glisser après la citation quelques mots qui vous permettront de valoriser votre point de vue (et non celui de l’auteur). 

Imaginez par exemple que vous vouliez terminer sur cette célèbre citation de Montaigne : « Un honnête homme, c’est un homme mêlé » (Chapitre 9 du troisième livre des Essais).

  • Regardez la première conclusion : « Tout voyage nous amène à connaître l’autre, à nous ouvrir aux différences. Ainsi, comme l’a si bien dit Montaigne, « Un honnête homme, c’est un homme mêlé ».
    Ce qui est maladroit dans cette conclusion, c’est que le candidat ne valorise pas suffisamment sa pensée. De plus, les marques de l’énonciation sont effacées, ce qui fait qu’on en oublie plus ou moins la pensée de l’orateur pour ne retenir que la phrase de Montaigne.
  • Regardez maintenant la seconde conclusion : « Tout voyage nous amène à connaître l’autre, à nous ouvrir aux différences. Ainsi, comme l’a si bien dit Montaigne, « Un honnête homme, c’est un homme mêlé ». Et je crois qu’en effet il faut célébrer la diversité culturelle pour mieux promouvoir les identités, nous mêler à l’extraordinaire richesse du monde pour en célébrer les particularités. Tant il est vrai que diversité n’a jamais voulu dire uniformité. Voilà le sens du voyage et, Mesdames et Messieurs, je vous pose une question : le plus beau voyage n’est-il pas une rencontre ? Rencontre avec autrui, rencontre avec vous-mêmes, rencontre avec soi-même… ».
    Comme vous le voyez à travers cet exemple, le candidat choisit de réinvestir la citation de Montaigne en lui donnant une autre orientation. Cette technique permet au jury de retenir davantage la problématique interculturelle posée par le candidat à partir de la citation de Montaigne.

Certains candidat/es se demandent comment prendre congé… Terminez par quelques mots de remerciement brefs (« Mesdames et Messieurs, merci de m’avoir écouté ») : inutile de faire long !

Bruno Rigolt
© février 2018, Bruno Rigolt/Espace Pédagogique Contributif

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Simone Veil le 26 novembre 1974, prononce à l’Assemblée Nationale son magnifique discours sur l’IVG

EAF Écrit d’invention : « Il faut réinventer l’Homme ! », par Roxane C. (Classe de Première S1)

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  • Entraînement à l’Épreuve Anticipée de Français : classes de Première
  • Corpus : Olympe de Gouges, George Sand, Colette, Annie Leclerc

Écrit d’invention

Rappel du sujet d’invention. Le texte d’Annie Leclerc se termine sur cette question : « Inventer, est-ce possible ? » À l’occasion de la Journée Internationale de la Femme célébrée chaque année le 8 mars, vous prononcez un discours intitulé : « Il faut réinventer l’Homme ! ». Votre texte ne comportera pas moins de 3 pages.

par Roxane C.
Classe de Première S1, promotion 2017-2018

 

Parmi tous les travaux qu’il m’a été donné de lire en Première S1, souvent de grande qualité, j’ai distingué quelques devoirs dont celui de Roxane. Bravo à elle et à tous mes étudiants pour leur implication. 


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Il faut réinventer l’Homme !

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____Mesdames, Messieurs,

D

epuis des siècles, l’Homme n’a cessé d’être réinventé et redéfini. Si l’on en croit le philosophe de l’Antiquité grecque Platon, l’Homme serait un « animal dépourvu d’ailes, bipède, et dont les ongles sont plats ; celui qui, seul de tous les êtres, est apte à recevoir une connaissance ». Pareille définition fait de l’Homme avec une majuscule le principe de toute chose : c’est l’Honnête homme des humanistes, l’Homme des Droits de l’Homme, le grand Homme du fronton du Panthéon et des manuels d’Histoire…

____Et la femme dans tout cela ? C’est contre ce sexisme ordinaire que réagit violemment la philosophe Annie Leclerc, dans Parole de femme (1974) : « l’Homme c’est ce dont l’homme a accouché. Nous avons fait les enfants, et eux, ils ont fait l’Homme ». J’aimerais prolonger ici ces propos en rappelant que l’Homme est d’abord l’association d’un homme et d’une femme. Annie Leclerc disait justement qu’il fallait inventer la femme. En écho à ses propos, je voudrais affirmer qu’il faut réinventer l’Homme !

Il faut dépasser les préjugés, débattre des stéréotypes, questionner les inégalités…  

____Réinventer l’Homme et la société qu’il a créée, réinventer les Lois, réécrire les vieux alphabets, redessiner nos rêves ! L’Homme ne peut s’enrichir qu’en grandissant humainement et qu’en acquérant des connaissances l’aidant à évoluer dans la société et à la faire évoluer. Réinventer l’Homme, c’est donc réinventer l’Histoire pour entreprendre et reconstruire l’avenir ; c’est aussi accepter l’idée qu’il faut dépasser les préjugés, débattre des stéréotypes, questionner les inégalités, et les discriminations dont sont victimes tant de minorités culturelles…

____Oui, réinventer l’Homme, c’est selon moi redéfinir un nouveau courant de pensée visant à une transformation en profondeur du monde, c’est aussi questionner la place de l’homme ainsi que celle de la femme dans la société, dans la culture, dans les livres, dans les manuels… C’est redéfinir une égalité pour l’ajuster au réel. Pendant des siècles en effet, l’homme était perçu comme l’être capable de tout : omniscient, il avait réponse à tout, il était le « Docteur sait tout » placé au centre du monde pour mieux le penser à sa mesure. Il inventait, songeait et diffusait ses idées. Mais la femme ? Où était-elle, la femme ? Et qu’était-elle pour l’homme ?

____Selon moi, la femme était réduite à la fonction d’appareil reproducteur. Comme le dit sèchement Annie Leclerc, « nous avons fait les enfants, et eux, ils ont fait l’Homme ». L’Homme était le géniteur auréolé de gloire ! Quant à la femme, elle n’était que la matrice, seul moyen qu’ait trouvé l’homme pour soulager son désir et perpétuer le monde inégal qu’il avait construit. Quoi de plus injuste que cette expression de « femme au foyer » qui, selon les hommes et leur bonne conscience était un poste tout à fait convenable pour une femme. « Fée du logis », « ménagère accomplie », « jeune fille rangée »… Tant de qualificatifs basés sur la subordination de la femme.

____

C

ontre ces préjugés de la discrimination, j’affirme qu’il ne faut pas oublier que l’Homme est la réunion de deux êtres : comme le disait Condorcet, l’homme ne saurait priver « tranquillement la moitié du genre humain » des droits qu’il s’est lui-même arrogés ! La construction du monde se base sur la rencontre d’un homme et d’une femme ; pas sur l’exclusion. Réinventer l’Homme, c’est réinventer le sens que l’on donne à l’humain : que serait l’évolution du monde l’un sans l’autre ?

____Oui vraiment, en ce jour du 8 mars 2018, j’affirme qu’il ne saurait y avoir un monde d’hommes sans droits des femmes, sans paroles des femmes, sans émotions des femmes. Sans cette force qu’ont les femmes d’inclure dans les discours « rationnels » masculins, un discours plus spécifiquement féminin valorisant la sensibilité, l’attention portée aux individus et au particulier. On connaît les propos de Jean Ferrat inspirés d’Aragon : « La femme est l’avenir de l’Homme » : que serait le monde sans elle ? 

L’Homme disait ; les femmes se taisaient. Et puis les femmes ont fait. Elles ont osé s’affirmer…  

____Moi, en tant que femme, j’écris cet article pour vous les femmes du XXIe siècle, et pour vous les hommes : oui, j’écris aujourd’hui pour remettre les choses en place. Et je repose ma question : « Que deviendrait l’Homme sans la femme ? » Celle-ci a bien trop souvent été sous-estimée pendant des siècles, et elle-même s’est sous-estimée. L’Homme disait ; les femmes se taisaient. Et puis les femmes ont fait. Elles ont osé s’affirmer : que l’on songe à Olympe de Gouges, à Marguerite Durand, à Madeleine Pelletier, Pauline Roland, Simone de Beauvoir et tant d’autres…

____De jour en jour la femme a osé montrer ses idées sans craindre les discours passéistes.

____De jour en jour, elle a montré la voie : elle est entrée dans la vie sociale et politique.

____De jour en jour, elle a brisé ses chaînes, elle a bousculé les barrières, elle a incarné la résistance populaire, elle a construit des barricades. Elle n’a plus eu peur. Nous n’avons plus peur. La parole de la femme se libère et c’est comme un grand vent de liberté qui agite l’ancien monde. Liberté de parole, liberté de briser les chaînes : je songe ici à ces femmes du monde du spectacle qui osent parler publiquement des agressions sexuelles dont elles ont été victimes. Elles n’ont plus peur !

____

C’

est ça la réinvention de l’Homme de nos jours : c’est la nécessaire évolution de la femme dans la société. Le féminisme est bien la condition de l’Humanisme ! Pour moi, lorsqu’on réinvente l’Homme, on réinvente également une égalité de pensée. Qu’il y a-t-il de plus vrai lorsque Annie Leclerc affirme dans Parole de femme « Ils ont dit que la vérité n’avait pas de sexe. Ils ont dit que l’art, la science et la philosophie étaient vérités pour tous. […] Pourquoi la Vérité sortirait-elle de la bouche des hommes ? »… 

____Nous avons lutté et nous luttons toujours pour l’égalité des salaires… Des femmes se sont battues pour avoir enfin l’opportunité d’ouvrir un compte bancaire sans l’autorisation de leur mari et elles y sont parvenues. Nous avons bataillé ferme ce droit au bonheur qu’on croyait réservé aux seuls hommes. Et moi je dis que rien n’est impossible. Dans une société nouvelle, rien ne devrait être impossible puisque tout est nouveau !

Aujourd’hui la Femme c’est Simone Veil, Malala. C’est également Angelina Jolie, Olympe de Gouges, Benoîte Groult, c’est moi, c’est vous, c’est toi !  

____Pour ma part, la femme est le contrepoids de l’homme, je veux dire qu’elle est la mesure de l’humain. Dans ce nouvel humanisme que j’appelle de mes vœux, nous aurons toujours besoin de la femme pour équilibrer l’homme et donc créer cette égalité manquante. Ainsi, réinventer l’Homme c’est naître avec les mêmes droits et la même égalité : point de Droits de l’Homme sans l’exigence de la parité. La femme doit être complémentaire de l’homme et l’homme complémentaire de la femme : point d’égalité sans ce principe de complémentarité.

____D’année en année, la femme est parvenue à se faire une place dans la société. De nos jours, elle est de plus en plus reconnue par ses actes dans l’Histoire. Aujourd’hui la Femme c’est Simone Veil, Malala. C’est également Angelina Jolie, Olympe de Gouges, Benoîte Groult, c’est moi, c’est vous, c’est toi… Le nouvel homme ou plutôt dirais-je, la nouvelle femme, ce sont nous toutes et nous tous réunis dans l’Humain. Oui vraiment, en ce jeudi 8 mars 2018, le monde n’est plus la parole de l’homme ; le monde est aussi la parole de la femme.

____C’est ça l’Homme d’aujourd’hui : c’est l’Humain d’une parole commune, d’une culture en partage…

____Tout réinventer, tout réinventer !

___

Roxane C., février 2018
Classe de Première S1 (Promotion 2017-2018)

Relecture du manuscrit, correctifs et ajouts éventuels : Bruno Rigolt
© février 2018, Ilana A. / Bruno Rigolt/Espace Pédagogique Contributif


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