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Pour la troisième année consécutive, l’exposition « Dis-moi un Po-aime » est de retour ! Les classes de Première S2 et Première STMG2 du Lycée en Forêt sont fières de vous présenter cette édition 2017 qui a tout d’un grand millésime : l’exposition a été l’occasion d’un travail soutenu mêlant inspiration, invention et revendications intellectuelles ou esthétiques.
Chaque poème est accompagné d’une note d’intention dans laquelle les auteur-e-s expliquent leurs choix esthétiques, précisent le fil conducteur méthodologique, éclairent certains aspects autobiographiques… Le travail ainsi entrepris permet de pousser la lecture de la poésie au-delà des lieux communs pour en faire une authentique quête de vérité. Loin de la lire de l’extérieur, le lecteur curieux pourra au contraire chercher le sens profond que les jeunes auteur-e-s ont voulu conférer à cette expérience esthétique et littéraire.
Plusieurs fois par semaine jusqu’au début du mois de juillet, les élèves vous inviteront à partager une de leurs créations poétiques…
Bonne lecture !
Aujourd’hui, vendredi 16 juin, la contribution de Jeanaïs (Première S-2)
→ Vendredi 16 juin : Rim et Sarah Z. (Première STMG-2) ; Guy S. (Première S-2)
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« Vie éternelle »
par Jeanaïs B.
Classe de Première S-2
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Il est parti un jour vide et glacé
Un jour sans aujourd’hui, sans lendemain.
Il prit un bateau, un dernier bateau
pour quitter ce monde.
Dès lors il légua des larmes :
Défense, Résistance, Justice
De pauvres larmes contre le monde entier,
Monde de satire et de simulacres.
Ses larmes étaient de véritables amies :
Leurs gestes demeurent inoubliables
Une noyade dans un océan de peur et d’armes
L’absence, le souvenir permettent d’apprendre
Le courage n’est pas l’absence de peur,
Mais la capacité de la vaincre
Désormais parti, il devient voyant
Il perçoit objectivement le monde hermétique
Où les hommes résident aujourd’hui
L’existence humaine est un long voyage
Vers la vie éternelle
Et le matin du ciel.
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Illustration : « Vie éternelle », © Bruno Rigolt, juin 2017 (Photomontage et peinture numérique)
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Le point de vue de l’auteure…
J’ai rédigé ce texte au mois de mai 2017 dans le cadre d’un atelier d’écriture poétique consacré à la quête du sens en poésie. Dans ce poème, différents thèmes apparaissent comme le voyage, le souvenir et la conscience mémorielle, ou encore la réflexion sur le sens même de la condition humaine.
C’est tout d’abord la thématique du voyage qui domine le texte. De fait, dans la première strophe on retrouve trois indices du voyage : « il est parti », « il prit un bateau » et « pour quitter ce monde ». Plus que le voyage réel, c’est la dimension métaphorique du voyage qui apparaît, en référence à la vie humaine. Le voyage vers l’outremonde est comme le contrepoint du monde réel, fait « de satire et de simulacres » (v.8), « monde hermétique » (v. 16) du conformisme banal et sclérosé. Monde adulte, inaccessible à la poésie et à la pureté de l’enfance.
C’est ainsi que de nombreux aspects font évidemment référence au thème du poète maudit : au même titre que Baudelaire ou Rimbaud, Nerval Lautréamont, le poète maudit a ouvert la poésie à la quête de l’idéal : comme le suggère la thématique maritime présente dans le texte sous forme de métaphore filée, le poète maudit est l’homme du mouvement perpétuel entre le flux et le reflux, le spleen et l’idéal, la foi et le doute : vivant en marge d’une société dans laquelle il ne se reconnaît plus, il préfère partir « un jour vide et glacé/Un jour sans aujourd’hui, sans lendemain ».
Quitter une société dans laquelle il ne se sent pas en accord et trouver un monde meilleur est pour lui la seule solution qu’il trouve pour recouvrer son identité. Dans le texte, l’idéal fait référence au paradis. Cette image du bateau qui part fait également songer au poème de Rimbaud « Le bateau ivre ». Le départ s’apparente en quelque sorte à une quête d’authenticité, fût-elle vaine et quelque peu absurde : puisse le lecteur comprendre le sens profond que j’ai voulu exprimer ici et l’hommage que j’ai voulu rendre à celles et ceux partis trop tôt, de l’autre côté de la terre, parce qu’ils désespéraient de l’inanité du monde.
Cette thématique est renforcée au vers 9 par une métaphore très suggestive : « ses larmes étaient de véritables amies ». Personnifiées, les larmes s’hyperbolisent au point de devenir une « noyade dans un océan de peur et d’armes ». Mais ce naufrage débouche sur une renaissance, au sens rimbaldien du terme, car « Je est un autre ». Comme le suggère très explicitement le vers 15, « Désormais parti, il devient voyant ».
Cet aspect du texte est évidemment fondamental car il appelle à un devoir de mémoire : il nous appartient, dans un monde fait d’indifférence et d’oubli, de nous souvenir. La poésie assume ainsi une fonction mémorielle consistant à écrire pour ne pas oublier, mais aussi et surtout pour faire revivre l’autre : marquée par de nombreux enjambements pour suggérer cette dynamique du souvenir, la dernière strophe confère à l’écriture poétique un rôle didactique. Mais point ici de morale sclérosante : si morale il y a, c’est une morale du cœur. Il est écrit au vers 18 « L’existence humaine est un long voyage » : ce voyage est surtout un voyage intérieur, mais aussi un voyage vers l’autre.
Malgré le temps qui passe, la rapidité de nos vies, il faut trouver le temps de la mémoire, il faut encore savoir aimer, il faut pouvoir donner du sens : c’est une manière d’humaniser la vie, et de faire de la mort une nouvelle naissance… Le texte se clôt sur une référence à la vie éternelle pleine d’espoir. Aux images sombres et désenchantées du début du poème succède au contraire la lumière du matin et le bleu du ciel…
© Jeanaïs B.
Classe de Première S-2 (promotion 2016-2017), juin 2017.
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