Support de cours BTS. Thème « Corps naturel, corps artificiel » Corps en crise, crise du corps : du corps comme objet d’art au corps dystopique

Support de cours BTS. Thème « Corps naturel, corps artificiel »


Les dystopies du corps :
Corps en crise, crise du corps

Le corps entre survalorisation et dépréciation


par Bruno Rigolt

Niveau de difficulté de ce cours :  difficile 

« Une autre fois, un démon d’anatomiste ne m’a-t-il pas, pour s’amuser, mis en pièces comme une poupée articulée, destinée à servir à toutes sortes d’essais diaboliques, voulant voir, par exemple, quel effet produirait un de mes pieds planté au milieu de ma nuque ou mon bras droit fixé dans le prolongement de ma jambe gauche ?… »

Ernst Theodor Amadeus Hoffmann, « Le Magnétiseur », 1814.
In : Contes. |Wikisource|

« Nos corps entrent dans les divans sur lesquels nous sommes assis, et les divans
entrent en nous comme le tramway qui passe entre les maisons.»

Umberto Boccioni
Cité par Pierre Courthion, « Boccioni sculpteur de l’antisculptural »
In : XXe siècle, n°19, juin 1962 (« Tournants décisifs »), page 17.

N

ous vivons une époque de profonde transgression, époque de mutations et de redéfinition sans précédent des valeurs humaines. Tout semble pourtant comme avant : les guerres sont les mêmes guerres, le sang versé est le même sang versé, et le soleil est le même soleil qu’il y a quatre milliards et demi d’années. Mais voici qu’en vérité les territoires de l’homme se sont profondément transformés. Sans nous en rendre compte, nous marchons dans les ornières d’un monde qui s’est structurellement modifié, avec ses visions de séismes et de tsunamis, monde qui implique de redessiner les liens entre les chemins sinistrés de l’Humanisme et la grande mutation de notre système identitaire promise par les temps à venir.

En fait, cette mort des civilisations, terriblement annoncée par Paul Valéry dans la Crise de l’esprit en 1916, s’apparente davantage à une mutation anthropologique : l’individu hypermoderne est l’enfant mort-né de l’idée de société au sens historique du terme, comme si le monde ayant dépassé ses limites, l’avait contraint à se chercher d’autres abris pour y loger son corps. Et face à ce monde mutant, monde sans idéal, sans quête, sans transcendance, répond l’idée de corps-spectacle, de corps médiatique, de corps augmenté, amélioré, seules possibilités pour l’humain de dépasser ses limites et d’exprimer son essence. 

Le corps comme « matériau expérimental »

Ainsi que nous le notions dans un précédent support de cours*, « cette décorporéisation du corps est en fait étroitement associée à une quête pour l’homme de son corps utopique […] comme si la vie artificielle constituait l’aveu frappant de sa finitude ». Je parlais de corps utopique mais le développement du scientisme à partir de la seconde moité du XIXe siècle n’oblige-t-il pas plutôt à parler de corps dystopique ? 

Nul mieux que l’art à partir du XXe siècle n’a en effet exprimé ce désenchantement du corps qui est fondamentalement une crise de l’Humanisme. 

Malmené et asservi par la science, déconnecté de la pensée humaniste, noyé au sein d’une machine sociale qui le submerge, le corps devient le lieu d’expérimentation de l’humain. Prisonnier entre l’utopie d’une jeunesse éternelle et la dystopie d’une trop longue vieillesse, il subit à partir du vingtième siècle une crise fondamentale, qui est d’abord une crise de l’identité corporelle. 

René Magritte Entr’acte (huile sur toile), 1928. Collection privée.

Livré à une expérimentation illimitée sur lui-même, le corps perd d’une part son intégrité physique : il cesse d’avoir une forme absolue ; il devint variable et ouvert à toutes les déformations possibles comme en témoigne cette curieuse toile de Magritte, Entr’acte, peinte en 1928 : on y voit depuis le fond de scène d’un théâtre des fragments de corps désexués et sans visage semblant regarder les rangs d’un public absent remplacé par un étrange décor volcanique.

Mais ce renversement des relations premier-plan/arrière-plan² suggère plus fondamentalement un renversement des valeurs morales : en perdant son unité organique, le corps perd conséquemment son intégrité métaphysique. Aux conceptions religieuses traditionnelle du corps —marqué par l’unité originelle et promis à la résurrection—, s’oppose un corps morcelé, libéré de l’éthique, soumis à toutes les dérives plastiques de l’objet et à tous les fantasmes de l’imaginaire. 

Ce renversement de la relation entre le corps et la réalité sera l’une des constantes de l’art du vingtième siècle, à commencer par le Cubisme. Le tableau de Picasso intitulé « Femmes devant la mer » (1956) est une parfaite illustration des remarques précédentes. En introduisant dans sa peinture des distorsions, des schématisations géométriques, des morcellements, le peintre provoque une remise en question des normes de beauté du corps. 

Épuré, dépouillé, schématisé, le corps se disloque, se distend, explose, et passe finalement du domaine de la représentation au domaine de l’abstractionCe renversement des goûts et des pensées est essentiel : dégagé de son contexte référentiel, le corps semble se métamorphoser au point de n’être plus qu’un matériau de base, hors-norme, distancié, déconnecté de l’esthétique traditionnelle : corps comme outil conceptuel, corps comme artifice, comme image mentale projetée sur le sujet. 

Il faut ici faire remarquer combien, au-delà de la peinture de Picasso et du Cubisme, c’est tout l’art moderne qui a révolutionné notre rapport au corps en introduisant une esthétique de la distanciation du corps naturelEn déformant le visage et le corps humains, l’art moderne s’inscrit ainsi dans un esprit de révolte par rapport au réel. Délivré de son obligation de ressemblance, soumis à l’indéterminé, à l’aléatoire, au hasard, le corps devient un instrument d’exploration et progressivement, de transgression sociale.

* Corps humain et corps « déshumain » : entre identité et altérité

  1. Voir à ce sujet l’ouvrage de Marcel Paquet, Magritte ou l’éclipse de l’être, Éditions La Différence, 1982.


La désublimation du corps dans l’art moderne

Les deux guerres mondiales et les nombreux conflits du vingtième siècle ont sans nul doute accentué cette réification de l’Homme. Au scientisme triomphant qui prévalait depuis la fin du XIXe siècle, la guerre ébranle profondément le statut ontologique de l’Homme : c’est tout l’être qui devient malmené. Par son caractère dramatique, interruptif et hyperbolique, la guerre constitue donc une rupture dans la temporalité historique ainsi qu’une remise en cause brutale du corps comme univers de référence. Ce qui subsiste de l’humain, c’est l’inhumain : corps tordus dans la souffrance, cris des blessés déchirant la nuit, mosaïques de cadavres entassés pêle-mêle dans les fosses…

Dante Gabriel Rossetti
« Lady Lilith », 1866 

Wilmington (USA), Delaware Art Museum

À la quête idéale du corps parfait dont les Préraphaélites, héritiers du puritanisme victorien avaient fait leur matière, répond la représentation du corps en douleur au XXe siècle : le corps perd son unité, il devient une addition d’instants de corps qui l’artificialisent. Ce que Marcel Gromaire (1892-1971) peint dans « La Guerre » (1925), ce ne sont pas des corps d’hommes, ce sont des corps-machines, mécanisés, déshumanisés et pétrifiés dans l’attente de la mort. Statufié dans un espace vide, le corps devient un monument funéraire : corps dystopique, corps-robot assujetti au poison terrifiant des machines¹, et annonciateur du monde de demain, rationalisé et totalitaire qu’a si bien décrit l’écrivain Georges Bernanos dans La France contre les robots.

Marcel Gromaire, « La Guerre » , 1925
(Musée d’art moderne de la Ville de Paris. © ADAGP/RMN – Bulloz)

L’histoire de l’art moderne serait ainsi celle de l’identité perdue. Si elle tire son origine des crises institutionnelles et sociales du dix-neuvième siècle, elle précipite le monde vers une fin de l’histoire marquée par l’abolition de la temporalité et la mise à l’épreuve du corps. « S’attaquant avec la même force, aux natures mortes qu’au corps humain, le Cubisme fait voler en éclat la représentation du réel, déforme la figure humaine jusqu’à la monstruosité »². À la fragmentation de l’Histoire répondent les corps disloqués de Guernica, ébranlant la représentation picturale et sculpturale du XXème siècle. Ces corps disloqués ne sont-ils pas un terrible « théâtre de la cruauté » ? Désordre de corps en chaos, apocalypse en noir et blanc de corps suppliciés et démembrés…

Pablo Picasso, « Guernica », 1937 (détail)
Madrid, Musée Reina Sofía

  1.  Centre Pompidou, « Le corps dans l’œuvre ». 

« 1938-1945 : des camps, des corps, des barbelés, des gardes. Il y avait ceux qui étaient dehors et ceux qui étaient dedans : une masse de chairs qui furent à la fois anonymées, inventoriées, marquées, manipulées, tuées. Au nom de quoi ? […] Folie eugéniste, folie de création, folie meurtrière, folie de l’imaginaire de l’homme qui se prend pour le créateur de la vie à venir. Des images sortent de la nuit et du brouillard, surgissent encore après un demi-siècle : tri des corps devenus choses, objets d’expérimentation, vies devenues rouages d’un travail forcé – de la machine à produire. Des corps-choses sont répertoriés: les hommes d’un côté, les femmes de l’autre ou encore ceux qui vont vivre et travailler et ceux qui vont mourir. Toujours, quel que soit l’ordre du jour, deux files, deux chemins. Couloir de gauche ou couloir de droite, en rangs serrés ; le destin se restreint à un choix qui vous met sur une liste ou sur une autre. Les chairs et l’intime sont gérés, comme les accumulations de linges, de vêtements, de chaussures, de bijoux et autres objets de valeur récupérés. La valeur est regroupée, rangée en série, pour mieux être évaluée. […]. Peut-on encore imaginer un monde à partir de ces cendres-là ? Après les guerres du XXe siècle − après la dernière, celle que l’on a dite totale, celle d’un système nommé totalitaire − l’artiste pouvait-il encore faire de l’art, pouvait-il encore représenter une culture ? »

Lydie Pearl
Corps, sexe et art : dimension symbolique
Paris L’Harmattan 2001. « Préambule », pages 7 et 8.



 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’exemple du corps artificiel chez les Futuristes italiens

« L’homme multiplié et le règne de la machine »

Filippo Tommaso Marinetti

Il faut préparer aussi la prochaine et inévitable identification de l’homme avec le moteur, facilitant et perfectionnant un échange continuel d’intuitions, de rythmes, d’instincts et de disciplines métalliques, absolument ignorées aujourd’hui par le plus grand nombre, et devinées seulement par les esprits les plus lucides.

[…] nous aspirons à la création d’un type inhumain, en qui seront abolis la douleur morale, la bonté, la tendresse et l’amour, seuls poisons corrosifs de l’intarissable énergie vitale, seuls interrupteurs de notre puissante électricité physiologique.

Nous croyons à la possibilité d’un nombre incalculable de transformations humaines, et nous déclarons sans sourire que des ailes dorment dans la chair de l’homme. Le jour où il sera possible à l’homme d’extérioriser sa volonté de sorte qu’elle se prolonge hors de lui comme un immense bras invisible, le Rêve et le Désir, qui sont aujourd’hui de vains mots, régneront souverainement sur l’espace et sur le temps domptés. 

Le type non humain et mécanique ; construit pour une vitesse omniprésente, sera naturellement cruel, omniscient et combatif. Il sera doué d’organes inattendus : des organes adaptés à un environnement fait de chocs continus. 

F. T. Marinetti,
L’Homme multiplié et le règne de la machine (extraits). Article rédigé en Français en mai 1910.

Cité par Giovanni Lista,
Le Futurisme, textes et manifestes (1909-1944),
Éditions Champ Vallon 2015
|Lien|

Une démesure
du corps humain…

 

 

Il serait intéressant d’évoquer ici le corps technologique souvent vanté par les futuristes italiensEn tant que mouvement d’avant-garde, le Futurisme apparaît à une époque de profonds bouleversements idéologiques dans la culture européenne. Le culte du progrès et du scientisme, largement célébré dans la poésie futuriste, débouche donc sur l’affirmation d’un corps artificiel et hybride, identifié à la machine (voir ci contre), privé de son affectivité, et obsédé par la toute-puissance.

Ainsi dans « L’Homme multiplié et le royaume de la machine », article rédigé en français en 1910 et republié en italien en 1915 dans le recueil Guerra sola igiene del mondo (Guerre seule hygiène du monde), le poète italien Filippo Tommaso Marinetti (1876-1944), chef de file du mouvement futuriste, fait l’éloge de l’homme futuriste au corps artificiel et mécanique

Comme le note très bien Giovanna Sapperi, « le corps technologique imaginé par Marinetti est donc caractérisé par un processus de métamorphose du sujet en engin métallique. Ce fantasme d’une fusion entre la chair et le métal permet d’imaginer un corps dur, phallique, imimmunisé contre les menaces intérieures et extérieures, un être à la psychologie inhumaine et au corps impénétrable »*.  

Il faut ici évoquer l’œuvre d’Umberto Boccioni, qui est avec le poète Marinetti, le protagoniste le plus important du mouvement futuriste : dans sa célèbre sculpture, Formes uniques de la continuité dans l’espace (1913), il représente un agrégat de formes censées figurer un homme. Mais un homme sans bras, « image triomphante et mythique de l’homme nouveau en marche vers le futur » (G. Lista). Cette déshumanisation du corps naturel correspond inévitablement à une mise à l’écart de l’homme et à une objectivation du corps artificiel : sorte de surhomme fasciste dont le corps dystopique devient la forme primordiale de la Volonté de Puissance :  idéologie du corps artificiel et anti-humanisme vont de pair.

* Giovanna Zapperi, « Du Surhomme au non-homme. Visions du corps-machine en temps de guerre », in : Véronique Adam, Anna Caiozzo, La Fabrique du corps humain : la machine modèle du vivant, CNRS/MSH-Alpes 2010, page 318..

Umberto Boccioni (1882-1916), Formes uniques de la continuité dans l’espace (1913)
New York, MOMA

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L’atteinte au corps dans l’art :
du corps narcissique à la remise en cause de l’intégrité corporelle

Paradoxalement, cet « adieu au corps » (David Le Breton) que nous avons interprété comme une réification croissante de l’Homme, se traduit par une survalorisation du corporel, des postures et des dévoilements. En jouant sur les limites, la provocation corporelle ainsi que le narcissisme hyperbolique, la culture excentrique qui explose dans la deuxième moitié du XXe siècle préfigure l’adieu au corps : véritable chant du cygne, elle précipite le corps dans l’Underground : tatouages, piercings, style punk, épingles à nourrice, vinyle, zips, etc., s’ils magnifient superbement la culture excentrique et son extravagance, traduisent plus fondamentalement un profond dérèglement existentiel

Regardez ce cliché extrait du très beau clip Big girls cry réalisé en 2015 par Daniel Askill pour la pop-star australienne Sia : on y voit la jeune danseuse Maddie Ziegler dans une scène forte évoquant un étranglement. Le symbolisme très élaboré de la chorégraphie de Ryan Heffington interroge immédiatement le rapport au corps et suggère en palimpseste un abus sexuel. Proche du Body Art, le travail artistique sur le corps est inséparable d’un processus de manipulation corporelle : il s’agit presque pour le corps d’éprouver ses propres limites.

Cette expression du danger, de la douleur est également parfaitement rendue dans le clip que Terry Richardson réalisa en 2013 pour la chanteuse Miley Cyrus (Wrecking Ball). Au-delà de la polémique suscitée par le caractère osé du tournage, ce qui transparaît est l’articulation de l’intégrité corporelle, fortement anthropocentrique et narcissique, à l’altérité du moi et du corps suggérée par la dévastation du décor. Cette expression du danger, de la douleur est également parfaitement rendue dans le clip que Terry Richardson réalisa en 2013 pour la chanteuse Miley Cyrus (Wrecking Ball).

Au-delà de la polémique suscitée par le caractère osé du tournage, ce qui transparaît est l’articulation de l’intégrité corporelle, fortement anthropocentrique et narcissique, à l’altérité du moi et du corps suggérée par la dévastation du décor. Mais ne nous méprenons pas sur cette mise en scène du corps : s’il semble sublimé, le corps de la chanteuse est en réalité réifié comme concept puisqu’il se conteste lui-même. Survalorisé comme objet, le corps doit paradoxalement se détruire pour exister en tant que sujet

Peau lisse, visage inexpressif dans un décor de gravas  : le corps sous le regard du photographe japonais Nobuyoshi Araki

Cette remise en cause de l’intégrité corporelle est évidemment particulièrement sensible de nos jours où les souffrances humaines résultant des dysfonctionnements socio-économiques ont profondément ébranlé l’intégrité structuro-fonctionnelle des sociétés : formaté par la publicité, la mode, les médias, confronté brutalement aux enjeux bioéthiques de la génétique, le mythe du corps artificiel semble le point d’ancrage d’un profond désordre social qui résulte en fait d’une culpabilité du corps naturel.

Jamais assez jeune, jamais assez beau, jamais assez mince, le corps est devenu le parent pauvre autant que le souffre-douleur de l’Homme. Si l’atteinte au corps est tellement exploitée dans l’art, particulièrement depuis le XXe siècle, c’est sans doute parce qu’il met en jeu le corps politique et social dont il est en réalité le terrible reflet. Comme le dit très bien Paul Ardenne, « le corps est moins que jamais une figure neutre. Un espace de conflits plutôt, trouble décalque de l’instabilité de la condition humaine » |source| : ce n’est pas l’ordre et la mesure qui façonnent le spectacle du monde mais l’excès, l’hybris et la démesure. 

Alighiero Boetti, Io che prendo il sole a Torino il 19 gennaio 1969 
Boules de ciment, 1969

Au-delà même de la représentation, le corps devient outil, trace et empreinte : corps-mémoire, mais aussi corps hybride, noueux, déformé, découpé, tordu, morcelé… Regardez cet étrange assemblage de boules de ciment réalisé en 1969 par Alighiero Boetti (« Moi qui prends le soleil à Turin le 19 janvier 1969 ») : derrière ces 111 boules de ciment figurant une forme humaine, n’est-ce pas le corps séché d’un cadavre gisant sur le sol, déjà raidi,  que nous contemplons ? En mettant en scène notre relation traumatique à nous-même, le corps dystopique fait donc figure de révélateur des désordres du monde

« L’atteinte corporelle est une attaque du corps de l’espèce, elle perturbe les formes humaines et suscite ainsi le trouble et le rejet. Celui qui s’incise, se brûle ou se suspend dit son mépris ou son indifférence face au corps lisse, hygiénique, esthétique, achevé qui est de mise dans nos sociétés contemporaines. La sacralité diffuse qui entoure socialement le corps est altérée, profanée. En « abîmant » son corps, comme le dit le discours commun, l’individu entre dans une sorte de dissidence. Attenter à l’image du corps (et donc de soi), s’infliger délibérément une douleur, ce sont là deux transgressions essentielles aux yeux de la société, et pour l’individu deux manières de dire son refus des conditions d’existence qui sont les siennes. En brisant les limites du corps, l’individu bouleverse ses propres limites et s’attaque simultanément aux limites de la société, puisque le corps est un symbole pour penser le social. »

David Le Breton

« Lukas Zpira ou le hacker corporel », in : Lukas Zpira, Onanisme Manu Militari II,
Hors Éditions, 2005.

Liée à l’Art corporel (ou Body-Art), l’œuvre de Paul McCarthy exprime cette profonde dystopie du corps : n’hésitant pas à s’automutiler et à maculer son corps de tâches de peinture, McCarthy fait du corps le creuset d’une profonde angoisse existentielle : « J’utilise le corps comme réceptacle des peurs, des obsessions, des conflits générés par notre société »¹. Ces propos sont à rapprocher des prises de position de François Pluchart, l’un des grands théoriciens de l’Art corporel : « Tout créateur est un terroriste dont l’efficacité se mesure à la capacité de dynamiser les esprits et d’entraîner avec lui, pour les transformer, le plus grand nombre d’individus, qu’ils soient ou non conscients de lui être redevables de leur attitude à mieux appréhender l’exercice de la vie »².


Paul McCarthy, « Two heads », 1971-1993. Diptyque cibachrome (© Galerie Georges-Philippe Vallois, Paris)
Exposition L’Art au corps : le corps exposé de Man Ray à nos jours
Marseille, MAC, galeries contemporaines des Musées de Marseille, 6 juillet-15 octobre 1996. Catalogue de l’exposition, page 163.
© Musées de Marseille, Réunion des Musées Nationaux, 1996

C’est de cette crise de l’esprit et de l’humain que l’œuvre d’Hans Bellmer (1902 – 1975)  tire également toute sa substance. Ses fameuses « poupées » expriment à travers la profonde hétérogénéité du corps qu’elles donnent à voir l’enjeu même du sens de l’être, ou plutôt le non-sens du non-être. De fait, la question de la dislocation qui est au centre des créations de Bellmer peut se lire comme une dislocation du corps-sujet. Entre conflit et désarticulation, le corps disloqué nous introduit au cœur d’un corps qui expérimente ses propres limites. Devenu objet, le corps naturel s’altère au point d’être machinal, post-humain, artificiel, monstrueux³.

Hans Bellmer, autoportrait avec poupée, Paris 1934

Ce n’est pas un hasard si la déconstruction du corps naturel prend dans l’art contemporain les dimensions d’un véritable manifeste, à la limite de l’extrémisme. Témoin l’artiste américain Chris Burden (1946-2015) qui accède à la notoriété avec « Shoot » (1971), où il n’hésite pas à mettre en danger son corps en se faisant tirer dessus par un complice. Cette esthétique de l’extrême violence faite au corps se retrouve dans l’œuvre sulfureuse de l’artiste et vidéaste américain Vito Acconci (New York, 1940-2017). Comme chez Chris Burden, le corps est utilisé comme un langage transgressif et provocateur allant jusqu’à la destruction. Ainsi, la vidéo See Through (1970) montre le reflet du buste de Vito Acconci dans un miroir. Dans la position d’un boxeur, il met des coups de poings à son reflet jusqu’à briser le miroir.

Vito Acconci, See Through, image extraite de la vidéo →
Source : MOMA


Dans cette lutte avec lui-même, avec son identité, comme pour détruire son image, le corps semble la mesure (la démesure ?) de toutes choses : du langage, de l’espace, de la douleur, des structures sociales. Comme nous l’avons vu tout au long de cette étude, l’essentiel n’est pas tant le corps que sa confrontation à une situation qui questionne l’identité même de notre être au monde. L’art du corps semble donc pleinement confirmer ces propos de David Le Breton : « Entre l’homme et son corps, il y a un jeu, au double sens du terme. Le corps est aujourd’hui un double, un autre soi-même mais disponible à toutes les modifications, preuve radicale et modulable de l’existence personnelle et affichage d’une identité provisoirement ou durablement choisie » |Source|. 

  1. Virginie Luc, Gérard Rancinan, Art à mort, Éditions Léo Scheer, Paris 2002, page 47.
  2. François Pluchart, L’Art : un acte de participation au monde. Nîmes : Jacqueline Chambon, 2002, page 180. Cité par Chantal Pontbriand (2002).
  3. Voir à ce sujet notre support de cours : « Extraordinaire, monstruosité et métamorphose ».

Corps et malaise identitaire

Corps sujet, corps objet


« Le corps, donc, comme cette réalité de toute façon présente à notre être, absolument tangible mais aussi divisée sans arrêt : un objet, et un sujet ; le support du moi mais, aussi bien, celui d’autrui ; une incarnation, et tout autant une représentation. Un complexe, en somme, tandis que la vie se charge d’harmoniser du mieux possible ces pôles d’appréhension divergents du phénomène corporel ; et un problème, de fait, sitôt et pour peu que défaille cette mécanique d’harmonisation. S’il est à tous au quotidien, s’il fait en termes cliniques la fortune de la psychologie et de l’hôpital, le corps compris comme complexe problématique n’en est pas moins aussi, comme on devine, le bien de l’art. Ce qu’est le corps, réalité, enjeu et stratégies, trouve là une déclinaison des plus aiguës qui soit. Car l’artiste ne fait pas qu’éprouver son corps, à l’instar de tout un chacun. Encore lui faut-il en écrire la formule. L’œuvre d’art joue ce rôle, dont une Sarah Kofman, dans la lumière freudienne, a bien montré la fonction à la fois transitive et réparatrice. Que l’artiste, en un raccourci radical, décide de dire son corps seul, de le conjuguer, d’en produire l’image ou la matière, voilà qui démultiplie aussitôt l’enjeu de l’art, mais de manière paradoxale, le champ de l’expression artistique se révélant subitement concentré. Élisant son corps comme “objet d’art” (H. P. Jeudy), l’artiste regarde moins loin, il se contient à sa chair, aux représentations égotistes qu’il forme de celle-ci, au seul réseau sensible qui s’organise à partir d’elle. Mais ce faisant, il lui faut scruter au plus profond, s’ouvrir, investir son être propre, accepter de faire de lui-même un sujet d’expérience. ».

Paul Ardenne

L’Image corps, Figures de l’humain dans l’art du XXe siècle,  Editions du regard, Paris 2001.

Ce que nous comprenons, c’est la manière dont le corps, à travers l’art, n’a cessé de rendre compte de cette crise de la société dont nous sommes les témoins.

 

Hans Bellmer, Variations sur le montage d’une mineure articulée (Minotaure n°6, décembre 1934).

En dépassant ses limites, le corps s’affranchit de tout manichéisme pour donner consistance à ce qui relevait hier de la Science-fiction, voire du nihilisme. 

Ángela Burón, « Anatomie surréaliste », 2016

Il ne fait guère de doute en effet qu’au XXIe siècle, l’art accompagnera les tendances actuelles aux transformations du corps et à l’hybridation. Cette tendance n’est en rien un quelconque abandon du corps naturel : comme l’affirme très bien l’artiste Stelarc, dans  un entretien avec Jacques Donguy le 30 novembre 1995, « Depuis que nous avons évolué en tant qu’hominidés et que deux membres sont devenus préhenseurs, nous avons commencé à créer des artefacts, des outils, des instruments, des ordinateurs… Le corps a toujours possédé la technologie […]. Pour moi, cette mentalité technophobique de la fin du millénaire est très étrange, et je pense qu’elle est déclenchée par une notion nostalgique, ou plutôt romantique, selon laquelle le corps est simplement biologique dans un paysage naturel, ce qui n’a jamais été le cas »¹

1. Stelarc, L’Art au corps : le corps exposé de Man Ray à nos joursCatalogue de l’exposition, Musées de Marseille/Réunion des Musées Nationaux, 1996 page 217. COTE CDI : 7.038.6 ART

Stelarc, Handswriting, Maki Gallery, Tokyo 1982.

Une telle conception n’est cependant pas évidente : de fait, ce qui est radicalement nouveau dans l’art contemporain, c’est la façon dont les artistes s’accommodent des possibilités inouïes de la science pour façonner le corps au gré de leurs envies ou de leurs fantasmes. On objectera à juste titre que l’art a valorisé par le passé d’audacieuses manipulations corporelles : ainsi les savoureux portraits phytomorphes du peintre italien Giuseppe Arcimboldo (Milan, 1537-1593) suggérés par des végétaux, des animaux ou des objets astucieusement disposés. Mais point de manipulation génétique derrière ces têtes plaisantes composées de fruits, légumes, végétaux : plutôt une invitation à rappeler combien notre corps est « nourri » par une nature douce et bienveillante comme le serait une mère nourricière. 

← Giuseppe Arcimboldo, Vertumne (huile sur toile, 1690).  Château de Skokloster (Suède)

Au contraire de cet humanisme, l’art moderne suppose un changement dans la représentation de notre propre corps. Ainsi, l’attrait fantasmé pour les techno-sciences amène à reconstruire l’identité même de l’humain. Entre raison et déraison, sentiment de finitude et pressentiment de l’infini, le corps artificiel ne tend-il pas à devenir un pur artefact ? Car cette dissolution du corps-sujet en corps-objet implique nécessairement une mise à distance du corps comme substrat de l’être. D’où cette question essentielle : le corps a-t-il le même statut que les choses ? Et pareille démarche ne s’apparente-t-elle pas à une objetisation du corps humain ?

En manipulant le corps comme s’il s’agissait d’un appareil, d’une machine, les artistes ne mettent-ils pas en évidence la facticité et le vide du soi corporel dans le monde moderne ? Devenu signe, illusion (cf. Baudrillard), le corps est mis en scène selon la logique de la « société du spectacle » pour reprendre une célèbre expression de Guy Debord.

                   Claes Oldenburg posant devant l’une de ses œuvres (Giant toothpaste tube, 1964)

Vers un art « post-humain » ? 

En cherchant à remettre en cause la conception traditionnelle de la nature humaine et des valeurs morales, l’art mutant s’inscrit dans le dépassement subversif du corps selon une logique de (dé)-monstration proche de l’exhibition voire de l’obscène : transparence et voyeurisme vont de pair. Impudiques, exhibant et maltraitant le corps comme une chose, les tendances artistiques actuelles tendent en effet à faire du corps un simple conglomérat de tissus et d’organes remettant en question notre espace intime. Faut-il y voir une tentative un peu vaine de lutter contre la réification de l’homme par la technologie ?

Ce qui est certain, c’est que le  monde postmoderne imposera de renoncer à ce qui définissait conventionnellement notre individualité. Il n’est guère étonnant que la fragmentation et la dépersonnalisation soient à la base de l’art moderne : la personne, c’est le corps biologique, marqué par les déterminismes, la douleur, les émotions. Antonin Artaud disait « Là où ça sent la merde, ça sent l’être » (Pour en finir avec le jugement de Dieu) : derrière ces propos ouvertement provocateurs, il y a l’idée que c’est le corps qui nous fait exister.

Fragmenter le corps, c’est fragmenter l’être. L’art fragmenté du XXIe siècle est à la recherche du sens perdu, de même que l’homme fragmenté est en quête de son corps perdu : « à corps perdu » pourrions-nous dire… D’où cette question : « L’art du XXIe siècle sera-t-il post-humain ? » Tourné en 1997, le clip All Is Full of Love de l’artiste islandaise Björk (album Homogenic) apporte un élément de réponse en amenant à penser l’humain à travers le machinique.

Ce qui était aliénation dans Les Temps modernes de Chaplin prend ici une toute autre valeur : derrière les mouvements de piston, les agencements machiniques de vissage et les multiples rotations d’éléments mécaniques, c’est bien le corps humain qui se donne à penser comme machine : machine-organe, machine désirante utilisée à des fins de neutralisation du corps. Le titre même du clip suggère un accouplement… de machines, selon une logique de prise en charge des pulsions. Humanisée, la machine est indissociable d’une dépersonnalisation de l’homme : utopie terrifiante du corps idéal tourné en dystopie.

Reconnaissons-le, cette évolution de l’art qui fait du corps un espace d’expérimentation sans limite est fondamentalement une crise de l’humain. Corps en crise, crise du corps, perte de soi, désir de changer de peau, d’apparence, de sexe, recherche d’une nouvelle chair dans le corps artificiel, exploration des limites par la mise en danger du corps…

Autant d’indices d’un refus du « fondement objectal et existentiel du corps »2 qui peuvent se lire comme une volonté de réécriture de l’Homme. En substituant le machinique, l’organique, l’animal à l’humain, l’art confronte le réel à toutes les virtualités : le corps devient malléable, transformable, manipulable. Il perd sa rigidité, et ce faisant s’affranchit de l’obsolescence programmée du corps

2. Patricia Signorile, Paul Valéry philosophe de l’art, L’architectonique de sa pensée à la lumière des Cahiers, Librairie philosophique Jean Vrin, Paris 1993, page 71.

Pour conclure…
Progression de l’homme, régression de l’humain


C

ette négation des déterminismes est sans doute l’aspect le plus marquant de l’art contemporain : marqué par la crise de l’identité, il semble installer durablement l’Homme dans le readymade : mais à la différence de la fameuse bicyclette de Marcel Duchamp en 1916, ce ne sont pas des objets qui sont manipulés, c’est l’homme lui-même promu à la dignité d’objet. Aux roues de bicyclette fixées sur un tabouret, aux urinoirs retournés, aux porte-chapeaux suspendus dans le vide succéderont les bricolages génétiques, les clonages et autres manipulations du corps humain dont l’art contemporain semble tirer son inexorable substance…

Au scepticisme absolu de l’art d’après-guerre dans la seconde moitié du vingtième siècle, qui considérait le monde ainsi que l’existence humaine comme dénués de sens, semble ainsi succéder aujourd’hui un art qui tente désespérément de s’approprier la recherche d’un sens dans l’homme artificiel. 

Progression de l’homme, régression de l’humain :
ce paradoxe est à la base  de notre postmodernité
.

Progression de l’homme, c’est-à-dire négation des déterminismes… Mais cela ne revient-il pas en définitive à nier l’élément le plus essentiel de l’humain, qui est son humanité, c’est-à-dire sa conscience qu’il a de lui-même ? Comme le disait Paul Valéry, « La vie est pour chacun l’acte de son corps »…

© Bruno Rigolt30 décembre 2017 (dernière mise à jour : 11/09/2022. 17:22)

© Bruno Rigolt, « ↑/↓ », 01/01/2018 (digital painting)

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Support de cours BTS. Thème « Corps naturel, corps artificiel » Corps en crise, crise du corps : du corps comme objet d'art au corps dystopique

Support de cours BTS. Thème « Corps naturel, corps artificiel »


Les dystopies du corps :
Corps en crise, crise du corps

Le corps entre survalorisation et dépréciation


par Bruno Rigolt

Niveau de difficulté de ce cours :  difficile 

« Une autre fois, un démon d’anatomiste ne m’a-t-il pas, pour s’amuser, mis en pièces comme une poupée articulée, destinée à servir à toutes sortes d’essais diaboliques, voulant voir, par exemple, quel effet produirait un de mes pieds planté au milieu de ma nuque ou mon bras droit fixé dans le prolongement de ma jambe gauche ?… »

Ernst Theodor Amadeus Hoffmann, « Le Magnétiseur », 1814.
In : Contes. |Wikisource|

« Nos corps entrent dans les divans sur lesquels nous sommes assis, et les divans
entrent en nous comme le tramway qui passe entre les maisons.»

Umberto Boccioni
Cité par Pierre Courthion, « Boccioni sculpteur de l’antisculptural »
In : XXe siècle, n°19, juin 1962 (« Tournants décisifs »), page 17.

N

ous vivons une époque de profonde transgression, époque de mutations et de redéfinition sans précédent des valeurs humaines. Tout semble pourtant comme avant : les guerres sont les mêmes guerres, le sang versé est le même sang versé, et le soleil est le même soleil qu’il y a quatre milliards et demi d’années. Mais voici qu’en vérité les territoires de l’homme se sont profondément transformés. Sans nous en rendre compte, nous marchons dans les ornières d’un monde qui s’est structurellement modifié, avec ses visions de séismes et de tsunamis, monde qui implique de redessiner les liens entre les chemins sinistrés de l’Humanisme et la grande mutation de notre système identitaire promise par les temps à venir.

En fait, cette mort des civilisations, terriblement annoncée par Paul Valéry dans la Crise de l’esprit en 1916, s’apparente davantage à une mutation anthropologique : l’individu hypermoderne est l’enfant mort-né de l’idée de société au sens historique du terme, comme si le monde ayant dépassé ses limites, l’avait contraint à se chercher d’autres abris pour y loger son corps. Et face à ce monde mutant, monde sans idéal, sans quête, sans transcendance, répond l’idée de corps-spectacle, de corps médiatique, de corps augmenté, amélioré, seules possibilités pour l’humain de dépasser ses limites et d’exprimer son essence. 

Le corps comme « matériau expérimental »

Ainsi que nous le notions dans un précédent support de cours¹, « cette décorporéisation du corps est en fait étroitement associée à une quête pour l’homme de son corps utopique […] comme si la vie artificielle constituait l’aveu frappant de sa finitude ». Je parlais de corps utopique mais le développement du scientisme à partir de la seconde moité du XIXe siècle n’oblige-t-il pas plutôt à parler de corps dystopique ? 

Nul mieux que l’art à partir du XXe siècle n’a en effet exprimé ce désenchantement du corps qui est fondamentalement une crise de l’Humanisme. 

Malmené et asservi par la science, déconnecté de la pensée humaniste, noyé au sein d’une machine sociale qui le submerge, le corps devient le lieu d’expérimentation de l’humain. Prisonnier entre l’utopie d’une jeunesse éternelle et la dystopie d’une trop longue vieillesse, il subit à partir du vingtième siècle une crise fondamentale, qui est d’abord une crise de l’identité corporelle. 

René Magritte Entr’acte (huile sur toile), 1928. Collection privée.

Livré à une expérimentation illimitée sur lui-même, le corps perd d’une part son intégrité physique : il cesse d’avoir une forme absolue ; il devint variable et ouvert à toutes les déformations possibles comme en témoigne cette curieuse toile de Magritte, Entr’acte, peinte en 1928 : on y voit depuis le fond de scène d’un théâtre des fragments de corps désexués et sans visage semblant regarder les rangs d’un public absent remplacé par un étrange décor volcanique.

Mais ce renversement des relations premier-plan/arrière-plan² suggère plus fondamentalement un renversement des valeurs morales : en perdant son unité organique, le corps perd conséquemment son intégrité métaphysique. Aux conceptions religieuses traditionnelle du corps —marqué par l’unité originelle et promis à la résurrection—, s’oppose un corps morcelé, libéré de l’éthique, soumis à toutes les dérives plastiques de l’objet et à tous les fantasmes de l’imaginaire. 

Ce renversement de la relation entre le corps et la réalité sera l’une des constantes de l’art du vingtième siècle, à commencer par le Cubisme. Le tableau de Picasso intitulé « Femmes devant la mer » (1956) est une parfaite illustration des remarques précédentes. En introduisant dans sa peinture des distorsions, des schématisations géométriques, des morcellements, le peintre provoque une remise en question des normes de beauté du corps. 

Épuré, dépouillé, schématisé, le corps se disloque, se distend, explose, et passe finalement du domaine de la représentation au domaine de l’abstractionCe renversement des goûts et des pensées est essentiel : dégagé de son contexte référentiel, le corps semble se métamorphoser au point de n’être plus qu’un matériau de base, hors-norme, distancié, déconnecté de l’esthétique traditionnelle : corps comme outil conceptuel, corps comme artifice, comme image mentale projetée sur le sujet. 

Il faut ici faire remarquer combien, au-delà de la peinture de Picasso et du Cubisme, c’est tout l’art moderne qui a révolutionné notre rapport au corps en introduisant une esthétique de la distanciation du corps naturelEn déformant le visage et le corps humains, l’art moderne s’inscrit ainsi dans un esprit de révolte par rapport au réel. Délivré de son obligation de ressemblance, soumis à l’indéterminé, à l’aléatoire, au hasard, le corps devient un instrument d’exploration et progressivement, de transgression sociale.

  1. Corps humain et corps « déshumain » : entre identité et altérité
  2. Voir à ce sujet l’ouvrage de Marcel Paquet, Magritte ou l’éclipse de l’être, Éditions La Différence, 1982.


La désublimation du corps dans l’art moderne

Les deux guerres mondiales et les nombreux conflits du vingtième siècle ont sans nul doute accentué cette réification de l’Homme. Au scientisme triomphant qui prévalait depuis la fin du XIXe siècle, la guerre ébranle profondément le statut ontologique de l’Homme : c’est tout l’être qui devient malmené. Par son caractère dramatique, interruptif et hyperbolique, la guerre constitue donc une rupture dans la temporalité historique ainsi qu’une remise en cause brutale du corps comme univers de référence. Ce qui subsiste de l’humain, c’est l’inhumain : corps tordus dans la souffrance, cris des blessés déchirant la nuit, mosaïques de cadavres entassés pêle-mêle dans les fosses…

Dante Gabriel Rossetti
« Lady Lilith », 1866 

Wilmington (USA), Delaware Art Museum

À la quête idéale du corps parfait dont les Préraphaélites, héritiers du puritanisme victorien avaient fait leur matière, répond la représentation du corps en douleur au XXe siècle : le corps perd son unité, il devient une addition d’instants de corps qui l’artificialisent. Ce que Marcel Gromaire (1892-1971) peint dans « La Guerre » (1925), ce ne sont pas des corps d’hommes, ce sont des corps-machines, mécanisés, déshumanisés et pétrifiés dans l’attente de la mort. Statufié dans un espace vide, le corps devient un monument funéraire : corps dystopique, corps-robot assujetti au poison terrifiant des machines¹, et annonciateur du monde de demain, rationalisé et totalitaire qu’a si bien décrit l’écrivain Georges Bernanos dans La France contre les robots.

Marcel Gromaire, « La Guerre » , 1925
(Musée d’art moderne de la Ville de Paris. © ADAGP/RMN – Bulloz)

L’histoire de l’art moderne serait ainsi celle de l’identité perdue. Si elle tire son origine des crises institutionnelles et sociales du dix-neuvième siècle, elle précipite le monde vers une fin de l’histoire marquée par l’abolition de la temporalité et la mise à l’épreuve du corps. « S’attaquant avec la même force, aux natures mortes qu’au corps humain, le Cubisme fait voler en éclat la représentation du réel, déforme la figure humaine jusqu’à la monstruosité »². À la fragmentation de l’Histoire répondent les corps disloqués de Guernica, ébranlant la représentation picturale et sculpturale du XXème siècle. Ces corps disloqués ne sont-ils pas un terrible « théâtre de la cruauté » ? Désordre de corps en chaos, apocalypse en noir et blanc de corps suppliciés et démembrés…

Pablo Picasso, « Guernica », 1937 (détail)
Madrid, Musée Reina Sofía

  1.  Centre Pompidou, « Le corps dans l’œuvre ». 

« 1938-1945 : des camps, des corps, des barbelés, des gardes. Il y avait ceux qui étaient dehors et ceux qui étaient dedans : une masse de chairs qui furent à la fois anonymées, inventoriées, marquées, manipulées, tuées. Au nom de quoi ? […] Folie eugéniste, folie de création, folie meurtrière, folie de l’imaginaire de l’homme qui se prend pour le créateur de la vie à venir. Des images sortent de la nuit et du brouillard, surgissent encore après un demi-siècle : tri des corps devenus choses, objets d’expérimentation, vies devenues rouages d’un travail forcé – de la machine à produire. Des corps-choses sont répertoriés: les hommes d’un côté, les femmes de l’autre ou encore ceux qui vont vivre et travailler et ceux qui vont mourir. Toujours, quel que soit l’ordre du jour, deux files, deux chemins. Couloir de gauche ou couloir de droite, en rangs serrés ; le destin se restreint à un choix qui vous met sur une liste ou sur une autre. Les chairs et l’intime sont gérés, comme les accumulations de linges, de vêtements, de chaussures, de bijoux et autres objets de valeur récupérés. La valeur est regroupée, rangée en série, pour mieux être évaluée. […]. Peut-on encore imaginer un monde à partir de ces cendres-là ? Après les guerres du XXe siècle − après la dernière, celle que l’on a dite totale, celle d’un système nommé totalitaire − l’artiste pouvait-il encore faire de l’art, pouvait-il encore représenter une culture ? »

Lydie Pearl
Corps, sexe et art : dimension symbolique
Paris L’Harmattan 2001. « Préambule », pages 7 et 8.



 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

L’exemple du corps artificiel chez les Futuristes italiens

« L’homme multiplié et le règne de la machine »

Filippo Tommaso Marinetti

Il faut préparer aussi la prochaine et inévitable identification de l’homme avec le moteur, facilitant et perfectionnant un échange continuel d’intuitions, de rythmes, d’instincts et de disciplines métalliques, absolument ignorées aujourd’hui par le plus grand nombre, et devinées seulement par les esprits les plus lucides.

[…] nous aspirons à la création d’un type inhumain, en qui seront abolis la douleur morale, la bonté, la tendresse et l’amour, seuls poisons corrosifs de l’intarissable énergie vitale, seuls interrupteurs de notre puissante électricité physiologique.

Nous croyons à la possibilité d’un nombre incalculable de transformations humaines, et nous déclarons sans sourire que des ailes dorment dans la chair de l’homme. Le jour où il sera possible à l’homme d’extérioriser sa volonté de sorte qu’elle se prolonge hors de lui comme un immense bras invisible, le Rêve et le Désir, qui sont aujourd’hui de vains mots, régneront souverainement sur l’espace et sur le temps domptés. 

Le type non humain et mécanique ; construit pour une vitesse omniprésente, sera naturellement cruel, omniscient et combatif. Il sera doué d’organes inattendus : des organes adaptés à un environnement fait de chocs continus. 

F. T. Marinetti,
L’Homme multiplié et le règne de la machine (extraits). Article rédigé en Français en mai 1910.

Cité par Giovanni Lista,
Le Futurisme, textes et manifestes (1909-1944),
Éditions Champ Vallon 2015
|Lien|

Une démesure
du corps humain…

 
 

Il serait intéressant d’évoquer ici le corps technologique souvent vanté par les futuristes italiensEn tant que mouvement d’avant-garde, le Futurisme apparaît à une époque de profonds bouleversements idéologiques dans la culture européenne. Le culte du progrès et du scientisme, largement célébré dans la poésie futuriste, débouche donc sur l’affirmation d’un corps artificiel et hybride, identifié à la machine (voir ci contre), privé de son affectivité, et obsédé par la toute-puissance.

Ainsi dans « L’Homme multiplié et le royaume de la machine », article rédigé en français en 1910 et republié en italien en 1915 dans le recueil Guerra sola igiene del mondo (Guerre seule hygiène du monde), le poète italien Filippo Tommaso Marinetti (1876-1944), chef de file du mouvement futuriste, fait l’éloge de l’homme futuriste au corps artificiel et mécanique

Comme le note très bien Giovanna Sapperi, « le corps technologique imaginé par Marinetti est donc caractérisé par un processus de métamorphose du sujet en engin métallique. Ce fantasme d’une fusion entre la chair et le métal permet d’imaginer un corps dur, phallique, imimmunisé contre les menaces intérieures et extérieures, un être à la psychologie inhumaine et au corps impénétrable »*.  

Il faut ici évoquer l’œuvre d’Umberto Boccioni, qui est avec le poète Marinetti, le protagoniste le plus important du mouvement futuriste : dans sa célèbre sculpture, Formes uniques de la continuité dans l’espace (1913), il représente un agrégat de formes censées figurer un homme. Mais un homme sans bras, « image triomphante et mythique de l’homme nouveau en marche vers le futur » (G. Lista). Cette déshumanisation du corps naturel correspond inévitablement à une mise à l’écart de l’homme et à une objectivation du corps artificiel : sorte de surhomme fasciste dont le corps dystopique devient la forme primordiale de la Volonté de Puissance :  idéologie du corps artificiel et anti-humanisme vont de pair.

* Giovanna Zapperi, « Du Surhomme au non-homme. Visions du corps-machine en temps de guerre », in : Véronique Adam, Anna Caiozzo, La Fabrique du corps humain : la machine modèle du vivant, CNRS/MSH-Alpes 2010, page 318..

Umberto Boccioni (1882-1916), Formes uniques de la continuité dans l’espace (1913)
New York, MOMA

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L’atteinte au corps dans l’art :
du corps narcissique à la remise en cause de l’intégrité corporelle

Paradoxalement, cet « adieu au corps » (David Le Breton) que nous avons interprété comme une réification croissante de l’Homme, se traduit par une survalorisation du corporel, des postures et des dévoilements. En jouant sur les limites, la provocation corporelle ainsi que le narcissisme hyperbolique, la culture excentrique qui explose dans la deuxième moitié du XXe siècle préfigure l’adieu au corps : véritable chant du cygne, elle précipite le corps dans l’Underground : tatouages, piercings, style punk, épingles à nourrice, vinyle, zips, etc., s’ils magnifient superbement la culture excentrique et son extravagance, traduisent plus fondamentalement un profond dérèglement existentiel

Regardez ce cliché extrait du très beau clip Big girls cry réalisé en 2015 par Daniel Askill pour la pop-star australienne Sia : on y voit la jeune danseuse Maddie Ziegler dans une scène forte évoquant un étranglement. Le symbolisme très élaboré de la chorégraphie de Ryan Heffington interroge immédiatement le rapport au corps et suggère en palimpseste un abus sexuel. Proche du Body Art, le travail artistique sur le corps est inséparable d’un processus de manipulation corporelle : il s’agit presque pour le corps d’éprouver ses propres limites.

Cette expression du danger, de la douleur est également parfaitement rendue dans le clip que Terry Richardson réalisa en 2013 pour la chanteuse Miley Cyrus (Wrecking Ball). Au-delà de la polémique suscitée par le caractère osé du tournage, ce qui transparaît est l’articulation de l’intégrité corporelle, fortement anthropocentrique et narcissique, à l’altérité du moi et du corps suggérée par la dévastation du décor. Mais ne nous méprenons pas sur cette mise en scène du corps : s’il semble sublimé, le corps de la chanteuse est en réalité réifié comme concept puisqu’il se conteste lui-même. Survalorisé comme objet, le corps doit paradoxalement se détruire pour exister en tant que sujet

Peau lisse, visage inexpressif dans un décor de gravas  : le corps sous le regard du photographe japonais Nobuyoshi Araki

Cette remise en cause de l’intégrité corporelle est évidemment particulièrement sensible de nos jours où les souffrances humaines résultant des dysfonctionnements socio-économiques ont profondément ébranlé l’intégrité structuro-fonctionnelle des sociétés : formaté par la publicité, la mode, les médias, confronté brutalement aux enjeux bioéthiques de la génétique, le mythe du corps artificiel semble le point d’ancrage d’un profond désordre social qui résulte en fait d’une culpabilité du corps naturel.

Jamais assez jeune, jamais assez beau, jamais assez mince, le corps est devenu le parent pauvre autant que le souffre-douleur de l’Homme. Si l’atteinte au corps est tellement exploitée dans l’art, particulièrement depuis le XXe siècle, c’est sans doute parce qu’il met en jeu le corps politique et social dont il est en réalité le terrible reflet. Comme le dit très bien Paul Ardenne, « le corps est moins que jamais une figure neutre. Un espace de conflits plutôt, trouble décalque de l’instabilité de la condition humaine » |source| : ce n’est pas l’ordre et la mesure qui façonnent le spectacle du monde mais l’excès, l’hybris et la démesure. 

Alighiero Boetti, Io che prendo il sole a Torino il 19 gennaio 1969 
Boules de ciment, 1969

Au-delà même de la représentation, le corps devient outil, trace et empreinte : corps-mémoire, mais aussi corps hybride, noueux, déformé, découpé, tordu, morcelé… Regardez cet étrange assemblage de boules de ciment réalisé en 1969 par Alighiero Boetti (« Moi qui prends le soleil à Turin le 19 janvier 1969 ») : derrière ces 111 boules de ciment figurant une forme humaine, n’est-ce pas le corps séché d’un cadavre gisant sur le sol, déjà raidi,  que nous contemplons ? En mettant en scène notre relation traumatique à nous-même, le corps dystopique fait donc figure de révélateur des désordres du monde

« L’atteinte corporelle est une attaque du corps de l’espèce, elle perturbe les formes humaines et suscite ainsi le trouble et le rejet. Celui qui s’incise, se brûle ou se suspend dit son mépris ou son indifférence face au corps lisse, hygiénique, esthétique, achevé qui est de mise dans nos sociétés contemporaines. La sacralité diffuse qui entoure socialement le corps est altérée, profanée. En « abîmant » son corps, comme le dit le discours commun, l’individu entre dans une sorte de dissidence. Attenter à l’image du corps (et donc de soi), s’infliger délibérément une douleur, ce sont là deux transgressions essentielles aux yeux de la société, et pour l’individu deux manières de dire son refus des conditions d’existence qui sont les siennes. En brisant les limites du corps, l’individu bouleverse ses propres limites et s’attaque simultanément aux limites de la société, puisque le corps est un symbole pour penser le social. »

David Le Breton

« Lukas Zpira ou le hacker corporel », in : Lukas Zpira, Onanisme Manu Militari II,
Hors Éditions, 2005.

Liée à l’Art corporel (ou Body-Art), l’œuvre de Paul McCarthy exprime cette profonde dystopie du corps : n’hésitant pas à s’automutiler et à maculer son corps de tâches de peinture, McCarthy fait du corps le creuset d’une profonde angoisse existentielle : « J’utilise le corps comme réceptacle des peurs, des obsessions, des conflits générés par notre société »¹. Ces propos sont à rapprocher des prises de position de François Pluchart, l’un des grands théoriciens de l’Art corporel : « Tout créateur est un terroriste dont l’efficacité se mesure à la capacité de dynamiser les esprits et d’entraîner avec lui, pour les transformer, le plus grand nombre d’individus, qu’ils soient ou non conscients de lui être redevables de leur attitude à mieux appréhender l’exercice de la vie »².


Paul McCarthy, « Two heads », 1971-1993. Diptyque cibachrome (© Galerie Georges-Philippe Vallois, Paris)
Exposition L’Art au corps : le corps exposé de Man Ray à nos jours
Marseille, MAC, galeries contemporaines des Musées de Marseille, 6 juillet-15 octobre 1996. Catalogue de l’exposition, page 163.
© Musées de Marseille, Réunion des Musées Nationaux, 1996

C’est de cette crise de l’esprit et de l’humain que l’œuvre d’Hans Bellmer (1902 – 1975)  tire également toute sa substance. Ses fameuses « poupées » expriment à travers la profonde hétérogénéité du corps qu’elles donnent à voir l’enjeu même du sens de l’être, ou plutôt le non-sens du non-être. De fait, la question de la dislocation qui est au centre des créations de Bellmer peut se lire comme une dislocation du corps-sujet. Entre conflit et désarticulation, le corps disloqué nous introduit au cœur d’un corps qui expérimente ses propres limites. Devenu objet, le corps naturel s’altère au point d’être machinal, post-humain, artificiel, monstrueux³.

Hans Bellmer, autoportrait avec poupée, Paris 1934

Ce n’est pas un hasard si la déconstruction du corps naturel prend dans l’art contemporain les dimensions d’un véritable manifeste, à la limite de l’extrémisme. Témoin l’artiste américain Chris Burden (1946-2015) qui accède à la notoriété avec « Shoot » (1971), où il n’hésite pas à mettre en danger son corps en se faisant tirer dessus par un complice. Cette esthétique de l’extrême violence faite au corps se retrouve dans l’œuvre sulfureuse de l’artiste et vidéaste américain Vito Acconci (New York, 1940-2017). Comme chez Chris Burden, le corps est utilisé comme un langage transgressif et provocateur allant jusqu’à la destruction. Ainsi, la vidéo See Through (1970) montre le reflet du buste de Vito Acconci dans un miroir. Dans la position d’un boxeur, il met des coups de poings à son reflet jusqu’à briser le miroir.

Vito Acconci, See Through, image extraite de la vidéo →
Source : MOMA


Dans cette lutte avec lui-même, avec son identité, comme pour détruire son image, le corps semble la mesure (la démesure ?) de toutes choses : du langage, de l’espace, de la douleur, des structures sociales. Comme nous l’avons vu tout au long de cette étude, l’essentiel n’est pas tant le corps que sa confrontation à une situation qui questionne l’identité même de notre être au monde. L’art du corps semble donc pleinement confirmer ces propos de David Le Breton : « Entre l’homme et son corps, il y a un jeu, au double sens du terme. Le corps est aujourd’hui un double, un autre soi-même mais disponible à toutes les modifications, preuve radicale et modulable de l’existence personnelle et affichage d’une identité provisoirement ou durablement choisie » |Source|. 

  1. Virginie Luc, Gérard Rancinan, Art à mort, Éditions Léo Scheer, Paris 2002, page 47.
  2. François Pluchart, L’Art : un acte de participation au monde. Nîmes : Jacqueline Chambon, 2002, page 180. Cité par Chantal Pontbriand (2002).
  3. Voir à ce sujet notre support de cours : « Extraordinaire, monstruosité et métamorphose ».

Corps et malaise identitaire

Corps sujet, corps objet


« Le corps, donc, comme cette réalité de toute façon présente à notre être, absolument tangible mais aussi divisée sans arrêt : un objet, et un sujet ; le support du moi mais, aussi bien, celui d’autrui ; une incarnation, et tout autant une représentation. Un complexe, en somme, tandis que la vie se charge d’harmoniser du mieux possible ces pôles d’appréhension divergents du phénomène corporel ; et un problème, de fait, sitôt et pour peu que défaille cette mécanique d’harmonisation. S’il est à tous au quotidien, s’il fait en termes cliniques la fortune de la psychologie et de l’hôpital, le corps compris comme complexe problématique n’en est pas moins aussi, comme on devine, le bien de l’art. Ce qu’est le corps, réalité, enjeu et stratégies, trouve là une déclinaison des plus aiguës qui soit. Car l’artiste ne fait pas qu’éprouver son corps, à l’instar de tout un chacun. Encore lui faut-il en écrire la formule. L’œuvre d’art joue ce rôle, dont une Sarah Kofman, dans la lumière freudienne, a bien montré la fonction à la fois transitive et réparatrice. Que l’artiste, en un raccourci radical, décide de dire son corps seul, de le conjuguer, d’en produire l’image ou la matière, voilà qui démultiplie aussitôt l’enjeu de l’art, mais de manière paradoxale, le champ de l’expression artistique se révélant subitement concentré. Élisant son corps comme “objet d’art” (H. P. Jeudy), l’artiste regarde moins loin, il se contient à sa chair, aux représentations égotistes qu’il forme de celle-ci, au seul réseau sensible qui s’organise à partir d’elle. Mais ce faisant, il lui faut scruter au plus profond, s’ouvrir, investir son être propre, accepter de faire de lui-même un sujet d’expérience. ».

Paul Ardenne

L’Image corps, Figures de l’humain dans l’art du XXe siècle,  Editions du regard, Paris 2001.

Ce que nous comprenons, c’est la manière dont le corps, à travers l’art, n’a cessé de rendre compte de cette crise de la société dont nous sommes les témoins. 

Hans Bellmer, Variations sur le montage d’une mineure articulée (Minotaure n°6, décembre 1934).

En dépassant ses limites, le corps s’affranchit de tout manichéisme pour donner consistance à ce qui relevait hier de la Science-fiction, voire du nihilisme. 


Ángela Burón, « Anatomie surréaliste », 2016

Il ne fait guère de doute en effet qu’au XXIe siècle, l’art accompagnera les tendances actuelles aux transformations du corps et à l’hybridation. Cette tendance n’est en rien un quelconque abandon du corps naturel : comme l’affirme très bien l’artiste Stelarc, dans  un entretien avec Jacques Donguy le 30 novembre 1995, « Depuis que nous avons évolué en tant qu’hominidés et que deux membres sont devenus préhenseurs, nous avons commencé à créer des artefacts, des outils, des instruments, des ordinateurs… Le corps a toujours possédé la technologie […]. Pour moi, cette mentalité technophobique de la fin du millénaire est très étrange, et je pense qu’elle est déclenchée par une notion nostalgique, ou plutôt romantique, selon laquelle le corps est simplement biologique dans un paysage naturel, ce qui n’a jamais été le cas »¹

Stelarc, Handswriting, Maki Gallery, Tokyo 1982.

Une telle conception n’est cependant pas évidente : de fait, ce qui est radicalement nouveau dans l’art contemporain, c’est la façon dont les artistes s’accommodent des possibilités inouïes de la science pour façonner le corps au gré de leurs envies ou de leurs fantasmes. On objectera à juste titre que l’art a valorisé par le passé d’audacieuses manipulations corporelles : ainsi les savoureux portraits phytomorphes du peintre italien Giuseppe Arcimboldo (Milan, 1537-1593) suggérés par des végétaux, des animaux ou des objets astucieusement disposés. Mais point de manipulation génétique derrière ces têtes plaisantes composées de fruits, légumes, végétaux : plutôt une invitation à rappeler combien notre corps est « nourri » par une nature douce et bienveillante comme le serait une mère nourricière. 

← Giuseppe Arcimboldo, Vertumne (huile sur toile, 1690).  Château de Skokloster (Suède)

Au contraire de cet humanisme, l’art moderne suppose un changement dans la représentation de notre propre corps. Ainsi, l’attrait fantasmé pour les techno-sciences amène à reconstruire l’identité même de l’humain. Entre raison et déraison, sentiment de finitude et pressentiment de l’infini, le corps artificiel ne tend-il pas à devenir un pur artefact ? Car cette dissolution du corps-sujet en corps-objet implique nécessairement une mise à distance du corps comme substrat de l’être. D’où cette question essentielle : le corps a-t-il le même statut que les choses ? Et pareille démarche ne s’apparente-t-elle pas à une objetisation du corps humain ?

En manipulant le corps comme s’il s’agissait d’un appareil, d’une machine, les artistes ne mettent-ils pas en évidence la facticité et le vide du soi corporel dans le monde moderne ? Devenu signe, illusion (cf. Baudrillard), le corps est mis en scène selon la logique de la « société du spectacle » pour reprendre une célèbre expression de Guy Debord.

Claes Oldenburg posant devant l’une de ses œuvres (Giant toothpaste tube, 1964)
  1. Stelarc, L’Art au corps : le corps exposé de Man Ray à nos joursCatalogue de l’exposition, Musées de Marseille/Réunion des Musées Nationaux, 1996 page 217. COTE CDI : 7.038.6 ART

Vers un art « post-humain » ? 

En cherchant à remettre en cause la conception traditionnelle de la nature humaine et des valeurs morales, l’art mutant s’inscrit dans le dépassement subversif du corps selon une logique de (dé)-monstration proche de l’exhibition voire de l’obscène : transparence et voyeurisme vont de pair. Impudiques, exhibant et maltraitant le corps comme une chose, les tendances artistiques actuelles tendent en effet à faire du corps un simple conglomérat de tissus et d’organes remettant en question notre espace intime. Faut-il y voir une tentative un peu vaine de lutter contre la réification de l’homme par la technologie ?

Ce qui est certain, c’est que le  monde postmoderne imposera de renoncer à ce qui définissait conventionnellement notre individualité. Il n’est guère étonnant que la fragmentation et la dépersonnalisation soient à la base de l’art moderne : la personne, c’est le corps biologique, marqué par les déterminismes, la douleur, les émotions. Antonin Artaud disait « Là où ça sent la merde, ça sent l’être » (Pour en finir avec le jugement de Dieu) : derrière ces propos ouvertement provocateurs, il y a l’idée que c’est le corps qui nous fait exister.

Fragmenter le corps, c’est fragmenter l’être. L’art fragmenté du XXIe siècle est à la recherche du sens perdu, de même que l’homme fragmenté est en quête de son corps perdu : « à corps perdu » pourrions-nous dire… D’où cette question : « L’art du XXIe siècle sera-t-il post-humain ? » Tourné en 1997, le clip All Is Full of Love de l’artiste islandaise Björk (album Homogenic) apporte un élément de réponse en amenant à penser l’humain à travers le machinique.

Ce qui était aliénation dans Les Temps modernes de Chaplin prend ici une toute autre valeur : derrière les mouvements de piston, les agencements machiniques de vissage et les multiples rotations d’éléments mécaniques, c’est bien le corps humain qui se donne à penser comme machine : machine-organe, machine désirante utilisée à des fins de neutralisation du corps. Le titre même du clip suggère un accouplement… de machines, selon une logique de prise en charge des pulsions. Humanisée, la machine est indissociable d’une dépersonnalisation de l’homme : utopie terrifiante du corps idéal tourné en dystopie.

Reconnaissons-le, cette évolution de l’art qui fait du corps un espace d’expérimentation sans limite est fondamentalement une crise de l’humain. Corps en crise, crise du corps, perte de soi, désir de changer de peau, d’apparence, de sexe, recherche d’une nouvelle chair dans le corps artificiel, exploration des limites par la mise en danger du corps…

Autant d’indices d’un refus du « fondement objectal et existentiel du corps »¹ qui peuvent se lire comme une volonté de réécriture de l’Homme. En substituant le machinique, l’organique, l’animal à l’humain, l’art confronte le réel à toutes les virtualités : le corps devient malléable, transformable, manipulable. Il perd sa rigidité, et ce faisant s’affranchit de l’obsolescence programmée du corps

  1. Patricia Signorile, Paul Valéry philosophe de l’art, L’architectonique de sa pensée à la lumière des Cahiers, Librairie philosophique Jean Vrin, Paris 1993, page 71.

Pour conclure…
Progression de l’homme, régression de l’humain


C

ette négation des déterminismes est sans doute l’aspect le plus marquant de l’art contemporain : marqué par la crise de l’identité, il semble installer durablement l’Homme dans le readymade : mais à la différence de la fameuse bicyclette de Marcel Duchamp en 1916, ce ne sont pas des objets qui sont manipulés, c’est l’homme lui-même promu à la dignité d’objet. Aux roues de bicyclette fixées sur un tabouret, aux urinoirs retournés, aux porte-chapeaux suspendus dans le vide succéderont les bricolages génétiques, les clonages et autres manipulations du corps humain dont l’art contemporain semble tirer son inexorable substance…

Au scepticisme absolu de l’art d’après-guerre dans la seconde moitié du vingtième siècle, qui considérait le monde ainsi que l’existence humaine comme dénués de sens, semble ainsi succéder aujourd’hui un art qui tente désespérément de s’approprier la recherche d’un sens dans l’homme artificiel. 

Progression de l’homme, régression de l’humain :
ce paradoxe est à la base  de notre postmodernité
.

Progression de l’homme, c’est-à-dire négation des déterminismes… Mais cela ne revient-il pas en définitive à nier l’élément le plus essentiel de l’humain, qui est son humanité, c’est-à-dire sa conscience qu’il a de lui-même ? Comme le disait Paul Valéry, « La vie est pour chacun l’acte de son corps »…

© Bruno Rigolt30 décembre 2017 (dernière mise à jour : 09/10/2020. 05:33)

© Bruno Rigolt, « ↑/↓ », 01/01/2018 (digital painting)

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Analyse d’image : L’Humanisme de Dürer à travers « Saint Jérôme dans sa cellule » (1514)

Cette analyse d’image est le fruit d’un travail collaboratif avec mes étudiants de Première S.
Les élèves ont eu la charge difficile de formuler les hypothèses d’interprétation et de dégager quelques grands axes d’analyse.
Merci à toutes et à tous pour les travaux accomplis, souvent de grande qualité.

ANALYSE D’IMAGE

Albrecht Dürer
« Saint Jérôme dans sa cellule »

(1514)

 

Introduction

Très représentatif des ambitions artistiques et spirituelles de l’Humanisme, le Saint Jérôme de Dürer (1471-1528) est l’une des œuvres les plus populaires de l’iconographie religieuse. Datée de 1514, cette gravure sur cuivre est en effet d’une grande force, tant au niveau de l’esthétique que de la pensée qui s’en dégagent. À la différence d’autres travaux dans lesquels le maître de Nuremberg a représenté Jérôme en pénitent (voir annexe 1), c’est au contraire sous les traits du contemplatif et de l’érudit qu’apparaît ici le saint.

Cette gravure célèbre s’inscrit donc dans ce qu’on appellera sous la Renaissance la dignitas hominis, c’est-à-dire la recherche d’une vie spirituelle permettant d’accéder à l’unité profonde de l’être par la réflexion tournée vers la constitution d’un savoir, et la quête idéale du divin. Après avoir analysé les grandes thématiques ainsi que les principes de construction de cette gravure, nous chercherons à montrer que l’impression de paix rayonnante et de sérénité qui s’en dégage s’inscrit dans un parcours allégorique qui révèle progressivement l’homme à lui-même.

         

« Jérôme à la maison »…

Dans un ouvrage consacré au peintre et graveur allemand, le critique d’art Maximilien Gauthier |1| rappelle un détail intéressant : une note manuscrite de Dürer préciserait simplement « Jérôme à la maison » pour désigner la célèbre gravure. Cette expression, si intime et presque familière a de quoi surprendre tant elle semble à l’opposé de la scolastique conventionnelle : elle est pourtant très illustrative, comme nous le verrons plus loin, du nouvel ordre de vie et de valeurs qui caractérise l’esprit humaniste.

De fait, point de représentation édifiante ou excessive de la sainteté dans cette gravure. C’est au contraire un Saint Jérôme pleinement humain, absorbé dans la joie simple d’une fervente traduction de la Bible, qui est montré. Comme le précise Erwin Panofsky, « le saint est au travail dans le fond de la pièce, ce qui, en soi, crée une impression de retrait et de paix. Son pupitre est placé sur une grande table, où ne sont posés qu’un encrier et un crucifix. Absorbé dans son travail, il jouit d’une bienheureuse solitude, avec ses pensées, ses animaux —et avec son Dieu » |2|.

Cet extrême raffinement dans la simplicité, à l’opposé des dogmes scolastiques, fait davantage apparaître Jérôme comme un compagnon au milieu de ses coussins, de ses objets et meubles familiers. On aperçoit même une paire de pantoufles (en désordre !) sous le banc adossé au mur. Alors que l’histoire fait état d’un homme solitaire qui battait sa coulpe en mortifiant ses chairs avec une pierre, c’est ici sous les traits de l’ermite en train d’étudier que Dürer représente l’antique traducteur de la Bible.

                             

L’humanisme comme religion de l’esprit

Cette « indifférence vis-à-vis des formules dogmatiques où l’on tente d’enfermer les rapports entre le Dieu d’amour et les hommes » |3| constitue en soi une véritable révolution spirituelle et pédagogique. De fait, sous le Saint Jérôme de Dürer peut se lire en palimpseste la simplicité de vie des premiers apôtres et un retour aux sources du christianisme, c’est-à-dire à une religion intérieure, hostile à la scolastique, et qui dépasse les apparences ; religion « envisagée non comme objet d’un savoir théorique ou spéculatif, mais comme apprentissage à effectuer, formation à embrasser, sagesse à approfondir » |4|.

Comme nous le suggérions précédemment, ce changement de perspective est très représentatif de l’esprit humaniste. Notez combien toute cette scène respire la quiétude, la vie contemplative ainsi que l’érudition. J’emprunte à Bartolomé Bennassar et Jean Jacquart ces remarques éclairantes : « La religion des humanistes est, à la limite, […] un déisme assez vague, libéré des formes ecclésiastiques. Religion intellectualisée à l’extrême, religion d’érudits, d’hommes de cabinet, dotés d’une vaste culture » |5|. De fait, Saint Jérôme apparaît sur la gravure comme un être tout d’intelligence et de réflexion.

L’esthétique de la scène participe également de cette symbolique : paisiblement allongé sur le sol à côté d’un petit chien profondément endormi, le lion imposant de l’avant plan, vigilant et protecteur (il ne dort que d’un œil), est une allusion directe à la Légende dorée [Somme de récits de vies de saints publiée au Moyen Âge] selon laquelle Jérôme aurait eu pour ami un lion à qui il avait retiré une épine de la patte |6|. Plus encore que la puissance et la majesté, le félin représente ici la sagesse. Comme le note Françoise Rücklin, « la cohabitation paisible du lion avec le chien et le Saint, qui évoque l’harmonie détruite par le péché […] manifeste les effets concrets d’une vie sainte » |7| en adhésion avec des valeurs pouvant aider l’homme à promouvoir son humanité.

Les quatre livres posés sur le banc et l’appui de la fenêtre, s’ils évoquent implicitement la traduction des Évangiles et le travail sur la Vulgate entrepris par Saint Jérôme, rappellent fondamentalement le rôle des humanistes pendant la Renaissance qui permirent, grâce à l’invention de l’imprimerie vers 1450 par Gutenberg et son expansion dès le début du seizième siècle, la diffusion d’idées nouvelles, changeant grandement le rapport au savoir, et marquant ainsi une rupture très nette avec la pensée médiévale.

Quant aux quelques documents —lettres, épîtres ou parchemins— fixés sur le mur du fond de la pièce, s’ils évoquent avec l’anachronique chapeau de cardinal l’aspect intellectuel et spirituel de la vie de ce Père de l’Église, ils n’en constituent pas moins, avec les nombreux objets d’usage posés sur les étagères —carafes, bougeoir, etc.— une parfaite simplicité de vie, à tel point qu’on pourrait presque parler d’une laïcisation du thème religieux. Ainsi la sainteté de Jérôme trouve-t-elle à s’épanouir dans la vie quotidienne, dans la simplicité domestique et le monde des objets proches de l’esprit simple et humble du peuple. Cette conception beaucoup plus familière et intimiste du divin  est d’ailleurs l’un des traits essentiels de l’humanisme qui, en vulgarisant le sacré, le place au niveau de la condition humaine.

              

La calebasse ou l’enracinement du profane dans le monde sacré

Un détail mérite ici toute notre attention : « À la gauche du Saint, suspendue à la poutre qui est au-dessus du seuil de la pièce et soutient le plafond […], une grande calebasse entourée de vrilles et d’une belle feuille à ‘gauche’ alors que sa ‘droite’ montre un pédoncule desséché de fleur. Elle ressemble à celles qui ornent les demeures paysannes » |8|. Cette glorification d’un objet aussi simple et populaire que la calebasse prend ici une portée morale dans la mesure où elle s’inscrit dans une conception presque panthéiste du monde : on a l’impression que la nature, règnant autant que le monde spirituel, est proprement humanisée.

Document 1

Les symboles de la calebasse
________________________
Françoise Rücklin (*)

« Ce végétal tout à la fois insiste sur la vertu du Saint, et, en tant que plante simplement annuelle aux fleurs fort éphémères de surcroît, sur la brièveté de la vie, de ses joies, de la jeunesse, en même temps qu’il met l’accent sur le caractère factice, voire franchement trompeur et toujours transitoire des choses, même les plus belles. »

(*) Françoise Rücklin, La Condition humaine d’après Dürer. Essai d’interprétation symbolique des ‘Meistertiche’, tome 1. Thesis Verlag, Zurich 1995. Chapitre III, page 164.

Cet enracinement du profane dans le monde sacré a deux conséquences : en premier lieu, comme nous l’avons suggéré, ce portrait de Saint Jérôme semble s’affranchir du personnage sacré. L’intérêt porté à l’homme plus qu’au saint accentue non seulement l’impression d’intimité et d’authenticité qui se dégage de la scène, mais il opère grâce aux lignes de force un constant va-et-vient du concret au spirituel, des objets les plus innocents au sens caché des choses. On repère en outre dans cette double démarche, à la fois matérialiste et mystique, une dynamique qui, empruntant ses moyens d’expression au rythme des saisons et aux cycles de la nature, est profondément révélatrice d’une spiritualité et d’une quête métaphysique autant que d’une fusion de la pensée et de l’objet, très caractéristiques de l’humanisme philosophique.

Le monde comme principe d’harmonie

Comme nous le comprenons, le Saint Jérôme de Dürer obéit à une rigoureuse construction qui n’est pas le fruit du hasard, mais qui tend au contraire à l’idée que le monde est une harmonie mathématisable. Ainsi l’a fait remarquer Jean-Eugène Bersier, « une création de forme, d’objets, de leurs combinaisons à première vue inutiles devient une explication nécessaire donnant aux phénomènes de structure parfaite, selon une logique irréelle, les preuves de l’intelligence sublimée, en dehors de l’homme, au-dessus de lui. Une sorte de mystique de la science suggère ces théories de formes dont le graphisme joue dans l’espace autour du nombre d’or. » |9| auquel on attribue une vertu magique, presque surnaturelle.

Cette perception plus aiguë du visible stimule bien évidemment la primauté anthropomorphique du décor : de là l’importance d’éléments qu’on aurait jugé accessoires ou simplement décoratifs dans la peinture médiévale (la calebasse, les livres, la grande fenêtre, le lion, etc.), mais qui sont ici prépondérants dans la mesure où ils ont pour vocation de mettre en pleine lumière la personne humaine, en tant que centre de l’univers (comparez par exemple cette gravure avec le tableau d’Antonello da Messina, « Saint Jérôme dans son étude » : annexe 2). Cette position philosophique, qui remplace le théocentrisme médiéval, a pour conséquence de réinventer le rapport de l’homme avec son environnement : de fait, le vrai sujet de la gravure ne serait pas Saint Jérôme, mais Saint Jérôme en tant qu’homme universel, qui pense le tout et qui a pour vocation de fédérer le monde.

Inspiré des pythagoriciens, d’Euclide et de ses postulats, l’art des humanistes trouve donc son fondement dans un principe d’harmonie qui vise à mathématiser le décor en intégrant la notion de perspective, issue de la pratique architecturale : n’oublions pas que Dürer a été l’auteur d’une Instruction sur la manière de mesurer à l’aide du compas et de l’équerre ! Dans la figure ci-dessous, on peut voir en effet combien la mathématique et l’art semblent se rencontrer dans l’exigence de la forme et de l’esthétique.

Ainsi, les lignes de force qui travaillent et dynamisent l’espace figuratif de la gravure  en structurent également la signification symbolique. On pourrait à cet égard noter la forme ovoïde centrale suggérée par la construction séquentielle de l’image qui, organisant le parcours du regard en fonction d’un ordre imposé par la projection perspective, progresse jusqu’à la sphère parfaite : l’auréole éclatante de Saint Jérôme correspondant au signe de l’homme purifié, détenteur du Verbe primordial.

Image protégée par copyright. Bruno Rigolt, Espace Pédagogique Contributif, novembre 2012Licence Creative CommonsCette image est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Pas de Modification 2.0 FranceThis image is copyrighted (Attribution-NonCommercial-NoDerivs).

Comme on le voit très bien, l’homme humaniste apparaît presque comme un « second dieu, dieu des bêtes qu’il domine, des plantes qu’il cultive, du cosmos qu’il administre : on retrouve le secret d’une antique alliance » |10| qui met en présence l’esprit avec la matière, le sensible avec l’intelligible. Ainsi qu’on l’aperçoit sur l’image, les lignes de fuite mettent bien en évidence la relation circulaire entre Saint Jérôme et  l’ensemble des éléments qui structurent la gravure : à travers cette mystérieuse alchimie s’établit une constante réciprocité d’action qui est au cœur même de la doctrine humaniste, qu’on pourrait définir comme un idéal de pouvoir et de savoir, et comme un effort à la fois individuel et social pour mettre en valeur l’Homme et sa dignité, et fonder sur son étude un « art de vivre par où l’être humain se rend éternel » |11|.

Document 2

Dürer et le principe mathématique
________________________
Erwin Panofsky
(*)

« La construction de l’espace pictural, impeccablement correcte d’un point de vue mathématique, se caractérise, premièrement, par l’extrême brièveté de la distance vue en perspective qui, si la pièce était dessinée en grandeur réelle, ne serait que de 1,25 mètre environ ; deuxièmement, par la faible hauteur de l’horizon, déterminé par le niveau de l’œil du saint assis ; troisièmement, par la position excentrée du point de fuite, lequel est à peu près à 6 millimètres de la marge droite. La faible distance, ajoutée à l’abaissement de l’horizon, contribue à renforcer le sentiment d’intimité. Le spectateur se trouve placé tout près du seuil de la cellule, sur l’une des marches qui y conduisent. Sans être remarqués par le saint et sans empiéter sur son domaine, nous partageons cependant l’espace où il vit, avec l’impression d’être plus des familiers invisibles que des observateurs lointains. Par ailleurs, l’excentration du point de fuite empêche la cellule de ressembler à une boîte exiguë, car le mur nord n’est pas visible ; elle accorde une importance plus grande au jeu de la lumière dans les embrasures des fenêtres ; enfin, elle donne la sensation de pénétrer à l’improviste chez quelqu’un plutôt que de se trouver face à un décor artificiel.

Tout, pourtant, dans cette pièce modeste, est assujetti à un principe mathématique. L’impression apparemment indéfinissable d’ordre et de sécurité, qui est l’essence même du Saint Jérôme de Dürer, peut s’expliquer, du moins en partie, par le fait que les objets distribués dans la pièce occupent des positions aussi fermement déterminées que s’ils étaient fixés aux murs. Ils sont placés soit parallèlement à ces murs, comme la table de saint Jérôme, les livres, les animaux et la tête de mort ; soit en projection orthogonale, comme le cartellino, qui porte la date et le monogramme de l’artiste ; soit encore à des angles précis de quarante-cinq degrés, comme le banc à la gauche du saint. »

(*) Erwin Panofsky, La Vie et l’art d’Albrecht Dürer, éd. Hazan, Paris 2004. Page 242.

Approfondissons désormais le message symbolique que Dürer a voulu délivrer dans cette gravure. Comme nous l’avons suggéré précédemment, entre le monde des apparences sensibles et le monde métaphysique existe pour les Humanistes une unité profonde : la vocation de l’homme étant par la connaissance, de passer des apparences sensibles à l’univers des idées et de l’esprit. Dürer élabore ainsi une savante composition dont il faut déchiffrer plus profondément le sens allégorique.

Une rhétorique des vanités

Intéressons-nous d’abord au fameux crâne placé à gauche sur l’appui de la fenêtre. Le symbolisme de la tête de mort qui se développera dès la fin du Moyen Âge n’évoque pas seulement un certain goût pour le macabre —qui constituera d’ailleurs un trait caractéristique de l’esthétique baroque— mais il contient en germe une signification allégorique et didactique au même titre que le temps qui s‘écoule lentement du sablier. Axée sur le sentiment du néant, cette fascination pour la mort amène à une réflexion sur le thème de la chute, la fragilité de la vie et le tragique de la condition humaine.

Ainsi le crâne devient-il un instrument moralisant, au même titre que le crucifix, renforçant à travers l’isotopie de la mort, la réflexion sur les fins dernières. À ce titre, Françoise Rücklin propose l’interprétation suivante : « Le crâne, la calebasse et le sablier forment […] le triple ‘memento mori’ [souviens-toi que tu es mortel] de cette estampe, et l’on peut remarquer que non seulement le Saint est installé pratiquement au centre de l’espace qu’ils délimitent, mais qu’ils sont situés aux divers extrêmes visibles de la cellule, afin, sans doute de bien manifester que rien, sur terre, n’échappe à l’emprise de la mort » |12|.

Le crâne s’inscrit en effet dans une rhétorique des vanités dont le dessein est bien d’interpeller directement le spectateur en mettant « l’accent sur le caractère éminemment transitoire de la matière et de tout ce qui est humain |13|. Ainsi les jeux de lumière qui proviennent de la grande verrière opaque sont-ils comme une allégorie de la mort, partagée entre le piège des apparences (le crâne, le visible, la beauté éphémère de la calebasse) et la lumière de la foi (l’invisible). Françoise Rücklin fait à ce titre remarquer qu’on peut « observer dans la construction de la gravure une gradation très nette : vanité des honneurs (le chapeau de cardinal), vanité de la beauté (la calebasse), vanité de la vie elle-même et de tout ce qui est matériel, que ce soit animé ou inanimé (le crâne) » |14|.

Il n’est guère étonnant que les vitres soient en « culs-de-bouteille » : si elles laissent pénétrer la lumière du soleil de midi, elles masquent emblématiquement la vanité du monde extérieur fait d’apparence, d’illusion et d’éphémère. N’oublions pas que Saint Jérôme passa une grande partie de sa vie à méditer dans le désert de Syrie. Ainsi la lumière qui pénètre dans le cabinet de travail est-elle à mettre en parallèle avec la lumière spirituelle qui se dégage de l’auréole, véritable centre lumineux du tableau. À la vanité succède la vérité, à l’apparence extérieure, le monde intérieur spirituel, apte à transfigurer le réel.

Pour compléter ces remarques, il faut nous intéresser à la relation symbolique qui s’établit entre trois des éléments les plus fortement éclairés de la  gravure, et qui en constituent toute la force : le lion, le crâne et Saint Jérôme. Comme on le voit dans la figure ci-dessous qui en modifie la tonalité et les contrastes, ce n’est pas un hasard si ces trois éléments font symboliquement apparaître trois formes de l’âme :

1. Le lion, qui symbolise les sens, exprime une des dimensions essentielles de l’âme primitive, animale : il est le signe de la terre, et la force qui met le monde en mouvement.

2. Le motif mortuaire du crâne quant à lui évoque l’âme mortelle de l’homme mais aussi son libre-arbitre : libre, il peut choisir entre le bien et le mal. Créateur et destructeur à la fois, le crâne apparaît ainsi comme la projection de nos désirs, de nos vanités et de nos représentations. Du fait de son emplacement sur l’appui de la fenêtre, il rappelle aussi par l’immortalité de la pierre, que l’âme prolonge la destinée mortelle.

3. Enfin Saint Jérôme apparaît dans sa mandorle |15| comme s’il travaillait au « Grand Œuvre », permettant d’atteindre la connaissance suprême et l’union avec Dieu. Notez combien la parfaite auréole de lumière épiphanique nimbe le visage courbé sur la table de travail et fait symboliquement écho aux rayons du soleil. Vous aurez aussi remarqué que, placé à égale distance de Saint Jérôme et du crâne, le crucifix est comme une invitation à dépasser la vanité du savoir et des honneurs : ce n’est pas par son statut de cardinal que Jérôme s’élève à la sainteté mais en menant une vie ascétique dans la bienveillance, la modération et l’humilité : en témoigne la barbe, symbole de puissance alliée à la sagesse.

Cette omniprésence du signe, qui n’est pas sans évoquer parfois certains symboles alchimiques, fait donc apparaître le surnaturel dans le quotidien, et révèle une véritable dialectique de l’apparence et de l’essence, du visible et de l’invisible. Ainsi la rayonnante clarté provenant de la fenêtre paraît participer à l’essence même d’une allégorie qui pourrait être celle du passage de l’homme médiéval fermé sur lui-même à la réalité de l’homme humaniste, c’est-à-dire érudit, créateur, poète, ouvert sur le monde pour mieux le repenser dans un esprit de tolérance.

Conclusion

Au terme de ce travail, il convient de rappeler que le Saint Jérôme de Dürer se présente comme une philosophia, c’est-à-dire un mode de vie et de pensée fondé sur des principes immanents mettant en jeu la sagesse humaine et l’appétit de savoir qui président à l’esprit humaniste : idéal de raison, de mesure et d’humanité.

Comme nous l’avons compris, l’humanisme, en mettant en valeur une conception sobre et équilibrée de la vie humaine, place au centre de ses préoccupations l’humanité même de l’homme et son aptitude à chercher dans la raison, comme disait si bien Montaigne, de quoi s’occuper « à méditer et à manier sa vie »…

© Bruno Rigolt, novembre 2012
Lycée en Forêt (Montargis, France) / Espace Pédagogique Contributif

NOTES

1. Maximilien Gauthier, Albert Dürer, éd. Nilsson, Paris 1924, page 104.
2. Erwin Panofsky, La Vie et l’art d’Albrecht Dürer, éd. Hazan, Paris 2004, page 242.
3. Bartolomé Bennassar, Jean Jacquart, Le Seizième siècle, Armand Colin, quatrième édition, Paris 2002, page 72.
4.
 Olivier Millet, in Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne (1541), édition critique par Olivier Millet, Librairie Droz, Genève 2008 page 19.
5. Bartolomé Bennassar, Jean Jacquart, Le Seizième siècle, op. cit. page 72.
6
. « Un jour, comme le soir approchait, Jérôme s’était assis avec ses frères pour entendre la sainte leçon. Un lion qui boitait entra soudain dans le monastère, et Jérôme vit au-devant de lui, comme pour un hôte, et le lion montra son pied blessé, et le saint soigna l’animal et il le guérit, et il fut confié au lion un emploi, celui de mener au pâturage et d’y garder et d’en ramener un âne qui servait à rapporter du bois de la forêt […] », in Bulletin du Comité historique des monuments écrits de l’histoire de France, page 94.
7.
 Françoise Rücklin, La Condition humaine d’après Dürer. Essai d’interprétation symbolique des ‘Meistertiche’, tome 1. Thesis Verlag, Zurich 1995. Chapitre III, page 176-177.
8.
 Françoise Rücklin, op. cit. page 161.
9
. Jean-Eugène Bersier, A. Dürer, le graveur de la mélancolie, éditions Estienne, Paris 1967. Page 74.
10
. Pierre Magnard, introduction à l’ouvrage de Marcile Ficin, Les Platonismes à la Renaissance, Librairie philosophique Jean Vrin, Paris 2001, page 7.
11.
Louis Philippart, Revue de Synthèse, tome X, 1935. Cité par Bartolomé Bennassar et Jean Jacquart, Le Seizième siècle, op. cit. page 59.
12
. Françoise Rücklin, op. cit. page 163.
13. ibid.
14. ibid.
pages 164-165.
15. Le terme « mandorle » désigne une « gloire » en forme d’amande (de l’italien mandorla) qui concrétise le rayonnement émanant d’un personnage divin ou céleste (source : Encyclopædia Universalis)

BIBLIOGRAPHIE

  • Bartolomé Bennassar, Jean Jacquart, Le Seizième siècle, Armand Colin, quatrième édition, Paris 2002.
  • Françoise Rücklin, La Condition humaine d’après Dürer. Essai d’interprétation symbolique des ‘Meistertiche’, tome 1. Thesis Verlag, Zurich 1995. Chapitre III, pages 159-177. Cote BSG : 8 VA SUP 7774 (1)
  • Erwin Panofsky, La Vie et l’art d’Albrecht Dürer, éd. Hazan, Paris 2004. Particulièrement les pages 242 à 246.
  • Marcel Brion, Les Peintres en leur temps, Éditions du Félin, Paris 1994. Particulièrement le chapitre 7 (« Les grandes explorations de l’œil et de l’esprit »).

DOCUMENTS ANNEXES

  • 1. Albrecht Dürer, « Saint-Jérôme en pénitence »
    (burin, circa 1494-1495). Paris (Bibliothèque nationale de France)

  • 2. Antonello da Messina, « Saint Jérôme dans son étude »
    (huile sur panneau, circa 1474-1475). Londres (National Gallery)

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Analyse d’image : L’Humanisme de Dürer à travers "Saint Jérôme dans sa cellule" (1514)


 

 

ANALYSE D’IMAGE

Albrecht Dürer
« Saint Jérôme dans sa cellule »

(1514)

 

Introduction

Très représentatif des ambitions artistiques et spirituelles de l’Humanisme, le Saint Jérôme de Dürer (1471-1528) est l’une des œuvres les plus populaires de l’iconographie religieuse. Datée de 1514, cette gravure sur cuivre est en effet d’une grande force, tant au niveau de l’esthétique que de la pensée qui s’en dégagent. À la différence d’autres travaux dans lesquels le maître de Nuremberg a représenté Jérôme en pénitent (voir annexe 1), c’est au contraire sous les traits du contemplatif et de l’érudit qu’apparaît ici le saint.

Cette gravure célèbre s’inscrit donc dans ce qu’on appellera sous la Renaissance la dignitas hominis, c’est-à-dire la recherche d’une vie spirituelle permettant d’accéder à l’unité profonde de l’être par la réflexion tournée vers la constitution d’un savoir, et la quête idéale du divin. Après avoir analysé les grandes thématiques ainsi que les principes de construction de cette gravure, nous chercherons à montrer que l’impression de paix rayonnante et de sérénité qui s’en dégage s’inscrit dans un parcours allégorique qui révèle progressivement l’homme à lui-même.

         

« Jérôme à la maison »…

Dans un ouvrage consacré au peintre et graveur allemand, le critique d’art Maximilien Gauthier |1| rappelle un détail intéressant : une note manuscrite de Dürer préciserait simplement « Jérôme à la maison » pour désigner la célèbre gravure. Cette expression, si intime et presque familière a de quoi surprendre tant elle semble à l’opposé de la scolastique conventionnelle : elle est pourtant très illustrative, comme nous le verrons plus loin, du nouvel ordre de vie et de valeurs qui caractérise l’esprit humaniste.

De fait, point de représentation édifiante ou excessive de la sainteté dans cette gravure. C’est au contraire un Saint Jérôme pleinement humain, absorbé dans la joie simple d’une fervente traduction de la Bible, qui est montré. Comme le précise Erwin Panofsky, « le saint est au travail dans le fond de la pièce, ce qui, en soi, crée une impression de retrait et de paix. Son pupitre est placé sur une grande table, où ne sont posés qu’un encrier et un crucifix. Absorbé dans son travail, il jouit d’une bienheureuse solitude, avec ses pensées, ses animaux —et avec son Dieu » |2|.

Cet extrême raffinement dans la simplicité, à l’opposé des dogmes scolastiques, fait davantage apparaître Jérôme comme un compagnon au milieu de ses coussins, de ses objets et meubles familiers. On aperçoit même une paire de pantoufles (en désordre !) sous le banc adossé au mur. Alors que l’histoire fait état d’un homme solitaire qui battait sa coulpe en mortifiant ses chairs avec une pierre, c’est ici sous les traits de l’ermite en train d’étudier que Dürer représente l’antique traducteur de la Bible.

                             

L’humanisme comme religion de l’esprit

Cette « indifférence vis-à-vis des formules dogmatiques où l’on tente d’enfermer les rapports entre le Dieu d’amour et les hommes » |3| constitue en soi une véritable révolution spirituelle et pédagogique. De fait, sous le Saint Jérôme de Dürer peut se lire en palimpseste la simplicité de vie des premiers apôtres et un retour aux sources du christianisme, c’est-à-dire à une religion intérieure, hostile à la scolastique, et qui dépasse les apparences ; religion « envisagée non comme objet d’un savoir théorique ou spéculatif, mais comme apprentissage à effectuer, formation à embrasser, sagesse à approfondir » |4|.

Comme nous le suggérions précédemment, ce changement de perspective est très représentatif de l’esprit humaniste. Notez combien toute cette scène respire la quiétude, la vie contemplative ainsi que l’érudition. J’emprunte à Bartolomé Bennassar et Jean Jacquart ces remarques éclairantes : « La religion des humanistes est, à la limite, […] un déisme assez vague, libéré des formes ecclésiastiques. Religion intellectualisée à l’extrême, religion d’érudits, d’hommes de cabinet, dotés d’une vaste culture » |5|. De fait, Saint Jérôme apparaît sur la gravure comme un être tout d’intelligence et de réflexion.

L’esthétique de la scène participe également de cette symbolique : paisiblement allongé sur le sol à côté d’un petit chien profondément endormi, le lion imposant de l’avant plan, vigilant et protecteur (il ne dort que d’un œil), est une allusion directe à la Légende dorée [Somme de récits de vies de saints publiée au Moyen Âge] selon laquelle Jérôme aurait eu pour ami un lion à qui il avait retiré une épine de la patte |6|. Plus encore que la puissance et la majesté, le félin représente ici la sagesse. Comme le note Françoise Rücklin, « la cohabitation paisible du lion avec le chien et le Saint, qui évoque l’harmonie détruite par le péché […] manifeste les effets concrets d’une vie sainte » |7| en adhésion avec des valeurs pouvant aider l’homme à promouvoir son humanité.

Les quatre livres posés sur le banc et l’appui de la fenêtre, s’ils évoquent implicitement la traduction des Évangiles et le travail sur la Vulgate entrepris par Saint Jérôme, rappellent fondamentalement le rôle des humanistes pendant la Renaissance qui permirent, grâce à l’invention de l’imprimerie vers 1450 par Gutenberg et son expansion dès le début du seizième siècle, la diffusion d’idées nouvelles, changeant grandement le rapport au savoir, et marquant ainsi une rupture très nette avec la pensée médiévale.

Quant aux quelques documents —lettres, épîtres ou parchemins— fixés sur le mur du fond de la pièce, s’ils évoquent avec l’anachronique chapeau de cardinal l’aspect intellectuel et spirituel de la vie de ce Père de l’Église, ils n’en constituent pas moins, avec les nombreux objets d’usage posés sur les étagères —carafes, bougeoir, etc.— une parfaite simplicité de vie, à tel point qu’on pourrait presque parler d’une laïcisation du thème religieux. Ainsi la sainteté de Jérôme trouve-t-elle à s’épanouir dans la vie quotidienne, dans la simplicité domestique et le monde des objets proches de l’esprit simple et humble du peuple. Cette conception beaucoup plus familière et intimiste du divin  est d’ailleurs l’un des traits essentiels de l’humanisme qui, en vulgarisant le sacré, le place au niveau de la condition humaine.


              

La calebasse ou l’enracinement du profane dans le monde sacré

Un détail mérite ici toute notre attention : « À la gauche du Saint, suspendue à la poutre qui est au-dessus du seuil de la pièce et soutient le plafond […], une grande calebasse entourée de vrilles et d’une belle feuille à ‘gauche’ alors que sa ‘droite’ montre un pédoncule desséché de fleur. Elle ressemble à celles qui ornent les demeures paysannes » |8|. Cette glorification d’un objet aussi simple et populaire que la calebasse prend ici une portée morale dans la mesure où elle s’inscrit dans une conception presque panthéiste du monde : on a l’impression que la nature, règnant autant que le monde spirituel, est proprement humanisée.

Document 1

Les symboles de la calebasse
________________________
Françoise Rücklin (*)

« Ce végétal tout à la fois insiste sur la vertu du Saint, et, en tant que plante simplement annuelle aux fleurs fort éphémères de surcroît, sur la brièveté de la vie, de ses joies, de la jeunesse, en même temps qu’il met l’accent sur le caractère factice, voire franchement trompeur et toujours transitoire des choses, même les plus belles. »

(*) Françoise Rücklin, La Condition humaine d’après Dürer. Essai d’interprétation symbolique des ‘Meistertiche’, tome 1. Thesis Verlag, Zurich 1995. Chapitre III, page 164.

Cet enracinement du profane dans le monde sacré a deux conséquences : en premier lieu, comme nous l’avons suggéré, ce portrait de Saint Jérôme semble s’affranchir du personnage sacré. L’intérêt porté à l’homme plus qu’au saint accentue non seulement l’impression d’intimité et d’authenticité qui se dégage de la scène, mais il opère grâce aux lignes de force un constant va-et-vient du concret au spirituel, des objets les plus innocents au sens caché des choses. On repère en outre dans cette double démarche, à la fois matérialiste et mystique, une dynamique qui, empruntant ses moyens d’expression au rythme des saisons et aux cycles de la nature, est profondément révélatrice d’une spiritualité et d’une quête métaphysique autant que d’une fusion de la pensée et de l’objet, très caractéristiques de l’humanisme philosophique.

Le monde comme principe d’harmonie

Comme nous le comprenons, le Saint Jérôme de Dürer obéit à une rigoureuse construction qui n’est pas le fruit du hasard, mais qui tend au contraire à l’idée que le monde est une harmonie mathématisable. Ainsi l’a fait remarquer Jean-Eugène Bersier, « une création de forme, d’objets, de leurs combinaisons à première vue inutiles devient une explication nécessaire donnant aux phénomènes de structure parfaite, selon une logique irréelle, les preuves de l’intelligence sublimée, en dehors de l’homme, au-dessus de lui. Une sorte de mystique de la science suggère ces théories de formes dont le graphisme joue dans l’espace autour du nombre d’or. » |9| auquel on attribue une vertu magique, presque surnaturelle.

Cette perception plus aiguë du visible stimule bien évidemment la primauté anthropomorphique du décor : de là l’importance d’éléments qu’on aurait jugé accessoires ou simplement décoratifs dans la peinture médiévale (la calebasse, les livres, la grande fenêtre, le lion, etc.), mais qui sont ici prépondérants dans la mesure où ils ont pour vocation de mettre en pleine lumière la personne humaine, en tant que centre de l’univers (comparez par exemple cette gravure avec le tableau d’Antonello da Messina, « Saint Jérôme dans son étude » : annexe 2). Cette position philosophique, qui remplace le théocentrisme médiéval, a pour conséquence de réinventer le rapport de l’homme avec son environnement : de fait, le vrai sujet de la gravure ne serait pas Saint Jérôme, mais Saint Jérôme en tant qu’homme universel, qui pense le tout et qui a pour vocation de fédérer le monde.

Inspiré des pythagoriciens, d’Euclide et de ses postulats, l’art des humanistes trouve donc son fondement dans un principe d’harmonie qui vise à mathématiser le décor en intégrant la notion de perspective, issue de la pratique architecturale : n’oublions pas que Dürer a été l’auteur d’une Instruction sur la manière de mesurer à l’aide du compas et de l’équerre ! Dans la figure ci-dessous, on peut voir en effet combien la mathématique et l’art semblent se rencontrer dans l’exigence de la forme et de l’esthétique.

Ainsi, les lignes de force qui travaillent et dynamisent l’espace figuratif de la gravure  en structurent également la signification symbolique. On pourrait à cet égard noter la forme ovoïde centrale suggérée par la construction séquentielle de l’image qui, organisant le parcours du regard en fonction d’un ordre imposé par la projection perspective, progresse jusqu’à la sphère parfaite : l’auréole éclatante de Saint Jérôme correspondant au signe de l’homme purifié, détenteur du Verbe primordial.

Image protégée par copyright. Bruno Rigolt, Espace Pédagogique Contributif, novembre 2012Licence Creative CommonsCette image est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Pas de Modification 2.0 FranceThis image is copyrighted (Attribution-NonCommercial-NoDerivs).

Comme on le voit très bien, l’homme humaniste apparaît presque comme un « second dieu, dieu des bêtes qu’il domine, des plantes qu’il cultive, du cosmos qu’il administre : on retrouve le secret d’une antique alliance » |10| qui met en présence l’esprit avec la matière, le sensible avec l’intelligible. Ainsi qu’on l’aperçoit sur l’image, les lignes de fuite mettent bien en évidence la relation circulaire entre Saint Jérôme et  l’ensemble des éléments qui structurent la gravure : à travers cette mystérieuse alchimie s’établit une constante réciprocité d’action qui est au cœur même de la doctrine humaniste, qu’on pourrait définir comme un idéal de pouvoir et de savoir, et comme un effort à la fois individuel et social pour mettre en valeur l’Homme et sa dignité, et fonder sur son étude un « art de vivre par où l’être humain se rend éternel » |11|.

Document 2

Dürer et le principe mathématique
________________________
Erwin Panofsky
(*)

« La construction de l’espace pictural, impeccablement correcte d’un point de vue mathématique, se caractérise, premièrement, par l’extrême brièveté de la distance vue en perspective qui, si la pièce était dessinée en grandeur réelle, ne serait que de 1,25 mètre environ ; deuxièmement, par la faible hauteur de l’horizon, déterminé par le niveau de l’œil du saint assis ; troisièmement, par la position excentrée du point de fuite, lequel est à peu près à 6 millimètres de la marge droite. La faible distance, ajoutée à l’abaissement de l’horizon, contribue à renforcer le sentiment d’intimité. Le spectateur se trouve placé tout près du seuil de la cellule, sur l’une des marches qui y conduisent. Sans être remarqués par le saint et sans empiéter sur son domaine, nous partageons cependant l’espace où il vit, avec l’impression d’être plus des familiers invisibles que des observateurs lointains. Par ailleurs, l’excentration du point de fuite empêche la cellule de ressembler à une boîte exiguë, car le mur nord n’est pas visible ; elle accorde une importance plus grande au jeu de la lumière dans les embrasures des fenêtres ; enfin, elle donne la sensation de pénétrer à l’improviste chez quelqu’un plutôt que de se trouver face à un décor artificiel.

Tout, pourtant, dans cette pièce modeste, est assujetti à un principe mathématique. L’impression apparemment indéfinissable d’ordre et de sécurité, qui est l’essence même du Saint Jérôme de Dürer, peut s’expliquer, du moins en partie, par le fait que les objets distribués dans la pièce occupent des positions aussi fermement déterminées que s’ils étaient fixés aux murs. Ils sont placés soit parallèlement à ces murs, comme la table de saint Jérôme, les livres, les animaux et la tête de mort ; soit en projection orthogonale, comme le cartellino, qui porte la date et le monogramme de l’artiste ; soit encore à des angles précis de quarante-cinq degrés, comme le banc à la gauche du saint. »

(*) Erwin Panofsky, La Vie et l’art d’Albrecht Dürer, éd. Hazan, Paris 2004. Page 242.

Approfondissons désormais le message symbolique que Dürer a voulu délivrer dans cette gravure. Comme nous l’avons suggéré précédemment, entre le monde des apparences sensibles et le monde métaphysique existe pour les Humanistes une unité profonde : la vocation de l’homme étant par la connaissance, de passer des apparences sensibles à l’univers des idées et de l’esprit. Dürer élabore ainsi une savante composition dont il faut déchiffrer plus profondément le sens allégorique.

Une rhétorique des vanités

Intéressons-nous d’abord au fameux crâne placé à gauche sur l’appui de la fenêtre. Le symbolisme de la tête de mort qui se développera dès la fin du Moyen Âge n’évoque pas seulement un certain goût pour le macabre —qui constituera d’ailleurs un trait caractéristique de l’esthétique baroque— mais il contient en germe une signification allégorique et didactique au même titre que le temps qui s‘écoule lentement du sablier. Axée sur le sentiment du néant, cette fascination pour la mort amène à une réflexion sur le thème de la chute, la fragilité de la vie et le tragique de la condition humaine.

Ainsi le crâne devient-il un instrument moralisant, au même titre que le crucifix, renforçant à travers l’isotopie de la mort, la réflexion sur les fins dernières. À ce titre, Françoise Rücklin propose l’interprétation suivante : « Le crâne, la calebasse et le sablier forment […] le triple ‘memento mori’ [souviens-toi que tu es mortel] de cette estampe, et l’on peut remarquer que non seulement le Saint est installé pratiquement au centre de l’espace qu’ils délimitent, mais qu’ils sont situés aux divers extrêmes visibles de la cellule, afin, sans doute de bien manifester que rien, sur terre, n’échappe à l’emprise de la mort » |12|.

Le crâne s’inscrit en effet dans une rhétorique des vanités dont le dessein est bien d’interpeller directement le spectateur en mettant « l’accent sur le caractère éminemment transitoire de la matière et de tout ce qui est humain |13|. Ainsi les jeux de lumière qui proviennent de la grande verrière opaque sont-ils comme une allégorie de la mort, partagée entre le piège des apparences (le crâne, le visible, la beauté éphémère de la calebasse) et la lumière de la foi (l’invisible). Françoise Rücklin fait à ce titre remarquer qu’on peut « observer dans la construction de la gravure une gradation très nette : vanité des honneurs (le chapeau de cardinal), vanité de la beauté (la calebasse), vanité de la vie elle-même et de tout ce qui est matériel, que ce soit animé ou inanimé (le crâne) » |14|.

Il n’est guère étonnant que les vitres soient en « culs-de-bouteille » : si elles laissent pénétrer la lumière du soleil de midi, elles masquent emblématiquement la vanité du monde extérieur fait d’apparence, d’illusion et d’éphémère. N’oublions pas que Saint Jérôme passa une grande partie de sa vie à méditer dans le désert de Syrie. Ainsi la lumière qui pénètre dans le cabinet de travail est-elle à mettre en parallèle avec la lumière spirituelle qui se dégage de l’auréole, véritable centre lumineux du tableau. À la vanité succède la vérité, à l’apparence extérieure, le monde intérieur spirituel, apte à transfigurer le réel.

Pour compléter ces remarques, il faut nous intéresser à la relation symbolique qui s’établit entre trois des éléments les plus fortement éclairés de la  gravure, et qui en constituent toute la force : le lion, le crâne et Saint Jérôme. Comme on le voit dans la figure ci-dessous qui en modifie la tonalité et les contrastes, ce n’est pas un hasard si ces trois éléments font symboliquement apparaître trois formes de l’âme :

1. Le lion, qui symbolise les sens, exprime une des dimensions essentielles de l’âme primitive, animale : il est le signe de la terre, et la force qui met le monde en mouvement.

2. Le motif mortuaire du crâne quant à lui évoque l’âme mortelle de l’homme mais aussi son libre-arbitre : libre, il peut choisir entre le bien et le mal. Créateur et destructeur à la fois, le crâne apparaît ainsi comme la projection de nos désirs, de nos vanités et de nos représentations. Du fait de son emplacement sur l’appui de la fenêtre, il rappelle aussi par l’immortalité de la pierre, que l’âme prolonge la destinée mortelle.

3. Enfin Saint Jérôme apparaît dans sa mandorle|15| comme s’il travaillait au « Grand Œuvre », permettant d’atteindre la connaissance suprême et l’union avec Dieu. Notez combien la parfaite auréole de lumière épiphanique nimbe le visage courbé sur la table de travail et fait symboliquement écho aux rayons du soleil. Vous aurez aussi remarqué que, placé à égale distance de Saint Jérôme et du crâne, le crucifix est comme une invitation à dépasser la vanité du savoir et des honneurs : ce n’est pas par son statut de cardinal que Jérôme s’élève à la sainteté mais en menant une vie ascétique dans la bienveillance, la modération et l’humilité : en témoigne la barbe, symbole de puissance alliée à la sagesse.

Cette omniprésence du signe, qui n’est pas sans évoquer parfois certains symboles alchimiques, fait donc apparaître le surnaturel dans le quotidien, et révèle une véritable dialectique de l’apparence et de l’essence, du visible et de l’invisible. Ainsi la rayonnante clarté provenant de la fenêtre paraît participer à l’essence même d’une allégorie qui pourrait être celle du passage de l’homme médiéval fermé sur lui-même à la réalité de l’homme humaniste, c’est-à-dire érudit, créateur, poète, ouvert sur le monde pour mieux le repenser dans un esprit de tolérance.

Conclusion

Au terme de ce travail, il convient de rappeler que le Saint Jérôme de Dürer se présente comme une philosophia, c’est-à-dire un mode de vie et de pensée fondé sur des principes immanents mettant en jeu la sagesse humaine et l’appétit de savoir qui président à l’esprit humaniste : idéal de raison, de mesure et d’humanité.

Comme nous l’avons compris, l’humanisme, en mettant en valeur une conception sobre et équilibrée de la vie humaine, place au centre de ses préoccupations l’humanité même de l’homme et son aptitude à chercher dans la raison, comme disait si bien Montaigne, de quoi s’occuper « à méditer et à manier sa vie »…

© Bruno Rigolt, novembre 2012
Lycée en Forêt (Montargis, France) / Espace Pédagogique Contributif

NOTES

1. Maximilien Gauthier, Albert Dürer, éd. Nilsson, Paris 1924, page 104.
2. Erwin Panofsky, La Vie et l’art d’Albrecht Dürer, éd. Hazan, Paris 2004, page 242.
3. Bartolomé Bennassar, Jean Jacquart, Le Seizième siècle, Armand Colin, quatrième édition, Paris 2002, page 72.
4.
 Olivier Millet, in Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne (1541), édition critique par Olivier Millet, Librairie Droz, Genève 2008 page 19.
5. Bartolomé Bennassar, Jean Jacquart, Le Seizième siècle, op. cit. page 72.
6
. « Un jour, comme le soir approchait, Jérôme s’était assis avec ses frères pour entendre la sainte leçon. Un lion qui boitait entra soudain dans le monastère, et Jérôme vit au-devant de lui, comme pour un hôte, et le lion montra son pied blessé, et le saint soigna l’animal et il le guérit, et il fut confié au lion un emploi, celui de mener au pâturage et d’y garder et d’en ramener un âne qui servait à rapporter du bois de la forêt […] », in Bulletin du Comité historique des monuments écrits de l’histoire de France, page 94.
7.
 Françoise Rücklin, La Condition humaine d’après Dürer. Essai d’interprétation symbolique des ‘Meistertiche’, tome 1. Thesis Verlag, Zurich 1995. Chapitre III, page 176-177.
8.
 Françoise Rücklin, op. cit. page 161.
9
. Jean-Eugène Bersier, A. Dürer, le graveur de la mélancolie, éditions Estienne, Paris 1967. Page 74.
10
. Pierre Magnard, introduction à l’ouvrage de Marcile Ficin, Les Platonismes à la Renaissance, Librairie philosophique Jean Vrin, Paris 2001, page 7.
11.
Louis Philippart, Revue de Synthèse, tome X, 1935. Cité par Bartolomé Bennassar et Jean Jacquart, Le Seizième siècle, op. cit. page 59.
12
. Françoise Rücklin, op. cit. page 163.
13. ibid.
14. ibid.
pages 164-165.
15. Le terme « mandorle » désigne une « gloire » en forme d’amande (de l’italien mandorla) qui concrétise le rayonnement émanant d’un personnage divin ou céleste (source : Encyclopædia Universalis)

BIBLIOGRAPHIE

  • Bartolomé Bennassar, Jean Jacquart, Le Seizième siècle, Armand Colin, quatrième édition, Paris 2002.
  • Françoise Rücklin, La Condition humaine d’après Dürer. Essai d’interprétation symbolique des ‘Meistertiche’, tome 1. Thesis Verlag, Zurich 1995. Chapitre III, pages 159-177. Cote BSG : 8 VA SUP 7774 (1)
  • Erwin Panofsky, La Vie et l’art d’Albrecht Dürer, éd. Hazan, Paris 2004. Particulièrement les pages 242 à 246.
  • Marcel Brion, Les Peintres en leur temps, Éditions du Félin, Paris 1994. Particulièrement le chapitre 7 (« Les grandes explorations de l’œil et de l’esprit »).

DOCUMENTS ANNEXES

  • 1. Albrecht Dürer, « Saint-Jérôme en pénitence »
    (burin, circa 1494-1495). Paris (Bibliothèque nationale de France)

  • 2. Antonello da Messina, « Saint Jérôme dans son étude »
    (huile sur panneau, circa 1474-1475). Londres (National Gallery)

Netiquette :  Cet  article est mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Pas de Modification 2.0 France.
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