Aujourd’hui, mercredi 21 juin, la contribution de Marion (Première S2)

Pour la troisième année consécutive, l’exposition « Dis-moi un Po-aime » est de retour ! Les classes de Première S2 et Première STMG2 du Lycée en Forêt sont fières de vous présenter cette édition 2017 qui a tout d’un grand millésime : l’exposition a été l’occasion d’un travail soutenu mêlant inspiration, invention et revendications intellectuelles ou esthétiques.

Chaque poème est accompagné d’une note d’intention dans laquelle les auteur-e-s expliquent leurs choix esthétiques, précisent le fil conducteur méthodologique, éclairent certains aspects autobiographiques… Le travail ainsi entrepris permet de pousser la lecture de la poésie au-delà des lieux communs pour en faire une authentique quête de vérité. Loin de la lire de l’extérieur, le lecteur curieux pourra au contraire chercher le sens profond que les jeunes auteur-e-s ont voulu conférer à cette expérience esthétique et littéraire.

Plusieurs fois par semaine jusqu’au début du mois de juillet, les élèves vous inviteront à partager une de leurs créations poétiques…

Bonne lecture !

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Aujourd’hui, lundi 19 juin, la contribution de Marion R. (Première S-2)

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« Utopique »

par Marion R.
Classe de Première S-2

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Revenons à cette nuit où je t’ai rencontré
Parmi ces rues éclairées de la ville
Toutes identiques de couleurs folles
Si différentes d’âmes étrangères

Revenons à cette soirée dansante
Face à la mer ombragée d’étoiles
Retournons à la tramontane qui nous rajeunissait
Derrière cette vie si rapide et solitaire

Revenons à cet instant d’humanité
Revenons à la nuit inexorable et bleue
Où je t’ai rencontré
Pour te nommer : Utopique

« Revenons à cette nuit où je t’ai rencontré
Parmi ces rues éclairées de la ville…
 »

Illustration : © Bruno Rigolt, juin 2017
Peinture numérique

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Le point de vue de l’auteure…

L’utopie est un monde de rêve dans lequel ses membres vivent inlassablement le bonheur parfait : c’est de cet imaginaire fabuleux que je me suis inspirée pour créer ce texte. « Utopique » est en effet le récit d’une soirée extraordinaire et unique, qui diffère du spleen et de la banalité du quotidien.

En premier lieu, le titre « Utopique » peut se lire par allusion à l’imaginaire du voyage et de l’ailleurs : comme on dirait par exemple « Atlantique » ou « Pacifique » ; comme s’il s’agissait d’un océan de bonheur, alimentant l’imagination poétique et la « géographie mythique » des sentiments.

Par son cadre des plus atypiques et concordant à la fois, cette remontée vers le souvenir convoque également l’imaginaire sentimental et romantique. Cette soirée, cet instant précis semblent évoquer ainsi un bonheur inaccessible aux lois du quotidien et à l’existence banale du monde ordinaire :

Revenons à cet instant d’humanité
Retournons à la nuit inexorable et bleue
Où je t’ai rencontré

Cette nostalgie du souvenir, de ce bonheur si parfait puise en réalité son inspiration lors d’un séjour à Collioure. Ce magnifique village des Pyrénées-Orientales, qui fait partie des plus beaux villages de France, a en effet la particularité d’attirer de nombreux artistes, littéralement envoûtés par la beauté du paysage où la montagne et la mer semblent s’unir pour l’éternité.

La tramontane que j’évoque au vers 7 est d’ailleurs le nom du vent qui souffle dans cette région splendide :

Revenons à cette soirée dansante
Face à la mer ombragée d’étoiles
Retournons à la tramontane qui nous rajeunissait

Les tournures anaphoriques avec le verbe « revenons » conjugué à l’impératif, nous transporte dans un passé idéalisé, qui prend la forme d’une rêverie émerveillée, capable de faire resurgir le souvenir, de faire resurgir la parole perdue, le moment, l’instant dans lequel le souvenir est enraciné : « cette nuit », « cette soirée » ou encore « cet instant »… Les déterminants démonstratifs accentuent la proximité du souvenir, chargé de fortes connotations affectives.

Ainsi, le moment se précise au fur et à mesure de la lecture du texte, comme si le souvenir reprenait vie au point de devenir réel. Les démonstratifs, signaux en outre d’une description par hypotypose, cumulent valeur mémorielle et valeur monstrative : « parmi ces rues », « face à la mer », « retournons à la tramontane » ou encore « revenons à la nuit inexorable et bleue » : la narratrice cherche à retrouver un moment précis, à faire revivre l’instant présent grâce au pouvoir évocateur de la poésie.

En peignant les choses d’une manière si vive, la poésie les met en quelque sorte sous les yeux du lecteur, et confère au récit et à la description, une image, un tableau amenant le lecteur à s’imaginer, se reproduire l’instant : l’utopie semble littéralement « naître » et prendre forme sous ses yeux. La représentation du réel s’en trouve évidemment modifiée : les rues deviennent alors des personnes à part entière. « Toutes identiques de couleurs folles » représente ici l’homogénéité de la société dans le paraître. Mais « Si différentes d’âmes étrangères » montre au contraire combien ces mêmes personnes, en apparence si semblables de près, ont toutes une âme, un comportement, une expressivité différents. Et c’est ce qui fait ici la beauté de ces rues, métamorphosées par l’imagination créatrice.

Dans cette utopie de la vie réelle, la nuit est évoquée comme un moment de sérénité, d’apaisement et de calme, à peine brisé par la musique et les lumières de « cette soirée dansante » ; ainsi personnifiée et animée par la vie, la nuit devient littéralement « utopique » : elle n’est plus un rêve non réalisé, mais réalisable ; elle n’est plus une illusion figée mais elle devient idéalisation, métamorphose du réel : elle est cette « mer ombragées d’étoiles » qui semble ouvrir le rêve à la vie réelle, comme si elle était cachée, qu’elle protégeait la valeur même du rêve. Ainsi, la tramontane souffle un vent puissant capable de faire remonter le temps « qui nous rajeunissait », comme une bouffée d’air frais, de nouveauté, apte à faire oublier « cette vie si rapide et solitaire ».

Comme on le voit, ce poème lance une sorte de guerre du bonheur : par le pouvoir évocateur des mots, l’écriture poétique parvient à donner vie au souvenir ; elle ramène toute les qualités et valeurs qui sont nécessaires à ce monde. Cette « nuit inexorable et bleue » nous transporte dans un univers onirique où l’humanité est maîtresse : je veux dire « l’humanité de l’homme » : ainsi la poésie devient un humanisme capable de transcender la médiocrité qui peut s’accoler à l’humain. « Où je t’ai rencontré » fait comprendre clairement que c’est à cet endroit que le rêve et la réalité se sont croisées et où elles resteront à jamais pour devenir « utopie ».

Le dernier vers a ainsi un côté oratoire très fort puisqu’il semble donner vie à l’utopie, lui donner une identité : « Pour te nommer : Utopique ». En nommant les choses par leur nom, la poésie les fait exister. Et même si tout n’était qu’un rêve, si rien de tout cela n’est réel, c’est par la puissance évocatrice du poème que le rêve devient réel.

Considérée sous cet angle, la poésie permet de concilier l’idéal et le réel, le rêve et « l’inexorable ». N’est-ce pas l’essence même de l’utopie de devenir un rêve nécessaire ? L’adjectif « utopique » devient d’ailleurs un nom propre grâce au principe de la nominalisation : la personnification par le biais de la majuscule témoigne à ce titre d’un ancrage du souvenir dans le présent.

L’absence de toute ponctuation et notamment de point montre qu’on voudrait que le rêve ne prenne jamais fin, qu’il soit un recommencement éternel. C’est une quête du bonheur sans fin, c’est là toute sa vanité, mais c’est ce qui fait aussi toute sa beauté. L’essence même de la poésie ne réside-t-elle pas dans l’abstraction du réel pour lui substituer l’essence inexprimable du rêve, capable de prêter au monde idéal les couleurs de la réalité ?

Dans cette utopie, ou cette nostalgie d’un souvenir enchanteur, l’aspect principal est donc subjectivement la beauté d’un quotidien qui semble banal au premier abord, mais qui est une invitation à dépasser la vanité des apparences pour accéder au monde intérieur spirituel, apte à transfigurer le réel : dès lors, il faut oser s’émerveiller afin de percevoir le monde non plus du côté d’un désenchantement cynique et triste, mais comme espace d’éveil et de réenchantement…

© Marion R.
Classe de Première S-2 (promotion 2016-2017), juin 2017.

Espace Pédagogique Contributif

Publié par

brunorigolt

- Agrégé de Lettres modernes - Docteur ès Lettres et Sciences Humaines (Prix de Thèse de la Chancellerie des Universités de Paris) - Diplômé d’Etudes approfondies en Littérature française - Diplômé d’Etudes approfondies en Sociologie - Maître de Sciences Politiques