Aujourd’hui, mardi 20 juin, la contribution de Léna (Première S2)

Pour la troisième année consécutive, l’exposition « Dis-moi un Po-aime » est de retour ! Les classes de Première S2 et Première STMG2 du Lycée en Forêt sont fières de vous présenter cette édition 2017 qui a tout d’un grand millésime : l’exposition a été l’occasion d’un travail soutenu mêlant inspiration, invention et revendications intellectuelles ou esthétiques.

Chaque poème est accompagné d’une note d’intention dans laquelle les auteur-e-s expliquent leurs choix esthétiques, précisent le fil conducteur méthodologique, éclairent certains aspects autobiographiques… Le travail ainsi entrepris permet de pousser la lecture de la poésie au-delà des lieux communs pour en faire une authentique quête de vérité. Loin de la lire de l’extérieur, le lecteur curieux pourra au contraire chercher le sens profond que les jeunes auteur-e-s ont voulu conférer à cette expérience esthétique et littéraire.

Plusieurs fois par semaine jusqu’au début du mois de juillet, les élèves vous inviteront à partager une de leurs créations poétiques…

Bonne lecture !

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Aujourd’hui, lundi 19 juin, la contribution de Léna D. (Première S-2)

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« Louv’Art »

par Léna D.
Classe de Première S-2

L’art fait parler les souvenirs,
raconte une histoire.
Mais sans souvenirs, sans rien à raconter,
qu’est-ce que l’art ?
Léna D.

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L’horloge tourne, le futur aussi.
Le temps a passé, mais je n’ai plus de souvenirs.
Je ne peux plus bouger, j’arrive à peine à respirer.
Je ne sais pas où je suis, je ne vois qu’une forêt sombre,
Je ne sais pas qui je suis, je ne me reconnais pas

Je sens néanmoins un animal à mes côtés ;
C’est le loup.
J’ai l’impression de le connaître.
Je me sens en sécurité.

Je n’ai plus la notion du temps :
Depuis quand suis-je là, assise par terre ? Je ne sais pas.
Le loup vient, lentement, me frôler la joue,
Une tornade de souvenirs me submerge alors.
Je le sais, je le sens. Il va m’aider,
Je le laisse alors tourner autour de moi.

Tout à coup, le loup hurle.
Je respire alors le parfum de la mélancolie.
Puis une passion ardente me submerge :
Mon esprit est embrumé. J’ai peur
Mais je me sens néanmoins en sécurité,
Je sais que le loup est à mes côtés
Pour me protéger des vagues de la vie.

Soudain, des courbes apparaissent dans ma tête.
Une ligne se dessine enfin sur la feuille
Désespérément blanche depuis longtemps.
Je prends alors un feutre, un feu d’artifice éclate,
Ma main me brûle, mais qu’importe,
Je peux de nouveau penser.

Le loup est toujours à mes côtés.
Je dessine ce que je j’entrevois,
Mes souvenirs reviennent à petits pas.
Sur ma feuille, une forêt se dessine,
Un abri en pierre, une meute de loups :
Je me sens renaître des abîmes du néant.

« Sur ma feuille, une forêt se dessine,
Un abri en pierre, une meute de loups :
Je me sens renaître des abîmes du néant...
 »

Illustration : © Bruno Rigolt, juin 2017
Peinture numérique

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Le point de vue de l’auteure…

Le poème que j’ai écrit s’intitule « Louv’Art ». Il raconte l’histoire d’un personnage féminin, totalement perdu dans un endroit qu’elle ne connait pas. Privilégiant l’onirique, le texte invite le lecteur à pénétrer l’imaginaire et le fantastique.

De fait, cette poésie se présente tout d’abord comme le récit d’un rêve. Je n’ai pas voulu raconter un de mes rêves (Je pense d’ailleurs que les rêves sont trop personnels pour pouvoir être racontés), j’en ai créé un nouveau, mais il est certain que ce poème exprime beaucoup de moi-même : ainsi le loup est-il un animal que j’affectionne particulièrement.

Au début, j’ai commencé à rédiger quelques lignes, et puis l’histoire s’est construite progressivement. Je n’avais pas vraiment pensé à la narration avant d’entreprendre l’écriture. Ce qui fait que mon texte suit en quelque sorte les vagabondages de ma pensée. Ainsi, il n’y a pas de rimes, ni de métrique particulière, car j’ai voulu transcrire ce qui surgissait de mon esprit, et coucher sur le papier ce que je visualisais dans mes pensées, sans m’imposer de barrières.

Sans doute le lecteur se demandera-t-il si ce poème est le récit d’un rêve ou d’un cauchemar. Moi-même je n’ai pas la réponse, et je crois qu’elle ne m’intéresserait guère tant nos rêves sont proches parfois du cauchemar. Le début semble être un cauchemar : le personnage est totalement perdu, il n’a plus de mémoire, ne sait même plus qui il est :

Je ne peux plus bouger, j’arrive à peine à respirer.
Je ne sais pas où je suis, je ne vois qu’une forêt sombre,
Je ne sais pas qui je suis, je ne me reconnais pas

La fin du texte fait en revanche penser à une renaissance, au recommencement de la vie :

Sur ma feuille, une forêt se dessine
Un abri en pierre, une meute de loups

Je laisse donc le lecteur penser ce qu’il veut, et puis après tout, qu’importe ? Ce qui compte est que chacun s’approprie le texte.

Le loup est très présent dans ce récit, il est la clé du dénouement. Je l’ai choisi car c’est un animal fascinant, étrange et sombre, mais en même temps sa force paraît rassurante et douce. Ce n’est pas un hasard si cet animal hante littéralement l’imaginaire des contes. Que dire par exemple du loup-garou se métamorphosant les nuits de pleine lune avant de reprendre forme humaine aux premières heures du jour ?

Sur un plan symbolique, j’ajouterai que mon poème aborde quelques peurs que beaucoup d’adolescents éprouvent : ainsi, la peur du futur. On ne sait pas ce qui nous attend dans l’avenir, ce qui arrivera, et ça ne rassure guère. Ensuite, la peur de perdre ses souvenirs, de ne plus savoir qui on est, qui sont nos amis, nos proches : tout cela compte beaucoup pour moi, et je ne pourrai pas avancer sans leur soutien. Et pour finir nous avons parfois peur de ne plus avoir de jugement critique, de ne plus pouvoir penser par nous-même : ce qui me paraît important ici, c’est la manière dont le loup amène à questionner notre réalité, dont ils est en fait la transcription.

Si mon poème semble donc abolir le réel en perturbant l’espace et le temps, il transpose des sentiments et des désirs bien humains : la peur du loup s’est métamorphosée dans le monde moderne en peur du système : le loup, c’est l’homme lui-même et sa puissance dévastatrice. Dans mon texte au contraire, le loup incarne une puissance rassurante, apte à faire surgir la pensée, la parole, l’esprit critique, la quête identitaire. Comme en témoigne  le champ lexical de la protection, de l’aide, qui intervient dès la deuxième strophe : le loup est synonyme de « sécurité » ; il est là pour « aider », « protéger ».

Dans un monde qui tend parfois à être de plus en plus déshumanisé, le loup symbolise au contraire l’imagination créatrice, autrement dit l’art, dont le champ lexical est particulièrement présent dans l’avant dernière strophe : « courbes », « ligne », « feutre », « dessine ». J’ai voulu privilégier ce réseau lexical car l’art fait entièrement partie de ma vie, que ce soit la musique ou le dessin, c’est quelque chose qui me tient vraiment à cœur. Ainsi la poésie me paraît essentielle dans le pouvoir qu’elle a de transfigurer le réel et d’inventer d’autres réalités capables à leur tour de réimaginer le monde.

© Léna D.
Classe de Première S-2 (promotion 2016-2017), juin 2017.

Espace Pédagogique Contributif

Publié par

brunorigolt

- Agrégé de Lettres modernes - Docteur ès Lettres et Sciences Humaines (Prix de Thèse de la Chancellerie des Universités de Paris) - Diplômé d’Etudes approfondies en Littérature française - Diplômé d’Etudes approfondies en Sociologie - Maître de Sciences Politiques