Le “75 minutes”, c’est quoi ?
Examen oblige, ce “75 minutes” est un peu plus long que les exercices habituels. Mais il amènera les étudiant/es à réinvestir un certain nombre de points importants sur le thème « Je me souviens » (ne négligez surtout pas de réviser rigoureusement ce thème).
Révisions Thème 2016-2017
Je me souviens
Problématique de ce “75 Minutes” :
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② Travaux dirigés
→ Étape 1 –: la prise de notes (environ 50 minutes) : Document 1 : 10 minutes. Documents 2 et 3 : 30 minutes. Document 4 : 10 minutes. Prenez connaissance des documents en relevant les informations vous paraissant les plus utiles au traitement de la problématique : relevez synthétiquement le thème précis, la thèse de l’auteur ou l’enjeu posé, ainsi que quelques arguments ou exemples représentatifs. Ne rentrez pas dans les détails : allez toujours vers l’interprétation textuelle GLOBALE.
1. Guillaume Apollinaire, « Le pont Mirabeau » (1913)
« Les jours s’en vont je demeure »…
En proie à la douleur d’une rupture amoureuse, Apollinaire exploite dans ce célèbre poème la thématique traditionnelle du temps qui passe afin d’exprimer la permanence obsédante du souvenir : « Les jours s’en vont je demeure »…
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu’il m’en souvienne
La joie venait toujours après la peineVienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeureLes mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l’onde si lasseVienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeureL’amour s’en va comme cette eau courante
L’amour s’en va
Comme la vie est lente
Et comme l’Espérance est violenteVienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeurePassent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la SeineVienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeureApollinaire, Alcools (1912)
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2. Augustin (saint), Les Confessions (livre X, chapitre 16)
« La mémoire se souvient de l’oubli »
Dans ses Confessions, Augustin inscrit le souvenir dans une quête existentielle : la mémoire est non seulement constitutive de l’identité d’une personne, mais elle est plus fondamentalement constitutive d’une expérience intérieure : se souvenir, c’est ainsi passer de la mémoire sensible aux connaissances plus intelligibles du monde intérieur.
Alors que la mémoire affective nous ramène à une sorte de deuil mélancolique improductif, la mémoire qui se construit par la culture et par l’intelligence, en engageant l’individu dans le futur, rend possible l’histoire à venir. En ce sens, comme le dit Augustin dans le deuxième texte, « la mémoire se souvient de l’oubli » : revenir sur le passé n’a de sens que s’il nous permet de construire notre propre histoire.
Le premier extrait dans lequel l’auteur évoque métaphoriquement les « vastes palais de la mémoire » amène à une très riche réflexion sur la fonction mémorielle, constitutive de l’identité de la personne.
« Et j’arrive aux vastes palais de la mémoire, là où se trouvent les trésors d’images innombrables […]. Quand je suis là, je fais comparaître tous les souvenirs que je veux. Certains s’avancent aussitôt […]. Je les éloigne avec la main de l’esprit du visage de ma mémoire, jusqu’à ce que celui que je veux écarte les nuages et du fond de son réduit paraisse à mes yeux […]. J’ai beau être dans les ténèbres et le silence, je peux, à mon gré, me représenter les couleurs par la mémoire, distinguer le blanc du noir, et toutes les autres couleurs les unes des autres ; mes images auditives ne viennent pas troubler mes images visuelles : elles sont là aussi, cependant, comme tapies dans leur retraite isolée […]. C’est en moi-même que se fait tout cela, dans l’immense palais de mon souvenir. C’est là que j’ai à mes ordres le ciel, la terre, la mer et toutes les sensations […]. C’est là que je me rencontre moi-même […]. Les hommes s’en vont admirer la cime des montagnes, les vagues énormes de la mer, le large cours des fleuves, les côtes de l’océan, les révolutions et les astres, et ils se détournent d’eux-mêmes. »
Augustin, Confessions, Livre X, chapitre 8
traduction Joseph Trabucco, Paris, Garnier Frères, 1964[…] lorsque je nomme l’oubli, je reconnais ce que je nomme ; et comment le reconnaîtrais-je, si je ne m’en souvenais ? Et je ne parle pas du son de ce mot, je parle de l’objet dont il est le signe, qu’il me serait impossible de reconnaître si la signification du son m’était échappée. Ainsi, quand il me souvient de la mémoire, c’est par elle-même qu’elle se représente à elle-même ; quand il me souvient de l’oubli, oubliance et mémoire viennent aussitôt à moi ; mémoire, qui me fait souvenir ; oubliance, dont je me souviens.
Mais qu’est-ce que l’oubli, sinon une absence de mémoire? Comment donc est-il présent, pour que je me souvienne de lui, lui dont la présence m’interdit le souvenir ? Or, s’il est vrai que, pour se rappeler, la mémoire doive retenir, et que faute de se rappeler l’oubli, il soit impossible de reconnaître la signification de ce mot, il suit que la mémoire retient l’oubli.
Augustin, Confessions
Livre X, Chapitre 16, « La mémoire se souvient de l’oubli »
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3. Nietzsche : Généalogie de la morale (1887)
« il y a quelque chose qui fait que le bonheur est un bonheur : la possibilité d’oublier »
Dans le plus petit comme dans le plus grand bonheur, il y a quelque chose qui fait que le bonheur est un bonheur : la possibilité d’oublier, ou pour le dire en termes plus savants, la faculté de sentir les choses, aussi longtemps que dure le bonheur, en dehors de toute perspective historique. L’homme qui est incapable de s’asseoir au seuil de l’instant en oubliant tous les événements du passé, celui qui ne peut pas, sans vertige et sans peur, se dresser un instant tout debout, comme une victoire, ne saura jamais ce qu’est un bonheur et, ce qui est pire, il ne fera jamais rien pour donner du bonheur aux autres. Imaginez l’exemple extrême : un homme qui serait incapable de ne rien oublier et qui serait condamné à ne voir partout qu’un devenir; celui-là ne croirait pas à sa propre existence, il ne croirait plus en soi, il verrait tout se dissoudre en une infinité de points mouvants et finirait par se perdre dans ce torrent du devenir. Finalement, en vrai disciple d’Héraclite, il n’oserait même plus bouger un doigt. Tout action exige l’oubli, comme la vie des êtres organiques exige non seulement la lumière mais aussi l’obscurité. Un homme qui ne voudrait sentir les choses qu’historiquement serait pareil à celui qu’on forcerait à s’abstenir de sommeil ou à l’animal qui ne devrait vivre que de ruminer et de ruminer sans fin. Donc, il est possible de vivre presque sans souvenir et de vivre heureux, comme le démontre l’animal, mais il est encore impossible de vivre sans oubli. Ou plus simplement encore, il y a un degré d’insomnie, de rumination, de sens, historique qui nuit au vivant et qui finit par le détruire, qu’il s’agisse d’un homme, d’un peuple ou d’une civilisation.
4. Arnaud d’Arembeau : « L’oubli fait partie du bon fonctionnement de la mémoire »
→ L’Express, 25/01/2011
→ Étape 2 –: le réinvestissement des notes (environ 1h30)
- Essayez d’abord de répondre très brièvement aux questions suivantes en vous obligeant à réinvestir vos notes pour chacune de vos réponses, qui seront structurées autour d’un argument, illustré par un exemple précis :
- Relevez dans le poème d’Apollinaire quelques éléments qui montrent que le poète ne peut rien contre le souvenir.
- Augustin (doc. 2-A) évoque les « vastes palais de la mémoire » pour montrer que le souvenir se confond avec la recherche du bonheur et de la sagesse. Dans quelle mesure peut-on affirmer que se souvenir est ainsi une quête de soi ?
- Allez sur le site de la photographe Yveline Loiseur : elle évoque à ce titre un voyage qu’elle a effectué à Dresde (Allemagne), ville entièrement détruite par les bombardements de février 1945. De quelle manière la sculpture photographiée (tête d’homme couchée) invite-t-elle à une prise de conscience mémorielle, à la fois collective et personnelle ?
- Augustin (doc. 2-B) se livre à une subtile analyse au terme de laquelle il affirme que « la mémoire retient l’oubli ». Rapprochez cette thèse des analyses d’Arnaud d’Arembeau (doc. 4)
- En exploitant Internet, faites d’abord une recherche sur le droit à l’oubli afin d’en définir les principes et l’application : vous pourrez par exemple consulter cette page de L’Express. Lisez ensuite attentivement le texte de Thomas Frenczi « Devoir de mémoire, droit à l’oubli ? » (depuis la page 13 jusqu’à la partie consultable de la page 15). En quoi est-il intéressant de rapprocher le projet « Total recall » de Gordon Bell de l’ouvrage de Borges Funes el memorioso mentionné par Thomas Ferenczi ?
- Dans son essai Aventures au coeur de la mémoire, Joshua Foer revient sur le projet de Gordon Bell, « Total recall ». Lisez un extrait de cet ouvrage (par exemple, depuis : « Je suis convaincu de cela depuis que j’ai fait la connaissance de Gordon Bell») jusqu’au bas de la page suivante : ‹ en une sorte de raisonnement par l’absurde de la transformation qui s’opère lentement depuis des millénaires »? Quels avantages et quels inconvénients présente cette quête de la mémoire totale ?
- Nietzsche (doc. 3) fait de l’oubli la condition du bonheur. Selon lui, le refuge dans le passé comme la fuite dans le futur sont autant de vaines échappatoires. Au contraire, « l’oubli, qui efface les traces du passé et estompe le futur, débarrasse l’action de ce qui pourrait l’orienter faussement et du coup la rend plus efficace. L’oubli a donc un rôle double dans le bonheur : il nous rattache au présent et il permet l’accomplissement de notre puissance » |source|. Étayez la thèse de Nietzsche en exploitant cette citation de l’écrivain français Jules Renard : « Le vrai bonheur serait de se souvenir du présent ».
- Questions de synthèse :
En réinvestissant les textes du corpus ainsi que le support de cours, étayez ces propos du support de cours : « le souvenir n’a de sens que dans la perspective de ce qui va devenir : se souvenir, c’est advenir ».
- Enfin, essayez de construire un plan d’écriture personnelle en 15 minutes à partir du sujet suivant : le philosophe Paul Ricœur a proposé que le devoir de mémoire soit une « politique de la juste mémoire ». Est-il selon vous pareillement souhaitable d’envisager un « juste oubli » ?
Bon courage à toutes et à tous pour l’examen !
Voir aussi des supports de cours et entraînements sur le thème Je me souviens :
- “Support de cours et entraînement BTS”… Thème : Je me souviens… « Histoire et mémoire »). Programme 2016-2017
- “75 minutes” : Thème : Je me souviens… « Je suis né quelque part » : la généalogie comme légitimation identitaire). Programme 2016-2017
- “75 minutes” : Thème : Je me souviens… « Le lieu comme vecteur identitaire et mémoriel ». Programme 2016-2017
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