Culture Générale et Expression BTS Corps naturel, corps artificiel : entraînement à l'écriture personnelle. Sujet inédit : indications de corrigé

 


BTS. Corps naturel, corps artificiel
Écriture personnelle : Pensez-vous que l’avenir de l’humanité puisse résider dans un futur où le corps humain fusionnerait avec les machines ?
Indications de corrigé dernière mise à jour : samedi 4 novembre 2017, 13:09.


Niveau de difficulté des exercices :  moyen à difficile 

Rappel du corpus
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  1. Jean d’Alembert, article « Androïde », L’Encyclopédie, 1751.
  2. Auguste de Villiers de L’Isle-Adam, L’Ève future, 1886.
  3. Image tirée du film Metropolis de Fritz Lang, 1927.
  4. Pierre-Marie Lledo, « Femme, homme, robot : vivre ensemble », 2015.

INDICATIONS DE CORRIGÉ (travail semi-rédigé)

  • Pensez-vous que l’avenir de l’humanité puisse résider dans un futur où le corps humain fusionnerait avec les machines ? Vous répondrez à cette question de façon argumentée en vous appuyant sur les documents du corpus, vos lectures de l’année ainsi que vos connaissances personnelles.

La principale difficulté du sujet venait qu’il était centré sur une problématique précise (L’homme postmoderne peut-il encore se définir comme un être biologique ?) nécessitant l’exploitation de connaissances ciblées. On pouvait adopter ici un plan critique (qui porte sur le bien-fondé, la validité d’une hypothèse). Proche du plan dialectique, ce type de plan implique une très nette prise de position par rapport à une situation, à des faits, dont il faut comprendre qu’ils soulèvent un problème que le travail se propose de résoudre après en avoir évalué l’enjeu.

Légendes :
I, II : idée générale (Thèse/Antithèse)
1, 2, 3 : idées secondaires (paragraphes)
: exemple
: déduction du paragraphe
: transition


Introduction

  • (Accroche) Le prométhéisme biotechnique qui a dominé largement l’univers de la Science-fiction est devenu aujourd’hui une réalité qui est en train de transformer l’homme et l’organisation sociale de façon irréversible à tel point qu’on peut se poser la question :
  • (Annonce du sujet) l’avenir de l’humanité pourrait-il résider dans un futur où le corps humain fusionnerait avec les machines ?
  • (Problématique) Ce questionnement fonde la problématique de notre travail : l’homme postmoderne peut-il encore se définir comme un être biologique ? En nous transportant au-delà des déterminismes biologiques, la fusion homme-machine ne témoigne-t-elle pas d’une crise identitaire majeure ?
  • (Annonce du plan) Si, comme nous le concéderons d’abord (Première partie), l’hybridation homme-machine ouvre d’immenses perspectives d’un point de vue social et interpersonnel, nous verrons (Deuxième partie) que cet attrait quelque peu fantasmé pour les techno-sciences reflète davantage le profond sentiment d’aliénation de l’homme à la machine.

I. La fusion du corps humain avec les machines remet en cause les lois de la dégradation entropique et de la temporalité : et si l’homme n’était plus « mortel » ?

  1. La fusion dans un même corps du mécanique et du biologique nécessite d’abord un changement de perspective : il faut accepter que le corps « naturel » n’existe pas en soi, il est socialement et culturellement construit. Les limites mêmes du corps posent donc les limites de la corporéité ; de nos jours, le corps hybride implique une vision du corps non plus comme entité finie et autonome, mais reconfiguré par la science et l’imagination créatrice.
     célèbre anthropologue et sociologue américaine, Donna Haraway est une figure incontournable des théories cyber-féministes. Dans son Manifeste Cyborg (1984 ; trad. fr. 2002), elle affirme : « nous sommes tous des chimères, des hybrides de machines et d’organismes pensés et fabriqués ». Selon l’auteure, en modifiant la fonction reproductive, le corps virtuel peut modifier les déterminismes attachés au corps naturel (notamment au corps féminin).
    Le transhumanisme postule également l’idée qu’il faut profiter davantage de la vie en repoussant les limites du corps naturel (nouvel hédonisme). En ce sens, augmenter les potentialités du corps et de l’esprit n’est pas en soi « contre-nature ».
    Il faut donc accepter l’idée qu’un système technologique puisse se confondre avec le règne du vivant.
  2. La fusion homme-machine est en outre socialement utile, et d’ailleurs sans nous en rendre compte nous sommes déjà les bénéficiaires de ces effets : l’introduction de l’informatique dans nos vies a imposé une redéfinition des rapports entre l’homme et la machine.
    Hans Moravec considère tout à fait possible une hybridation du biologique avec de l’électronique moléculaire : dans son ouvrage Robot : de la simple machine à l’intelligence supérieure paru en 1998, il montre que l’évolution de l’intelligence artificielle se fait au bénéfice de l’humain : un robot est un outil créé par l’homme afin de résoudre des choses que son corps a du mal à accomplir.
    Pierre-Marie Lledo (doc. 4) montre que la robotique suppose désormais que l’homme et la machine fonctionnent ensemble dans une relation d’interdépendance et non plus de confrontation. Le robot jouerait ainsi un vrai rôle social (au Japon, de nombreux robots humanoïdes sont déjà utilisés comme auxiliaire de soin ou personne de compagnie).
    Dans le même ordre d’idées, l’ingénieur et inventeur Elon Musk estime même que le salut de l’humanité passera par l’union de l’intelligence biologique et de l’intelligence numérique (notre dépendance à la technologie ne faisant qu’augmenter avec le temps).
    remise en question du vieux fantasme de l’homme-machine incarné par Terminator : désormais la fusion homme-machine suppose un changement dans la représentation de notre propre corps. La machine nous amène ainsi à reconstruire les liens sociaux et les relations interpersonnelles.
  3. Enfin, la fusion de l’homme et de la machine est une façon d’envisager différemment le corps humain, en dépassant les déterminismes auxquels il était soumis.
     Selon Joël de Rosnay (« Pour une diététique de l’information », Les Cahiers pédagogiques, n°362, p. 8), « L’hybridation des technologies est un facteur d’accélération de la coévolution entre l’homme et les machines à traiter l’information ». L’hybridation est donc un dépassement de la dualité platonicienne corps et mental. Lorsque la machine et le corps sont « branchés », plus rien ne les distingue, leur fusion est totale.
    la génétique accepte les lois qui régissent les processus d’hybridation des végétaux. Pourquoi en irait-il différemment chez les humains ? Fasciné par le corps et ses transformations, l’artiste macédonien Robert Gligorov imagine même une possible fusion du corps naturel avec le végétal. De la même manière, la fusion du corps et de la machine est peut-être une façon de dépasser les frontières corporelles habituelles, à commencer par la vision ségrégationniste du corps : la reconstruction et l’amélioration du corps humain en chirurgie amène par exemple à reconsidérer les notions de genre, de classe sociale, de race, de beauté ou de laideur.
    ⇒ La fusion du corps humain avec la machine amènera sans doute à revoir le contexte des relations sociales : il faut accepter l’idée d’une complémentarité sociale humain-machine.

≠ Mais il ne faut pas sous-estimer les dysfonctionnements, anomalies des technosciences. Le positivisme affiché par les chercheurs pose également un certain nombre de problèmes éthiques : peut-on même parler du corps humain comme d’une machine « techniquement compatible » ?

II. L’hybridation homme-machine reste néanmoins problématique par ses implications philosophiques et morales : s’achemine-t-on vers une fin de l’homme ?

  1. Peut-on « réparer » ou « bricoler » le corps comme s’il s’agissait d’une machine ? Quand on parle de corps humain, on aborde tout ce qui touche traditionnellement à l’anatomie et à la dimension « naturelle » du corps : même socialement évolué, l’humain reste une créature mue par des instincts et des comportements biologiquement cohérents. Réduire le corps à une machine indéfiniment « réparée », c’est prendre le risque d’ôter à l’homme son humanité même.
    Dans la Silicon Valley, un certain nombre de bio-hackers à l’origine de la biologie participative (approche de la biologie non liée aux laboratoires reconnus) rêvent d’un corps indéfiniment réparé par des pièces détachées issues du clone de chacun. (Cf. le film Transformers  de Michael Bay, tourné en 2007 et cet article datant de février 2015 paru dans le magazine Géo
    « Le nouveau défi de la Silicon Valley : rendre l’homme immortel ».
    L’hybridation de la machine et du corps naturel est le symbole d’une société qui est celle de L’Adieu au corps (David Le Breton, 2013) : surnuméraire, lieu de précarité, de vieillissement, le corps naturel semble relégué dans l’oubli.
    De telles visions ne font-elles pas du corps humain non plus un corps-sujet mais un corps-objet ?
  2. L’attrait fantasmé pour les techno-sciences se trouve amplifié par la vulgarisation parfois simpliste des avancées technologiques qui donnent l’impression qu’on peut tout faire avec le corps. Le risque est d’entraîner une conception biaisée de la technique.
    Nathanaël Jarrassé « nous engage à revenir aux réalités des personnes appareillées qui ne sont pas des hommes machines ». Selon lui, la « surmédiatisation du concept de cyborg va jusqu’à engendrer une mise en question passionnée de l’appareillage, domaine où la raison devrait nous guider : qui oserait lancer un débat « pour ou contre » la chaise roulante ou la canne anglaise ? Le sujet amputé, plus ou moins « réparé », se retrouve involontairement enjeu de discussions sur l’« augmentation » du corps dont il connaît, lui, les limites, au risque de rendre encore plus compliquée l’image qu’il a de lui-même et que la société se fait de lui ».
    L’augmentation démesurée des capacités du corps par la pose de puces électroniques, d’implants, de prothèses bioniques, etc. amène inévitablement à une scission de l’humanité entre ceux qui pourront s’offrir ces avancées technologiques et ceux qui en seront exclus ou en seront les victimes (fabrication d’enfants à travers les PMA). Cf. les notions de disposition du corps (logique anglo-saxonne qui réifie [=chosifie] le corps) par opposition au principe d’indisponibilité qui refuse tout échange marchand et toute instrumentalisation du corps humain.
    ⇒ Transformer ainsi l’Homme, c’est menacer son identité, voire son humanité même : peut-on parler encore de « condition humaine » ? Ne devrait-on pas parler davantage d’ « inhumaine condition » ? 

  3. À l’immortalité métaphysique des religions traditionnelles, l’homme a substitué l’immortalité technologique. Y a-t-il un réel « projet humain » dans des conquêtes biotechniques qui réduisent l’humain à n’être plus qu’une machine, voire un corps numérique ?
    La fascination suscitée chez d’Alembert (doc. 1 du corpus) par l’automate de Vaucanson n’est pas exempte d’une certaine ambiguïté très bien illustrée par Edison, le savant fou de l’Ève future (doc. 2) : « tout ceci n’est rien encore ! Non ! rien ! (mais ce qui s’appelle rien ! vous dis-je) en comparaison de l’œuvre possible. ― Ah ! l’Œuvre possible ! Si vous saviez ! ». On peut rapprocher ces propos de certains penseurs qui voient dans le concept de posthumanisme la dissolution même de l’humain, réduit à une identité numérique mise en scène (cf. Word of warcraft et la construction d’avatars).
    Philippe Breton (Une histoire de l’informatique, 1990) a montré que l’un des fantasmes des informaticiens était de créer une intelligence artificielle ne souffrant d’aucune limitation : seule la capacité de stockage et de calcul devant être prise en compte. Selon eux, notre esprit pourrait même être sauvegardé sur un disque dur, au sein d’un androïde de substitution. Entre raison et déraison, sentiment de finitude et pressentiment de l’infini, le corps artificiel ne tend-il pas à devenir un pur artefact, « une instance de branchement, un terminal, un objet transitoire et manipulable […], un kit, une somme de parties éventuellement détachables à la disposition d’un individu saisi dans un bricolage sur soi et pour qui justement le corps est la pièce maîtresse de l’affirmation personnelle » ? (D. Le Breton : « Figures du corps accessoire : marques corporelles, culturisme, transsexualisme, etc. », In : Claude Fintz, Les Imaginaires du corps. Tome 2 – Arts, sociologie, anthropologie. Pour une approche interdisciplinaire du corps, Paris, L’Harmattan, page 208).
    ⇒ La morale du posthumain débouche inévitablement sur une morale de l’inhumain.

Conclusion

  • (Bilan) Comme nous l’avons vu, la mixité corporelle est source  de défis mais aussi de troubles identitaires nouveaux. L’homme technicisé doit prendre la mesure des transformations qu’il induit et des responsabilités que ce pouvoir lui confère : le corps artificiel postule l’idée de l’immortalité par peur de la mort… Mais à quel prix ? Nous devons accepter l’idée d’un humanisme scientifique qui refuse la vision artificialisante et fantasmée d’un homme augmenté aux pouvoirs sans limite.
  • (Ouverture) Et si le vieillissement était la chance même de l’homme ? Élargissement sur Montaigne : « Que vivre, c’est apprendre à mourir » (Essais, I, 19, 1588).

Bruno Rigolt
© novembre 2017, Bruno Rigolt/Espace Pédagogique Contributif

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brunorigolt

- Agrégé de Lettres modernes - Docteur ès Lettres et Sciences Humaines (Prix de Thèse de la Chancellerie des Universités de Paris) - Diplômé d’Etudes approfondies en Littérature française - Diplômé d’Etudes approfondies en Sociologie - Maître de Sciences Politiques