Concours AMOPA 2013
Thème : l’émerveillement
Nombreux sont mes élèves de Seconde qui ont participé cette année au concours d’expression écrite « Défense et Illustration de la langue française », organisé par l’AMOPA (Association des Membres de l’Ordre des Palmes Académiques). Le thème choisi pour 2012-2013 était l’émerveillement. Étant donné la qualité des écrits j’ai décidé de mettre en ligne sur ce site l’ensemble des productions. Aujourd’hui, découvrez le travail de Léna, une dissertation exceptionnellement brillante, qui a permis à son auteure de terminer ex æquo à la première place du prix national. Bravo encore à elle, étant donné la difficulté du sujet et le temps imparti (*).
Bonne lecture. BR
Autres textes publiés :
– Lucie M. (Deuxième prix départemental) : « Près de l’étang du parc »
– Romane G. : « Quelques miettes de sel et d’eau »
– Amélie S. (Finaliste départementale, deuxième accessit) : « Dans la nuit du monde »
Sujet de composition française proposé au concours de l’A.M.O.P.A. 2013 :
« Un homme qui n’est plus capable de s’émerveiller a pratiquement cessé de vivre ». Dans quelle mesure peut-on adhérer à ce jugement d’Albert Einstein ?
Par Léna GNORRA-SONNERAT
Classe de Seconde
Premier prix national ex æquo
émerveillant devant le mystère et l’ordonnancement de l’univers, le physicien Albert Einstein déclara qu’« un homme qui a cessé de s’émerveiller a pratiquement cessé de vivre ». De tels propos nous amènent à nous interroger sur la place qu’occupe l’émerveillement dans notre vie. Nous traiterons cette problématique selon une triple perspective : après avoir justifié les propos d’Einstein dans une première partie, nous les nuancerons dans une seconde partie. Nous verrons enfin combien l’émerveillement peut s’enraciner dans une philosophie humaniste du vécu.
out d’abord, nous pouvons considérer avec Albert Einstein que l’émerveillement est la base du savoir. Une personne émerveillée est incitée à rechercher la source de son émotion. Ainsi comme le dit Socrate, « la sagesse commence dans l’émerveillement ». De ces propos se dégage l’idée que, si la sagesse de l’homme réside dans une émotion simple, il lui appartient d’en rechercher les causes, comme pour assouvir un besoin de curiosité, inhérent à l’être même de l’homme : la sagesse apparaît précisément dans cette recherche, qui est d’abord une quête existentielle, une construction du savoir. L’être pensant s’assagit lors de sa quête de nouveauté car il s’enrichit de la sagesse du monde. Celui-ci est lui-même un émerveillement : il est donc source de tolérance et de connaissance. Si l’homme perdait le besoin de savoir, alors sa vie deviendrait dénuée d’intérêt. Comme nous le comprenons, l’émerveillement conduit à l’idéalisation du réel car il amène à ré-enchanter le monde. Même les événements les plus ordinaires participent à l’évolution de l’esprit sage de l’Homme, qui réside dans sa capacité à pouvoir s’émerveiller.
En outre, un être émerveillé n’est-il pas sujet à l’expression de ses sentiments, de sa découverte qui l’émerveille, et qu’il veut partager suite à sa béatitude ? L’art poétique nous semble le mieux disposé à cette libre expression qui montre la sensibilité humaine : « Le poète est celui qui tout au long de sa vie conserve le don de s’émerveiller » écrit André Lhote. Ainsi, nous comprenons que le poète est en permanence créateur, et c’est d’ailleurs ce qui, étymologiquement le désigne comme tel. Cette capacité à réfléchir sur le monde entraîne à percevoir la vie différemment, à observer les éléments d’un autre aspect. Ce « don » comme le qualifie Lhote, est intrinsèque aux poètes, dont l’art réside dans le réenchantement et l’idéalisation du réel : la poésie peut alors être perçue comme un déchiffrement des merveilles de l’univers. Dans leurs écrits, les poètes font part de leur émerveillement : la caractéristique du verbe poétique est donc, en laissant parler l’âme, de trouver un langage personnel et idéalisateur de l’esprit et du monde. Ainsi, le poète devient-il le traducteur de cette émotion, qu’il réécrit et qu’il modélise à sa manière.
Enfin, nous pouvons dire que l’émerveillement est, plus qu’un élément central, la base de la vie même : il constitue, comme le rappelle Einstein, un besoin vital pour l’existence. Il représente à ce titre l’aboutissement de la recherche de nos sentiments personnels. « Le monde ne mourra jamais par manque de merveilles, mais uniquement par manque d’émerveillement » rappelle Gilbert Keith Chesterton. De ces propos se dégage l’importance de l’émerveillement dans la vie, et ceux-ci montrent de façon explicite la place de ce sentiment dans l’esprit humain. Si Chesterton salue d’une part l’abondance des merveilles en ce monde, c’est pour nous rappeler aussitôt que de notre délectation des éléments de l’univers découle un principe métaphysique essentiel : l’action de s’émerveiller, d’être en extase devant le monde qui nous entoure, devient en effet un état indispensable à la vie, comme un besoin essentiel de l’être humain : la place de cette émotion dans la conception de la vie devient le point central si l’on se réfère aux propos de Chesterton. Nous pouvons donc considérer avec Albert Einstein que notre aptitude à l’émerveillement est une condition indispensable à la vie parce qu’il nous ouvre au monde et qu’il le réenchante.
ais une telle vision, pour légitime qu’elle soit, ne serait-elle pas néanmoins trop idéaliste ? L’émerveillement ne peut-il pas paraître éphémère, voire quelque peu futile, particulièrement dans nos civilisations où le rationalisme nous pousse à rejeter les chimères du merveilleux ?
En premier lieu, l’émerveillement est un état qui est propre aux êtres pensants, aux humains. Cependant, s’émerveiller continuellement peut nuancer, voire altérer la vision que nous avons du monde. La raison se doit d’apporter l’objectivité face à ce sentiment, éminemment subjectif : réfléchir sur le monde, c’est donc le questionner, l’interroger. « Apprends avant toute chose l’interrogation : elle tempère l’émerveillement » rappelle l’écrivain Alain Bosquet. Ainsi, celui qui cherche à découvrir l’univers, le comprendre, porte un jugement forcément critique sur l’émerveillement, qui peut apparaître comme un dangereux enchantement. Par exemple certains philosophes ne sauraient avoir la même vision que le poète, car contrairement à celui-ci qui idéalise le réel, le philosophe essaie de le comprendre. L’interrogation permet d’analyser la source de l’émerveillement, et ainsi d’avoir un avis plus neutre et distancié. Dans cette perspective, nous comprenons que l’émerveillement peut altérer notre point de vue, et la recherche de sa source amène à être plus réfléchi.
De plus, comme l’émerveillement peut altérer notre jugement, il entraîne avec lui l’incompréhension de certains éléments, comme par exemple la source de cette émotion. Cette méconnaissance induit l’être à avoir une vision faussée, naïve. Nous observons très bien cet aspect dans le conte philosophique de Voltaire, Candide. Le jeune personnage, émerveillé de découvrir le monde idéal, reste insensible à la misère et aux souffrances du monde réel. Voltaire montre parfaitement dans son œuvre la naïveté qui résulte de l’émerveillement béat du jeune Candide, qui mène à la méconnaissance des faits. Ainsi, s’émerveiller n’entraîne-t-il pas l’incompréhension du monde ? Et pareille insouciance ne fait-elle pas croire à tort que “tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles” ? En l’idéalisant, l’émerveillement altère conséquemment la vision de nous-même et notre regard sur le monde. En méconnaissant le réel, nous nous illusionnons de notre naïveté, et nous légitimons, bien souvent à notre insu, le mal et l’injustice. De l’émerveillement à la méconnaissance, et peut-être à la lâcheté, il n’y aurait qu’un pas.
Enfin, l’incompréhension et la naïveté entraînées par l’émerveillement mènent à ne pas se comprendre soi-même. S’émerveiller amène en effet à refuser de comprendre le monde qui nous entoure selon une perspective critique et rationnelle. « S’émerveiller, c’est accepter de ne pas tout comprendre » nuance Édouard de Perrot. Nous en déduisons que croire en l’émerveillement, c’est fermer les yeux sur ce que nous ne comprenons pas. Mais cela n’implique-t-il pas aussi un certain rejet du savoir ? Ceux qui rejettent l’émerveillement seraient donc considérés comme des anticonformistes, des hommes qui n’adhèrent pas à l’insouciance pour préférer comprendre l’univers. Accepter de ne pas tout comprendre, c’est aussi l’occasion de se laisser emporter par l’irrationnel, l’irréel. Ainsi, les propos de Perrot condamneraient implicitement ceux d’Albert Einstein, au nom d’un autre relativisme. Nous pourrions déduire de notre débat l’idée selon laquelle l’émerveillement entraîne à ne pas assimiler la vie elle-même au nom d’une méconnaissance assumée, mais quelque peu coupable, puisqu’elle donne à la méconnaissance le statut de béatitude et de fin en soi.
u terme de ces deux parties, interrogeons-nous : faut-il se limiter à ce que nous voyons ? Ne semble-t-il pas plus raisonnable de nous défaire de nos émotions pour mieux comprendre le monde ? Ce serait sans doute se méprendre sur le rôle réel de l’émerveillement, qui, loin de nous détourner du réel, peut au contraire nous aider à en comprendre toute la profondeur.
Pour commencer, reconnaissons que l’émerveillement peut être un moyen de soutenir l’être dans sa vie. Si, comme nous l’avons vu, ce sentiment peut idéaliser notre vision, au point d’enjoliver le monde, s’émerveiller, c’est aussi croire en une Théodicée, pour reprendre un terme cher à Leibniz, capable de nous faire résister aux événements les plus durs. C’est grâce à cette « joie », à cet optimisme que le cœur des hommes peut continuer à battre, dans un monde particulièrement dur à vivre. Paraphrasant Einstein, l’écrivain québécois Michel Bouthot affirme plus ou moins la même idée : « Quand nous cessons de nous émerveiller, nous cessons de croire en la vie ». L’émerveillement devient alors un point principal de l’existence et d’accès à la vérité : il émerveille la vie elle-même, au point d’en réaliser l’irréel. Réaliser l’irréel de la vie, c’est rendre réel l’irréel en participant à l’élèvement de la société : “I have a dream” a dit Martin Luther King aux heures les plus sombres de notre Histoire, comme pour nous rappeler notre besoin d’entreprendre des rêves pour donner un sens à la vie même.
Nous pouvons aussi considérer que l’émerveillement ne peut être vécu que selon la sensibilité de chacun : l’émerveillement n’est pas objectif, il relève de notre subjectivité. Cependant, ces émerveillements individuels, en s’agrégeant, participent d’une identité collective, qui est à la base de l’humanité. L’espèce humaine cherche à recomposer ce qui l’a émerveillée, étonnée : cette universalité du savoir est aussi un partage. Certaines personnes cherchant à être brillantes peuvent être source d’émerveillement et de stupéfaction. Apollinaire dira même : « J’émerveille ». Et de façon plus modeste, le vainqueur du Livre des records émerveille aussi. Chacune et chacun d’entre nous, par son intelligence, sa simplicité, a le don d’émerveiller et d’émouvoir. Ainsi l’émerveillement en suscitant la curiosité, le savoir et l’admiration est une source d’émulation dont a besoin le corps social ; il est un partage et une communion. Comprenons qu’idéaliser le réel ne veut pas dire le déréaliser, mais au contraire le réinventer et découvrir la vérité qu’il porte en lui : faire croire ce qui n’est pas, mais qui sera peut-être un jour.
Enfin, l’émerveillement mène à une profonde quête spirituelle. Il amène à un apaisement, une ouverture sur le monde et l’altérité. Il introduit une réflexion sur la source, et facilite l’acquisition du savoir : je m’émerveille d’abord de ce que je ne sais pas. Nous pouvons dire que l’émerveillement prend en compte la sensibilité artistique de l’homme. Il conduit à se demander ce qui nous unit au monde, créateur d’émerveillement. L’art peut ainsi être un profond vecteur d’émerveillement. Par le pouvoir évocateur d’un mot, d’une note de musique, d’un trait de pinceau, l’artiste fait croire à l’incroyable et amène à réfléchir au sens de notre présence sur la terre. L’artiste François Darbois écrivait que « S’émerveiller, [est] un pont entre art et spiritualité ». L’émerveillement permet donc de comprendre le monde en faisant surgir l’ineffable, le mystérieux qui est au cœur même de l’homme et de son aventure dans l’univers. Nous terminerons nos propos comme nous les avons commencés, en citant Einstein : “La chose la plus merveilleuse du monde, disait-il, est que le monde soit compréhensible”. Qu’il nous soit permis de dire à notre tour que la chose la plus compréhensible du monde est que le merveilleux soit justement incompréhensible…
ur le point d’achever nos réflexions, interrogeons-nous une dernière fois : l’émerveillement est-il réellement indispensable à la vie ? Ou ne serait-il qu’un moyen d’évasion qui ne fait qu’altérer notre entendement ? Comme nous avons essayé de le montrer en suivant modestement la réflexion d’Einstein, l’émerveillement a une autre fonction, essentielle, vitale, qui est de donner un sens à l’homme. En ce début de vingt-et-unième siècle, qui voit ressurgir de par le monde les craintes de sociétés rationalisées ou totalitaires, l’émerveillement apparaît ainsi comme la condition même d’un nouvel Humanisme…
© Léna GNORRA-SONNERAT
Lycée en Forêt, février 2013 (juin 2013 pour la présente publication)
(*) Ce travail est une version légèrement modifiée par son auteure du manuscrit d’origine adressé en février 2013 au jury du concours. Je rappelle que les travaux mis en ligne sont d’autant plus remarquables qu’ils ont été effectués en cours dans un temps très limité.
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