Culture Générale et Expression BTS Corps naturel, corps artificiel : entraînement à la synthèse. Sujet inédit : corrigé

 


Sujet inéditCorps humain et corps « déshumain » :
entre identité et altérité  CORRIGÉ DE LA SYNTHÈSE


Niveau de difficulté de l’exercice :  difficile ★★

Rappel du corpus

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  1. Jean d’Alembert, article « Androïde », L’Encyclopédie, 1751.
  2. Auguste de Villiers de L’Isle-Adam, L’Ève future, 1886.
  3. Image tirée du film Metropolis de Fritz Lang, 1927.
  4. Pierre-Marie Lledo, « Femme, homme, robot : vivre ensemble », 2015.

Corrigé de la synthèse 

Rappel de la consigne : vous réaliserez une synthèse objective, concise et ordonnée des documents contenus dans le présent corpus.


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L’un des rêves de l’homme a toujours été de parvenir à engendrer, par l’artifice de la technique, un « corps-machine ». Des premiers automates aux robots humanoïdes de l’ère postmoderne, en passant par les humains-machines de la littérature ou du cinéma de science-fiction, le présent corpus 
amène à s’interroger, à travers quatre documents d’époques et de genres variés, sur les rapports toujours plus complexes entre les systèmes naturels vivants et la vie artificielle.

___Nous étudierons cette problématique selon une double perspective : d’une part les aspects définitionnels ainsi que les problèmes de délimitation du concept d’homme artificiel ; d’autre part les aspects opérationnels des androïdes, ainsi que les conséquences éthiques de l’utilisation d’une machine pouvant rivaliser avec l’homme.

[remarques sur l’introduction : l’introduction doit comporter au minimum une annonce du thème, des enjeux de sens du corpus et des premières orientations ou indications de l’organisation du devoir. La présentation plus précise des documents peut intervenir dans le développement comme au fur et à mesure de l’évocation et de l’analyse des textes et image]. Cf. Charte des examinateurs : III Questions spécifiques.

___Le corpus invite tout d’abord à explorer le concept d’androïde d’un point de vue théorique et technique. Il revient au mathématicien Jean d’Alembert dans un article fondateur de l’Encyclopédie (1751) d’en rappeler l’étymologie : « automate ayant forme humaine ». Comme le souligne fort à propos Pierre-Marie Lledo, directeur du département de Neuroscience de l’Institut Pasteur et l’un des experts de l’Association Progrès du Management (APM) dans un ouvrage collectif publié en 2015, Renaissance[s] : le plaisir d’entreprendre, « le concept d’androïde ne peut être dissocié de celui d’anthropomorphisme ». Cette osmose de plus en plus poussée entre les machines et l’appareil psychique est particulièrement sensible dans les documents deux et trois : paru en 1886, le roman d’Auguste Villiers de L’Isle-Adam, L’Ève future, se fait l’écho des dispositifs naturalistes de perfectionnement du corps et de son amélioration qui ont marqué la fin du XIXème siècle. Le passage présenté décrit avec une précision toute scientifique la création d’une femme-machine nommée Adaly. Selon Edison, son « andréide » doit être plus qu’une « Imitation-Humaine » : une « illusion de la Vie ». Donner à un robot l’apparence séduisante d’un être humain, voilà également ce qui obsède Rotwang, le savant fou de Metropolis. Tourné en 1927, le film de Fritz Lang dont l’image est extraite, contribue largement à façonner notre représentation du robot, montré comme une performance d’imitation.

___Ainsi que nous le pressentons, le concept d’androïde a largement été déterminé par les époques. Si le célèbre automate de Vaucanson auquel d’Alembert consacre son article n’est pas à proprement parler une machine pouvant rivaliser avec l’homme, la définition proposée par l’encyclopédiste est cependant la première qui fasse mention du concept d’homme-machine dans sa signification moderne : « Automate ayant figure humaine et qui […] agit et fait d’autres fonctions […] semblables à celles de l’homme ». Pour les savants matérialistes du XVIIIe siècle, nature et artifice sont en effet indissociables. Si cet aspect se retrouve dans les documents deux et trois, c’est malgré tout la science-fiction qui s’empare de la définition : le cas des gynoïdes¹ imaginées par Villiers de l’Isle-Adam et Fritz Lang est à ce titre révélateur de la peur des robots qui a largement baigné l’ère industrielle. Prenant le contre-pied de ce fantasme négatif, Pierre-Marie Lledo n’hésite pas à titrer : « Femme, homme, robot : vivre ensemble ». En délaissant volontairement la tradition des mirabilia², l’auteur envisage le robot au sens industriel du terme, avec l’ambition de remettre l’humain au cœur de la technique : à la différence de l’automate de Vaucanson qui se limitait à reproduire des gestes, ou des créatures fantasmées de Villiers de l’Isle-Adam et Fritz Lang, le robot de l’ère post-moderne amène plus fondamentalement à définir l’intelligence artificielle d’un point de vue épistémologique³ dans un contexte sociétal nouveau, qui est celui de l’hybridation et du transhumanisme.

___Autant de questions qui soulèvent deux aspects majeurs : comportemental et surtout éthique. En premier lieu, les documents abordent la question de l’adaptation de l’androïde à son environnement, notamment de son interaction avec les humains. Par son intention didactique, l’article de l’Encyclopédie se fait l’écho des savants du dix-huitième siècle qui ont cherché à modéliser les savoirs anatomique, physiologique et biologique : l’androïde de Vaucanson a en effet pour maître mot l’imitation : cette notion qui parcourt l’ensemble de la démonstration montre une indéniable fascination pour la psychologie comportementale, qui commençait à se développer sous les Lumières. Les documents deux et trois sont à ce titre comme une réponse à l’hypothèse finale de Jean d’Alembert qui porte sur la faisabilité à plus grande échelle du projet de Vaucanson. Loin d’être simplement chimériques, les gynoïdes de Villiers de l’Isle-Adam et Fritz Lang dotent la machine d’une « conscience » et d’une autonomie adaptative. Dans Metropolis, l’image célèbre de Maria, transformée en robot, pose toute la question de l’intelligence artificielle. Pierre-Marie Lledo va encore plus loin en envisageant l’androïde sous l’angle plus anthropologique de la communication avec l’homme : promoteur des neurosciences cognitives, l’auteur montre que le robot peut nous fournir ce dont nous avons le plus besoin : une altérité véritable. En ce sens, l’évolution des robots est peut-être le dernier stade de l’évolution humaine vers une économie « bio-inspirée » qui serait un nouveau modèle pour les sociétés à venir.

___Ces interrogations fondamentales s’inscrivent en fait dans une nécessaire éthique des robots. L’androïde est certes un formidable outil de savoir comme en témoigne la diversité des documents, mais il concrétise aussi de façon plus inquiétante le rêve prométhéen de l’humanité. La mécanique sophistiquée du flûteur de Vaucanson ne saurait masquer l’ambition de modéliser le vivant comme une machine : n’est-ce pas précisément l’amère leçon qui se dégage du roman de Villiers de l’Isle-Adam ? Le personnage d’Edison semble moins dominé par l’idée d’humaniser Adaly que par son obsession de penser l’organisme humain comme une machine. Soumettre la question de la technique à la lumière de la philosophie morale, tel est également le message qui se dégage du film de Fritz Lang, dont l’image nourrit autant la peur que la fascination. Mais tout l’enjeu du film n’est-il pas de nous amener à envisager différemment la relation complexe qui nous unit aux machines ? La technique ne saurait être coupable d’une responsabilité qui incombe d’abord à l’homme. Tourné en 1927 pendant la république de Weimar, le film préfigure le Reich nazi. Et s’il faut avoir peur, c’est de l’homme lui-même. Pierre-Marie Lledo prend ainsi le parti de la robotique comportementale et sociale dans le but de démystifier les peurs suscitées par l’intelligence artificielle : la machine, fût-elle pensante, ne peut être qu’au service de l’humain, c’est-à-dire de l’humanité de l’homme. Telle est la signification morale et philosophique qui se dégage du corpus.

___Comme nous l’avons montré, plusieurs enjeux sont sous-jacents à cette réflexion sur le corps artificiel : si tous les documents mis à notre disposition soulignent les possibilités offertes par le progrès scientifique, ils obligent aussi à « repenser les frontières entre le corps humain et la machine » (Instructions Officielles). Un tel débat prend plus encore son sens à notre époque, largement marquée par les développements spectaculaires de la robotisation et du transhumanisme.

© octobre 2017, Bruno Rigolt 
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NOTES

  1. gynoïde : robot ayant l’apparence d’une femme.
  2. mirabilia : qui se rapporte aux merveilleux, au surnaturel. Chose qui éblouit par sa beauté surnaturelle.
  3. épistémologique : qui concerne les méthodes et les principes d’une science sur son objet d’étude. L’épistémologie englobe les méthodes ainsi que les démarches de pensée propres à une science ou un domaine scientifique.
  4. didactique : qui est instructif, qui vise à un enseignement.
  5. anthropologique : qui se rapporte à l’anthropologie en tant que science de l’homme (CNRTL), c’est-à-dire à l’étude de l’homme dans son ensemble d’un point de vue social, historique, culturel. « L’ambition de l’anthropologie, prise au sens le plus large, serait de rassembler dans une perspective globalisante toutes les disciplines étudiant l’homme » (source : Universalis.fr).

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brunorigolt

- Agrégé de Lettres modernes - Docteur ès Lettres et Sciences Humaines (Prix de Thèse de la Chancellerie des Universités de Paris) - Diplômé d’Etudes approfondies en Littérature française - Diplômé d’Etudes approfondies en Sociologie - Maître de Sciences Politiques