Entraînement BTS Les causes du rire…

Entraînement BTS Sessions 2011>12

Les causes du rire

Présentation

Pour débuter cette nouvelle année scolaire, je vous propose un sujet (relativement abordable et ne présentant pas de difficulté particulière) sur les causes du rire. Le corpus présenté amène en effet à s’interroger sur une caractéristique essentielle de l’art du comique : le contraste, autrement dit l’opposition de deux éléments mis en valeur par leur juxtaposition. Ce qui fait rire, c’est bien la perception d’un contraste entre ce qui est attendu et l’événement produit, entre le rationnel et l’infraction à l’ordre, à la règle ou à la bienséance.

Les deux premiers documents, relativement didactiques mais néanmoins faciles à lire malgré leur ancienneté (1822 et 1887), invitent donc à interpréter le rire comme un produit des contrastes : faisant alterner la théorie et des exemples tirés de la vie quotidienne, les auteurs tentent de définir l’esprit ludique du rire. Quant au document 3, il s’agit d’un dessin fort célèbre et très drôle (1949) du caricaturiste Albert Dubout (1905-1976) : le contraste grotesque des personnages placés dans un décor banal et quotidien est à mettre en relation avec « Les routiers » (1966) de Jean Yanne (1933-2003), sketch à juste titre célèbre qui joue à fond sur le comique de contraste (entre les situations, les niveaux de langue, etc.).

Mais ce ressort ludique du rire, en portant la contradiction et même l’ambiguïté à leur comble, peut enclencher un processus critique et satirique. Patrick Fargier (*) notait justement : « rire, c’est donc faire jaillir les contrastes, souligner les contradictions, interroger les écarts et les différences, montrer l’incongruité. [Le rire] naît du contraste entre un sens prétendu (la doxa) et un non-sens avéré et grâce à cette duplicité qui lui est inhérente, il dénonce l’écart —qui ne devrait pas être— entre l’être et le paraître […] ». De fait, au-delà de l’aspect comique, le rire détient une fonction subversive et idéologique questionnant les valeurs admises et les normes sociales…

(*) Patrick Fargier, « L’élève est son corps et son rire », in Rire en toutes lettres, sous la direction d’Hugues Lethierry, Presses Universitaires du Septentrion, Paris 2001, chapitre 9 page 150.

Corpus :

  1. Jean-Charles Laveaux, Dictionnaire raisonné des difficultés grammaticales et littéraires de la langue française, 1822
  2. Ernest Coquelin, Le Rire, 1887
  3. Albert Dubout, dessin humoristique, 1949
  4. Jean Yanne « Les routiers », 1966
  • Documents complémentaires :
    1. Léon A. Dumont, Des causes du rire, 1862
    2. Cercle Gallimard de l’Enseignement, Dossier thématique sur le comique.

Sujet : Vous ferez des documents suivants, une synthèse concise, objective et ordonnée.

Écriture personnelle : Un comique fondé sur le contraste fait-il toujours rire ?

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1. Jean-Charles Laveaux, Dictionnaire raisonné des difficultés grammaticales et littéraires de la langue française, tome premier, éd. Ledentu, Paris 1822, page 288.

Depuis « Il est une espèce particulière de contraste » (colonne de gauche, milieu de page, début de paragraphe) jusqu’à « car alors on tarirait la source du rire » (colonne de droite, milieu de page, fin de paragraphe). Cliquez ici pour afficher la page directement dans Google-livres.

Il est une espèce particulière de contraste, qui est l’effet de la surprise que nous éprouvons par l’action ou par la perception imprévue de quelque objet : plus l’opposition entre ce qui arrive et entre ce que nous attendions est forte, plus notre étonnement est grand ; si l’événement qui nous surprend non intéresse, et peut exciter en nous quelque passion, telle que la joie ou la pitié, l’âme s’y livrera à l’instant ; mais si l’événement ne nous intéresse pas, alors l’âme, ramenée alternativement aux idées inattendues et disparates, éprouvera une oscillation ou des secousses du cri, de la surprise et de l’admiration qu’on appelle le rire.

Il est évident que les ignorants doivent par conséquent rire plus facilement et plus longtemps que les savants qui ne s’étonnent de rien et qui savent concilier les idées les plus disparates. L’homme de lettres ne rit point des jeux de mots et des pointes, parce qu’il sait que les mots n’ont point une liaison essentielle avec les choses ; il n’y aperçoit aucun contraste. Le sage rit des choses qui ne paraissent pas risibles à l’ignorant, parce qu’il n’aperçoit pas le contraste voilé et caché sous des rapports si délicats, qu’on ne peut les saisir qu’avec un moment de réflexion. Les hommes gais et plaisants savent faire rire les autres, en prenant un ton sérieux dans une matière très peu importante, pour mettre du contraste, et pour voiler aux autres l’ordre et la liaison des idées qu’ils emploient.

Le style de la plaisanterie consiste à unir des idées accessoires, tellement opposées et disparates avec l’idée principale, que le lecteur ou l’auditeur attend tout autre résultat ; il faut que ces idées soient uniques par le fait, et par un fait inattendu, et jamais par analogie et par une relation attendue ou prévue.

Il ne faut pas que les idées contrastantes éveillent d’autres sentiments et d’autres intérêts, ou qu’elles soient tellement dissemblables entre elles ou avec l’idée principale, qu’elles puissent inspirer l’ennui, causer de la douleur ou entraîner de l’obscurité ; car alors on tarirait la source du rire.

2. Ernest Coquelin, Le Rire (2e éd.), illustrations de Sapeck, éd. Ollendorff, Paris 1887, pages 3 à 7.

Depuis « On a beaucoup écrit sur le rire » (début de la page 3) jusqu’au bas de la page 10 (« et vous éclateriez si vous n’étiez pas arrêté par la majesté de l’église« ). Cliquez sur le lien hypertexte pour télécharger le passage sélectionné au format pdf : Le Rire

3. Albert Dubout, dessin humoristique (sans titre), 1949. Message de la légende : « Là ! Vous avez la vue sur les gorges du Tarn. » Copyright © Dubout, 2005.

"Là ! Vous avez la vue sur les gorges du Tarn."

4. Jean Yanne « Les routiers », 1966. Interprètes : Jean Yanne (Bébert), Paul Mercey (Fredo)

Bébert : Eh, t’endors pas, Frédo, on a encore de la route à faire.
Frédo : T’en fais pas, j’ai fait la pause-café, je peux tenir le choc jusqu’à Montélimar.
Bébert : Pourvu qu’il y ait pas de brouillard…
Frédo : On verra bien.
Bébert : Tiens, en attendant, mets toujours « Route de nuit », ça nous fera passer le temps.
Radio : Et, amis routiers, souvenez-vous que les camions Souchebir sont les seuls camions équipés de sièges Louis XVI à pieds galbés. Camions Souchebir, un vrai plaisir ! Et maintenant, amis routiers, un peu de musique : nous allons écouter le premier mouvement du quatuor numéro six en si bémol majeur opus 18 de Ludwig van Beethoven.
Bébert : la la la… sol la… sol la… sol la sol la… Tu diras ce que tu voudras, Frédo, mais dans cet allegro de Beethoven, eh ben, on sent encore vachement l’influence de Mozart !
Frédo : Ah ! Faut dire que c’est la période charnière de l’évolution beethovenienne.
Bébert : J’suis d’accord avec toi, Frédo, mais avoue que c’est plus sensible dans l’allegro que dans l’adagio, hein, c’est en filigrane, quoi!
Frédo : Ben par le fait, c’est sa deuxième manière, à Beethoven. Dans le premier thème, il fait un large exposé, alors forcément, dans l’allegro ma non troppo, quand le premier violon et le violoncelle, ils attaquent à l’unisson, eh ben on sent déjà que ça va s’épanouir en contrepoint.
Bébert : c’est vrai ce que tu dis, Frédo !
Frédo : Tu sais comme le disait Delacroix « dans le Beethoven des quatuors, on respire déjà la mélancolie qui trahit un feu intérieur »… Il a pas fini de faire du slalom avec son scooter, çui-là!
Bébert : Ah, dis donc les deux roues, faut se les goinfrer !
Frédo : Ah ! C’est pas vrai ! Tiens, tiens v’là écoute le pianissimo, dis si c’est enlevé… (ils chantent)
Radio : Nous interrompons, ce quatuor, amis routiers, pour vous rappeler que Beethoven ne connaissait pas la gamme, oui il ne connaissait pas la gamme, la gamme des camions Souchebir bien entendu. Et souvenez-vous, camion Souchebir un vrai plaisir !
Bébert : Ah ! Tu sais qu’ils commençent à nous bassiner avec leur publicité, hein !
Frédo : T’as raison, ils ont coupé juste au moment de la montée chromatique, le plus beau passage !
Bébert : Ben, je pense bien, c’est le passage en la bémol mineur… Deux altérations à la clef…
Frédo : Exactement.
Bébert : Enfin c’est comme ça, c’est comme ça… Tiens c’est du Bach maintenant…
Frédo : Ben ouais c’est du Bach, c’est pas du Verchuren… Qui c’est qui joue là ? C’est François Chombier ça hein ?
Bébert : Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
Frédo : Quoi ? Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
Bébert : T’as vraiment pas de feuille ! François Chombier ! Mais tu reconnais pas l’attaque ! C’est Adrienne Flambard, eh ! Ben, Chombier, il joue plus délié dans les aigus !
Frédo : Mouais… Ouais… T’as p’têtre raison…
Bébert : Ben je veux !
Frédo : Tiens, samedi dernier j’ai de nouveau emmené les mômes à Saint-Louis des Invalides, pour entendre Dupré.
Bébert : Ah ! Il est bien Dupré, hein ?
Frédo : Oh ouais !
Bébert : Moi j’trouve qu’il a une bonne persistance rythmique…
Frédo : Oh ouais !
Bébert : Mais tu vois, y’a un truc qui me chiffonne chez Dupré quand même… Comme dit Gavoty, il est bien… Et il sait pas se servir de la pédale. Tu sais, Gavoty c’est un connaisseur !
Frédo : Ouais, ce des fois, il a la registration touffue, mais, quand il a un bon instrument, comment qu’il s’défend ! Tiens l’année dernière avec Mémène on est allés l’écouter à Notre-Dame. Il nous a fait chialer… Il les éteindra pas ses phares, c’t abruti !
Bébert : Ah ! Le salaud !
Frédo : Ça va pas la tête non ? J’y ai dit !
Bébert : T’es pas fatigué Frédo ? Tu veux pas que j’te reprenne un peu ?
Frédo : Penses-tu, tu peux roupiller si tu veux.
Bébert : Oh non, ben maintenant que tu m’as causé, j’ai plus sommeil. J’vais lire un peu, tiens.
Frédo : Qu’est-ce que c’est qu’tu lis ?
Bébert : Péguy… Club français du livre.
Frédo : C’est chouette Péguy, hein ?
Bébert : Ben j’vais t’dire surtout c’est pas lassant… C’est Tuture qui m’a donné ce bouquin. Tu connais Tuture ?
Frédo : Ben j’vois pas, non…
Bébert : Tuture, le gand rouquin qui fait Paris-Strasbourg avec son 12 tonnes !
Frédo : Ah ouais, ça y est…
Bébert : Dans un Routier, j’lui avais réparé son démarreur, eh ben pour me remercier il m’avait filé tout Péguy !
Frédo : Il s’est pas foutu d’toi.
Bébert : T’as raison, douze volumes, qu’est-ce que j’me régale !
[…]
 

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Découvrez la playlist Jean Yanne Les Routiers avec Jean Yanne
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  • Document complémentaire : Léon A. Dumont, Des causes du rire, éditeur A. Durand, Paris 1862, chapitre VI, page 77 et suivantes.

Certaines causes, telles que la nouveauté, le contraste, l’harmonie, l’association des idées, peuvent augmenter ou diminuer l’énergie de nos facultés, et, par conséquent, modifier le degré du plaisir ou de la peine qui lui correspondent. Cette loi générale de la sensibilité est applicable au sentiment particulier du risible.

La nouveauté rend plus intense l’énergie de notre entendement, et, par conséquent, plus vif le plaisir du rire, de deux manières : à un point de vue subjectif ou à un point de vue objectif. Au premier point de vue, un objet risible nous affecte davantage quand il trouve notre esprit inoccupé et le détermine à passer de l’inactivité à l’activité : jamais une plaisanterie n’est mieux accueillie de nous que lorsque l’ennui nous ronge ; nos facultés, privées pendant un certain temps d’objet sur lequel elles puissent s’exercer, se jettent avec avidité sur celui qu’on leur présente et le saisissent comme une proie. L’objet risible fait encore une impression relativement vive sur notre sensibilité lorsqu’il trouve notre esprit occupé d’objets tout différents, et qu’il le détermine, par conséquent, à changer de mode d’activité ; nos facultés s’exercent avec moins de vigueur en proportion de la durée du même exercice ; elles finissent, quand ce même exercice se prolonge, par se fatiguer et se refuser à agir ; c’est dans ces circonstances qu’une occupation nouvelle de l’esprit vient faire succéder à un sentiment pénible un sentiment de plaisir qui n’en paraît que plus vif. Il s’ensuit qu’une plaisanterie qui vient frapper nos oreilles, quand nous venons de rire déjà d’un grand nombre d’autres objets, ou, en général, quand notre entendement est fatigué, nous est beaucoup moins agréable que si elle se présentait isolée ; on trouverait outrés dans un drame sérieux des traits qui passeraient presque inaperçus dans un vaudeville ; un trop grand nombre d’objets risibles se nuisent les uns aux autres, et l’abus de la plaisanterie amène la satiété. Au point de vue objectif, le risible nous cause plus de plaisir quand il se présente à nous pour la première fois ; quand, au contraire, nous le connaissons déjà, le second des deux rapports s’offre tout d’abord à notre esprit, et nous négligeons entièrement le premier, que nous savons n’être pas vrai ; l’entendement averti ne se laisse plus surprendre. Nous pouvons alors juger que l’objet est risible, c’est-à-dire qu’il renferme les qualités nécessaires pour faire rire ceux qui le verront ou l’entendront pour la première fois ; mais nous ne sentons plus cet effet sur nous-mêmes. Cependant, quand le premier rapport est de nature à commander fortement notre attention, et à s’imposer à nous malgré nous, même lorsque nous savons qu’il est faux, nous pouvons rire plusieurs fois du même objet, mais toujours moins fortement à chaque présentation nouvelle. La même chose arrive quand il y a, entre les deux perceptions, un intervalle assez considérable pour que nous n’ayons plus qu’un souvenir vague de la première, ou que nous l’ayons même complétement oubliée : l’entendement retombe alors dans sa première erreur.

Enfin nous rions encore, quoique l’objet risible ne soit pas nouveau pour nous, toutes les fois que nous n’avons pu déterminer lequel des deux rapports est le vrai, et qu’ils continuent, par conséquent, à se présenter l’un et l’autre à notre esprit avec des titres égaux. Ce fait se produit à l’occasion des ambiguïtés les plus complètes. Le contraste augmente non seulement l’intensité réelle ou absolue du rire, mais aussi son intensité apparente ou relative. Quant à la première, le risible produit beaucoup plus d’effet dans un objet qui ne paraissait pas de nature à le renfermer ; comme la plaisanterie, par exemple, dans la bouche d’un homme sérieux. […]

  • Document complémentaire : Cercle Gallimard de l’Enseignement, Dossier thématique sur le comique. En particulier le paragraphe consacré aux Caractères de La Bruyère (« Une gravité trop étudiée devient comique ; ce sont comme des extrémités qui se touchent et dont le milieu est dignité »), ainsi que le paragraphe suivant consacré à Hugo (« Moi qui pourrais mordre, je ris »).

Publié par

brunorigolt

- Agrégé de Lettres modernes - Docteur ès Lettres et Sciences Humaines (Prix de Thèse de la Chancellerie des Universités de Paris) - Diplômé d’Etudes approfondies en Littérature française - Diplômé d’Etudes approfondies en Sociologie - Maître de Sciences Politiques