Bac blanc du 28 janvier 2010 "La Poésie" Rapport du Jury

Rapport de correction

Voici le rapport que j’ai établi pour ce premier examen blanc préparant à l’écrit de l’EAF, sur la base des remarques de ma collègue et de mes propres observations. Même si ce rapport ne saurait engager les autres enseignants de l’établissement, il est évident que la plupart des observations formulées ici dépassent largement le cadre de mes classes.

Les deux divisions de Première ont participé à ce premier examen blanc : 31 élèves pour la division de Première ES1 et 18 élèves pour la division de Première S3. Le niveau a été assez hétérogène, de faible à moyen dans l’ensemble.

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1. Remarques générales

Un bilan qui mérite réflexion

Afin de préserver l’impartialité et l’objectivité de l’épreuve, j’ai anonymé les copies avant leur correction. En outre, j’ai demandé à une collègue enseignant en région parisienne de bien vouloir évaluer la deuxième partie de l’épreuve (les travaux d’écriture) : nous avons donc corrigé “en aveugle”. Dans le cas de divergence entre les notes, j’ai retenu la notation la plus avantageuse pour l’élève.

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  • Première ES1 : la moyenne générale obtenue est de 8,1
    (8 pour le correcteur 1 : moi ; 8,3 pour le correcteur 2 : ma collègue).
  • Première S3 : la moyenne générale obtenue est de 8,5
    (8,1 pour le correcteur 1 : moi ; 8,8 pour le correcteur 2 : ma collègue).

Comme vous le voyez, il n’y a pas eu d’amplitude très significative, au niveau des scores, entre mes notes et celles du deuxième correcteur dans la plupart des cas (moins de 0,3 point en Première ES1 ; à noter cependant un écart plus important en Première S3 de l’ordre de 0,7 point en raison de quelques travaux posant problème : j’y reviendrai). Concernant les résultats, sans être alarmant, le bilan est cependant préoccupant et devra amener certains élèves à se mettre sérieusement en question.

Des élèves partis au bout de trois heures…

J’évoquerai immédiatement le cas des candidats partis au bout de la troisième heure : 9 élèves en Première ES1 sont concernés, soit 28% de la classe ! C’était évidemment l’erreur (rédhibitoire !) à ne pas commettre : la moyenne de ces devoirs est de 06/20. Ils se caractérisent souvent par une orthographe et une syntaxe affligeantes, une écriture ainsi qu’une typographie peu soignées, des erreurs de méthode assorties à un manque important de réflexion.

Je rappellerai ici ce que j’avais écrit dans un rapport précédent :

Partir avant, comme je l’avais d’ailleurs dit et répété (en classe et sur ce blog) est évidemment une chose à ne jamais faire, surtout lors d’un examen. Plus qu’une absence de sérieux, j’y vois davantage un manque de discernement : la difficulté en Français c’est en effet de travailler avec peu de consignes, ce qui déstabilise beaucoup d’élèves, habitués plus qu’ils ne l’imaginent, à être « dirigés », et guidés par les consignes : si vous regardez attentivement la question préparatoire comme le travail d’écriture, vous verrez qu’ils vous amènent en fait à déterminer vous-même ce qu’il convient de faire : la marche à suivre étant davantage laissée à votre libre-arbitre, à votre appréciation personnelle, qu’à une succession de contraintes à respecter. Prenons comme exemple l’introduction du commentaire : je suis certain que si l’on avait dit : 1) vous ferez d’abord une introduction qui comprendra obligatoirement a) une amorce, puis b) la contextualisation du texte ainsi que c) sa problématisation, et enfin d) l’annonce du plan, certains élèves (qui n’ont rien fait de tout ça) auraient scrupuleusement exécuté ce qu’on leur disait de faire. Mais quand on leur dit seulement « Faites le commentaire », ces étudiants sont décontenancés parce que c’est à eux tout à coup à déterminer la marche à suivre, en s’adaptant de surcroît à un support textuel qu’ils ne connaissent pas. Ce sont ces mêmes élèves qui attendent en classe qu’on leur dise de prendre des notes en cours… Bref qui attendent qu’on leur donne des directives, incapables qu’ils sont d’être autonomes… En réalité, malgré leur absence apparente, les consignes sont bien là, mais elles sont implicites : vous êtes censés les connaître et les appliquer.

J’ajouterai à ces considérations la remarque suivante : partir une heure avant la fin d’une épreuve qui en dure quatre, c’est négliger 25% du temps. C’est donc perdre 25% d’efficacité : ces étudiant(e)s semblent ainsi accepter leur manque de performance, et se satisfaire que d’autres soient bien meilleurs qu’eux. Ce sont parfois les mêmes étudiant(e) qui justifient leurs difficultés ou leur sentiment d’échec personnel par des causes extérieures (“L’enfer, c’est les autres”, c’est bien connu !). Et sans doute auront-ils le même raisonnement quand il s’agira pour eux d’envisager leur réussite professionnelle. Une telle attitude est évidemment déconcertante car elle est incompatible avec l’esprit de performance : comment chercher à atteindre des objectifs ambitieux si l’on accepte de perdre 25% de son efficacité ?

Choix des sujets et moyenne des travaux d’écriture en Première ES1

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Classe de Première ES1 : moyenne des dissertations

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Classe de Première ES1 : moyenne des commentaires

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Classe de Première ES1 : moyenne des écrits d’invention

Choix des sujets et moyenne des travaux d’écriture en Première S3

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Classe de Première S3 : moyenne des dissertations

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Classe de Première S3 : moyenne des commentaires

Présentation de la copie, typographie

Tout d’abord, évoquons la lisibilité : il est inconcevable qu’un candidat au Baccalauréat rende une copie qui, pour être comprise, nécessite de la part du correcteur un travail de déchiffrement (voire de “surtraduction”). C’est à juste titre que de tels devoirs sont lourdement sanctionnés aux examens et concours : les ratures, le manque de soin, etc. traduisent en effet une profonde désinvolture à l’égard de l’autre (a fortiori quand certains candidats sont partis 3 heures après le début de l’épreuve et qu’ils auraient donc eu le temps de soigner leur graphie). À l’exception de cas malheureusement avérés médicalement de dysgraphie (qui est à l’écriture ce que la dyslexie est à la parole), la plupart des candidats font tout simplement preuve d’une négligence coupable, qui les pénalisera professionnellement s’ils ne modifient pas leurs pratiques. Deux copies en particulier ont nécessité de la part de ma collègue et de moi-même, pas moins de 35 minutes pour tenter de déchiffrer les caractères. En outre, ce temps occupé au déchiffrage fait souvent oublier le message véhiculé par le texte (obligeant souvent à relire depuis le début la phrase !). Autant vous dire que le jour du Bac, un correcteur ne sera guère prêt à l’indulgence.

Je vous renvoie ici aux remarques riches d’enseignement d’un autre rapport du jury (accès au cycle préparatoire au concours interne d’entrée à l’ENA, session 2008) :

Lorsque l’écriture d’une copie est pratiquement illisible, il est tout aussi difficile de la noter, et encore davantage de porter sur elle une appréciation positive. A la limite, le candidat qui l’a rédigée l’a ipso facto quasiment annulée. L’on suggérera aux candidats concernés par cette difficulté de faire lire quelques pages de leur main à des proches pour recueillir leurs conseils, et de consacrer, au cours de leur préparation, tout le temps nécessaire à des exercices d’écriture articulée, – de la même façon que ceux qui éprouvent du mal à parler d’une manière audible et compréhensible se soumettent à des exercices d’articulation orale. Comment le jury pourrait-il prendre au sérieux un candidat, quelles que soient ses qualités, qui ne veille pas d’abord à se faire comprendre ? Peut-on accorder grand crédit à un homme ou une femme qui vise à exercer des fonctions importantes au sein de la haute administration sans paraître se soucier des conditions minimales de la communication avec les autres ? Est-il pensable en effet que cette personne soit, à terme, en mesure d’expliquer les enjeux d’une situation donnée, de définir ses objectifs, de convaincre ou de persuader l’autorité hiérarchique dont il dépend, les subordonnés qui attendent de lui soutien et instructions, le public qu’il est chargé de servir ?

L’orthographe et la syntaxe

Si de nombreux élèves ont porté leur attention sur l’orthographe, des difficultés persistent, d’abord dans l’écriture des noms propres, pourtant connus. C’est encore plus agaçant quand il s’agit d’auteurs dont le nom est mentionné dans le corpus : Beaudelaire pour Baudelaire par exemple. Dans deux copies, Daumal est devenu Duval ! Attention également aux fautes sur du vocabulaire d’usage qui dénotent un manque de rigueur (d’autant plus qu’il n’est quand même pas compliqué d’apprendre une fois pour toutes l’orthographe de certaines expressions !) :

  • Quand à pour quant à
  • malgrés pour malgré
  • (malgré que : sans être incorrecte, cette expression est néanmoins lourde et fort peu littéraire. Préférez “bien que”)
  • Voir (dans le sens de “et même”) au lieu de voire
  • quatres pour quatre
  • de faite pour de fait (en raison de la prononciation du “t” à l’oral qui n’est pas recommandable)
  • etc.

J’évoquerai brièvement les familiarités : n’attendez aucune indulgence, a fortiori dans les examens et concours de haut niveau, pour ce qui concerne tout relâchement au niveau du lexique. Voici quelques exemples alarmants : “le poète se fout de la société” ; “Daumal en a marre” ; “arrêtez de nous embêter avec vos conneries M. Baudelaire (dans l’écriture d’invention), etc.

Nous avons noté par ailleurs un très grand manque de rigueur dans le choix du vocabulaire utilisé : attention par exemple à l’usage que vous faites du verbe “citer” : c’est toujours vous qui citez et non l’auteur ! Prenons l’exemple de cette copie :

“À travers “Les dernières paroles du poète”, René Daumal cite : “Je vous ferai retrouver la parole”.

Il aurait fallu écrire :

  • “À travers “Les dernières paroles du poète”, René Daumal s’écrie : “Je vous ferai retrouver la parole”.
  • Ou alors : “Citons “Les dernières paroles du poète”, où René Daumal s’écrie : “Je vous ferai retrouver la parole”.

Attention enfin à la syntaxe, c’est-à-dire aux constructions de phrases. Dans l’exemple ci-dessous, la répétition des mots ou expressions, ainsi qu’un mauvais usage du système verbal (concordance des temps), alourdissent non seulement le texte, mais finissent par compromettre le sens entier du message qui devient difficilement compréhensible :

Après avoir refusé la société, le poète prend la décision de revenir à la réalité parce qu’il veut revivre et demande qu’on le délivre. Il a décidé de revenir à la réalité car il entendait des bruits de baïonnette et d’éperons, il a donc conclu que son délai accordé pour dire ses paroles était proche de la fin. Au dernier moment, sa parole était proche, il éclata, il veut être délivré et il veut aussi revivre avec les autres pour qu’il leur fasse retrouver la parole. Pour être délivré et pour délivrer les autres, il leur demande…

On voit combien la langue, insuffisante et confuse, ne parvient pas à communiquer la pensée, la structurer et l’organiser. Autre difficulté : l’élève raconte le texte au lieu de l’analyser. C’est la raison pour laquelle je ne saurais trop vous recommander de vous entraîner à l’expression : c’est en écrivant, en lisant, en notant sur un petit répertoire des formules “toutes faites” que l’on peut s’améliorer et progresser. J’avais même suggéré, dans un support de cours précédent, d’utiliser votre MP3, afin de mémoriser certaines expressions facilitant ainsi le travail d’écriture le jour de l’examen. Peu d’élèves malheureusement suivent ce conseil.

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2. La question sur le corpus

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arrow.1242450507.jpg Rappel du sujet : il était demandé aux candidats de “caractériser, en les comparant, les figures du poète imaginées dans les quatre textes du corpus”.

Les contresens d’interprétation de la consigne

Attention aux lectures hâtives des consignes : elle conduisent presque toujours à une mauvaise compréhension de la question. Ainsi, les mots “figure” et “imaginées” ont suscité quelques graves erreurs. D’où un certain nombre de réponses entièrement hors-sujet et malheureusement inévaluables. De fait, vous avez été un certain nombre à interpréter le terme “figure” dans son sens stylistique. Le participe “imaginées” qui fait penser aux “images” en poésie, n’a fait que renforcer cette erreur. Les élèves concernés auraient dû cependant prêter attention : de fait, l’expression de “figure du poète” ne renvoie absolument pas aux “figures de style”. Ici, étudier les “figures du poète” revenait à s’interroger sur la représentation du poète afin de déterminer quelle image les auteurs donnaient de sa condition et de sa mission dans la société.

La nécessité de “confronter” les textes

On attendait une réponse d’une trentaine de lignes environ. Il était donc attendu des aptitudes à la synthèse, en particulier la capacité à confronter les textes au lieu de les traiter isolément. Tous les textes du corpus mettaient en relation le poète et la société. En général, les élèves l’ont bien compris. Chez Baudelaire et Daumal (et dans une certaine mesure chez Aragon) cet élan vers l’autre aboutissait pourtant à un échec. De nombreux étudiants ont à ce titre rappelé la figure du “poète maudit”. C’était tout à fait acceptable à la condition bien entendu d’utiliser avec prudence la notion. Si l’on pouvait tolérer qu’un élève compare Daumal à un “poète maudit” comme Baudelaire, il était en revanche inconcevable d’inclure Éluard ou Aragon. Quelques rares candidats ont perçu dans la figure du poète imaginée par les textes l’allégorie d’une mise en question d’un ordre social existant, symbolisée finalement par la mort biologique du poète. Cela a donné des réponses souvent judicieuses. En revanche, le discours d’Éluard et le poème d’Aragon ont posé davantage de difficultés d’interprétation, parce qu’ils touchaient à des problématiques moins évidentes, en particulier le refus de toute représentation élitiste ou spiritualiste de la poésie.

Dans quelques rares copies, ma collègue et moi-même avons déploré des réponses du type : “Dans les documents A et B, par opposition au document C”. Ce genre de prose “administrative” ne veut strictement rien dire. La présentation des textes doit mentionner explicitement leur titre ou le nom de l’auteur : « Dans “l’Albatros” ainsi que dans le poème de René Daumal… ». L’indication de numéro ou de lettre dans l’intitulé des sujets n’est donc qu’une aide typographique destinée à mieux mettre en valeur les textes.

La tendance à la généralisation

C’est l’erreur la plus fréquente. Elle touche un certain nombre de candidats (parfois de valeur) qui éprouvent des difficultés à hiérarchiser et à sélectionner leurs connaissances : ils veulent tout mettre en négligeant les aspects particuliers de la consigne : c’est-à-dire sa délimitation. Leur réponse ressemble ainsi à une sorte d’exposé ou de discours très général. Autre cas de figure : vous vous trouvez devant un texte évoquant une problématique déjà traitée (c’était le cas du poème “L’Albatros” de Baudelaire), et vous cherchez à réutiliser vos connaissances… le risque est de tomber dans les généralités en oubliant la prise en compte minutieuse de la question spécifique qui vous est soumise.

Voici un exemple de cette tendance à la généralisation :

Le poème de Baudelaire est composé de quatrains rédigés en alexandrins. Le poème évoque le thème du voyage. En effet, le poète emploie le champ lexical de la mer : “tempête”, “mers”, “gouffres amers”, “avirons”...

Comme on le voit, l’élève exploite des connaissances qui auraient peut-être été judicieuses dans un autre contexte mais qui s’avèrent tout à fait inutiles ici.

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3. Le commentaire

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Comme la dissertation dont il reprend un certain nombre d’exigences, le commentaire consiste à présenter avec ordre et méthode un bilan personnel de lecture. Il y a donc dans tout commentaire une visée démonstrative : le but étant de démontrer grâce à des notions spécifiques d’analyse littéraire organisées en axes, ce qui fait l’intérêt d’un texte.

J’ai été étonné du nombre très important de candidats ayant opté pour le commentaire, sans mesurer, semble-t-il, la difficulté de cet exercice. De là, des notes assez faibles dans l’ensemble. Elles tiennent au fait que les élèves n’ont pas bien perçu la portée politique et même révolutionnaire du texte de Daumal, qui était difficile, il est vrai. Pourtant les indices étaient nombreux : tantôt réquisitoire, tantôt plaidoyer, le texte justifiait l’engagement dans sa fonction destructrice de mise en question d’un système idéologique :

Aux armes ! À vos fourches, à vos couteaux,
à vos cailloux, à vos marteaux
vous êtes mille, vous êtes forts,
délivrez-vous, délivrez-moi !
je veux vivre, vivez avec moi !
tuez à coups de faux, tuez à coups de pierre !
Faites que je vive et moi, je vous ferai retrouver la parole !

De cette mauvaise interprétation de départ ont découlé plusieurs erreurs : la plus regrettable a été de négliger la fonction symbolique du texte (qui pouvait se lire comme un apologue) au profit d’une lecture narrative et affective (souvent au premier degré) assez puérile (on nous “raconte” la vie d’un poète qui se frappe la tête contre les murs, isolé et incompris, et qui va être pendu, etc.) ; lecture qui ne parvenait pas au symbolique. Nous avons par ailleurs été littéralement “ahuris” de lire dans certaines copies que le poète était qualifié d’assassin, de tueur, etc. Certains candidats sont partis dans de vagues procès sur la peine de mort amenant à s’interroger sur la légitimité de la sentence !

“Pour avoir trop balancé”… source de contresens !

“Et pour avoir trop balancé pendant sa vie, le poète se balance encore après sa mort.” Cette phrase, en apparence anodine a semé un grand trouble chez certains… Au point de les amener à commettre un grave contresens sur le verbe “balancer”. Si le balancement au bout d’une corde n’a posé aucune difficulté, quelques candidats soucieux de polysémie ont risqué l’hypothèse selon laquelle le poète (devenu soudainement déloyal, fourbe et félon) a été condamné à mort parce qu’il avait “balancé” ! Morale de l’apologue : le traitre n’avait donc que ce qu’il méritait !

L’introduction

En général, elle a posé problème dans de nombreux commentaires. En premier lieu, vous avez oublié (à quelques très rares exceptions près) de contextualiser le texte de Daumal. Pourtant l’année 1936 ne vous était pas inconnue sur le plan historique (la Guerre civile espagnole, le Front populaire, la montée des fascismes…). D’où des introductions d’à peine quelques lignes, situant grossièrement le texte et annonçant vaguement un plan. À l’opposé, certains (bons) élèves ont commis la regrettable erreur de réciter leur cours sur la poésie engagée pour problématiser le texte : non seulement, cela n’avait pas d’intérêt mais de plus, cela perdait le lecteur au lieu de le guider. Attention donc : des introductions trop longues, qui ressemblent à des exposés sur un genre, une époque, un auteur sont tout aussi problématiques que des introductions trop courtes.

Dans l’introduction, amenez rapidement le texte (genre, questions littéraires que pose ce genre). La date de parution du texte doit vous permettre de le replacer dans l’histoire des idées et des mouvements culturels, sans vous attarder pour autant sur des considérations trop générales. C’est à partir de là que vous pourrez problématiser le passage à commenter et annoncer votre plan.

Mais l’erreur majeure de beaucoup d’introductions a été de mal annoncer le plan (voire de l’oublier !). Lisons ces deux exemples d’introduction pour essayer de comprendre ce qui ne convient pas et doit être amélioré :

  • introduction 1 [problématisation + annonce du plan] :

Nous nous demanderons comment le poète a vécu ses dernières heures de vie. Dans un premier temps, nous verrons les conditions d’enfermement du poète, puis le moment de sa pendaison et enfin nous étudierons les minutes qui suivent sa mort.

  • introduction 2 [problématisation + annonce du plan + début de la première partie] :

Dans ce poème de René Daumal, “Les dernières paroles du poète”, nous voyons la mise à mort d’un poète. Nous verrons le déroulement en deux parties. La première : la veille de l’exécution ; puis en deux le jour de l’exécution pour répondre à la question : comment le poète vit l’approche de son exécution ?”

[Début du premier axe] Donc la veille de sa mise à mort, le poète est désespéré. Il se tape la tête contre le mur comme s’il n’en revenait pas…

Comme nous le voyons, la difficulté de ces deux introductions tient d’abord au fait qu’elles ne problématisent pas le texte, c’est-à-dire qu’elles ne parviennent pas à en dégager l’enjeu, le problème posé et qui doit amener à un questionnement (ici la question de l’engagement). Au lieu de cela, les candidat(e)s adoptent une démarche maladroite, qui consiste dès l’annonce de leur plan à “raconter” le texte. L’introduction 2 est particulièrement illustrative de cette difficulté : non seulement le plan ne progresse pas puisqu’il est “linéaire”, au lieu d’être “organisé”, c’est-à-dire structuré selon une logique démonstrative, mais il amène par la force des choses à faire de la paraphrase.

Un bon plan doit être fondé sur plusieurs axes allant vers la formulation des intentions de l’auteur, ou des effets produits sur le lecteur. Comme pour la dissertation, vous annoncerez d’abord l’idée principale que vous développerez en quelques lignes, si possible de façon conceptuelle et analytique. Puis vous illustrerez cette idée à l’aide d’exemples, donc de citations.

Le plan d’exemples

Au lieu d’être fondé sur des axes permettant de faire émerger la problématique, le plan d’exemples se limite à des remarques de détail : il n’y a pas de fil conducteur, d’idée directrice. On le voit nettement dans l’exemple ci-dessous tiré d’une copie d’élève :

D’autre part, l’auteur a fortement insisté sur l’emploi de l’imparfait à valeur descriptive. Cette fois-ci encore cela dégrade de manière irréversible le statut de l’artiste puisque la description […]
Enfin, l’artiste de cette œuvre a fait appel au discours direct. Dans ce contexte, le discours direct permet au poète d’exprimer son désespoir, son impuissance face à un destin qu’il ne peut contrôler […].

Certes, il y a bien des connecteurs (“D’autre part”, “enfin”) mais le candidat juxtapose des remarques (d’ailleurs beaucoup trop superficielles) sur les formes d’écriture (l’imparfait, le discours direct), à partir desquelles s’organise son parcours démonstratif : mais ici les moyens (la forme, les procédés) sont mis à la place de la fin (l’interprétation et le sens global du texte) : il n’y a donc pas de lecture “organisée” et “structurée en axe.

Il y avait peu pourtant à faire ; il suffisait de modifier l’ordre des éléments :

Premier paragraphe : “D’autre part… l’irréversibilité de la mort [sens] est accentuée par les imparfaits à valeur durative [forme] qui évoquent l’écoulement du temps, la longue attente de la mort.”

Deuxième paragraphe : “Enfin, l’expression du désespoir et de l’impuissance face à la mort [sens] est bien rendue par l’utilisation du discours direct [forme] qui traduit la violence affective du poète, et peut-être le refus d’un destin qu’il ne peut contrôler…

Le fait de “raconter” le texte au lieu de l’analyser

Dans de très nombreux commentaires, les élèves ont été abusés par l’apparence narrative du texte de Daumal. Ils l’ont donc envisagé comme une “histoire”, commettant ainsi des erreurs regrettables sur le plan de l’interprétation. Beaucoup d’élèves en effet n’ont fait que “raconter” ou “décrire” le texte en oubliant sa spécificité poétique d’une part et son très net ancrage argumentatif d’autre part. D’où un très grand nombre de commentaires entièrement “linéaires” et strictement paraphrastiques. On fait de la paraphrase quand on redit ce qu’exprime déjà un texte. C’est un obstacle majeur dans le commentaire puisqu’elle conduit à délayer le contenu au lieu de l’expliquer. De là une absence totale de raisonnement démonstratif, sans aucune analyse et sans aucune réflexion sur la question de l’engagement, qui était pourtant essentielle dans le texte.

La conclusion

Beaucoup de conclusions se sont bornées à répéter l’introduction. De là l’impression très négative laissée par la lecture. On doit mesurer au contraire en vous lisant ce qui a justifié votre démarche analytique. Attention aussi aux conclusions qui poursuivent l’analyse du texte, avec exemples et citations à la clef. C’est d’une maladresse incroyable.

Par définition, une conclusion est un bilan. Elle doit être brève et ne pas comporter d’exemples. Elle sera d’autant meilleure qu’elle répondra implicitement à la question : « D’où est-ce que je suis parti, pour parvenir où ? ». C’est la raison pour laquelle je vous conseille de rédiger votre conclusion dès que vous avez terminé l’introduction, afin de bien mettre en valeur la cohérence de votre parcours démonstratif.

Concernant l’élargissement, je vous recommande la prudence. Attention aux prétendues “ouvertures”, tellement larges et vagues, qu’elles se noient bien souvent dans des considérations dépourvues d’intérêt ; ce qui est fortement pénalisant, surtout en fin de devoir : si vous manquez d’inspiration, je vous recommande donc de ne pas élargir. Certes, il est possible d’ouvrir une perspective, mais en restant dans les limites de la problématique posée.

Grille d’évaluation retenue

  • Compréhension du sens global du texte (4 points) : être capable de dégager les enjeux
    • Thèmes abordés,
    • Contextualisation, même sommaire
    • Capacité à présenter un projet de lecture
  • Capacités d’analyse (4 points) : le candidat est capable d’analyser la façon dont le style du texte suscite des effets de sens.
    • Prise en compte de la spécificité générique du texte (un poème)
    • Analyse précise du lexique et de la rhétorique
  • Organisation et structuration du devoir (4 points)
    • Introduction, conclusion
    • Parcours démonstratif organisé en axes (être capable de dégager deux ou trois axes de lecture, si possible hiérarchisés)
    • Structure des paragraphes démonstratifs
  • Mobilisation adaptée des connaissances (4 points)
    • Qualité de l’écrit (orthographe, syntaxe)
    • Vocabulaire spécifique à l’analyse littéraire
    • Réinvestissement de la culture générale

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4. La dissertation

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arrow.1242450507.jpg Rappel du sujet : Est-il juste de penser, comme le dit Éluard, que les poètes “parlent pour tous” ? Vous construirez votre réponse en vous appuyant sur les textes du corpus, ainsi que sur vos connaissances et lectures personnelles.

Analyse du sujet

Le libellé du sujet posait clairement la nature du travail demandé : il s’agissait de rédiger une discussion (“Est-il juste de penser […] que ?”). À ce titre, beaucoup de candidats ont débuté leur devoir en réfutant la thèse de l’auteur. C’est une erreur du point de vue de la méthode. Je rappelle que toute discussion exige de soutenir d’abord l’opinion puis de la réfuter ou tout au moins de la nuancer.

La citation amenait par ailleurs le candidat à réfléchir au statut et à la mission du poète dans la société, et donc plus largement aux enjeux de la poésie. Le défaut de nombreux travaux a été de ne pas considérer suffisamment les limites imposées par le sujet : il ne s’agissait en aucun cas de discourir vaguement sur les poètes ou les mouvements littéraires mais de répondre de manière ordonnée et construite à une problématique. Il était donc essentiel de déterminer les limites de l’énoncé afin d’éviter la généralisation (voir plus haut) ou le hors-sujet : n’oubliez pas que les devoirs hors-sujet peuvent être notés sur la moitié des points ! Certes, votre connaissance des œuvres et votre culture générale sont essentielles… mais à la condition de les exploiter avec discernement en tenant compte de la spécificité de l’énoncé. Quel est l’intérêt de “recracher” ses connaissances sur le Romantisme ou la poésie si ce qu’on écrit n’a pas de rapport étroit avec la problématique posée ? Certains élèves ont ainsi perdu un nombre considérable de points parce qu’ils ont voulu “tout mettre”, ôtant ainsi à leur parcours démonstratif sa cohérence.

L’introduction

En général, nous avons trouvé une introduction dans tous les devoirs. Mais dans de trop nombreux travaux, cette introduction a posé problème parce que les étudiants n’ont pas su amener correctement le sujet et la problématique. N’oubliez pas tout d’abord l’entrée en matière (accroche ou amorce) : elle est importante d’un point de vue rhétorique puisque son but est de préparer le lecteur au thème que vous allez aborder. L’annonce du sujet est évidemment essentielle. Vous devez obligatoirement rappeler le sujet (ici la citation d’Éluard) en le contextualisant brièvement [ancrage historique, culturel, etc.] et en le problématisant. Je vous conseille à ce titre de privilégier une approche restreinte en partant d’une problématique clairement définie plutôt que d’élargir et de prendre le risque de rester dans le vague et les généralités. Prenons un exemple concret :

Les poètes parlent pour tous car il y a différentes manières et de styles d’écrire des poèmes comme au XIXème siècle pour le Romantisme mené par Charles Baudelaire, Rimbaud, Victor Hugo… suivis par le réalisme et le Surréalisme avec des poètes comme Paul Éluard, Louis Aragon dans le XXème siècle. Tous les poètes écrivent pour des personnes précises comme pour une chanson. La poésie est une mélodie pour divertir toutes les personnes qui voudront l’écouter et la croire…

Outre les maladresses de syntaxe, l’élève ici n’amène pas bien le sujet. Tout d’abord, il n’y a pas d’entrée en matière : dès la première ligne, la citation d’Éluard est certes rappelée mais sans guillemets ! Sans mention même du nom de l’auteur. En outre, toute l’introduction est très générale, voire confuse : quel est l’intérêt de rappeler Baudelaire, Rimbaud, Hugo, Éluard, Aragon ? Quel est l’intérêt d’évoquer le réalisme qui est avant tout un mouvement romanesque ? Pourquoi également partir sur la chanson en prenant le risque de faire perdre au lecteur le fil du raisonnement. D’ailleurs, le terme “divertir” qui est utilisé amène à négliger l’enjeu majeur de la problématique posée par le corpus, qui était celle de l’engagement. À la fin du paragraphe, on ne sait donc plus vraiment où l’élève veut en venir.

Dans l’exemple ci-dessous, il y a une meilleure application de la méthode, dans la mesure où l’élève a choisi une problématique plus restreinte, permettant de mieux cerner les enjeux de la poésie. En revanche, l’absence d’entrée en matière et de contextualisation sont préjudiciables, tout comme les maladresses de syntaxe et les lourdeurs de style :

Ils ont maintenant l’assurance de parler pour tous. Tels sont les dires de Paul Éluard pour décrire les poètes dans l’Évidence poétique, écrit en 1937. Cette phrase peut nous amener à nous poser la question suivante : “Est-il juste de penser, comme le dit Éluard, que les poètes parlent pour tous ?” C’est ce que nous tenterons de démontrer en développant dans une première partie les poètes engagés, s’exprimant au nom de tous et pour toute la société, et en y opposant, dans une deuxième partie, les poètes marginaux, tournés vers eux-mêmes et ceux voulant la qualité de prophète uniquement afin de montrer leur supériorité.

Avec un peu plus de travail pourtant, l’élève aurait pu (très facilement) réussir son introduction ; cela aurait pu donner par exemple :

C’est en 1937, quelques mois après le Front populaire et en pleine guerre d’Espagne, que Paul Éluard affirme dans l’Évidence poétique, que les poètes “ont maintenant l’assurance de parler pour tous”. Ces propos nous amènent à réfléchir à la mission du poète dans la société. Est-il juste de penser, comme le proclame l’auteur, que les poètes “parlent pour tous” ? De tels propos méritent en effet d’être discutés. Dans une première partie, nous ferons porter nos analyses sur la problématique de l’engagement en montrant comment les poètes engagés s’expriment au nom de tous et pour toute la société. Mais dans une deuxième partie, nous nuancerons toutefois l’affirmation d’Éluard en centrant notre réflexion sur la poésie plus intimiste, celle des poètes romantiques ou symbolistes en particulier qui, élevant le poète au rang de prophète, l’ont souvent séparé de la société.
 

La problématisation sous forme de titres dans le commentaire ou la dissertation

Je vous rappelle qu’en aucun cas, vous ne devez faire apparaître de titres dans un commentaire ou une dissertation littéraires (alors que c’est admis dans une dissertation économique). Certes, sur votre brouillon, il est tout à fait recommandé de mettre des titres à vos parties afin de visualiser votre parcours démonstratif, mais ces titres ne doivent pas figurer sur votre copie. Vous devez toujours problématiser sous forme de phrases.

Prenons l’exemple d’une copie dans laquelle l’élève commence ainsi l’une de ses parties :

II Le poète transmet sa vision au monde
1) La société

Ici, il aurait fallu écrire : “Quand le poète parle pour tous, il transmet sa vision au monde et tente de la faire partager au lecteur. Tout d’abord, c’est dans la société qu’il cherchera à agir…”. J’en profite d’ailleurs pour rappeler qu’un titre aussi vague que “La société” ne permet pas au lecteur d’en comprendre l’enjeu argumentatif (le poète est-il POUR la société ? CONTRE ? DANS ? HORS ?).

L’organisation du parcours argumentatif : le plan

Nous avons relevé un effort des élèves pour ordonner leur devoir selon un plan : c’est donc une bonne chose, mais malheureusement, trop de plans manquaient de rigueur et de cohérence : absence de progression dans la réflexion, “plans d’exemples” vides de sens. Je ne reviens pas ici sur les remarques déjà formulées à propos du commentaire. Je me bornerai donc à quelques rappels.

Le plan doit amener le lecteur à comprendre le parcours argumentatif sur lequel repose votre réflexion : il faut donc structurer le devoir selon une logique de progression qui va toujours du moins important au plus important. Une dissertation obéit en effet à une finalité que l’on peut résumer ainsi : « D’où est-ce que je suis parti ? Pour parvenir où ? » Ce principe de cohérence est d’autant plus essentiel que la dissertation repose sur une logique démonstrative.

Ce qui a posé le plus de difficultés aux candidats a été d’organiser leur plan autour d’idées. Bien souvent, comme dans le commentaire, ce sont malheureusement les exemples qui ont présidé à l’élaboration du parcours démonstratif, de là des paragraphes très plats, reposant sur des faits et non des arguments. Je vous rappelle l’une des règles essentielles de la dissertation : à savoir que vous devez structurer chacune des parties autour de deux ou trois arguments en partant de l’argument le plus évident (le moins important) pour arriver à l’idée la plus essentielle à vos yeux.

Afin de guider le correcteur dans votre parcours argumentatif, n’oubliez pas en outre d’utiliser les connecteurs logiques ainsi que les tournures de transition. De fait, il ne faut jamais enchaîner les arguments en se contentant de juxtaposer les idées entre elles. Enfin, renoncez toujours à exploiter une idée qui ne s’inscrirait pas dans la problématique : c’est ainsi que quelques élèves ont souhaité aborder la question du lyrisme en poésie. C’était pertinent à la condition de rattacher le lyrisme à l’expression intimiste d’une émotion personnelle en opposition donc avec la thèse d’Éluard. Mais il n’y avait évidemment aucun intérêt à évoquer le thème de la nature ou du voyage dans la poésie romantique, ou de rédiger tout un paragraphe sur le sentiment amoureux chez Ronsard.

Concernant les exemples, certains élèves ont souhaité élargir le cadre de leur réflexion en ouvrant à la chanson. Ma collègue et moi-même avons accepté cette approche dès lors qu’elle reposait sur des connaissances et une curiosité intellectuelle avérées. Mentionner Léo Ferré, Grand Corps Malade, Jean Ferrat ou même un groupe de Rap français est tout à fait légitime à la condition de passer du fait à l’interprétation. Quel est l’intérêt d’aligner des banalités et des lieux communs par manque de réflexion personnelle ?

La tendance à la généralisation

J’ai maintes fois évoqué ce risque. Je n’y reviendrai donc pas longuement. Dans une dissertation particulièrement, la tendance à la généralisation amène au hors-sujet. Sachez que tout paragraphe sortant du cadre imposé n’est pas pris en compte (et s’avère même pénalisant). Dans l’exemple ci-dessous, le candidat a donc travaillé “pour rien” :

La poésie est née en Grèce et à Rome durant l’Antiquité. Elle est, avec le théâtre, l’une des grandes inventions non scientifiques de cette époque. La poésie fut longtemps le moyen d’expression des ménestrels qui accompagnent ces poésies de musique. Ils mettaient sous forme de vers les histoires qu’ils entendaient et les répandaient de village en village, de ville en ville, ce qui donna naissance à de nombreuses légendes, les histoires étant toujours, ou presque, changées, modifiées afin de paraître plus monstrueuses ou plus héroïques. Au fur et à mesure, elle devint le domaine gardé des poètes et ne fut plus comprise des masses qui s’en détachèrent.

En lisant ce paragraphe, le lecteur se demande quel est le lien avec la problématique. On a davantage l’impression d’une sorte d’exposé historique, au demeurant fort incomplet : on passe de l’Antiquité aux ménestrels ! De plus, la démonstration est peu évidente. Il suffisait pourtant de peu de choses pour coller au sujet. Le candidat aurait dû rappeler d’abord l’axe de sa réflexion, puis l’étayer en explicitant avant de passer à l’exemple :

Comme le dit Paul Éluard, la poésie “parle pour tous” [rappel de l’idée générale], elle assume ainsi en premier lieu une fonction de représentation sociale [argument]. De fait, le poète représente le peuple, il en est souvent le porte-parole [développement de l’idée]. Sur le plan historique, les exemples ne manquent pas. Comment ne pas citer ici les ménestrels, qui sont l’une des figures les plus emblématiques de l’histoire médiévale ? Ces poètes qui s’accompagnaient d’instruments (etc.) [exemple].

Ensuite, l’élève pouvait terminer en orientant son argumentation sur l’importance donnée à la réalité sociale. L’exemple des ménestrels était intéressant et aurait pu faire l’objet d’une exploitation probante, en particulier avec les littératures orales contemporaines : c’est ainsi que les joutes oratoires, fréquentes dans le rap, perpétuent de nos jours cet ancrage populaire d’une poésie qui parlerait “pour tous”. Comme vous le voyez, il est assez facile, une fois que l’on a compris la démarche, de réaliser un travail acceptable, à la condition de réfléchir rigoureusement en se posant des questions, en variant les points de vue. Tout est question de pratique : plus vous vous entraînerez et plus vous progresserez.

La conclusion

Beaucoup de conclusions se sont bornées à répéter l’introduction. De là l’impression très négative laissée par la lecture. On doit mesurer au contraire en vous lisant ce qui a justifié votre démarche analytique. Attention aussi aux conclusions qui poursuivent l’analyse du texte, avec exemples et citations à la clef. C’est d’une maladresse incroyable.

Par définition, une conclusion est un bilan critique. Elle doit être brève et ne pas comporter d’exemples. Il ne s’agit donc pas de rappeler les étapes du raisonnement, ce qui vous amènerait à d’inévitables redites, mais les résultats auxquels vous êtes parvenu au terme de votre démonstration. 

Concernant l’élargissement, je vous recommande la prudence. Attention aux prétendues “ouvertures”, tellement larges et vagues, qu’elles se noient bien souvent dans des considérations dépourvues d’intérêt ; ce qui est fortement pénalisant, surtout en fin de devoir : si vous manquez d’inspiration, je vous recommande donc de ne pas élargir. Certes, il est possible d’ouvrir une perspective, mais en restant dans les limites de la problématique posée.

Grille d’évaluation retenue

  • Compréhension du sujet (4 points) : être capable de dégager les enjeux
    • Thèmes abordés, problématisation : interprétation juste des éléments essentiels de l’énoncé
  • Aptitude à la réflexion et à l’argumentation (4 points)
    • capacité à développer un point de vue critique à l’aide d’arguments convaincants et pertinents
    • pertinence des exemples et des illustrations
  • Organisation et structuration du devoir (4 points)
    • Introduction, conclusion, transitions
    • Parcours démonstratif organisé en axes cohérents
    • Structure des paragraphes argumentatifs
  • Mobilisation adaptée des connaissances (4 points)
    • Qualité de l’expression écrite (orthographe, syntaxe, style)
    • Exploitation du corpus et culture littéraire

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5. L’écrit d’invention

arrow.1242450507.jpg Pour accéder au corrigé, cliquez ici.

arrow.1242450507.jpg Rappel du sujet : imaginez un dialogue entre le poète baudelairien et un des “hommes d’équipage” représentant une société sourde à la poésie.

Beaucoup d’élèves, qui ont encore en mémoire de vagues souvenirs de rédactions au collège, interprètent souvent très mal la nature de cet exercice. Je rappellerai d’abord les Instructions officielles (B.O. n° 46 du 14.12.06) qui fixent précisément les exigences requises :

« L’écriture d’invention permet au candidat de mettre en œuvre d’autres formes d’écriture que celle de la dissertation ou du commentaire. Il doit écrire un texte, en liaison avec celui ou ceux du corpus, et en fonction d’un certain nombre de consignes rendues explicites par le libellé du sujet. L’exercice se fonde, comme les deux autres, sur une lecture intelligente et sensible du corpus, et exige du candidat qu’il se soit approprié la spécificité des textes dont il dispose (langue, style, pensée), afin d’être capable de les reproduire, de les prolonger, de s’en démarquer ou de les critiquer”. […] En aucun cas on ne demande, le jour de l’examen, l’écriture de textes de pure imagination, libre et sans contrainte ».

C’est la raison pour laquelle, sélectionner l’écriture d’invention lors de l’épreuve relève avant tout d’un choix quoi doit être mûrement réfléchi. Le sujet proposé invitait les élèves à “imaginer un dialogue entre le poète baudelairien et un des “hommes d’équipage” représentant une société sourde à la poésie”.

Ce type de travail conjuguait donc deux contraintes :

  • la contrainte argumentative puisqu’il s’agissait d’exprimer des opinions à partir d’une problématique donnée, en fonction d’un but précis (la place et la mission de la poésie dans la société) ;
  • la contrainte proprement littéraire.

Même si la production demandée relevait donc de la fiction, il est évident que la forme imposée par le dialogue suggérait de savoir exploiter une culture générale suffisante ainsi qu’un certain nombre de registres (éloge, blâme, réquisitoire, plaidoyer, etc.). En outre, il paraissait évident qu’un tel sujet amenait le candidat à un travail approfondi sur le style.

Ce n’est pas un hasard si Baudelaire a été choisi par les concepteurs du sujet. L’auteur des Fleurs du mal est en effet bien connu de la plupart des jeunes. Sa marginalité qui en a fait la figure emblématique du « poète maudit », empreinte d’une esthétique nouvelle placée sous le signe de l’antithèse (le spleen et l’idéal) permettaient de réfléchir à la double condition du poète, telle qu’elle était posée dans « l’Albatros » : d’une part, le poète mage et prophète ; d’autre part le poète maudit.

Je rappellerai ici ce que j’avais déjà dit dans un précédent rapport :

Je dois, et fort malheureusement, faire un constat globalement négatif à propos du niveau général des élèves ayant choisi cet exercice ; sauf quelques bonnes (même très bonnes) copies, le manque de préparation, aussi bien stylistique que culturelle, des candidats est inquiétant […] tant l’accumulation des fautes les plus élémentaires est au-delà de ce qui se peut concevoir : aucune référence culturelle”. […] N’oubliez pas que le correcteur vous juge d’abord sur des connaissances (le fond) et la manière dont vous allez les exploiter au niveau rédactionnel (la forme). Nous ne saurions trop vous rappeler que cet exercice exige, tout comme le commentaire et la dissertation, de la méthode. Un écrit d’invention ne s’improvise pas : cela passe d’abord par un strict respect des contraintes imposées par le sujet et par un entraînement personnel.

La grande erreur de beaucoup d’étudiants a été de se précipiter : les élèves les plus sérieux ont certes fait un brouillon, mais ils ont rédigé tout de suite. Au lieu de préparer un plan, ils ont “imaginé” spontanément leur dialogue. De là des travaux souvent décevants dans la mesure où il n’y avait pas de parcours argumentatif. Prenons par exemple cet écrit, assez représentatif de nombreuses copies :

– Excusez-moi Monsieur, mais avec tout le respect que je vous dois, vous trouvez normal de laisser agir vos hommes de la sorte ?
– Oh ! Monsieur Baudelaire, après plusieurs jours passés en mer, il faut bien que mes hommes puissent se défouler, trouver une occupation. Vous savez, sur un bateau, on a vite fait de s’ennuyer.
Baudelaire révolté essaye de se retenir, mais ce n’est pas chose facile.
– Vous pensez que c’est normal de torturer un animal à bout de force en lui crevant les yeux, dit-il sèchement.
En effet, les albatros sont des oiseaux marins qui parcourent d’énormes distances lors de leurs migrations pour se reproduire. Malheureusement, en mer il n’y a rien pour qu’ils puissent se reposer…

La difficulté ici, c’est qu’il y a certes un dialogue, mais il détourne le sujet de son enjeu majeur qui était de faire réfléchir à la fonction de la poésie, et non au sort des albatros ! N’oubliez pas que l’épreuve est destinée à tester vos connaissances sur les objets d’étude (ici la poésie) et à apprécier la qualité de votre expression littéraire : dans le cas présent, l’élève n’a pas pensé à exploiter sa culture et ses connaissances. Par ailleurs, le discours s’oriente au fur et à mesure vers une sorte d’exposé documentaire sur la vie des albatros. Je renonce à évoquer d’autres écrits d’invention, qui se caractérisent malheureusement par une accumulation de bavardages superficiels. Que dire aussi de certains travaux qui, voulant mettre en scène Baudelaire, ont carrément fait parler l’albatros, amenant ainsi leur discours du côté du fantastique et du merveilleux ! Quelques rares étudiants, souhaitant se mettre à la place de Baudelaire, ont privilégié un discours ampoulé, pseudo poétique, bourré de stéréotypes langagiers, allant à l’encontre même des idées de Baudelaire ! Prenons le cas de cette copie :

Moi diabolique ? ! Ce n’est pas pour vous rendre hystérique mais mes amis disent de moi que je suis plutôt fort sympathique. Et si je vous parle à présent ce n’est point pour vous causer malheur mais je dirai que c’est pour vous démontrer toute ma splendeur ainsi que ma grandeur

La démarche adoptée est ici des plus maladroites : quel est l’intérêt d’émailler les propos de Baudelaire de rimes ou de correspondances sonores (d’ailleurs fort pauvres : hystérique/sympathique ; malheur/splendeur/grandeur) et d’archaïsmes (“ce n’est point”) qui desservent considérablement le message à faire passer. Alors que Baudelaire et d’autres Symbolistes ont révolutionné la poésie (poème en prose, refus de la rime, transgression des normes et des conventions), de tels propos accréditent le stéréotype du registre “soutenu” hérité de la “petite école”. C’est tout à fait dommageable d’autant plus que les consignes n’amenaient absolument pas à ce type d’écrit.

Mais la méconnaissance du cours ne saurait à elle seule justifier de telles erreurs. Elles s’expliquent également par l’absence de plan préalable, et donc de parcours démonstratif. Pour pallier ce genre d’inconvénients, il suffisait de dresser au brouillon un tableau en deux colonnes (d’un côté les arguments du poète baudelairien ; de l’autre ceux du marin) et de les opposer en exploitant impérativement votre connaissance du cours (poète baudelairien = homme énigmatique, distant avec la société, refusant les valeurs morales et sociales reconnues, à la recherche de la beauté, de l’évasion, du rêve, du spirituel, etc. par opposition avec le marin, représentant de la société et de ses codes). Quelques arguments seulement, s’ils étaient bien étayés, étaient acceptables pour ce type de travail. Il suffisait ensuite d’approfondir les idées (selon la même technique que celle du paragraphe argumentatif) et de les confronter dialogiquement, en veillant à faire progresser les idées. Et c’est seulement à la fin (au moment où le parcours argumentatif était structuré) qu’il fallait travailler rigoureusement la forme.

Mon conseil pour l’écriture d’invention

  1. Les fondations ;
  2. Les murs ;
  3. La déco.
 
  1. D’abord les fondations… Ne vous précipitez pas ! Réfléchissez calmement, et essayez de poser au brouillon les arguments sous forme d’une phrase simple, même d’une phrase nominale. L’idée doit évidemment être pertinente, puisqu’elle va constituer la base de votre paragraphe. Comme pour une maison : si la fondation est mauvaise, la maison s’écroule… Et si l’idée est mauvaise, votre paragraphe s’effondre  !
  2. Puis les murs ! Récrivez cette idée en étayant un peu plus : vous verrez que progressivement cela fera surgir des exemples, peut-être d’autres idées. Essayez toujours d’aller du particulier au général, de l’individuel au collectif.
  3. Et enfin, la déco ! Après vous pouvez faire du style afin d’exploiter les potentialités du langage : gradations ternaires, questions oratoires, anaphores, etc.
            
 

Grille d’évaluation retenue

  • Respect des consignes du sujet (4 points)
    • Adaptation de l’écriture au genre, au registre, etc.
  • Aptitude à la réflexion et à l’argumentation (5 points)
    • capacité à formuler des enjeux à partir du réinvestissement du texte, et des questionnements du corpus
  • Organisation et structuration du devoir (2 points)
  • Culture générale et qualités littéraires (5 points)
    • Qualité de l’expression écrite (orthographe, syntaxe, style)
    • culture littéraire (la notion de “poète baudelairien”)
    • utilisation des outils linguistiques et stylistiques
 

Copyright © février 2010, Bruno Rigolt
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brunorigolt

- Agrégé de Lettres modernes - Docteur ès Lettres et Sciences Humaines (Prix de Thèse de la Chancellerie des Universités de Paris) - Diplômé d’Etudes approfondies en Littérature française - Diplômé d’Etudes approfondies en Sociologie - Maître de Sciences Politiques