Echanges et Paroles sur Internet : les formes de la démocratie en ligne

Support de cours et entraînement BTS
Thème : Paroles, échanges, conversations et révolution numérique

Échanges, paroles et démocratie en ligne :
Les nouvelles formes de la citoyenneté sur Internet

Problématique posée dans les Instructions Officielles et qui peut être utilisée comme un excellent entraînement à l’écriture personnelle : « Les nouveaux moyens de communication aident-ils à mieux exercer la citoyenneté ? »     

          Présentation de l’objet d’étude

          En redéfinissant la prise de parole publique ainsi que les processus d’échange et de partage qui structurent la citoyenneté, Internet a non seulement fait éclater le mythe de l’État-nation —et particulièrement l’homogénéité culturelle des sociétés nationales puisqu’il a élargi les frontières géographiques et sociales— mais il a par ailleurs entraîné de nouvelles formes d’être et de penser, de nouvelles expériences de communication et de sociabilité qui ont profondément transformé le statut de l’individu et déplacé les formes d’autorité.

          Comme le remarque par exemple très justement Fabien Benoit à propos des réseaux sociaux : « Facebook s’est installé au cœur de nos vies et est en train de les reconfigurer, de modifier nos habitudes en matière d’accès à l’information, de communication, d’amitié, d’amour, de rapport à la vie privée et même de politique. Il s’est immiscé, à pas feutrés, dans le concert des nations, dans le grand jeu mondial, et a donné naissance à une nouvelle citoyenneté » [Fabien Benoit, Facebook, 10/18. Coll. « Le monde expliqué aux vieux », 2013].

          La question du lien social est donc primordiale quand on aborde l’univers relationnel d’Internet : en tant que nouvel espace public privilégiant ce qu’on a appelé la « citoyenneté par le bas » [Catherine Neveu (dir.), Espace public et engagement politique ; enjeux et logiques de la citoyenneté locale, Paris L’Harmattan 1999], le web a en effet modifié considérablement l’apprentissage de l’altérité et de l’agir politique dans l’espace public, ainsi que les conditions d’exercice de la liberté d’expression, largement désacralisées par les technologies numériques.

          À ce titre, la tentation est grande d’assimiler l’interactivité que permettent les échanges sur Internet à la prise de parole des citoyens athéniens sur l’agora (place publique à Athènes). Mais cette nouvelle « Assemblée du peuple » que sont les réseaux sociaux n’a-t-elle pas également ses revers ? De fait, l’émergence d’une nouvelle dynamique sociale qui a largement modifié le rapport de la sphère privée à la sphère publique, préfigure à travers les échanges sur Internet le passage d’une citoyenneté du consensus à une citoyenneté plurielle, mouvante et instable.

          Cette prolifération de la parole tous azimuts oblige à repenser le statut de la citoyenneté dans un monde profondément déterritorialisé et reterritorialisé par Internet. Si la parole et les échanges dans l’Agora numérique peuvent ouvrir de nouvelles dimensions à la démocratie en favorisant le lien à autrui et au monde, il faut cependant reconnaître combien cette nouvelle citoyenneté médiatique, encore fragile et balbutiante, est liée, en ce début de vingt-et-unième siècle,  à une crise sans précédent de la signification identitaire et de la cohésion sociale.

          Dans un monde devenu à la fois tentaculaire mais conséquemment plus fragmenté et communautarisé, la réflexion sur les nouveaux moyens d’échange et de communication se conjugue donc avec la question de l’appartenance et de la quête identitaires qui est au cœur même des débats actuels sur la citoyenneté sociale. Tel est l’objet du corpus que je propose aujourd’hui aux étudiant(e)s et qui amène à se demander dans quelle mesure la parole sur Internet peut —ou non— favoriser l’apparition d’un nouveau cadre démocratique.

© Bruno Rigolt, mai 2013

  • Document 1. François Soulages, « L’ère d’Internet et l’émergence du citoyen »
    in Gilles Rouet (dir.), Usages politiques des nouveaux médias, L’Harmattan Paris 2012. Depuis la page 227 (« Grâce à l’agora, la démocratie reposait sur l’exercice du logos« ), jusqu’à la page 229 (« pour être une condition d’émergence de la démocratie »).

  • Document 2.  Michel Béra, Eric Méchoulan, La Machine Internet
    éd. Odile Jacob, Paris 1999. Depuis la page 55 (« Faire de l’Internet le havre inexpugnable de la liberté d’expression ») jusqu’à la page 57 (« d’une société démocratique sans limites spatiales et vivant en temps réel »).

  • Document 3. Patrice Flichy (*), Internet, un outil de la démocratie ? »
    La Vie des idées, 14 janvier 2008 (http://www.laviedesidees.fr/Internet-un-outil-de-la-democratie.html)
    (*) Patrice Flichy, professeur de sociologie à l’université de Paris Est, membre du Laboratoire Techniques Territoires et Société (LATTS)  s’est spécialisé dans la sociologie de l’innovation et la sociologie des techniques d’information et de communication.

Depuis qu’internet commence à se diffuser dans le grand public, une controverse réapparaît régulièrement : ce nouveau dispositif de communication favorise-t-il le débat démocratique ? Cette discussion a trouvé une nouvelle actualité avec l’apparition des blogs et plus largement des applications du web 2.0 qui permettent à l’internaute de s’exprimer encore plus facilement que précédemment. Internet, contrairement à la radio ou à la télévision, met en situation d’égalité l’émetteur et le récepteur, c’est donc, à première vue, l’outil idéal pour une démocratie participative où le citoyen pourrait intervenir très régulièrement dans le débat public. Je me propose dans ce papier d’examiner comment cette question a d’abord été abordée au démarrage de cette nouvelle technologie, puis dans la période actuelle. Internet reproduit-il la concentration des médias traditionnels ou permet-il à de nouveaux acteurs de prendre la parole ? Le nouvel univers électronique favorise-t-il la délibération démocratique ou une balkanisation des opinions publiques ? Enfin, internet est-il en symbiose avec de nouveaux modes d’engagement citoyen ? Quinze ans après le lancement de l’informatique de réseau dans le grand public, un tel bilan paraît nécessaire.

Agora électronique ou confusion

Au début des années 1990, internet est souvent présenté comme une nouvelle agora électronique [1]. Dans le premier livre qui va populariser cette nouvelle technologie [2], le journaliste Howard Rheingold compare longuement internet à l’espace public habermassien. Il y voit un dispositif capable de revitaliser la démocratie. Cette vision politique d’internet sera reprise par de nombreux auteurs et notamment par Al Gore, alors vice-président des Etats-Unis, lors d’un discours à l’Union Internationale des Télécommunications [3]. Elle constituera un des éléments forts d’attraction de cette nouvelle technique.

Mais rapidement des universitaires qui observent le comportement des communautés en ligne contestent cette perspective. Les forums sont souvent le siège de ces guerres d’injures (flame wars) où les internautes défendent violemment des opinions dont ils ne veulent plus démordre. Pour Mark Poster [4], les débats en ligne ne correspondent pas aux caractéristiques de l’espace public, à savoir un débat entre égaux où les arguments rationnels prévalent et où on cherche à élaborer une position commune. Internet ne répond qu’à la première caractéristique. Les internautes peuvent effectivement échanger sur un pied d’égalité. Par contre, l’échange argumenté est loin d’être toujours la règle. Le débat ne tend pas vers l’élaboration d’une position commune, mais plutôt vers une multiplication de points de vue contradictoires. Cet éclatement des opinions est encore renforcé par le fait que les identités des internautes sont floues et mobiles. Non seulement les interlocuteurs utilisent des pseudos et se créent une identité virtuelle, mais encore ils peuvent changer d’identité, en avoir plusieurs.

Cette coexistence des identités qui a été étudiée par Sherry Turkle [5] semble être une des causes majeures de cette difficulté des communautés en ligne à construire un point de vue commun. Dans la vie réelle, les différentes facettes d’un individu sont unifiées par leur inscription dans un même corps, dans les interactions en face à face, chaque interlocuteur ressent ainsi la complexité de l’autre et peut s’appuyer sur cette complexité pour trouver un accord. Les communautés virtuelles encouragent, au contraire, la multiplicité de points de vue rigides plutôt que la flexibilité [6].

Des communautés d’intérêt moins homogènes qu’on ne le croit

Ces travaux académiques issus principalement de la psychologie ou de la psycho-sociologie semblent disqualifier de façon définitive le débat public en ligne. Or la pratique des forums, des chats ou des listes de discussion constitue toujours une activité importante des internautes. Ceux-ci ne se rendent pas dans ces espaces virtuels uniquement pour le plaisir de s’injurier ou de simuler une autre identité ! Les communautés en ligne ont été caractérisées par les fondateurs d’internet comme des communautés d’ « intérêt commun » [7]. Il est ainsi plus facile que dans la vie réelle de trouver des individus qui puissent partager tel ou tel de nos intérêts. Cet échange ne concerne pas l’ensemble de la vie d’un individu, mais certains aspects de sa personnalité liés à un domaine des loisirs mais aussi à des aspects plus intimes : maladies, événements familiaux… L’échange sera intense mais limité à une facette de la personnalité. On peut alors parler d’ « intimité instrumentale ».

Notes

[1] Pour une analyse des utopies fondatrices d’internet, voir Patrice Flichy L’imaginaire d’Internet, La Découverte, Paris, 2001. Sur la démocratie électronique, voir le chapitre 7 ainsi que Thierry Vedel, « L’idée de démocratie électronique. Origines, visions, questions », in Pascal Perrineau (dir.) Le désenchantement démocratique, Editions de l’Aube, La Tour d’Aigues, 2003, pp. 243-266.
[2] Howard Rheingold, The Virtual Community. Homesteading on the Electronic Frontier, Harper Perennial, New York, 1994.
[3] Al Gore, Remarks at International Telecommunications Union, Buenos Aires, March 21, 1994, http://www.goelzer.net/telecom/al-gore.html
[4] Mark Poster, « Cyberdemocracy : The Internet and the Public Sphere », in David Holmes (ed), Virtual Politics, Identity and Community in Cyberspace, Sage, Londres, 1997, pp. 212- 228.
[5] Sherry Turkle, Life on the Screen, Touchstone, New York, 1997.
[6] On trouvera également des thèses voisines dans Beth Kolko et Elisabeth Reid, « Dissolution and Fragmentation : Problems in On-line Communities », in Steven Jones (ed), Cybersociety 2.0 Sage, Thousand Oaks, 1998, p. 212-229.
[7] Joseph Licklider and Robert Taylor, “The Computer as a Communication Device”, Science and Technology, April 1968, Reprinted in In Memoriam : J.C.R. Licklider 1915-1990, Digital Systems Research Center, Palo Alto, California, 1990 p. 38.

  • Document 4. Francis Jauréguiberry, Serge Proulx, Internet, nouvel espace citoyen ?
    Paris, L’Harmattan (coll. Logiques sociales) 2002. « Introduction ». Depuis la page 7 (« Le fait de qualifier d' »espace citoyen ») jusqu’à la page 9 (« d’un pouvoir de diffusion de leurs idées à une échelle globale »).

  • Documents complémentaires

– David Lacombled, Digital Citizen : Manifeste pour une citoyenneté numérique. Éd. Plon, Paris 2013. À partir de : « […] le web mondial est devenu le lieu« 

– Peter Dahlgren, Marc Relieu, « L’espace public et l’internet. Structure, espace et communication« 
in Réseaux, 2000, volume 18 n°100. p. 157-186. (pour télécharger l’article au format pdf, cliquez ici).

– Hubert Guillaud, « Réinventer la démocratie : Internet, nouvel espace démocratique ? »
in InternetActu.net (12 mai 2009)

– Morgane Gaulon-Brain, « Internet = démocratie ? »
in ZDNet.fr

Licence Creative CommonsNetÉtiquette : comme pour l’ensemble des textes publiés dans l’Espace Pédagogique Contributif, cet article est protégé par copyright. Ils est mis à disposition des internautes selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Pas de Modification 2.0 France. La diffusion publique est autorisée sous réserve de mentionner le nom de l’auteur ainsi ainsi que la référence complète de l’article cité (URL de la page).


© Bruno Rigolt, EPC mai 2013__