Entraînement BTS. Synthèse (sujet inédit)
Thème au programme : l’extraordinaire
Poétique du lieu, vision de l’inconnu
et quête de l’extraordinaire
Corrigé de la synthèse de documents
♦ Synthèse de documents
Rappel du sujet : vous rédigerez une synthèse concise, ordonnée et objective des documents suivants :
- Document 1 : Honoré de Balzac, Le Lys dans la vallée, 1836
- Document 2 : Arthur Rimbaud, « Le bateau ivre », 1871
- Document 3 : Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes, 1913
- Document 4 : Sally Mann, « Deep South » (Southern landscapes), 1998
♦ Pour consulter les documents du corpus, cliquez ici.
[Introduction]
En opposition avec la réalité quotidienne qui nous confronte aux exigences rationalistes de la société réelle et des contraintes sociales, l’extraordinaire marque une brèche dans le cours banal des événements. Le corpus mis à notre disposition témoigne à ce titre d’un profond questionnement existentiel : en détachant l’homme du temps de la quotidienneté, le recours au merveilleux grâce au romanesque, à l’imagination créatrice, au souci d’aventures, n’ouvre-t-il pas à la dimension transcendante de l’âme humaine ?
Telle est en effet la problématique suggérée par les quatre documents que nous allons synthétiser. Après avoir montré dans une première partie que l’extraordinaire est ancré dans la réalité qui lui fournit son point de départ et son dynamisme, nous verrons qu’il amène à un imaginaire du voyage et une poétique du lieu basés sur l’idéalisation du réel et la recherche de l’inconnu. Pour terminer, nous mettrons en évidence un aspect fondamental du corpus : l’extraordinaire comme quête identitaire et initiatique.
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[I L’alliance intime entre le récit merveilleux et son inscription dans la réalité]
Une des principales questions que soulève notre dossier est celle du rapport de l’extraordinaire avec le réel : n’est-ce pas la réalité qui donne son sens au merveilleux ? C’est ainsi que l’auteur du Lys dans la vallée (1836), Honoré de Balzac choisit d’inscrire son roman dans la réalité familière de sa « chère vallée » de l’Indre en Touraine. De même, Le Grand Meaulnes (1913) a pour cadre la Sologne, la région natale d’Alain-Fournier. L’extraordinaire élabore ainsi des configurations imaginaires qui permettent de s’affranchir de la réalité tout en la représentant. Cet ancrage référentiel est également sensible dans la photographie de Sally Mann, « Deep South » (1998), qui nous plonge dans un paysage forestier du sud des États-Unis, précisément la Virginie où elle a grandi. Enfin, les quelques strophes extraites du célèbre poème d’Arthur Rimbaud « Le bateau ivre », publié en 1871 alors qu’il n’avait que dix-sept ans, ont pour point de départ des souvenirs de navigations enfantines sur la Meuse.
Mais si l’extraordinaire se nourrit à ce point de souvenirs autobiographiques, c’est peut-être parce que le monde de l’enfance est souvent à l’opposé de la réalité sociale des adultes. En témoigne l’absence de référents sociaux dans les documents. Chez Rimbaud par exemple, le voyage du bateau vers la mer s’apparente à une véritable transgression des codes moraux de la société bourgeoise, symbolisée ironiquement par les « haleurs » ou « l’œil niais des falots ». De même, nulle trace de vie sociale chez Balzac ou Alain-Fournier : c’est au contraire la poétique du lieu qui domine. En romantique, Balzac idéalise la vallée de l’Indre qu’il compare à une « magnifique coupe d’émeraude » : cette évocation suggestive confère au lieu une dimension à la fois mystique et sensuelle. Enfin, « le domaine mystérieux » évoqué dans Le Grand Meaulnes, n’est-il pas une allégorie des premières amours qu’on éprouve à l’adolescence ?
Par son pouvoir de métamorphose du réel, l’extraordinaire entraîne ainsi une véritable rupture spatio-temporelle : qui songerait, à la lecture du passage, que Le Grand Meaulnes a été rédigé un an avant la Première Guerre mondiale ? Ou que la photographie de Sally Mann date de 1998 ? Privilégiant le noir et blanc et les procédés anciens qui ont fait la gloire de l’argentique au XIXème siècle, elle semble presque hors du temps, mystérieuse, irréelle, à l’image des descriptions romanesques ou du poème rimbaldien. Ce ne sont pas des paysages réels qui sont représentés mais plutôt la vision subjective de l’observateur : le regard de la photographe, des romanciers ou du poète n’est donc porté par le réel que dans la mesure où il peut le transfigurer rétrospectivement. Le poème de Rimbaud est à ce titre exemplaire : ainsi, le contact avec la mer débouche sur un naufrage fantasmé, véritable euphorie marine qui prélude à l’expérience hallucinatoire du « voyant ».
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[II L’extraordinaire ou la quête de l’inconnu]
Comme nous le comprenons, si l’extraordinaire fascine tant, c’est qu’il permet non seulement de s’évader du quotidien, mais plus fondamentalement d’accéder à un autre univers dans lequel la logique est mise à mal. Les « illuminations » de Rimbaud, tantôt belles et exaltantes, tantôt dangereuses et terrifiantes, finissent par effacer tous les repères : faites de désordre, de discontinuité et d’écroulements, elles montrent combien la fascination pour l’inconnu porte l’auteur vers les mondes inexplorés de l’esprit, qui sont comme un réenchantement du réel. L’extraordinaire nous confronte ainsi à un système doté en apparence de pertinence et de repères référentiels mais qui perd peu à peu l’individu en détruisant ses certitudes matérialistes : l’extraordinaire prend ainsi la forme d’un véritable voyage initiatique chez Rimbaud où l’ivresse poétique s’apparente à une connaissance visionnaire et une aventure spirituelle.
De même, dans Le Grand Meaulnes, l’extraordinaire suggère un monde fantasmagorique, véritable emportement dans une « fête étrange », fantasme de liberté et d’évasion du héros au cœur d’un espace-temps incertain où la réalité se dérobe sans cesse. Ces remarques s’appliquent également très bien au « Bateau ivre » où la perte de tout repère spatial semble définir les conditions de la vraie poésie : descendre en soi-même pour mieux se connaître. Quant à la photographie de Sally Mann, elle nous plonge dans les profondeurs d’une nuit onirique où toutes les réalités se brouillent, les pistes s’effacent. À l’image du héros d’Alain-Fournier qui s’égare dans la mystérieuse demeure enchantée et finit par sombrer dans le sommeil, la photographe américaine instaure une atmosphère subjective et fictionnelle, transgressive et poétique, qui nous transporte dans un temps éloigné et imaginaire, qui est comme un décor de conte de fée.
Il faut ici noter combien l’univers de l’extraordinaire, comme contestation de la rationalité, est proche aussi du danger : dans les trois textes, le voyage vers l’inconnu est la source de toutes les tentations. La photographie suggère implicitement cette peur des ténèbres, peur de l’inconnu, que l’on peut interpréter comme une fascination pour le monde interdit de la nuit : le mystérieux halo de lumière qui apparaît au fond de la clairière n’est-il pas une invitation à transgresser le réel et à se perdre dans la féerie des arbres gigantesques de la forêt ? Cette perte des repères est aussi sensible chez Balzac où l’amour-passion est indissolublement lié à l’attrait pour un amour interdit comme en témoigne l’allusion aux « mouvements de serpent » de la vallée de l’Indre, dont les méandres saisissent le narrateur d’un « étonnement voluptueux ». L’extraordinaire invite ainsi à une expérience intime, bouleversante, des sens et des formes, de l’espace et du temps.
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[III l’extraordinaire comme quête identitaire et initiatique]
Cette expérience transformatrice est essentielle dans la mesure où elle débouche sur une quête identitaire. En premier lieu, l’extraordinaire concourt à une nouvelle perception des choses amenant à une meilleure connaissance de soi : dans le roman d’Alain-Fournier, l’égarement d’Augustin dans le domaine mystérieux où les enfants sont rois, prend une valeur initiatique en lui ouvrant la porte d’un domaine qui est également celui des secrets d’enfance. Comment ne pas évoquer ici « Le bateau ivre » ? : « Et j’ai vu quelques fois ce que l’homme a cru voir » nous dit Rimbaud dans ce vers fameux qui résume à lui seul la quête d’une poésie idéale qui ne cessera de hanter l’auteur. N’est-ce pas également cette femme idéale au point de ne pas exister, « flétrie si l’on y touche » dont parle avec volupté Balzac par la voix du narrateur ? De même, la forêt enchantée de Sally Mann s’apparente davantage à une forêt de Brocéliande qu’à un paysage réel des États-Unis.
Telle est la magie de l’extraordinaire : permettre par le truchement de l’imagination créatrice, le réenchantement du monde. L’extraordinaire offre ainsi la possibilité de réinventer le réel en lui donnant un nouveau sens. Figures médiatrices d’introspection, la Touraine balzacienne, le sud profond de Sally Mann, la Sologne ou les « bleuités » de Rimbaud aident au recueillement et au ressourcement. C’est ainsi que dans Le Grand Meaulnes ou Le Lys dans la vallée, le récit d’aventure se transforme en une véritable quête poétique de l’Amour. Chez Balzac, le regard rétrospectif du narrateur sur son propre passé devient même fondamental pour comprendre le sens de la vie, selon les codes du roman d’apprentissage. De même l’aventure rimbaldienne est surtout celle d’un adolescent en quête de lui-même : poème du naufrage désiré, « Le Bateau ivre » se présente à bien des égards comme un questionnement existentiel et introspectif.
Plaisir régressif du merveilleux chez Alain-Fournier, quête primitiviste chez Balzac, recouvrement identitaire et cognitif chez Rimbaud… L’extraordinaire se constitue comme le symbole même de la recherche du bonheur : quête impossible s’il en est. Comme nous le notions, la mystérieuse clairière photographiée par Sally Mann ne saurait se confondre avec une cartographie du réel : elle est bien davantage une invitation à s’égarer dans la pénombre de l’inconscient. De même, les extraits de romans ne peuvent s’apparenter à des descriptions réalistes car ils font la part trop belle à la fiction. Le réel visé par les artistes dépasse donc les relevés et les inventaires des faits pour nous entraîner vers un univers autonome de significations, en rapport avec l’imagination de l’auteur, la perception du lecteur, et la recherche d’un autre réel, bien souvent fantasmé, qui est tout autant une interrogation qu’une ineffable réponse.
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[Conclusion]
L’étude de ce corpus a permis de montrer combien l’irruption de l’extraordinaire crée des conditions d’exception qui relèvent du surgissement événementiel, de l’inattendu, de l’imagination, de la fantaisie, de l’étrangeté voire du surnaturel : en bouleversant les normes et en renversant l’ordre des choses, l’extraordinaire, sans doute parce qu’il est le lieu où se joue le mystère même de l’être, est aussi comme une épiphanie de la vie, c’est-à-dire une prise de conscience qui se donne pour objet d’interroger, de manière imaginaire et onirique, le réel, afin d’y trouver un sens caché, profondément spirituel et symbolique.
© janvier 2017, Bruno Rigolt
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