Entraînement BTS : Génération(s)
Génération Rap
Crise identitaire et nostalgie générationnelle
Corrigé de la synthèse
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La reconnaissance publique dont jouit actuellement le Rap tendrait à en faire un véritable phénomène de société. D’instituant et transgressif dans les années 80, il semble être devenu aujourd’hui “institué”, voire “institutionnalisé”. Le corpus qui nous est présenté témoigne ainsi de cette légitimation générationnelle. Les deux premiers documents, issus de travaux universitaires, mettent l’accent sur le phénomène de reconnaissance dont bénéficie le Rap et ont pour but de combattre un certain nombre de préjugés persistants. Quant aux deux derniers documents, il s’agit de paroles de chansons par lesquelles des rappeurs célèbres, en portant un regard rétrospectif sur leur passé, tentent d’en assumer l’héritage et les contradictions. Plus fondamentalement, la vocation de ce corpus est de montrer que l’ancrage identitaire et générationnel du rap (première partie) s’est progressivement élargi et modifié (deuxième partie) au point de nourrir un discours novateur sur l’identité nationale (troisième partie).
À l’origine, le rap est un phénomène urbain marqué par le déracinement identitaire d’une jeunesse confrontée à l’échec des politiques d’intégration et de socialisation. L’enquête sociologique menée par Stéphanie Molinero, (Les publics du rap, éd. L’Harmattan, Paris 2006) la conduit à rappeler combien, particulièrement dans les années 80 et 90, le rap a témoigné des aspirations spécifiques des jeunes dans les quartiers populaires. Pierre-Antoine Marti, dans Rap 2 France : les mots d’une rupture identitaire (éd. L’Harmattan, Paris 2006), souligne aussi à quel point l’enracinement du Rap dans les zones urbaines sensibles en a constitué l’identifiant majeur. Cet ancrage identitaire spécifique se trouve particulièrement bien exprimé dans les chansons de La Fouine, “Rap français” (Album Mes repères, 2009) et d’IAM “Nos heures de gloire” (Album, Saison 5, 2008). C’est en effet le vocabulaire des banlieues, mais aussi l’appartenance ethnique ou groupale qui leur confère une grande partie de leur potentiel d’expressivité : ce qui prime donc quand on aborde le rap, c’est en premier lieu l’identité générationnelle.
Identité générationnelle faite de valeurs et de normes communes largement transgressives. La Fouine par exemple revient sur son enfance marquée par la précarité, l’exclusion et l’échec scolaire. On pourrait aussi citer IAM qui évoque, non sans complaisance et une certaine nostalgie, ses jeunes “heures de gloire”, faites de débrouille quotidienne, de petite délinquance et d’une vie sociale la plupart du temps instable et déviante. Dans les deux cas, l’échec scolaire, les difficultés intrafamiliales amènent les jeunes à chercher des formes de reconnaissance alternative dans une socialité en réseau définie par la marginalité, la culture de groupe et la revendication d’un langage nouveau comme marqueur social. Pierre-Antoine Marti par exemple rappelle combien les rappeurs avaient “conscience de participer à un mouvement culturel à forte dimension sociale”. Dès lors, cantonner le rap à une “musique de jeunes” ne relève-t-il pas du cliché ? Entre le rap des années 80 et le rap d’aujourd’hui s’est en effet creusé un fossé générationnel qui invite à reconsidérer la culture rap.
Il serait assez réducteur de ne pas comprendre que le rap s’est progressivement intégré au patrimoine culturel de la France. Dans son enquête sociologique, Stéphanie Molinero montre que la massification de la culture rap et son évolution à la fin des années 2000 vers le statut d’une musique plus institutionnalisée a entraîné des ruptures progressives inter mais aussi intragénérationnelles : elle en conclut que “le rap aurait ainsi en partie perdu, en quelques années, son pouvoir unificateur auprès de la jeunesse française” pour toucher des publics plus larges. Pierre-Antoine Marti souligne quant à lui, combien le mouvement rap s’est progressivement fait l’écho d’un malaise global, qui dépasse son ancrage identitaire comme musique de jeunes. De fait, il n’est que de songer aux textes d’IAM ou de La Fouine pour comprendre comment s’est substitué à un désir de différenciation un besoin de légitimation et de reconnaissance. Les titres, “Rap français” ou “Nos heures de gloire” seraient ainsi la preuve de cette nouvelle donne sociale qui prend place dans l’espace public de la société française et dans son histoire.
De nos remarques précédentes, il ressort deux éléments essentiels : en premier lieu, le rap actuel induit un rapport à la musique et au texte qui est moins en rupture avec l’horizon d’attente traditionnel des Français : les valeurs originelles de la culture hip-hop, largement conditionnées par les luttes sociales et le refus des règles, semblent ainsi s’être affaiblies dans les chansons présentées dans le corpus au profit d’un rap dont la composante artistique et poétique est indéniable : “Allez assieds toi près d’moi / J’viens t’conter mes heures au firmament des étoiles” chante ainsi IAM. En outre, si le Rap actuel semble avoir perdu d’une certaine façon la force d’opposition ainsi que le sens de la critique ou de la revendication tel qu’on l’entendait dans les années 1990, force est de reconnaître que les textes expriment de façon profonde le sentiment identitaire complexe d’une génération qui, ayant perdu l’enthousiasme du début, se tourne sur son passé et porte un regard rétrospectif malgré tout désabusé sur elle-même. On pourrait parler dès lors de “nostalgie générationnelle” pour qualifier un mouvement de plus en plus ancré dans la culture de masse.
Le rap d’aujourd’hui contribue donc à définir un authentique mouvement culturel dans lequel se côtoient plusieurs classes d’âge mais aussi plusieurs classes sociales. Au terme de son enquête, Stéphanie Molinero montre par exemple combien le rap est devenu emblématique d’une grande partie de la société française et plus seulement des jeunes. Le fait par exemple que des personnes plus âgées écoutent du rap a amené à des aspirations plus consensuelles et plus homogènes qui ont engagé le mouvement dans un “processus de légitimation”. De même, Pierre-Antoine Marti rappelle combien les rappeurs, au-delà de leurs revendications identitaires, se sont fait “les symboles des profondes évolutions culturelles” de notre époque. Le rap tendrait ainsi à se définir non plus en tant qu’intégration communautaire par opposition à la société globale, mais sur un mode d’intégration sociale qui passe par le dialogue intergénérationnel : les chansons présentées sont caractéristiques de ces nouvelles aspirations, liées au processus de vieillissement de la population, mais aussi à la réhabilitation du rôle de l’adulte dans la transmission des valeurs.
Dès lors, la question qui se pose est l’insertion du mouvement dans le débat sur l’identité nationale : c’est en effet ce qui est posé à la fin de l’extrait de Rap 2 France. Plus implicitement l’enquête de Stéphanie Molinero suggère qu’il n’est plus possible de considérer le rap comme une musique de banlieue. Son travail approfondi sur l’étendue des publics qui écoutent du rap (selon l’âge, l’appartenance sociale, etc.) amène à combattre les préjugés et clichés persistants à l’encontre de cette musique, dont Pierre-Antoine Marti rappelle qu’elle constitue un “univers trop méconnu et pourtant si souvent décrié”. Les paroles des chansons de La Fouine ou d’IAM vont dans le même sens : en mettant l’accent sur la nostalgie des valeurs relationnelles, elles conduisent en effet à mieux comprendre la façon dont la “Génération Rap” se définit par rapport au passé dans la France en crise d’aujourd’hui, confrontée aux réalités institutionnelles et sociales de la mondialisation. L’intérêt du corpus amène ainsi à réfléchir aux valeurs de transmission et de partage que le mouvement Rap cherche désormais à véhiculer dans ses chansons et plus largement ses prises de position.
Bruno Rigolt
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