Les entraînements BTS
Entraînement sur le thème 1 : “Le détour” Détour et parodie
Pour ce premier entraînement de l’année 2009-2010, je vous propose de réfléchir à la question de la parodie. De fait, cette écriture “au second degré” entretient avec le détour une forte relation d’analogie, puisqu’elle est par essence transgressive et désacralisante. Mais, à la différence de la ruse par exemple, un tel détournement implique une complicité, une connivence du lecteur ou du spectateur : parodier, c’est feinter en décalant et en détournant un système de valeurs reconnu : il y a donc déplacement de perspective et de code à partir de l’objet référentiel. Le corpus comporte trois textes (le premier est didactique, les deux autres sont parodiques) et une représentation de la Joconde par Duchamp, qui est une véritable feinte iconoclaste (le titre est à lui seul très “osé” !).
Synthèse : vous ferez une synthèse concise, ordonnée et objective des documents contenus dans ce corpus.
Quelques conseils pour la synthèse
- Privilégiez toujours l’abstraction.
- Afin d’éviter la paraphrase, reformulez des ensembles porteurs de sens. Ne reformulez JAMAIS phrase par phrase, sinon vous ne pourrez pas envisager l’idée complète, et vous vous perdrez dans les détails.
- Concernant les textes de Queneau et de Pérec, il est évident qu’ils nécessitent une interprétation : vous devez en retirer l’idée sous-jacente et la rapporter à la problématique. Même remarque pour la “Joconde” de Duchamp, qui s’inscrit évidemment dans le vaste mouvement critique et subversif de détournement des codes sociaux, qui a permis à l’art moderne de devenir un véritable ferment d’idées.
1. Guy Belzane, “De l’art du détournement”, n° 788 de la revue Textes et Documents pour la classe, janvier 2000 (“Les hypotextes” : depuis “Que parodie-t-on” jusqu’à “en aval de l’étude des textes”.
“Les hypotextes”
Que parodie-t-on ? Que pastiche-t-on ? Les objets qui suscitent transformations et/ou imitations ludiques ou satiriques présentent trois traits à peu près récurrents.
Le premier de ces traits est la notoriété, pour ne pas dire la célébrité. Le bon fonctionnement de la mécanique parodique exige en effet l’identification, par le récepteur, de l’objet transformé ou imité. La règle est donc que cet objet soit connu du destinataire : quelques proches, un groupe d’initiés, le grand public. C’est dans ce dernier cas – le plus fréquent tout de même – que le renom de l’objet référent (que Gérard Genette appelle « hypotexte ») est requis. Ainsi, on ne s’étonnera pas que les hypotextes privilégiés des parodies et des pastiches aient été, à l’âge classique, les épopées antiques et, plus tard, les monuments des Lettres françaises : La Fontaine, Racine, Corneille, Hugo. Il était fréquent, au XIXe siècle, de voir des pièces de théâtre parodiées par leurs propres auteurs, comme Dumas avec La Cour du roi Pétaud, travestissement de Henri III et sa cour. Sans parler de ces « textes » connus de tous parce qu’ils font partie de l’inconscient collectif, comme les proverbes, les mythes, la Bible, les contes, etc.
Le deuxième trait souffre plus d’exceptions que le premier. Nous dirons que la parodie ou le pastiche s’exercent de préférence sur des œuvres ou des genres consacrés. Autrement dit, il est préférable qu’à la connaissance s’ajoute la reconnaissance, ce qui ne va pas forcément de soi. Car l’effet comique gagne à une désacralisation, un « déboulonnage », sans toutefois s’y réduire. Les œuvres ou les auteurs cités plus haut l’attestent : l’intention parodique contient le plus souvent une part de rabaissement. Nous revenons là d’ailleurs à l’origine (supposée) de la pratique. On se souvient que la poétique d’Aristote, largement reprise à l’âge classique, reposait sur une classification par modes mais aussi par niveaux.
Le troisième trait est sans doute le plus nécessaire et, en même temps, le plus vague. L’objet parodié et, davantage peut-être, l’objet pastiché se doivent d’être typiques, caractéristiques. Le grossissement des traits, qui constitue une donnée quasi invariante du procédé, suppose en effet leur existence. On imagine mal pasticher un auteur sans style, sauf à supposer que cette absence de style soit si visible qu’elle en devienne une « marque de fabrique » de l’auteur en question, un style en somme ! De même, la transformation parodique d’un objet suppose que celui-ci y donne prise. C’est pourquoi le détournement suppose une connaissance approfondie de l’objet détourné et une mise en évidence de sa singularité. C’est particulièrement vrai du pastiche, dont, pour cette raison, l’efficacité pédagogique n’est plus à démontrer, en amont comme en aval de l’étude des textes.
2. Raymond Queneau, “La fourmi et la cigale” (Battre la campagne, NRF “Poésie”, Gallimard 1968)
LA FOURMI ET LA CIGALE Une fourmi fait l’ascension d’une herbe flexible elle ne se rend pas compte de la difficulté de son entreprise elle s’obstine la pauvrette dans son dessein délirant pour elle c’est un Everest pour elle c’est un Mont Blanc ce qui devait arriver arrive elle choit patatratement une cigale la reçoit dans ses bras bien gentiment eh dit-elle point n’est la saison des sports alpinistes (vous ne vous êtes pas fait mal j’espère ?) et maintenant dansons dansons une bourrée ou la matchiche. _3. Georges Pérec, Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ? (extrait), 1966
Permettez-moi de vous rappeler les grandes lignes de ce que votre cervelle de lecteur a pu, ou aurait pu, ou aurait dû emmagasiner : Premièrement : qu’il existe un individu du nom, peut-être approximatif, de Karachose, qui refuse d’aller sur la mer Méditerrannée (je ne suis pas très sûr de cette orthographe) tant que les conditions climatiques seront ce qu’elles sont. Point que, d’ailleurs, on précise assez peu, attentifs que nous sommes à assimiler les pitits mystères autour de notre modeste récit ; deuxièmement : qu’il existe une bande de braves gens dont auquel j’en suis, courageux comme Marignan, forts comme Pathos, subtils comme Artémis, fiers comme Artaban ; troisièmement : qu’il existe une tierce personne, nommée Pollak, et prénommée Henri, de son état maréchal des logis, qui semble passer son temps à aller de l’un aux autres et des autres à l’un, et vice versa, au moyen d’un pétaradant petit vélomoteur ; quatrièmement : que ce petit vélomoteur a un guidon chromé ; cinquièmement : que des individus que l’on peut et doit qualifier de comparses circulent entre les interstices de la chose principale et mettent l’icelle en valeur, selon les meilleurs préceptes que les bons auteurs m’ont appris quand j’étais petit ; sixièmement : que les choses en étant là où on les a laissées, on est parfaitement en droit de se demander : Mon Dieu, mon Dieu, comment tout cela va-t-il finir ? _4. Marcel Duchamp, L.H.O.O.Q. (détail), 1919

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Proposition d’écriture personnelle : “Dans quelle mesure est-il permis d’affirmer que le détournement parodique, au-delà de son aspect comique, comporte une intention critique ?”
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Documents complémentaires
Léonard de Vinci, La Joconde huile sur bois (77 x 53 cm), Musée du Louvre, Paris
La Cigale et la fourmi
La Cigale, ayant chanté
Tout l’été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue.
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine
Chez la fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu’à la saison nouvelle.
“Je vous paierai, lui dit-elle,
Avant l’oût, foi d’animal,
Intérêt et principal”.
La Fourmi n’est pas prêteuse ;
C’est là son moindre défaut.
“Que faisiez-vous au temps chaud ?
Dit-elle à cette emprunteuse.
– Nuit et jour à tout venant
Je chantais, ne vous déplaise.
– Vous chantiez ? j’en suis fort aise.
Eh bien ! dansez maintenant”.
Jean de La Fontaine, Fables, livre I (1668)
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