Entraînement BTS… Sport et Sacralisation

Entraînement BTS Sessions 2012>13

Les valeurs du sport :

Excellence ou sacralisation ?

Présentation

Je propose à mes étudiant(e)s de BTS deuxième année un entraînement inédit, et particulièrement essentiel, dans la mesure où il porte sur les valeurs du sport : valeurs contradictoires partagées entre l’idéal humaniste et fédérateur, le courage, l’éthique, mais aussi les pulsions guerrières, les dérives de l’image et du spectacle, à tel point qu’on a parlé de « religion profane » pour qualifier cette sacralisation du sport. Comme le faisait remarquer avec une grande justesse Pascal Taranto, « le sport fascine, suscite l’admiration, excite des sentiments de sublime, de dépassement de la condition humaine ordinaire. Il est même porteur d’une certaine démesure. […] Le spectacle sportif est celui d’une excellence humaine, qui attire spontanément l’admiration à la mesure de la difficulté qu’elle surmonte, de la perfection qu’elle accomplit, du récit mythique qu’elle ne cesse de rejouer ». Je vous renvoie enfin à ce passage très explicite des Instructions Officielles :

« Le sport permet la manifestation de passions individuelles et collectives ; il provoque chez les spectateurs des réactions de ferveur qui ne sont pas sans rappeler la fonction dionysiaque des festivités rituelles dans l’Antiquité. Le besoin de se réjouir ensemble, d’éprouver ensemble espoir et déception, de se sentir associé à une aventure collective, fédère un très large public au-delà même des supporters, compensant ainsi peut-être le recul des grandes fêtes religieuses du passé qui réunissaient périodiquement les communautés. Le sport est révélateur des règles et des modèles qu’une société essaie de se donner. Il propose des activités pratiquées dans le monde entier selon des règles identiques pour tous : il apparaît comme un vecteur d’intégration sociale en permettant à chacun de réussir selon ses talents personnels et crée des liens pacifiques entre les pays lors de compétitions qui suscitent un intérêt planétaire. Lieu d’apprentissage de la vie en société, mais aussi échappatoire possible aux pesanteurs sociales, lieu de réintégration, le sport offre des modèles physiques, façonne des modes vestimentaires, et influence fortement notre rapport à l’apparence et au corps. Il fait émerger des figures de héros, d’idoles ou d’aventuriers qui modèlent également notre représentation d’un certain idéal : goût de l’effort, maîtrise de soi, engagement, esprit d’équipe, valeurs traditionnelles de l’olympisme.
Néanmoins, le sport nous renvoie l’image de certaines dérives. Enjeu d’intérêts économiques majeurs, le sport peut faire prévaloir le goût du spectacle sur toute autre finalité, au point d’ouvrir la porte à des tricheries diverses. Lieu de rassemblement, il peut aussi devenir lieu de débordements identitaires dégénérant en violence ouverte. Lieu de manifestation d’un enjeu national, le sport peut devenir nationaliste, et être instrumentalisé par les pouvoirs politiques et économiques de tous bords. Domaine de recherche et d’innovation, il peut conduire vers la manipulation des corps pour améliorer artificiellement les performances […] ».

Pour accéder au corrigé de la synthèse, cliquez ici.

Corpus :

  1. Michel Caillat, Sport et civilisation : histoire et critique d’un phénomène social de masse, 1996
  2. Jean-Marie Brohm, La Tyrannie sportive : théorie critique d’un opium du peuple, 2006
  3. Pierre de Coubertin, « Les assises philosophiques de l’olympisme moderne », 1935
  4. Vidéo INA « Nuit de fête sur les Champs-Élysées », 1998

Document complémentaire :

Sujet : Vous ferez des documents suivants, une synthèse concise, objective et ordonnée. La synthèse a fait l’objet d’un corrigé mis en ligne.

Écriture personnelle : Pierre de Coubertin voit dans l’olympisme « une aristocratie, une élite« . Partagez-vous cette opinion ?

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  • Document 1. Michel Caillat, Sport et civilisation : histoire et critique d’un phénomène social de masse, L’Harmattan, coll. « Espaces et temps du sport », Paris 1996, pages 65 et 66.

À tous les niveaux, le sportif est condamné à épouser le conformisme performatif, à se surpasser et les entraîneurs, ces idéologues qui ne portent pas leur nom, appellent sans cesse leurs protégés à « se donner à fond, à se faire mal, à marcher sur leurs adversaires, à les empêcher de jouer » autant de formules rituelles entendues sur tous les terrains du monde.

Substitut libidinal, apologie du sacrifice, de la douleur, de la répétition infinie du trauma et sacralisation mortifère du dépassement et du risque, le sport est à la fois un ascétisme dans la joie et une hygiène physique et spirituelle. Infantilisé, le sportif introjette ses maîtres et leurs ordres dans son appareil mental, contrôle sa servitude au lieu de l’abolir. L’exercice de la coercition n’est pas direct mais insidieux ; le sport consacre le règne de l’autonomie totalement encadrée.

Le fétichisme de la progression chiffrée et mesurée, l’élitisme, la méritocratie, la morale des forts, la soumission, la discipline, la privation, l’idéologie du don font du sport l’activité de loisir spécifiquement adaptée à notre civilisation technicienne et industrielle. Un singulier terrorisme moral souffle pour l’imposer aux indolents, jeunes et moins jeunes, aux exclus des banlieues et d’ailleurs, aux travailleurs opprimés et à tous les sédentaires.

Source d’épanouissement et de réconciliation avec son corps (retour du je et du jeu), le sport, objet de tant de sollicitude et de tant de consommations, serait le symbole d’une terre libre et démocratique (…). Ce royaume enchanté, quelques analystes sceptiques l’ont « désenchanté » en montrant que le sport n’a jamais tenu ses promesses ; son développement est avant tout celui des mauvais côtés : mercantilisation, politisation, chauvinisme, nationalisme, violence, dopage, tricheries.

  • Document 2. Jean-Marie Brohm, La Tyrannie sportive : théorie critique d’un opium du peuple, Beauchesne, Paris 2006, depuis la page 219 (« Le sport suscite en effet l’unanimisme, l’adhésion enthousiaste, la mobilisation de masse, l’excès émotionnel, les débordements violents ») jusqu’en haut de la page 221 (« pourvu qu soient préservés le chavirement des sens, l’ivresse, l’extase, la ferveur et l’obnubilation des « on a gagné » ».

Le sport suscite en effet l’unanimisme, l’adhésion enthousiaste, la mobilisation de masse, l’excès émotionnel, les débordements violents, toutes choses incompatibles avec la démocratie qui n’est pas le despotisme des opinions et des passions, mais le règne de la raison et des raisons. La tyrannie sportive avec son culte de la performance, son apologie de la force, sa passion pour les « suprématies physiques », son goût de l’ordre et de la hiérarchie est la tyrannie du fait accompli, la tyrannie de la foule belliqueuse, la tyrannie des circenses. Or, ces circenses, loin d’être d’inoffensives distractions populaires, sont en tous temps et en tous lieux des instruments de manipulation politique des masses, de puissants vecteurs de contrôle social. « Le sport devient alors instrumentum regni, ce que d’ailleurs il n’a pas cessé d’être au cours des siècles. C’est évident : les circenses canalisent les énergies incontrôlables de la foule » (*). Le sport est non seulement une politique de diversion sociale, de canalisation émotionnelle des masses, mais plus fondamentalement encore une coercition anthropologique majeure qui renforce et légitime l’idéologie productiviste et le principe de rendement de la société capitaliste. Le sport est ainsi une injonction autoritaire au dépassement de soi et des autres, la mise en œuvre institutionnelle de cette contrainte au surpassement. « Si l’on devait qualifier d’un trait l’essence de notre société, on ne pourrait trouver que ceci : la contrainte de surpasser […]. Tout se mesure, et se mesure dans le combat ; et celui qui surpasse est un continuel vainqueur […]. Le plus fort est le meilleur, le plus fort mérite de vaincre » (**). Cette anthropologie « héroïque », tellement prisée par les fascismes, produit dans les sociétés libérales avancées, mais aussi dans les sociétés despotiques un type social particulier devenu la figure emblématique du surhomme sachant se surpasser — le sportif de compétition voué à produire en série des performances d’exception. Mieux même, les sportifs sont élevés en batterie comme les chevaux de course et d’ailleurs dopés comme eux […]. Le résultat : des humanoïdes déshumanisés, appareillés par différentes prothèses technologiques, chimiques, biologiques, psychologiques […]. « L’athlète est déjà en lui-même un être qui possède un organe hypertrophié qui transforme son corps en siège et source exclusifs d’un jeu continuel : l’athlète est un monstre, il est L’Homme qui Rit, la geisha au pied comprimé et atrophié, vouée à devenir l’instrument d’autrui » (***).

L’enjeu de la lutte concerne ensuite la nature même de la socio-anthropologie du sport. La quasi totalité des auteurs qui se sont penchés avec délectation sur les spectacles sportifs se sont en effet englués dans une sorte de sacralisation du sport, de ses rites et exploits. Qu’importent les violences, le dopage, la corruption, la mercantilisation généralisée, pourvu que soient préservés le chavirement des sens, l’ivresse, l’extase, la ferveur et l’obnubilation des « on a gagné ».

(*) Umberto Eco, la Guerre du faux, Paris Le Livre de Poche, « Biblio Essais », 1987, p. 242 ; (**) Elias Canetti, la Conscience des mots, le Livre de Poche, « Biblio Essais », 1989, p. 214-215 ; (***) Umberto Eco, la Guerre du faux, op. cit. p. 241.

 

  • Document 3. Baron Pierre de Coubertin, « Les assises philosophiques de l’olympisme moderne ». Message radiodiffusé de Berlin le 4 août 1935 (extraits).

La première caractéristique essentielle de l’olympisme ancien aussi bien que de l’olympisme moderne, c’est d’être une religion. En ciselant son corps par l’exercice comme le fait un sculpteur d’une statue, l’athlète antique « honorait les dieux ». En faisant de même, l’athlète moderne exalte sa patrie, sa race, son drapeau. J’estime donc avoir eu raison de restaurer dès le principe, autour de l’olympisme rénové, un sentiment religieux transforme et agrandi par l’internationalisme et la démocratie qui distinguent les temps actuels, mais le même pourtant qui conduisait les jeunes Hellènes ambitieux du triomphe de leurs muscles au pied des autels de Zeus.

De là découlent toutes les formes culturelles composant le cérémonial des Jeux modernes. Il m’a fallu les imposer les unes après les autres à une opinion publique longtemps réfractaire et qui ne voyait là que des manifestations théâtrales, des spectacles inutiles, incompatibles avec le sérieux et la dignité de concours musculaires internationaux. L’idée religieuse sportive, la religio athletae a pénétré très lentement l’esprit des concurrents et beaucoup parmi eux ne la pratiquent encore que de façon inconsciente. Mais ils s’y rallieront peu à peu.

Ce ne sont pas seulement l’internationalisme et la démocratie, assises de la nouvelle société humaine en voie d’édification chez les nations civilisées, c’est aussi la science qui est intéressée en cela. Par ses progrès continus, elle a fourni à l’homme de nouveaux moyens de cultiver son corps, de guider, de redresser la nature, et d’arracher ce corps à l’étreinte de passions déréglées auxquelles, sous prétexte de liberté individuelle, on le laissait s’abandonner.

La seconde caractéristique de l’olympisme, c’est le fait d’être une aristocratie, une élite ; mais, bien entendu, une aristocratie d’origine totalement égalitaire puisqu’elle n’est déterminée que par la supériorité corporelle de l’individu et par ses possibilités musculaires multipliées jusqu’à un certain degré par sa volonté d’entraînement. Tous les jeunes hommes ne sont pas désignés pour devenir des athlètes. Plus tard on pourra sans doute arriver par une meilleure hygiène privée et publique et par des mesures intelligentes visant au perfectionnement de la race, à accroître grandement le nombre de ceux qui sont susceptibles de recevoir une forte éducation sportive : il est improbable qu’on puisse jamais atteindre beaucoup au delà de la moitié ou tout au plus des deux tiers pour chaque génération. Actuellement, nous sommes, en tous pays, encore loin de là ; mais si même un tel résultat se trouvait obtenu, il n’en découlerait pas que tous ces jeunes athlètes fussent des « olympiques », c’est-à-dire des hommes capables de disputer les records mondiaux. C’est ce que j’ai exprimé par ce texte (traduit déjà en diverses langues) d’une loi acceptée inconsciemment dans presque tout l’univers : « Pour que cent se livrent à la culture physique, il faut que cinquante fassent du sport ; pour que cinquante fassent du sport, il faut que vingt se spécialisent ; pour que vingt se spécialisent, il faut que cinq soient capables de prouesses étonnantes. »

Chercher à plier l’athlétisme à un regime de modération obligatoire, c’est poursuivre une utopie. Ses adeptes ont besoin de la « liberté d’excès ». C’est pourquoi on leur a donne cette devise : Citius, altius, fortius, toujours plus vite, plus haut, plus fort, la devise de ceux qui osent prétendre à abattre les records ! Mais être une élite ne suffit pas ; il faut encore que cette élite soit une chevalerie. Les chevaliers sont avant tout des « frères d’armes », des hommes courageux, énergiques, unis par un lien plus fort que celui de la simple camaraderie déjà si puissant par lui-même ; à l’idée d’entraide, base de la camaraderie, se superpose chez le chevalier l’idée de concurrence, d’effort opposé à l’effort pour l’amour de l’effort, de lutte courtoise et pourtant violente.

  • Document 4. « Nuit de fête sur les Champs-Élysées » (vidéo INA) L’équipe de France de football vient de remporter la coupe du monde de football face au Brésil. L’avenue des Champs-Élysées a connu durant la nuit une véritable liesse collective.

http://www.ina.fr/video/ticket/CAB98029169/969098/481f50fd77111fe0834dff60125fe537