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Période de formation 3 : 3 semaines [du 4 janvier au 24 janvier 2010]

Séquence : Génération et contexte.

Problématique : L’importance du contexte (historique, sociologique et culturel) pour définir une génération.
       
Corpus :
  1. Michel Houellebecq, Les Particules élémentaires, « Épilogue » (dernière page). Éditions Flammarion, Paris 1998, p. 394
  2. Paul Valéry, La Crise de l’esprit, 1919
  3. Elisabeth Rosa, Leïla Slimani, « Réflexions sur le désespoir moderne » (réédition) Sens public, 4 avril 2008
  4. Bret Easton Ellis, American Psycho, 1991 (1993, 1998 pour la traduction française). Excipit
  • Lundi 4 janvier.

    • Présentation de la séquence. Texte support : Karl Mannheim, Le Problème des générations, 1928
    • Générations biologiques et générations sociologiques dans le texte de Mannheim.

Extrait

« Des individus séparés spatialement, qui n’entrent jamais en contact personnel, peuvent être rassemblés [dans un ensemble générationnel]. Un ensemble générationnel se constitue à partir de la participation des individus relevant de la même situation de génération à un destin commun et aux contenus qui en relèvent et qui y sont liés. Alors les unités de générations particulières peuvent surgir à l’intérieur de cette communauté de destin. Elles sont caractérisées par le fait qu’ elles ne signifient pas seulement une participation floue d’individus différents à un ensemble d’événements vécus en commun mais qui se présentent comme différents, mais par le fait qu’elles signifient aussi une réaction unitaire, une résonance et un principe structurant, structurés de façon analogue, des individus relevant d’une situation de génération définie, et dans cette mesure précisément, liés entre eux.
Plusieurs unités de générations qui se combattent mutuellement, peuvent donc se former dans le cadre d’un même ensemble générationnel. Elles vont constituer un « ensemble », parce que précisément, même en se combattant, elles sont mutuellement accordées. La jeunesse qui, aux alentours de 1810, participe au même ensemble générationnel spirituel et social, appartient à un seul et même ensemble générationnel, indépendamment de son adhésion aux idées libérales de l’époque ou au conservatisme de son temps.
[…] Mais ce qui va suivre maintenant doit être considéré comme l’essentiel. Chaque situation de génération, et a fortiori chaque classe d’âge, ne tire pas d’elle-même de nouvelles impulsions collectives et des tendances structurantes qui lui sont propres. Lorsque cela se produit, nous pouvons alors parler de l’entrée en activité de la potentialité qui sommeille dans la situation. Il semble probable, que la fréquence de l’entrée en activité de cette potentialité soit liée à la vitesse de la dynamique sociale. Quand des bouleversements socio-spirituels imposent un rythme qui accélère le changement des attitudes, au point que le changement latent et continuel des formes traditionnelles de l’expérience vécue, de la pensée et de la mise en forme n’est plus possible, alors de nouveaux points de rupture se cristallisent quelque part formant une impulsion nouvelle et une nouvelle unité structurante. Dans de tels cas, nous parlons d’un nouveau style de génération […] ».
  • Mardi 5 janvier.

    • Analyse du texte de Mannheim :
      • la notion d’ensemble générationnel. Le dépassement de l’approche positiviste.
      • l’importance des facteurs sociaux et du contexte.
    • Présentation du corpus (détermination de la problématique).

 Corpus

Générations et désenchantement
Document 1 Michel Houellebecq, Les Particules élémentaires, « Épilogue » (dernière page). Éditions Flammarion, Paris 1998, p. 394
L’histoire existe ; elle s’impose, elle domine, son empire est inéluctable. Mais au-delà du strict plan historique, l’ambition ultime de cet ouvrage est de saluer cette espèce infortunée et courageuse qui nous a créés. Cette espèce douloureuse et vile, à peine différente du singe, qui portait en elle tant d’aspirations nobles. Cette espèce torturée, contradictoire, individualiste et querelleuse, d’un égoïsme illimité, parfois capable d’explosions de violence inouïes, mais qui ne cessa jamais pourtant de croire à la bonté et à l’amour. Cette espèce aussi qui, pour la première fois de l’histoire du monde, sut envisager la possibilité de son propre dépassement ; et qui, quelques années plus tard, su mettre ce dépassement en pratique. Au moment où ses derniers représentants vont s’éteindre, nous estimons légitime de rendre à l’humanité ce dernier hommage ; hommage qui, lui aussi, finira par s’effacer et se perdre dans les sables du temps ; il est cependant nécessaire que cet hommage, au moins une fois, ait été accompli. Ce livre est dédié à l’homme ».
Document 2, Paul Valéry, La Crise de l’esprit, 1919
Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. Nous avions entendu parler de mondes disparus tout entiers, d’empires coulés à pic avec tous leurs hommes et tous leurs engins; descendus au fond inexplorable des siècles avec leurs dieux et leurs lois, leurs académies et leurs sciences pures et appliquées, avec leurs grammaires, leurs dictionnaires, leurs classiques, leurs romantiques et leurs symbolistes, leurs critiques et les critiques de leurs critiques. Nous savions bien que toute la terre apparente est faite de cendres, que la cendre signifie quelque chose. Nous apercevions à travers l’épaisseur de l’histoire, les fantômes d’immenses navires qui furent chargés de richesse et d’esprit. Nous ne pouvions pas les compter. Mais ces naufrages, après tout, n’étaient pas notre affaire.
Document 3 Elisabeth Rosa, Leïla Slimani, « Réflexions sur le désespoir moderne » (réédition) Sens public, 4 avril 2008
Le désespoir moderne, qu’il soit celui – nostalgique et aristocratique – des décadents, ou celui – plus vindicatif et, pourrait-on dire, démocratique – de nos contemporains reste essentiellement marqué par l’idée d’un désenchantement face au monde. Trop de sciences font disparaître à jamais l’innocence première, celle des petits enfants et du Paradis perdu… Cette réflexion en deux temps s’articule autour de deux images d’un désespoir « fin de siècle » : la fin du 19e et la fin du 20e siècles. Deux époques différentes, mais l’angoisse semble être la même : vertige devant l’absence de mystère, l’absence d’idéal, l’absence de dévoilement. La désespérance paraît pouvoir toujours se décliner sur le mode mallarméen : « La chair est triste, hélas, et j’ai lu tous les livres »…
L’atmosphère « fin de siècle » : des temps troublés
On retrouve dans le terme de décadence (du latin « decadens », « qui est en train de tomber ») l’idée de ruine, de monde finissant, de déclin. Cette notation profondément pessimiste – et à la fois précieuse, car il s’agit de se placer dans la lignée de l’Empire Romain finissant – n’est sans doute pas étrangère au contexte historique. Cette fin du 19e siècle est en effet vécue comme l’aboutissement de grandes transformations tant sociales que politiques, techniques et culturelles. La Révolution Industrielle – avec son cortège d’innovations techniques – la République – encore toute jeune dans un siècle de révolutions et d’empires – l’avènement du positivisme etc. : autant de facteurs de ces changements radicaux. Avec la révolution industrielle et l’émergence d’une classe ouvrière, la société change de visage : les campagnes sont désertées et suite à un mouvement d’exode rural important, les « villes tentaculaires » (Verhaeren) s’étendent en France. Ce siècle est également celui de l’avènement de la bourgeoisie (dont Flaubert a tant fustigé la bêtise), et de l’argent en tant que valeur. Le suffrage universel – bien que certains le considèrent comme conservateur – choque également les âmes aristocratiques comme celle de Flaubert, profondément opposé à ce qu’il considère comme le triomphe de la vulgarité. Huysmans résume parfaitement ce sentiment élitiste de médiocrité de l’époque en mettant dans la bouche de son héros, le duc Jean des Floressas des Esseintes, les mots suivants : « un temps de suffrage universel et de lucre ». Les artistes contemporains se sentent en porte-à-faux avec cette société dominée par les intérêts économiques.
A ces profondes transformations sociales s’ajoute un contexte politique troublé. Les décadents apparaissent en effet dans les années 1880, c’est-à-dire après la cuisante défaite de la France face à l’Allemagne en 1870. Le thème de la décadence de la France est alors dans toutes les bouches : la France aurait-elle perdu son aura, sa puissance politique – en même temps que militaire – qui la faisait tant admirer de l’étranger ? Les universités françaises se mettent à adopter les méthodes allemandes, l’apprentissage de la géographie date de cette époque, Kant est diffusé dans les milieux universitaires, etc. Beaucoup y voient le signe d’une démission intellectuelle de la France. La défaite signe l’arrêt de mort du second Empire et l’avènement d’une toute jeune république. La vie politique de ce régime est ponctuée de scandales retentissants (scandale de Panama, Affaire Dreyfus…) qui ne vont pas sans conforter dans leur opinion ceux qui croient à une déchéance morale de la France.
Dans cette société dominée par l’esprit de lucre et qui semble indiquer la fin d’une certaine « Grande France », la jeunesse se sent quelque peu étriquée. L’Empire était l’avènement de tous les possibles (ce que Stendhal montrait assez bien dans le Rouge et le Noir, ou encore Victor Hugo avec l’anoblissement du Baron de Pontmercy pour faits d’armes) et la République n’offre plus la possibilité d’une vie marquée par la gloire et l’ambition noble. Il en résulte pour la jeunesse artiste de ces années-là un sentiment de faillite qui fait naître une « désespérance voisine de l’anéantissement » (Baudelaire). En cette fin de siècle marquée par des idées millénaristes la littérature reflète ce malaise, ce mal de vivre en même temps qu’un profond besoin d’idéal, de foi, de mystère.
La désespérance décadente
C’est dans cette époque de troubles qu’apparaît le décadentisme. Ce n’est à proprement parler ni une école ni un mouvement littéraire organisé. Il s’agit en fait de la désignation d’un certain état d’esprit où l’ironie se mêle au désespoir, ce qui explique que ceux que l’on range sous l’étiquette de décadents empruntent également quelques traits à d’autres mouvements littéraires comme au romantisme, au symbolisme, aux « voyants » (dans la lignée rimbaldienne)… Le mot « décadent » appliqué à la littérature apparaît pour la première fois sous la plume de Théophile Gautier en 1868 pour désigner Baudelaire : « Le poète des Fleurs du Mal aimait ce qu’on appelle improprement un style de décadence et qui n’est autre que l’art arrivé à ce point de maturité extrême que déterminent à leur oblique les civilisations qui vieillissent ». De fait, Baudelaire sera considéré comme un modèle par les décadents (fascination des Esseintes pour la poésie baudelairienne, intertexte baudelairien évident dans les Fleurs de bonne volonté de Laforgue…) et même, nous le verrons par la suite, comme le père du décadentisme.
La référence que fait Gautier au vieillissement des civilisations est essentielle pour comprendre la décadence. L’idéologie de ce « mouvement » qui aime à comparer son siècle à celui de la chute de Rome, est en effet profondément conservatrice. Les réutilisations des grands mythes sont fréquentes. Les Moralités Légendaires par exemple ne sont pas autre chose qu’une réécriture de quelques mythes fondateurs pour l’Occident : Hamlet ; Lohengrin, fils de Parsifal ; Salomé ; Persée et Andromède, ou le plus heureux des trois ; Pan et la Syrinx, ou l’invention de la flûte à sept tuyaux. Le thème de Salomé, par ailleurs, se retrouve également chez Flaubert, chez Huysmans et chez le peintre Gustave Moreau, grand inspirateur de Huysmans. La décadence latine, particulièrement, fascine le héros de A Rebours qui décrit avec une vivacité de style exemplaire, la chute de l’empire romain : « Tout disparut dans la poussière des galops, dans la fumée des incendies. Les ténèbres se firent et les peuples consternés tremblèrent, écoutant passer, avec un fracas de tonnerre, l’épouvantable trombe. (…) L’Empire d’Occident croula sous le choc ; la vie agonisante qu’il traînait dans l’imbécillité et dans l’ordure, s’éteignit ; la fin de l’univers semblait d’ailleurs proche ; les cités oubliées par Attila étaient décimées par la famine et la peste ; le latin parut s’effondrer, à son tour, sous les ruines du monde. » (chapitre III). La mort d’une civilisation semble hanter les décadents…
Document 4. Bret Easton Ellis, American Psycho, 1991 (1993, 1998 pour la traduction française). Excipit
Quelqu’un a déjà sorti un téléphone cellulaire Minolta pour appeler un taxi et, alors que je n’écoute pas vraiment, observant un type en train de régler l’addition, qui ressemble singulièrement à Marcus Halbertstam, quelqu’un me demande « Pourquoi ? », comme ça, sans aucun lien avec quoi que ce soit et, très fier de mon sang-froid, de ma capacité à me contrôler et à faire ce que l’on attend de moi, j’attrape la question au vol, l’induit immédiatement, pourquoi ? et y réponds aussitôt, sans préparation, comme ça, j’ouvre la bouche, et des mots en sortent, un résumé simplifié à l’usage des imbéciles : « En fait, bien que je ne sache pertinemment que j’aurais du faire cela au lieu de ne pas le faire, j’ai vingt-sept ans, bon Dieu, et c’est ainsi que, euh, que les choses se présentent dans un bar ou dans une boîte, à New York, et partout, peut-être, en cette fin de siècle, et c’est ainsi que les gens, tu vois, les gens comme moi, se comportent, et voilà ce que signifie pour moi être Patrick, enfin, c’est ce que je pense, et donc, voilà, hein, euh… » Suit un soupir, un léger haussement d’épaules, un autre soupir et au-dessus d’une des portes, masquées par des tentures de velours rouge, il y a un panneau, et sur ce panneau, en lettres assorties à la couleur des tentures, est écrit : SANS ISSUE.

Travail à faire : Pour le Jeudi 7 janvier. Lire les textes présentés dans le corpus et préparer leur problématisation.

  • Jeudi 7 janvier.