Les élèves ont du talent… Le concours de nouvelles 2009 par la classe de Seconde 12…

Retrouvez chaque semaine un nouveau texte !
La classe de Seconde 12 s’est particulièrement investie dans le concours de nouvelles proposé par le Salon du livre du Montargois. Le sujet était libre mais l’écriture comportait deux contraintes : commencer obligatoirement par l’UNE de ces deux phrases : “Il était près de midi, et elle n’avait toujours pas donné signe de vie.” OU “Il avait la passion des vieilles pierres.”… et se terminer obligatoirement par l’UNE de ces deux phrases : “Il y eut affluence comme aux fêtes de fin d’année.” OU “Mais un père est un père et je suis sincèrement désolé.”
Challenge réussi pour la Seconde 12 ! Découvrez chaque semaine un texte particulièrement marquant. Aujourd’hui, laissez-vous emporter par la nouvelle de Kristina, élève allemande de la Seconde 12 qui vient de Greven, la ville jumelée avec Montargis… Comme vous allez le voir, non seulement Kristina maîtrise très bien notre langue, mais elle a su dans cette histoire bouleversante et pathétique évoquer magnifiquement les retrouvailles d’un fils et d’un père. L’action se situe à Tralee, en Irlande…
  

Un été

au bord des larmes

par Kristina S…

Il avait la passion des vieilles pierres. Lui, il était comme les vieilles pierres : ses yeux ne montraient rien que le vide : bleus et clairs (et dangereux). Je me trouvais juste à côté de lui et son souffle salin, qui étourdissait mes sens, venait vers moi comme un flot d’air de la mer. Ses vapeurs lourdes et tièdes m’entouraient, et chaque fois qu’il expirait, elles pénétraient encore plus mes poumons. tralee.1237923542.jpgC’était comme si cet homme regardait à travers moi, comme s’il me déchiffrait à travers le brouillard qui s’accumulait dans mon âme. J’ai eu même à un moment l’impression d’être composé d’air salin, bercé par l’invisible mer de ses yeux, sans contrôle aucun.

Tout à coup mon père se secoue et se précipite dehors… La porte se ferme brusquement. Tout ce qui restait, c’était moi avec beaucoup de peur et en même temps une incroyable admiration, ou du dépit, je ne sais pas. Je compris qu’il ne viendrait pas avec nous. Dans le couloir, j’ai vu deux valises : une pour moi, l’autre pour ma mère. Je savais bien aussi qu’il ne voudrait pas parler de ça, pas avec moi en tout cas ! N’importe : il suffisait de regarder le visage de ma mère pour savoir à quoi elle pensait, pourquoi elle souffrait. Pourtant ma mère est quelqu’un de vivant, quelqu’un de passionnant. Mais dans cette maison elle dépérissait, comme une fleur sans lumière… De quoi un homme a-t-il besoin ? Dans tous les cas, ma mère n’aurait pu le lui apporter… Oui, je comprenais qu’elle souffrait. Je comprenais de toute façon beaucoup en ce temps-là. Une chose restait pourtant mystérieuse : si ce dont ma mère avait tant besoin n’existait pas ici, qu’est-ce que mon père désirait ?

Le jour où nous sommes partis était un dimanche  orageux. Maman a appelé un taxi… Nous nous sommes assis au salon jusqu’à son arrivée. Elle m’a dit qu’elle avait trouvé du travail à Tralee, la grande ville la plus proche, et que tout deviendrait meilleur maintenant. Je n’ai pas eu l’impression qu’il y aurait quelque chose de cette existence qui me manquerait, mais j’étais quand même curieux de connaître cette « nouvelle vie ». Le taxi est arrivé, nous y sommes montés. Fin. Le dernier souvenir de ma vie dans la petite maison au bord de la mer, ce sont quelques larmes : mon père était assis sur une pierre avec vue sur le mugissant lointain. Il n’est pas venu pour nous dire « au revoir ». Il ne nous a même pas suivis des yeux. Mais je crois qu’il pensait à nous…

Je m’appelle Peter et j’ai vingt-six ans. Depuis mes dix ans, ma vie s’écoule à Tralee, au sud-ouest de l’Irlande. Le temps d’avant s’estompe dans ma mémoire : un morceau de temps déchiré de ma vie, un morceau de dix années… Pas plus que ça. Ma vie quotidienne ne se détache pas beaucoup de celle des autres : le travail et un peu de temps libre pour sortir avec les copains, histoire de boire une bière ou deux… tralee2.1237923588.jpgEst-ce que c’est ça la vie ? Les dimanches sont tristes comme des rendez-vous manqués. Ils s’en vont à la campagne pour rendre visite à leur famille…

Un souvenir me revient en mémoire… Le bar était vide, à part quelques ombres qui avaient échoué leurs malheurs dans leurs yeux de hasard ou à cause de l’alcool… Je me suis senti mal à l’aise : je ne suis pas une personne triste, et je n’ai pas non plus l’intention de le devenir ! En buvant ma bière qui devait m’aider à chasser ce petit chagrin passager, j’ai regardé autour de moi : d’abord John, dans le coin gauche ; sa femme l’a un jour flanqué à la porte après la troisième fois qu’il était revenu totalement saoul, à six heures du matin. Puis Henry, le barman, un type monstrueux, mais pas méchant pour deux sous. Mais mon regard se posa finalement sur un homme assis trois chaises plus loin, avec la tête baissée.

Le vertige se propageait en moi : ce n’était quand même pas cette bière insignifiante… Je me suis repris un peu, j’ai levé mes yeux, j’ai compté les chaises jusqu’à cet homme, mon regard a suivi la courbe de son dos, le mouvement de sa nuque, ses cheveux, et ce visage qui se tourne lentement,  le visage de mon père : ses yeux semblaient me regarder pour la première fois, et des rides supplémentaires avaient creusé son front… je n’ai même pas eu le temps d’achever mes pensées… J’ai remarqué que lui aussi me fixait, qu’il s’était levé pour me parler…

Il s’est avancé vers moi, calmement. Mais dans ma tête, les questions se sont empilées : pourquoi ? Et comme s’il répondait à mes pensées, j’ai entendu très distinctement le son de sa voix : « Je suis ici pour toi ». « Bonsoir Papa » fut ma réponse. Il ne disait rien. « Ecoute Papa, tu n’as pas à t’excuser »… Tout le monde n’a pas besoin des mêmes choses pour être heureux, mais nous tous désirons un peu d’amour…  Je n’ai plus jamais revu mon père, après ce soir-là, mais je sais qu’il pense à moi. Moi aussi je songerai à lui : ses derniers mots furent comme un exil : « Mais un père est un père et je suis sincèrement désolé ».

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Guide méthodologique d'aide à l'expression écrite. Corrigé et entraînement n°2…

Classes de Première…

Voici le corrigé du premier exercice et le deuxième exercice (à rendre jeudi 26 mars). Désolé pour ce léger retard mais j’ai tenu compte d’une part des mouvements sociaux empêchant certains élèves de me rendre à temps leur travail lors du cours de Français le jeudi 19 mars. Par ailleurs l’organisation du Salon du Livre de Montargis où toutes les classes exposent, ainsi que la préparation de la Journée Portes Ouvertes m’ont demandé un très lourd investissement.
Rappel du calendrier d’entraînement :
  • Dimanche 8 mars : exploiter la métaphore filée, les anaphores, les interrogations oratoires
  • Samedi 21 mars : rédiger un réquisitoire ou un plaidoyer (+ corrigé n°1)
  • Vendredi 27 mars : structurer un paragraphe argumentatif (+ corrigé n°2)
  • Jeudi 02 avril : introduire et conclure un écrit d’invention (+ corrigé n°3)

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Entraînement n°1… Le corrigé !

Métaphore filée, anaphores, interrogations oratoires

Comme vous le savez, la métaphore filée est une métaphore qui se prolonge. En fait, c’est une succession de métaphores  ou de comparaisons développées, parfois dans tout un paragraphe et qui s’appuient le plus souvent sur un même réseau lexical. Si elle est très employée en poésie, la métaphore filée constitue également un procédé oratoire de premier plan. Il vous était demandé dans ce premier exercice de « filer » la métaphore dans un discours vous amenant à plaider pour plus de justice sociale. Vous deviez par ailleurs utiliser obligatoirement  le champ lexical du voyage ou du déplacement. Quelques erreurs ont été commises, mais il y a eu également de bonnes surprises. Voyons tout cela ensemble…

Au niveau des difficultés, le (rare) contresens a consisté pour certain(e)s à parler du voyage. Attention : là, c’est une faute majeure dans la mesure où le thème ne portait pas sur le voyage mais sur la justice sociale (le comparé). Le voyage constituait donc le comparant. 

Voyons maintenant quelques extraits de propositions. J’ai sélectionné une élève de Première ES4, et deux élèves de Première S5 :

Propositions d’élèves

L’avis du Prof

« Plus de justice sociale permettra d’améliorer les conditions de vie et le monde : il faut en effet briser les routes qui nous séparent, briser les routes de l’indifférence… »  Ici, l’idée de départ était convaincante ; en revanche, le verbe briser ne convient pas pour une « route ». De plus, le mot route a une connotation positive (la route, c’est ce qui conduit symboliquement à l’avenir) : il était donc maladroit d’associer le terme à un sens négatif. Il valait mieux par exemple utiliser le terme « barrière » qui suggère bien l’idée de fermeture et d’ethnocentrisme, par opposition à la route, symbole d’ouverture culturelle.
« Malheureusement, dans un monde où la loi du « chacun pour soi » plane sur la plupart des hommes, il est difficile pour les plus démunis de voguer tranquillement sur des rivières de bonheur. Marchons ensemble vers une nouvelle destination, vers une meilleure fin de voyage, vers un Eldorado de fraternité. » On repère bien ici la métaphore filée. Quelques termes en revanche semblent parfois un peu maladroits : l’adverbe « tranquillement » paraît un peu banal, associé à l’idée de bonheur, qui est un concept moral et spirituel fort. L’expression « rivières de bonheur » est une bonne idée mais personnellement j’aurais employé l’expression « les rivières du bonheur » plus marquante par l’emploi du déterminant défini. De même, je n’ai pas été très convaincu par l’expression « meilleure fin de voyage » qui donne une impression un peu morbide (le dernier voyage…). Bravo par contre pour « L’Eldorado de fraternité ». Voilà une façon originale de se réapproprier le chapitre 18 de Candide !
« Le monde, c’est notre voyage à tous. [… Il faut] s’envoler vers les contrées inexplorées de l’esprit’ Je trouve ce passage très judicieux. La problématique selon laquelle le monde pourrait être un voyage suggère non seulement l’idée de progrès, mais en même temps elle amène symboliquement à l’idée de positivisme, donc de dynamisme social. En outre, l’expression de « contrées inexplorées » me semble appropriée car une contrée, par définition, c’est une « étendue de pays », donc on retrouve là encore l’idée d’un territoire à conquérir !
« Plus de justice sociale nous permettra d’évoluer, d’avancer sur la route de l’égalité. Nous devons voguer vers un monde meilleur, où tous les chemins mènent au bonheur. Il n’est pas trop tard pour nous envoler vers un monde plus respectueux des valeurs sans sombrer sous les nuages du racisme et de l’égoïsme. La métaphore filée apparaît bien ici. Le champ lexical de l’envol est exploité avec pertinence : l’opposition des nuages et du ciel renvoie de façon allégorique au malheur et au bonheur. Le filon aurait pu être d’ailleurs davantage creusé !

Propositions de corrigé

Concernant les interrogations oratoires, pas de problème, vous les maîtrisez bien. En revanche, j’ai été souvent déçu par les anaphores : à part « Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs »… Beaucoup d’entre vous sont en panne d’inspiration ! Par définition, l’anaphore se doit d’être originale. Répéter une formule banale ne sert strictement à rien, sinon à alourdir et à laisser une impression défavorable chez le correcteur (« Propos indigents, peu d’intérêt, manque d’originalité », etc.). Il faut au contraire choisir une formule frappante, susceptible de marquer votre lecteur ou votre auditeur. Pensez par exemple à l’univers de la chanson ; le refrain est caractéristique de l’anaphore : souvent les sonorités (allitérations ou assonances) peuvent jouer un rôle clé dans ce processus d’insistance. Dans sa chanson célèbre « SOS d’un terrien en détresse » (1978), Balavoine joue avec les allitérations en |s| qui créent ici une insistance pathétique et sollicitent l’attention de l’auditeur. L’anaphore est souvent investie par le destinataire d’une charge symbolique forte qu’il est intéressant d’exploiter. Regardez ce passage du discours de François Mitterrand, le 8 mai 1988, à l’annonce de sa victoire : outre la tonalité, empreinte de solennité et de lyrisme, les reprises anaphoriques, associées aux correspondances sonores en |o| permettent de renforcer l’impératif de la solidarité nationale : « Il y a trop d’angoisses, trop de difficultés, trop d’incertitudes pour trop des nôtres dans notre société, pour que nous oublions que le premier devoir est celui de la solidarité nationale. Chacun selon ses moyens doit concourir au bien de tous. »
 
La métaphore filée du voyage…

Le sujet vous invitait prioritairement à exploiter la métaphore filée sur le thème du voyage, du déplacement. L’éventail de mots à utiliser était très large : « chemin, route, avenue, autoroute, se déplacer, partir, là-bas, horizon, ailleurs, avenir, parcours/parcourir, itinéraire, horizon, etc. » Comment ne pas évoquer ici ces propos à juste titre si connus du Général de GAULLE à Matignon, lors de son retour au pouvoir le 13 juin 1958 ? « La route est dure mais qu’elle est belle ! Le but est difficile mais qu’il est grand ! Allons ! Le Départ est donné ! » Les mots de « route », de « but » et de « Départ » résonnent comme un « appel » (les Français de l’époque ont dû songer au célèbre « Appel » du 18 juin) vers la rénovation de la politique, et la fraternité. Comme vous le voyez, la métaphore filée joue avec les codes culturels et affectifs inscrits souvent dans l’inconscient collectif : c’est là  son intérêt dans le discours.
Mon corrigé

Pour ce corrigé, je suis resté dans le lyrisme politique et l’éloquence des exemples précédents afin de vous montrer comment une idée simple peut être exploitée sur le plan oratoire.

« Mesdames et Messieurs, frères d’armes et de larmes, un chemin s’ouvre à nous si vous le souhaitez. Mais d’abord, il faut accepter de courir le risque. Car je ne vous propose pas une aventure, ordinaire, commune, banale parmi d’autres… Non : l’aventure que je vous propose est l’Aventure humaine, la grande Aventure de l’Histoire et de l’Homme. Franchissons ensemble si vous le voulez les barrières de l’indifférence, les terrains clos de l’ethnocentrisme, les champs clôturés de la haine qui n’ouvrent aucune perspective. Partons vers Demain : l’avenir nous tend les mains.
Mesdames et Messieurs, frères d’armes et de larmes, le départ que je vous propose est d’abord une avancée vers plus de justice sociale, cette grande aventure que je vous demande de vivre avec moi, notre grande aventure ne pourra se faire qu’avec davantage de solidarité et de fraternité. Oui, c’est tous ensemble que nous réussirons. Ne dites pas que le départ est impossible. Auriez-vous peur d’être vous-même ? Ne croyez pas qu’une autre voie n’est pas envisageable. Abandonneriez-vous à l’indifférence et aux désillusions votre courage, vos valeurs, votre foi en l’espérance ?
Non : je sais que vous êtes capable de marcher sur la route qui se dessine devant vous. Qu’importent les pierres sur le chemin ? Nous réussirons. Qu’importent les obstacles ? Nous les franchirons. Qu’importent les montagnes puisqu’il y a des sommets à franchir et que nous les franchirons. Mesdames et Messieurs, frères d’armes et de larmes, je sais que les avenues de l’Histoire s’ouvriront devant nous si nous les empruntons. Regardez : la vie est en partance, de toute part des hommes et des femmes s’engagent dans le chemin.  Alors, la question que je vous pose aujourd’hui est simple : êtes-vous prêts à tenter l’Aventure ? Voulez-vous transformer une volonté en Histoire ? »
________________
Analyse…
Comme vous le voyez, j’ai également exploité ici la technique de la gradation ternaire : une série de trois mots vont en progression afin d’amplifier l’idée selon une logique de dramatisation : « les barrières de l’indifférence, les terrains clos de l’ethnocentrisme, les champs clôturés de la haine « . On a même ici une double gradation ternaire : barrières, terrains clos, champs clôturés d’une part ; indifférence, ethnocentrisme, haine d’autre part. Une bonne idée aussi est d’interpeller le destinataire en le faisant parler à sa place. Cela fonctionne très bien avec les interrogations oratoires selon une logique antithétique : « Ne dites pas que le départ est impossible. Auriez-vous peur d’être vous-même ? Ne croyez pas qu’une autre voie n’est pas envisageable. Abandonneriez-vous à l’indifférence et aux désillusions votre courage, vos valeurs, votre foi en l’espérance ?« . Au passage, vous remarquerez que la deuxième interrogation oratoire s’achève à nouveau sur une gradation ternaire : « courage, valeurs, foi » qui permet de faire passer l’action du terrain de la vertu (le courage) à celui de la morale (les valeurs) et enfin de l’adhésion spirituelle (la foi).

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Exercice n°2 : rédiger un réquisitoire ou un plaidoyer

Dans cet entraînement, je vous invite à travailler sur le réquisitoire et le plaidoyer. Ces exercices étant souvent proposés à l’EAF, il est important que vous les maîtrisiez. Tout d’abord, allez voir sur site-magister.com les rappels utiles consacrés aux techniques de persuasion, et plus particulièrement au registre oratoire. Comme vous le voyez, le plaidoyer et le réquisitoire sont évalués au Baccalauréat selon des critères précis que vous devez respecter.
Sujet : dans un discours devant un public de députés européens, vous cherchez à justifier ou au contraire à dénoncer la généralisation de l’Anglais comme langue de trvail unique au Parlement européen. Quelle que soit votre prise de position, vous rédigerez obligatoirement 3 paragraphes centrés chacun sur UNE seule idée. Vous devez donc trouver en tout TROIS idées, que vous exposerez selon une logique de progression (du moins important au plus important). Bien entendu, vous devez exploiter toutes les techniques oratoires vues jusqu’ici, y compris celles proposées dans le corrigé.

Rappel concernant la structure du paragraphe argumentatif… Un paragraphe argumentatif est composé de la façon suivante :
  1. On annonce l’idée.
  2. On la développe, on l’approfondit.
  3. On l’illustre avec un ou deux exemples.

Même si un discours n’obéira pas tout à fait à la même rigueur de construction qu’une dissertation (du fait même de sa charge émotionnelle et affective), il doit cependant respecter cette structure selon une logique clairement identifiable.
AVANT de commencer, regardez bien le tableau ci-dessous qui fait le point sur le plaidoyer et le réquisitoire.

PLAIDOYER

RÉQUISITOIRE

Qui parle ? Il s’agit d’un discours. Donc la fonction expressive du langage sera privilégiée (emploi du je + implication forte de l’énonciateur)
A qui ?

Utilisation de la fonction impressive (ou conative) : la fonction conative met l’accent sur le destinataire, en cherchant à agir sur lui : le but est de mettre en cause le récepteur (une personne, le public, vos lecteurs) en le contraignant à faire quelque chose qui va dans votre sens.

De qui,
de quoi ?
D’une personne ou d’une cause qu’on cherchera à défendre. D’une personne ou d’une cause qu’on cherchera à discréditer (le héros que l’on croyait n’est en fait qu’un coupable ; la thèse que certains défendent est fausse et illusoire).
Lexique Laudatif (louer quelqu’un, faire son éloge) et mélioratif (termes à connotation positive)

Péjoratif et dépréciatif

Registre

Lyrique, pathétique et injonctif

Polémique et injonctif

Procédés oratoires

Antithèses, Interrogations oratoires, anaphores, injonctions, exclamations exprimant l’émotion, la colère, l’indignation ; phrases rythmées sur le principe de la gradation ternaire, etc.

Parcours argumentatif visible et ciblé (cohérence des arguments, forte visée démonstrative, nécessité d’aller du moins important au plus important.

Bonne chance à vous. N’oubliez pas de me remettre vos propositions avant vendredi 27 mars, 21:00 pour bénéficier du bonus !

Guide méthodologique d’aide à l’expression écrite. Corrigé et entraînement n°2…

Classes de Première…

Voici le corrigé du premier exercice et le deuxième exercice (à rendre jeudi 26 mars). Désolé pour ce léger retard mais j’ai tenu compte d’une part des mouvements sociaux empêchant certains élèves de me rendre à temps leur travail lors du cours de Français le jeudi 19 mars. Par ailleurs l’organisation du Salon du Livre de Montargis où toutes les classes exposent, ainsi que la préparation de la Journée Portes Ouvertes m’ont demandé un très lourd investissement.
Rappel du calendrier d’entraînement :
  • Dimanche 8 mars : exploiter la métaphore filée, les anaphores, les interrogations oratoires
  • Samedi 21 mars : rédiger un réquisitoire ou un plaidoyer (+ corrigé n°1)
  • Vendredi 27 mars : structurer un paragraphe argumentatif (+ corrigé n°2)
  • Jeudi 02 avril : introduire et conclure un écrit d’invention (+ corrigé n°3)

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Entraînement n°1… Le corrigé !

Métaphore filée, anaphores, interrogations oratoires

Comme vous le savez, la métaphore filée est une métaphore qui se prolonge. En fait, c’est une succession de métaphores  ou de comparaisons développées, parfois dans tout un paragraphe et qui s’appuient le plus souvent sur un même réseau lexical. Si elle est très employée en poésie, la métaphore filée constitue également un procédé oratoire de premier plan. Il vous était demandé dans ce premier exercice de « filer » la métaphore dans un discours vous amenant à plaider pour plus de justice sociale. Vous deviez par ailleurs utiliser obligatoirement  le champ lexical du voyage ou du déplacement. Quelques erreurs ont été commises, mais il y a eu également de bonnes surprises. Voyons tout cela ensemble…

Au niveau des difficultés, le (rare) contresens a consisté pour certain(e)s à parler du voyage. Attention : là, c’est une faute majeure dans la mesure où le thème ne portait pas sur le voyage mais sur la justice sociale (le comparé). Le voyage constituait donc le comparant. 

Voyons maintenant quelques extraits de propositions. J’ai sélectionné une élève de Première ES4, et deux élèves de Première S5 :

Propositions d’élèves

L’avis du Prof

« Plus de justice sociale permettra d’améliorer les conditions de vie et le monde : il faut en effet briser les routes qui nous séparent, briser les routes de l’indifférence… »  Ici, l’idée de départ était convaincante ; en revanche, le verbe briser ne convient pas pour une « route ». De plus, le mot route a une connotation positive (la route, c’est ce qui conduit symboliquement à l’avenir) : il était donc maladroit d’associer le terme à un sens négatif. Il valait mieux par exemple utiliser le terme « barrière » qui suggère bien l’idée de fermeture et d’ethnocentrisme, par opposition à la route, symbole d’ouverture culturelle.
« Malheureusement, dans un monde où la loi du « chacun pour soi » plane sur la plupart des hommes, il est difficile pour les plus démunis de voguer tranquillement sur des rivières de bonheur. Marchons ensemble vers une nouvelle destination, vers une meilleure fin de voyage, vers un Eldorado de fraternité. » On repère bien ici la métaphore filée. Quelques termes en revanche semblent parfois un peu maladroits : l’adverbe « tranquillement » paraît un peu banal, associé à l’idée de bonheur, qui est un concept moral et spirituel fort. L’expression « rivières de bonheur » est une bonne idée mais personnellement j’aurais employé l’expression « les rivières du bonheur » plus marquante par l’emploi du déterminant défini. De même, je n’ai pas été très convaincu par l’expression « meilleure fin de voyage » qui donne une impression un peu morbide (le dernier voyage…). Bravo par contre pour « L’Eldorado de fraternité ». Voilà une façon originale de se réapproprier le chapitre 18 de Candide !
« Le monde, c’est notre voyage à tous. [… Il faut] s’envoler vers les contrées inexplorées de l’esprit’ Je trouve ce passage très judicieux. La problématique selon laquelle le monde pourrait être un voyage suggère non seulement l’idée de progrès, mais en même temps elle amène symboliquement à l’idée de positivisme, donc de dynamisme social. En outre, l’expression de « contrées inexplorées » me semble appropriée car une contrée, par définition, c’est une « étendue de pays », donc on retrouve là encore l’idée d’un territoire à conquérir !
« Plus de justice sociale nous permettra d’évoluer, d’avancer sur la route de l’égalité. Nous devons voguer vers un monde meilleur, où tous les chemins mènent au bonheur. Il n’est pas trop tard pour nous envoler vers un monde plus respectueux des valeurs sans sombrer sous les nuages du racisme et de l’égoïsme. La métaphore filée apparaît bien ici. Le champ lexical de l’envol est exploité avec pertinence : l’opposition des nuages et du ciel renvoie de façon allégorique au malheur et au bonheur. Le filon aurait pu être d’ailleurs davantage creusé !

Propositions de corrigé

Concernant les interrogations oratoires, pas de problème, vous les maîtrisez bien. En revanche, j’ai été souvent déçu par les anaphores : à part « Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs »… Beaucoup d’entre vous sont en panne d’inspiration ! Par définition, l’anaphore se doit d’être originale. Répéter une formule banale ne sert strictement à rien, sinon à alourdir et à laisser une impression défavorable chez le correcteur (« Propos indigents, peu d’intérêt, manque d’originalité », etc.). Il faut au contraire choisir une formule frappante, susceptible de marquer votre lecteur ou votre auditeur. Pensez par exemple à l’univers de la chanson ; le refrain est caractéristique de l’anaphore : souvent les sonorités (allitérations ou assonances) peuvent jouer un rôle clé dans ce processus d’insistance. Dans sa chanson célèbre « SOS d’un terrien en détresse » (1978), Balavoine joue avec les allitérations en |s| qui créent ici une insistance pathétique et sollicitent l’attention de l’auditeur. L’anaphore est souvent investie par le destinataire d’une charge symbolique forte qu’il est intéressant d’exploiter. Regardez ce passage du discours de François Mitterrand, le 8 mai 1988, à l’annonce de sa victoire : outre la tonalité, empreinte de solennité et de lyrisme, les reprises anaphoriques, associées aux correspondances sonores en |o| permettent de renforcer l’impératif de la solidarité nationale : « Il y a trop d’angoisses, trop de difficultés, trop d’incertitudes pour trop des nôtres dans notre société, pour que nous oublions que le premier devoir est celui de la solidarité nationale. Chacun selon ses moyens doit concourir au bien de tous. »
 
La métaphore filée du voyage…

Le sujet vous invitait prioritairement à exploiter la métaphore filée sur le thème du voyage, du déplacement. L’éventail de mots à utiliser était très large : « chemin, route, avenue, autoroute, se déplacer, partir, là-bas, horizon, ailleurs, avenir, parcours/parcourir, itinéraire, horizon, etc. » Comment ne pas évoquer ici ces propos à juste titre si connus du Général de GAULLE à Matignon, lors de son retour au pouvoir le 13 juin 1958 ? « La route est dure mais qu’elle est belle ! Le but est difficile mais qu’il est grand ! Allons ! Le Départ est donné ! » Les mots de « route », de « but » et de « Départ » résonnent comme un « appel » (les Français de l’époque ont dû songer au célèbre « Appel » du 18 juin) vers la rénovation de la politique, et la fraternité. Comme vous le voyez, la métaphore filée joue avec les codes culturels et affectifs inscrits souvent dans l’inconscient collectif : c’est là  son intérêt dans le discours.

Mon corrigé

Pour ce corrigé, je suis resté dans le lyrisme politique et l’éloquence des exemples précédents afin de vous montrer comment une idée simple peut être exploitée sur le plan oratoire.

« Mesdames et Messieurs, frères d’armes et de larmes, un chemin s’ouvre à nous si vous le souhaitez. Mais d’abord, il faut accepter de courir le risque. Car je ne vous propose pas une aventure, ordinaire, commune, banale parmi d’autres… Non : l’aventure que je vous propose est l’Aventure humaine, la grande Aventure de l’Histoire et de l’Homme. Franchissons ensemble si vous le voulez les barrières de l’indifférence, les terrains clos de l’ethnocentrisme, les champs clôturés de la haine qui n’ouvrent aucune perspective. Partons vers Demain : l’avenir nous tend les mains.

Mesdames et Messieurs, frères d’armes et de larmes, le départ que je vous propose est d’abord une avancée vers plus de justice sociale, cette grande aventure que je vous demande de vivre avec moi, notre grande aventure ne pourra se faire qu’avec davantage de solidarité et de fraternité. Oui, c’est tous ensemble que nous réussirons. Ne dites pas que le départ est impossible. Auriez-vous peur d’être vous-même ? Ne croyez pas qu’une autre voie n’est pas envisageable. Abandonneriez-vous à l’indifférence et aux désillusions votre courage, vos valeurs, votre foi en l’espérance ?

Non : je sais que vous êtes capable de marcher sur la route qui se dessine devant vous. Qu’importent les pierres sur le chemin ? Nous réussirons. Qu’importent les obstacles ? Nous les franchirons. Qu’importent les montagnes puisqu’il y a des sommets à franchir et que nous les franchirons. Mesdames et Messieurs, frères d’armes et de larmes, je sais que les avenues de l’Histoire s’ouvriront devant nous si nous les empruntons. Regardez : la vie est en partance, de toute part des hommes et des femmes s’engagent dans le chemin.  Alors, la question que je vous pose aujourd’hui est simple : êtes-vous prêts à tenter l’Aventure ? Voulez-vous transformer une volonté en Histoire ? »

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Analyse…

Comme vous le voyez, j’ai également exploité ici la technique de la gradation ternaire : une série de trois mots vont en progression afin d’amplifier l’idée selon une logique de dramatisation : « les barrières de l’indifférence, les terrains clos de l’ethnocentrisme, les champs clôturés de la haine « . On a même ici une double gradation ternaire : barrières, terrains clos, champs clôturés d’une part ; indifférence, ethnocentrisme, haine d’autre part. Une bonne idée aussi est d’interpeller le destinataire en le faisant parler à sa place. Cela fonctionne très bien avec les interrogations oratoires selon une logique antithétique : « Ne dites pas que le départ est impossible. Auriez-vous peur d’être vous-même ? Ne croyez pas qu’une autre voie n’est pas envisageable. Abandonneriez-vous à l’indifférence et aux désillusions votre courage, vos valeurs, votre foi en l’espérance ?« . Au passage, vous remarquerez que la deuxième interrogation oratoire s’achève à nouveau sur une gradation ternaire : « courage, valeurs, foi » qui permet de faire passer l’action du terrain de la vertu (le courage) à celui de la morale (les valeurs) et enfin de l’adhésion spirituelle (la foi).

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Exercice n°2 : rédiger un réquisitoire ou un plaidoyer

Dans cet entraînement, je vous invite à travailler sur le réquisitoire et le plaidoyer. Ces exercices étant souvent proposés à l’EAF, il est important que vous les maîtrisiez. Tout d’abord, allez voir sur site-magister.com les rappels utiles consacrés aux techniques de persuasion, et plus particulièrement au registre oratoire. Comme vous le voyez, le plaidoyer et le réquisitoire sont évalués au Baccalauréat selon des critères précis que vous devez respecter.

Sujet : dans un discours devant un public de députés européens, vous cherchez à justifier ou au contraire à dénoncer la généralisation de l’Anglais comme langue de trvail unique au Parlement européen. Quelle que soit votre prise de position, vous rédigerez obligatoirement 3 paragraphes centrés chacun sur UNE seule idée. Vous devez donc trouver en tout TROIS idées, que vous exposerez selon une logique de progression (du moins important au plus important). Bien entendu, vous devez exploiter toutes les techniques oratoires vues jusqu’ici, y compris celles proposées dans le corrigé.

Rappel concernant la structure du paragraphe argumentatif… Un paragraphe argumentatif est composé de la façon suivante :
  1. On annonce l’idée.
  2. On la développe, on l’approfondit.
  3. On l’illustre avec un ou deux exemples.

Même si un discours n’obéira pas tout à fait à la même rigueur de construction qu’une dissertation (du fait même de sa charge émotionnelle et affective), il doit cependant respecter cette structure selon une logique clairement identifiable.

AVANT de commencer, regardez bien le tableau ci-dessous qui fait le point sur le plaidoyer et le réquisitoire.

PLAIDOYER

RÉQUISITOIRE

Qui parle ? Il s’agit d’un discours. Donc la fonction expressive du langage sera privilégiée (emploi du je + implication forte de l’énonciateur)
A qui ?

Utilisation de la fonction impressive (ou conative) : la fonction conative met l’accent sur le destinataire, en cherchant à agir sur lui : le but est de mettre en cause le récepteur (une personne, le public, vos lecteurs) en le contraignant à faire quelque chose qui va dans votre sens.

De qui,
de quoi ?
D’une personne ou d’une cause qu’on cherchera à défendre. D’une personne ou d’une cause qu’on cherchera à discréditer (le héros que l’on croyait n’est en fait qu’un coupable ; la thèse que certains défendent est fausse et illusoire).
Lexique Laudatif (louer quelqu’un, faire son éloge) et mélioratif (termes à connotation positive)

Péjoratif et dépréciatif

Registre

Lyrique, pathétique et injonctif

Polémique et injonctif

Procédés oratoires

Antithèses, Interrogations oratoires, anaphores, injonctions, exclamations exprimant l’émotion, la colère, l’indignation ; phrases rythmées sur le principe de la gradation ternaire, etc.

Parcours argumentatif visible et ciblé (cohérence des arguments, forte visée démonstrative, nécessité d’aller du moins important au plus important.

Bonne chance à vous. N’oubliez pas de me remettre vos propositions avant vendredi 27 mars, 21:00 pour bénéficier du bonus !

Entraînement BTS n°3… "Faire voir esthétiquement la laideur"

bts2009.1232872062.jpgLes entraînements BTS

Entraînement n°3. Thème 1 (« Faire voir ») : esthétique de la laideur…

Je vous propose dans cet entraînement un sujet inédit tout à fait dans l’optique de l’examen, mais qui va vous changer des sujets habituellement posés. Ce corpus en effet vous amènera à réfléchir à la manière de faire voir et de se représenter le beau ou la laideur. Comme le dit Voltaire, le beau est « relatif ». Cette problématique conduit ainsi à travailler sur un terme qui n’est pas simple à définir : le beau est-il toujours « esthétique » ? La laideur est-elle forcément « moche » à voir ? Le corpus ainsi que l’écriture personnelle sont difficiles : de fait, c’est la fonction de l’art qui se trouve posée ici : ne serait-il pas parfois un détournement de la beauté ? De Baudelaire à l’expo Trash en passant par le peintre Bacon, il y a une sorte de jeu de la transgression et de la provocation : faire voir la laideur, n’est-ce pas donner une valeur esthétique à ce qui est considéré comme repoussant, vulgaire, indécent ou obscène ?

Niveau de difficulté : *** (* accessible ; ** moyennement difficile ; *** difficile)

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  • Document 1 Voltaire, article « Beau » du Dictionnaire philosophique (1764).

« Puisque nous avons cité Platon sur l’amour, pourquoi ne le citerions-nous pas sur le beau, puisque le beau se fait aimer? On sera peut-être curieux de savoir comment un Grec parlait du beau il y a plus de deux mille ans.

« L’homme expié dans les mystères sacrés, quand il voit un beau visage décoré d’une forme divine, ou bien quelque espèce incorporelle, sent d’abord un frémissement secret, et je ne sais quelle crainte respectueuse; il regarde cette figure comme une divinité…. quand l’influence de la beauté entre dans son âme par les yeux, il s’échauffe: les ailes de son âme sont arrosées; elles perdent leur dureté qui retenait leur germe; elles se liquéfient; ces germes enflés dans les racines de ses ailes s’efforcent de sortir par toute l’espèce de l’âme » (car l’âme avait des ailes autrefois), etc.

Je veux croire que rien n’est plus beau que ce discours de Platon; mais il ne nous donne pas des idées bien nettes de la nature du beau.

Demandez à un crapaud ce que c’est que la beauté, le grand beau, le to kalon (*). Il vous répondra que c’est sa crapaude avec deux gros yeux ronds sortant de sa petite tête, une gueule large et plate, un ventre jaune, un dos brun. Interrogez un nègre de Guinée; le beau est pour lui une peau noire, huileuse, des yeux enfoncés, un nez épaté.

Interrogez le diable; il vous dira que le beau est une paire de cornes, quatre griffes, et une queue. Consultez enfin les philosophes, ils vous répondront par du galimatias; il leur faut quelque chose de conforme à l’archétype du beau en essence, au to kalon.

J’assistais un jour à une tragédie auprès d’un philosophe. « Que cela est beau! disait-il. — Que trouvez-vous là de beau? lui dis-je. — C’est, dit-il, que l’auteur a atteint son but. » Le lendemain il prit une médecine qui lui fit du bien. « Elle a atteint son but, lui dis-je; voilà une belle médecine! » Il comprit qu’on ne peut pas dire qu’une médecine est belle, et que pour donner à quelque chose le nom de beauté, il faut qu’elle vous cause de l’admiration et du plaisir. Il convint que cette tragédie lui avait inspiré ces deux sentiments, et que c’était là le to kalon, le beau.

Nous fîmes un voyage en Angleterre: on y joua la même pièce, parfaitement traduite; elle fit bâiller tous les spectateurs. « Oh, oh! dit-il, le to kalon n’est pas le même pour les Anglais et pour les Français. Il conclut, après bien des réflexions, que le beau est souvent très relatif, comme ce qui est décent au Japon est indécent à Rome, et ce qui est de mode à Paris ne l’est pas à Pékin; et il s’épargna la peine de composer un long traité sur le beau. »

(*) To kalon : le beau (en grec)
  • Document 2 Baudelaire, « Une charogne » Les Fleurs du mal (1857)

  • Document 3 Renaud Revel, « L’exposition Trash… Des poubelles et des hommes » (L’Express du 13 mars 2007)

  • Document 4 Francis Bacon, « Autoportrait », 1976 (Huile et pastel sur toile, Musée Cantini de Marseille) © ADAGP. Photographe : cliché Jean Bernard bacon.1289732084.jpg

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Proposition d’écriture personnelle : selon vous, la représentation de la laideur peut-elle avoir un intérêt artistique ?

Entraînement BTS n°3… « Faire voir esthétiquement la laideur »

Les entraînements BTS

Entraînement n°3. Thème 1 (« Faire voir ») : esthétique de la laideur…

Je vous propose dans cet entraînement un sujet inédit tout à fait dans l’optique de l’examen, mais qui va vous changer des sujets habituellement posés. Ce corpus en effet vous amènera à réfléchir à la manière de faire voir et de se représenter le beau ou la laideur. Comme le dit Voltaire, le beau est « relatif ». Cette problématique conduit ainsi à travailler sur un terme qui n’est pas simple à définir : le beau est-il toujours « esthétique » ? La laideur est-elle forcément « moche » à voir ? Le corpus ainsi que l’écriture personnelle sont difficiles : de fait, c’est la fonction de l’art qui se trouve posée ici : ne serait-il pas parfois un détournement de la beauté ? De Baudelaire à l’expo Trash en passant par le peintre Bacon, il y a une sorte de jeu de la transgression et de la provocation : faire voir la laideur, n’est-ce pas donner une valeur esthétique à ce qui est considéré comme repoussant, vulgaire, indécent ou obscène ?

Niveau de difficulté : *** (* accessible ; ** moyennement difficile ; *** difficile)

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  • Document 1 Voltaire, article « Beau » du Dictionnaire philosophique (1764).

« Puisque nous avons cité Platon sur l’amour, pourquoi ne le citerions-nous pas sur le beau, puisque le beau se fait aimer? On sera peut-être curieux de savoir comment un Grec parlait du beau il y a plus de deux mille ans.

« L’homme expié dans les mystères sacrés, quand il voit un beau visage décoré d’une forme divine, ou bien quelque espèce incorporelle, sent d’abord un frémissement secret, et je ne sais quelle crainte respectueuse; il regarde cette figure comme une divinité…. quand l’influence de la beauté entre dans son âme par les yeux, il s’échauffe: les ailes de son âme sont arrosées; elles perdent leur dureté qui retenait leur germe; elles se liquéfient; ces germes enflés dans les racines de ses ailes s’efforcent de sortir par toute l’espèce de l’âme » (car l’âme avait des ailes autrefois), etc.

Je veux croire que rien n’est plus beau que ce discours de Platon; mais il ne nous donne pas des idées bien nettes de la nature du beau.

Demandez à un crapaud ce que c’est que la beauté, le grand beau, le to kalon (*). Il vous répondra que c’est sa crapaude avec deux gros yeux ronds sortant de sa petite tête, une gueule large et plate, un ventre jaune, un dos brun. Interrogez un nègre de Guinée; le beau est pour lui une peau noire, huileuse, des yeux enfoncés, un nez épaté.

Interrogez le diable; il vous dira que le beau est une paire de cornes, quatre griffes, et une queue. Consultez enfin les philosophes, ils vous répondront par du galimatias; il leur faut quelque chose de conforme à l’archétype du beau en essence, au to kalon.

J’assistais un jour à une tragédie auprès d’un philosophe. « Que cela est beau! disait-il. — Que trouvez-vous là de beau? lui dis-je. — C’est, dit-il, que l’auteur a atteint son but. » Le lendemain il prit une médecine qui lui fit du bien. « Elle a atteint son but, lui dis-je; voilà une belle médecine! » Il comprit qu’on ne peut pas dire qu’une médecine est belle, et que pour donner à quelque chose le nom de beauté, il faut qu’elle vous cause de l’admiration et du plaisir. Il convint que cette tragédie lui avait inspiré ces deux sentiments, et que c’était là le to kalon, le beau.

Nous fîmes un voyage en Angleterre: on y joua la même pièce, parfaitement traduite; elle fit bâiller tous les spectateurs. « Oh, oh! dit-il, le to kalon n’est pas le même pour les Anglais et pour les Français. Il conclut, après bien des réflexions, que le beau est souvent très relatif, comme ce qui est décent au Japon est indécent à Rome, et ce qui est de mode à Paris ne l’est pas à Pékin; et il s’épargna la peine de composer un long traité sur le beau. »

(*) To kalon : le beau (en grec)

  • Document 2 Baudelaire, « Une charogne » Les Fleurs du mal (1857)

  • Document 3 Renaud Revel, « L’exposition Trash… Des poubelles et des hommes » (L’Express du 13 mars 2007)

  • Document 4 Francis Bacon, « Autoportrait », 1976 (Huile et pastel sur toile, Musée Cantini de Marseille) © ADAGP. Photographe : cliché Jean Bernard

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Proposition d’écriture personnelle : selon vous, la représentation de la laideur peut-elle avoir un intérêt artistique ?

La citation de la semaine… Olympe de Gouges…

« Femme, réveille-toi ! »

Femme, réveille-toi ! Le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l’univers ; reconnais tes droits. Le puissant empire de la nature n’est plus environné de préjugés, de fanatisme, de superstition et de mensonges. Le flambeau de la vérité a dissipé tous les nuages de la sottise et de l’usurpation. L’homme esclave a multiplié ses forces, a eu besoin de recourir aux tiennes pour briser ses fers. Devenu libre, il est devenu injuste envers sa compagne. Ô femmes ! Femmes, quand cesserez-vous d’être aveugles ? Quels sont les avantages que vous avez recueillis dans la révolution ? Un mépris plus marqué, un dédain plus signalé. Dans les siècles de corruption vous n’avez régné que sur la faiblesse des hommes. Votre empire est détruit ; que vous reste-t-il donc ? La conviction des injustices de l’homme. La réclamation de votre patrimoine fondée sur les sages décrets de la nature ! Qu’auriez-vous à redouter pour une si belle entreprise ? Le bon mot du Législateur des noces de Cana ? Craignez-vous que nos Législateurs français, correcteurs de cette morale, longtemps accrochée aux branches de la politique, mais qui n’est plus de saison, ne vous répètent : « Femmes, qu’y a-t-il de commun entre vous et nous ? » —Tout, auriez vous à répondre. S’ils s’obstinaient, dans leur faiblesse, à mettre cette inconséquence en contradiction avec leurs principes ; opposez courageusement la force de la raison aux vaines prétentions de supériorité ; réunissez-vous sous les étendards de la philosophie ; déployez toute l’énergie de votre caractère, et vous verrez bientôt ces orgueilleux, non serviles adorateurs rampants à vos pieds, mais fiers de partager avec vous les trésors de l’Être Suprême. Quelles que soient les barrières que l’on vous oppose, il est en votre pouvoir de les affranchir ; vous n’avez qu’à le vouloir.

Olympe de Gouges (1748-1793)
Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne
« Postambule » (1791)

Illustration : © 2021, B. R.
Photomontage d’après Alexandre Kucharski (attribué à), portrait d’Olympe de Gouges. Pastel sur parchemin, vers 1788 (coll. privée) ; J. Howard Miller, « We Can Do It! », 1942.

Rédigée le 14 août 1791, la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne est non seulement un plaidoyer fondateur de la cause féministe, mais plus largement un testament emblématique de notre démocratie. Dédiée à Marie-Antoinette pour affirmer que la question des femmes dépasse les clivages sociaux et politiques, la Déclaration de Gouges féminise entièrement la Déclaration des Droits de l’Homme du 27 août 1789. Comme le note Nicole Pellegrin, « c’est là un moyen proprement renversant de prendre au mot les révolutionnaires et de les placer face à leurs contradictions en matière d’égalité »¹. De fait, les femmes sont les grandes perdantes de la Révolution. Avec une ironie féroce, Olympe de Gouges n’hésite pas à stigmatiser ce dénigrement du féminin : « Les femmes ont le droit de monter à l’échafaud. Elles doivent également avoir celui de monter à la tribune ».

Négligée et incomprise de ses contemporains, Olympe de Gouges combattit l’esclavage, le sexisme, les violences faites aux femmes et s’engagea pour la reconnaissance juridique et l’émancipation politique des femmes à travers une œuvre littéraire très riche, et proprement réformatrice. C’est ainsi que la quatrième partie de la Déclaration « propose un « contrat social » qui redéfinit le mariage à la manière de notre PACS actuel »². Sans doute parce qu’elle s’attaquait à tant de préjugés et d’injustices, elle fut jetée en prison par la Terreur révolutionnaire, jugée sommairement et condamnée à l’échafaud. Je vous laisse méditer ces propos tenus par un rédacteur du Moniteur universel : « Elle voulut être homme d’État et il semble que la loi ait puni cette conspiratrice d’avoir oublié les vertus qui conviennent à son sexe »³.

Portrait présumé d’Olympe de Gouges, par Madame Aubry.
Aquarelle conservée au musée Carnavalet (Paris).

Ainsi que le remarque Yannick Ripa dans un ouvrage remarquable, « Olympe de Gouges est guillotinée pour avoir enfreint, par un manifeste en faveur des Girondins, la loi du 29 mars 1793 interdisant les écrits contre-révolutionnaires ; son élimination est aussi une condamnation sans appel des femmes révolutionnaires ; le procureur Chaumette la condamne en tant que « femme-homme », « virago » qui « abandonne les soins de son ménage, voulut politiquer et commit des crimes »⁴.

Par sa force oratoire et la portée de ses idées, la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne est un texte visionnaire qui se doit de figurer aujourd’hui au Panthéon des Lettres françaises.

Bruno Rigolt

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NOTES
(1) Nicole Pellegrin, Écrits féministes de Christine de Piran à Simone de Beauvoir. Coll. « Champs classiques », Flammarion, Paris 2010, page 76.
(2) ibid. page 77.
(3) Le Moniteur Universel, 29 brumaire an II (19 novembre 1793), t. XVIII, numéro 59. J’aurais pu aussi citer ces propos (sur Olympe de Gouges, Marie Antoinette et Marie-Jeanne Roland) qui vont dans le même sens : « En peu de temps, le tribunal révolutionnaire vient de donner aux femmes un grand exemple qui ne sera pas perdu pour elles : car la justice toujours impartiale, place sans cesse la leçon à côté de la sévérité ».
(4) Yannick Ripa, Les Femmes, actrices de l’histoire. France, de 1789 à nos jours. Armand Colin, collection U « Histoire », Paris 2002, page 23. Voici les propos exacts du Procureur Chaumette rapportés par Elisabeth Badinter : « Rappelez-vous cette femme hautaine d’un époux perfide, la Roland, qui se crut propre à gouverner la République, et qui concourut à sa perte. Rappelez-vous, hier cette virago, cette homme-femme, l’impudente Olympe de Gouges, qui la première, institua des assemblées de femmes, voulut politiquer et commit des crimes. Tous ces êtres immoraux ont été anéantis sous le fer vengeur des lois ». Elisabeth Badinter, Condorcet, Prudhomme, Guyomar : Paroles d’hommes (1790-1793), P.O.L. Paris 1989, pages 181-182.

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Les élèves ont du talent… Le concours de nouvelles 2009 par la classe de Seconde 12…

Retrouvez chaque semaine un nouveau texte !
La classe de Seconde 12 s’est particulièrement investie dans le concours de nouvelles proposé par le Salon du livre du Montargois. Le sujet était libre mais l’écriture comportait deux contraintes : commencer obligatoirement par l’UNE de ces deux phrases : “Il était près de midi, et elle n’avait toujours pas donné signe de vie.” OU “Il avait la passion des vieilles pierres.”… et se terminer obligatoirement par l’UNE de ces deux phrases : “Il y eut affluence comme aux fêtes de fin d’année.” OU “Mais un père est un père et je suis sincèrement désolé.”
prix.1236783460.jpgChallenge réussi pour la Seconde 12 ! Découvrez chaque semaine un texte particulièrement marquant. Aujourd’hui, laissez-vous emporter par la nouvelle de Flora, élève et déléguée de la Seconde 12… Une très belle histoire empreinte d’émotion et de lyrisme, entre autobiographie et fiction (qui valut à son auteure le cinquième prix au salon du livre du Montargois).
L’action se situe à Madagascar…
 

    Ce jour-là, à Tana…

par Flora P…

Il était prés de midi et elle n’avait toujours pas donné de signe de vie. Je m’étais installée près d’une petite colline au sud de la ville, à l’attendre, en vain. Je m’inquiétais car il n’y a qu’un bus qui passe dans la journée. Il ne vient que le mercredi et le jeudi matin, jours de marché. La majorité des gens viennent d’Ihosy et du Grand Sud, et le prochain ne passerait que demain matin. D’ici là…

flora1.1289846345.jpg« Manahoana… »

En l’attendant sous le baobab, j’entendais le vent souffler entre les feuilles ; le soleil s’en allait vers l’ouest… Je m’imaginais notre rencontre, les paroles, les simples « Bonjour, comment vas-tu » que nous allions échanger en Malgache :
– Manahoana, Manahoana y sahasalaurauao ?
– Salaura tsara aho miasoaka…

Venir à Madagascar était mon plus grand rêve. Séraphine ne m’avait jamais vue, seulement en photo. On dialoguait par lettre depuis maintenant un an et demi, depuis que mon grand-père l’avait retrouvée après avoirs passé une annonce dans le journal local. Mes grands-parents et ma mère avaient vécu huit ans à Madagascar et Séraphine avait été la nourrice de ma mère.

J’étais si contente de la rencontrer. J’avais si peur de ne pas la voir. Adossée au tronc de l’arbre géant, je regardais la route blanchie sous le soleil, quelques enfants qui couraient là-bas, à demi nus, une femme qui traversait la route avec ses calebasses d’eau. Le temps s’écoulait, impalpable. Comme je m’assoupissais à cause de la chaleur, je vis au loin le bus qui arrivait, très poussiéreux, couvert de sable et de voyage car il roulait sur des routes de terre et de vent depuis tant d’années…

« j’aimais la lumière blanche de la route, j’aimais le vent et le manioc salé »

Beaucoup de Malgaches en descendirent. Toutes les femmes étaient habillées avec des jupes de couleurs vives et elles portaient des lambas blancs ou écrus sur les épaules. Les hommes avaient des pantalons noirs, des chemises ouvertes et un chapeau de paille. Je regardais les gens descendre un par un, j’étais tellement impatiente de la voir! Les gens venaient dans la ville de Tana car c’était le plus grands marché de la semaine ; les vendeurs s’installaient par terre et disposaient leurs étalages de légumes ou de poissons séchés sur des nattes.flora2.1236711503.jpg

Certains avaient amené leur machine à coudre et confectionnaient des rideaux, des jupes à la demande. Les habitants se préparaient pour le marché. Je commençais à sentir les parfums d’épices et l’odeur nauséabonde du poisson datant de quelques jours me faisait tourner la tête. Mais j’aimais tout cela, j’aimais la lumière blanche de la route, j’aimais le vent et le manioc salé, j’aimais les bruits du marché où l’on mange des fleurs de cactus, j’aimais le bruit des zébus et les vendeurs de lait caillé ou de bijoux d’argent…

Le marché commençait à se remplir de couleurs, de fruits, de tissus lorsqu’elle descendit du bus. Il y avait beaucoup de monde, je me mis debout  pour ne pas la perdre de vue mais aussitôt la foule l’encercla. Mon cœur se serrait mais je gardais espoir pendant trois secondes en la cherchant des yeux partout. Ne la revoyant plus, les larmes me montèrent aux yeux. Vous qui me lisez, comment vous dire l’écho du temps qui résonne dans ces lignes ? Comment vous dire le bruit du vent dans les arbres ? Cette attente devant les cases au toit de paille ?

« Le voyage de la vie commençait… »

Peut être n’était-ce qu’une illusion… Tout à coup, je sentis une main venue du bout du monde, venue du grand sud malgache se poser sur mon épaule, je tournais la tête et je la vis. Elle me prit dans ses bras et nous nous sommes mises à tourner, à rire, à pleurer, un peu comme dans une aventure vers le bleu du ciel : le voyage de la vie commençait. Petit à petit, les gens nous encerclèrent. Toute la poussière de la route s’était envolée, le ciel craquait sous le soleil : même des nuages mauves et roses vinrent à notre rencontre pour voir ce qui se passait.

Je me rappellerai toujours du vent, si proche de nos visages, de nos mains serrées l’une contre l’autre, je me rappellerai des charrettes remplies de marchandises, de ces visages d’hommes qui vendent des éclats de saphir et de béryl en espérant devenir riche… Tous ces gens qui nous regardaient en souriant, ce jour-là, à Tana… Il y eut affluence comme aux fêtes de fin d’année.

© Flora P… Mars 2009 (Lycée en Forêt, Montargis, France)

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Guide méthodologique d’aide à l’expression écrite. Entraînement n°1 : Métaphore filée, anaphores, interrogations oratoires

eaf.1236521947.jpgÉpreuve Anticipée de Français (EAF) : bientôt le deuxième baccalauréat blanc ! Les résultats souvent mitigés voire inquiétants pour certaines ou certains doivent les interpeller. Ce n’est pas tant au niveau de la question ou de la compréhension du corpus que les problèmes sont le plus préoccupants mais plutôt d’un point de vue analytique et rédactionnel. L’écrit d’invention en particulier a été décevant lors du premier examen blanc, pour des raisons qui tiennent à une mauvaise prise en compte des consignes posées et de l’utilisation du temps. De fait, beaucoup d’entre vous éprouvent des difficultés à comprendre ce qui est attendu d’eux, plus particulièrement d’un point de vue stylistique et rédactionnel. C’est la raison pour laquelle chaque semaine avant le prochain examen blanc, je reviendrai sur la méthodologie de l’écrit d’invention.
        
Calendrier d’entraînement :
  • Dimanche 8 mars : exploiter la métaphore filée, les anaphores, les interrogations oratoires
  • Jeudi 19 mars : rédiger un réquisitoire ou un plaidoyer (+ corrigé n°1)
  • Jeudi 26 mars : structurer un paragraphe argumentatif (+ corrigé n°2)
  • Jeudi 02 avril : introduire et conclure un écrit d’invention (+ corrigé n°3)

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Entraînement n°1

Métaphore filée, anaphores, interrogations oratoires

De nombreux sujets vous amènent à devoir rédiger une lettre, un discours, un article de presse, etc. Malgré les apparences, ces sujets obéissent tous à la même règle. Si vous êtes malin, préparez-vous deux ou trois modèles-type qui vous aideront à aller plus vite dans la recherche des idées, et de consacrer davantage de temps à la rédaction. Il vous suffira de modifier certains aspects en fonction du sujet à traiter (en travaillant surtout les expansions nominales).

1. La métaphore filée

Prenons un sujet type : il vous est demandé par exemple de rédiger un discours vous amenant à plaider pour plus de justice sociale. Si vous êtes astucieux, vous allez exploiter la technique de la métaphore filée. Comme vous le savez, on entend par là une métaphore qui se prolonge, qui est développée à travers un même réseau lexical. Si vous avez du mal à trouver ou à formuler vos idées, la métaphore filée constitue une aide précieuse. Imaginons un candidat qui n’a que peu d’arguments, par exemple « plus de justice sociale permettra d’améliorer les conditions de vie et le monde ». Malgré sa justesse, l’idée en elle-même est assez pauvre et banale du fait de son manque d’originalité. Néanmoins, vous allez voir comment une métaphore filée peut la transformer. Pensez par exemple au champ lexical de la construction : « rebâtir, construire, fondations, pierre, maison, édifice, murs… » etc.

Reprenons maintenant notre idée de départ en l’étayant grâce à une métaphore filée :

« Plus de justice sociale permettra d’améliorer les conditions de vie et le monde : il faut en effet que tous les murs qui séparent les hommes tombent : mur de l’indifférence, mur du racisme, mur de l’égoïsme. Le monde n’est pas seulement un ensemble de continents, c’est notre maison commune. En ce début de vingt-et-unième siècle, il est peut-être temps de rebâtir le monde pour plus de justice sociale, de construire une nouvelle société, plus humaine, plus fraternelle. I1 nous appartient de poser les fondations d’un monde plus respectueux des valeurs communes. Un nouvel humanisme est nécessaire ! Alors que le vieil édifice s’écroule, des voix rappellent qu’il faut poser la première pierre de la fraternité ! »

2. Même exemple que précédemment mais avec des anaphores et des interrogations oratoires :

« Mesdames, Messieurs, Chers frères humains, voilà ce que je vous propose : il faut que tous les murs qui séparent les hommes tombent : mur de l’indifférence, mur de la misère, mur de l’égoïsme. Peut-on accepter de vivre ainsi ? Avons-nous été créés pour nous déchirer ? Pour nous haïr ? Plus de justice sociale ne permettrait-elle pas d’améliorer les conditions de vie et le monde ?

Mesdames, Messieurs, Chers frères humains, notre monde en effet n’est pas seulement un ensemble de continents, c’est notre maison commune. Devons-nous accepter de laisser mourir cette maison et d’en voir s’écrouler les fondations? Devons-nous nous résoudre à partir en laissant les clés sur la porte ? Notre terre doit-elle être condamnée à devenir une maison abandonnée ? En ce début de vingt-et-unième siècle, il est peut-être temps de rebâtir le monde, de construire une nouvelle société, plus humaine, plus fraternelle.

Mesdames, Messieurs, Chers frères humains, il nous appartient de poser les fondations d’un monde plus respectueux des valeurs communes. Un nouvel humanisme est nécessaire ! Alors que le vieil édifice s’écroule, des voix rappellent qu’il faut poser la première pierre de la fraternité ! »

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3. Gagner des points pour la moyenne… C’est trop facile ! Faites chaque semaine l’exercice d’entraînement proposé ! Durée :1 heure (à 1h15) environ.

  • Exercice n°1 : Gardez le sujet de départ et refaites l’exercice en respectant le même ordre : 1) métaphore filée, 2) métaphore filée + anaphores et interrogations oratoires) mais en utilisant le champ lexical du voyage ou du déplacement (route, partir, etc.) : comme vous l’avez vu, c’est d’abord un travail de style et d’approfondissement qui est attendu de vous. Jeudi prochain à 21 heures précises, je mettrai en ligne un corrigé type avec le deuxième entraînement. D’ici là, vous pouvez m’envoyer en ligne vos contributions ou me les remettre en cours (Jeudi prochain dernière limite). Elles seront prises en compte comme bonus dans le calcul de la moyenne du troisième trimestre (selon les modalités expliquées en cours). Attention : pour bénéficier du bonus, vous devez impérativement faire les 4 exercices en respectant le calendrier proposé ! Bon courage !

Les représentations de la femme dans "Candide" de Voltaire

Support de Cours

La femme et ses représentations

dans Candide

Stéréotypes et Sexisme

Introduction

Traduit dans le monde entier, Candide est unanimement reconnu comme le « chef-d’œuvre » voltairien, et plus largement comme un monument emblématique de la critique de la société entreprise par le siècle des Lumières. Impertinent, subversif, généreux, ce conte philosophique est donc l’un de ces classiques de la littérature universelle dont nul n’oserait récuser le décisif ascendant qu’il a pris depuis sa parution en 1759 pour imposer la grande idée des droits de l’homme. Nous avons vu dans une étude précédente combien, s’il fallait relativiser la portée purement « philosophique » de ce roman d’apprentissage, il convenait néanmoins de saluer l’intention idéologique de Voltaire d’avoir opposé aux absolus spéculatifs un nouvel ordre de vie et de valeurs par l’action et le travail : c’est en effet le sens qu’il convient de donner à la fameuse métaphore du jardin au chapitre trente.

Cela étant dit, faut-il pour autant se priver d’une relecture critique du texte voltairien ? Certains auteurs, et non des moindres ont par exemple montré combien Voltaire n’avait pas échappé à de nombreux stéréotypes liés à son combat contre la morale judéo-chrétienne. J’en veux pour preuve l’ouvrage de Léon Poliakov qui dans son Histoire de l’antisémitisme n’hésite pas à ranger Voltaire parmi d’autres écrivains judéophobes. Il semblerait donc que l’auteur de Candide, tout en rejetant explicitement les ethnocentrismes, n’ait pas moins été victime des idées reçues et parfois des graves dérives d’une pensée qui se voulait pourtant  progressiste et n’avait d’autre but que de combattre les préjugés. Plus particulièrement dans le cadre de la Journée Internationale de la Femme, je vous invite à une réinterprétation plus sociologique de certains passages de Candide, au regard de la condition féminine.

La difficulté quand on lit ce conte philosophique, c’est de se défaire d’une certaine lecture d’impulsion, caractéristique du registre burlesque : reconnaissons-le, les femmes dans Candide font l’objet de toutes les railleries. L’auteur impose avant tout une certaine image identificatrice qui, constituant tout à la fois le paradoxe et la réussite de ce livre, n’en conforte pas moins les lecteurs dans des rôles assez stéréotypés : on a envie de rire plus que de réfléchir quand on lit par exemple ce passage bien connu du chapitre un :

« Madame la baronne, qui pesait environ trois cent cinquante livres, s’attirait par là une très grande considération, et faisait les honneurs de la maison avec une dignité qui la rendait encore plus respectable. Sa fille Cunégonde, âgée de dix-sept ans, était haute en couleur, fraîche, grasse, appétissante. »

L’ironie, arme favorite de Voltaire, joue ici à plein régime : la présentation très tendancieuse de Cunégonde (qui n’a que dix-sept ans), ridicule plutôt que noble, en fait d’emblée une sorte d’objet de consommation, à la limite de la « denrée » humaine, de la pâtisserie « copieuse », lourde à digérer de surcroît ! Toute cette mise en scène est également, si j’ose dire, une « mise en bouche » pour le lecteur : ici, la déformation fictionnelle du corps de la femme, sa plasticité physique exagérée provoque un effet de sens très ambigu : l’aspect « alimentaire » de Cunégonde annonce son appétence « sensuelle » évoquée très explicitement quelques lignes plus loin à l’occasion de la fameuse « leçon de physique expérimentale » de Pangloss :

Un jour, Cunégonde, en se promenant auprès du château, dans le petit bois qu’on appelait parc, vit entre des broussailles le docteur Pangloss qui donnait une leçon de physique expérimentale à la femme de chambre de sa mère, petite brune très jolie et très docile. Comme Mlle Cunégonde avait beaucoup de dispositions pour les sciences, elle observa, sans souffler, les expériences réitérées dont elle fut témoin ; elle vit clairement la raison suffisante du docteur, les effets et les causes, et s’en retourna tout agitée, toute pensive, toute remplie du désir d’être savante, songeant qu’elle pourrait bien être la raison suffisante du jeune Candide, qui pouvait aussi être la sienne.

Le problème ici tient à ce que j’appellerai l’instrumentalisation du corps de la femme à des fins « philosophiques » : certes, on dira que le but de Voltaire est de s’attaquer au monde aristocratique, mais la difficulté vient des moyens employés : l’auteur ne tend-il pas à imposer ou à reproduire une image déviée et dégradante de la femme, utilisée surtout comme faire-valoir ? Certains commentateurs ont souligné à propos de ce passage l’importance accordée par Voltaire à la « complexité » de la sensualité féminine  (¹). Mais Cunégonde ne serait-elle pas davantage le type même de « l’objet consommable » ? Son attitude posturale très ridiculisée induit également une posture psychique infériorisante, dénuée précisément de « complexité » : sensualité, hypocrisie, sottise et passivité, autant de traits présumés de la femme qui en dessinent un portrait imaginaire, largement conditionné par les stéréotypes. Le chapitre huit de Candide est sur ce point très représentatif :

« J’étais dans mon lit et je dormais profondément, quand il plut au ciel d’envoyer les Bulgares dans notre beau château de Thunder-ten-tronckh ; ils égorgèrent mon père et mon frère, et coupèrent ma mère par morceaux. Un grand Bulgare, haut de six pieds, voyant qu’à ce spectacle j’avais perdu connaissance, se mit à me violer ; cela me fit revenir, je repris mes sens, je criai, je me débattis, je mordis, j’égratignai, je voulais arracher les yeux à ce grand Bulgare, ne sachant pas que tout ce qui arrivait dans le château de mon père était une chose d’usage : le brutal me donna un coup de couteau dans le flanc gauche dont je porte encore la marque. » – Hélas ! j’espère bien la voir, dit le naïf Candide. – Vous la verrez, dit Cunégonde ; mais continuons. – Continuez, dit Candide.

Elle reprit ainsi le fil de son histoire : « Un capitaine bulgare entra, il me vit toute sanglante, et le soldat ne se dérangeait pas. Le capitaine se mit en colère du peu de respect que lui témoignait ce brutal, et le tua sur mon corps. Ensuite il me fit panser, et m’emmena prisonnière de guerre dans son quartier. Je blanchissais le peu de chemises qu’il avait, je faisais sa cuisine ; il me trouvait fort jolie, il faut l’avouer ; et je ne nierai pas qu’il ne fût très bien fait, et qu’il n’eût la peau blanche et douce ; d’ailleurs peu d’esprit, peu de philosophie : on voyait bien qu’il n’avait pas été élevé par le docteur Pangloss. Au bout de trois mois, ayant perdu tout son argent et s’étant dégoûté de moi, il me vendit à un Juif nommé don Issacar, qui trafiquait en Hollande et en Portugal, et qui aimait passionnément les femmes. Ce Juif s’attacha beaucoup à ma personne, mais il ne pouvait en triompher ; je lui ai mieux résisté qu’au soldat bulgare. Une personne d’honneur peut être violée une fois, mais sa vertu s’en affermit. »

Comme vous le voyez, un certain nombre de lieux communs traversent ce passage. La femme ici est non seulement animalisée mais elle est aussi « objetisée » : victime complaisante, elle semble accepter sa condition de femme passive. Voltaire n’hésite pas à en rajouter, raillant même l’attention que Cunégonde porte à son ravisseur durant le viol par un comportement où la sensualité rivalise avec l’honneur. L’arrière-plan nécrophile et sado-masochiste de cet extrait valorise par ailleurs une scénographie agressive d’autant plus tendancieuse qu’elle légitime un certain nombre d’images résiduelles du viol dans l’imaginaire masculin, et qui sont encore largement répandues dans la société contemporaine (²).

Derrière la dévalorisation de l’idéal amoureux, c’est surtout l’image de la femme qui semble ici discréditée : le tempérament outrancièrement « sensuel » et « insatiable » de Cunégonde présentée comme une « femme-potiche », joint à une existence avilissante de « femme boniche » amènent à questionner cette violence symbolique voulue par Voltaire : les mots d' »honneur » ou de « vertu » employés ici par antiphrase font de Cunégonde l’archétype de la femme « sans tête » : elle n’est qu’un corps dénué d’esprit, un bien échangeable selon une logique consumériste :

Le grand inquisiteur m’aperçut un jour à la messe, il me lorgna beaucoup, et me fit dire qu’il avait à me parler pour des affaires secrètes. Je fus conduite à son palais ; je lui appris ma naissance ; il me représenta combien il était au-dessous de mon rang d’appartenir à un Israélite. On proposa de sa part à don Issacar de me céder à monseigneur. Don Issacar, qui est le banquier de la cour et homme de crédit, n’en voulut rien faire. L’inquisiteur le menaça d’un auto-da-fé. Enfin mon Juif, intimidé, conclut un marché, par lequel la maison et moi leur appartiendraient à tous deux en commun : que le Juif aurait pour lui les lundis, mercredis et le jour du sabbat, et que l’inquisiteur aurait les autres jours de la semaine.

Il est évident que l’image de Cunégonde dans ce chapitre se rattache aux rôles archétypiques que la société reconnaît à la femme soumise : elle n’est présentée qu’à travers l’espace domestique : salle de bain, salle à manger, cuisine, chambre à coucher (« Je blanchissais le peu de chemises qu’il avait, je faisais sa cuisine ; il me trouvait fort jolie, il faut l’avouer ; et je ne nierai pas qu’il ne fût très bien fait, et qu’il n’eût la peau blanche et douce »). Séductrice, disponible, Cunégonde est aussi dispensatrice de fantasmes, au premier rang desquels figure sa condition de « présentoir » et d’objet consommable.

La question que l’on pourrait poser est donc la suivante : par quel mécanisme convenu nul n’oserait sourire au chapitre dix-neuf qui dénonce le caractère ignoble de l’esclavage, et pourquoi nous prend-il ici l’envie de rire alors qu’il est question de viol et d’asservissement ? Car la réalité décrite est bien celle de la femme violée, battue, menacée, enfermée et marchandisée par ceux-là même qui l’ont achetée ! Certains diront sans doute que Voltaire use du registre réaliste ou burlesque pour mieux dénoncer le mal et l’absurdité de la vie. Certes, on peut admettre en effet que dans les chapitres sur la guerre ou l’Inquisition, l’antiphrase et l’ironie servent clairement ce but.

Mais ici, la dégradation de Cunégonde n’aboutit pas à une réflexion sur la femme dans son statut et sa condition. Bien au contraire, loin d’inviter à une lecture réflexive, ce passage cantonne le lecteur de Candide dans une lecture impulsive (encourageant au passage les poncifs sur la figure du banquier juif ou la corruption des hommes d’Église) : les nombreuses critiques que Voltaire dirigera une grande partie de sa vie contre le sexe féminin ont d’ailleurs maintenu ses héroïnes dans un imaginaire social largement façonné par les stéréotypes masculins et les conventions sociales de son époque. Il est quand même navrant de constater que l’émancipation de Cunégonde, à la différence de celle de Candide ne peut s’exprimer uniquement que sur le terrain sentimental ou domestique. Il n’est dès lors pas étonnant que la fin du texte la présente comme vieillie et peu désirable :

Le tendre amant Candide, en voyant sa belle Cunégonde rembrunie, les yeux éraillés, la gorge sèche, les joues ridées, les bras rouges et écaillés, recula trois pas saisi d’horreur, et avança ensuite par bon procédé. Elle embrassa Candide et son frère ; on embrassa la vieille : Candide les racheta toutes deux. Il y avait une petite métairie dans le voisinage : la vieille proposa à Candide de s’en accommoder, en attendant que toute la troupe eût une meilleure destinée. Cunégonde ne savait pas qu’elle était enlaidie, personne ne l’en avait avertie : elle fit souvenir Candide de ses promesses avec un ton si absolu que le bon Candide n’osa pas la refuser.

Alors que Candide, parvenu au terme de son apprentissage intellectuel, arrive à s’affranchir des enseignements factices de Pangloss, Cunégonde n’est même plus dans le « Sois belle et tais-toi » du chapitre huit. Elle perd ici son statut de femme pour se cantonner dans la fausseté de l’idéal sentimental. Dans le passage peut d’ailleurs se lire une peur anthropologique latente liée à la question de la reproduction : en faisant de Cunégonde une femme vieille, on comprend que lui sera parallèlement dénié son statut de mère : une récurrence remarquable est la présence du champ lexical de la laideur et de la vieillesse : « rembrunie, éraillés, sèche, écaillés » etc.

Autant de termes qui la condamnent : d’objet consommable, Cunégonde devient objet jetable. Sur le plan symbolique et moral, on pourrait voir dans cet enlaidissement la conséquence de son égoïsme et de sa lâcheté. À la fin du conte, Cunégonde n’a plus rien à espérer de la vie : elle n’est sauvée que par le comportement « vertueux » d’un Candide militant et « citoyen » qui semble presque la « racheter » de ses fautes passées, et lui éviter ainsi de finir dans le malheur et la solitude.

Nous apprendrons un peu plus loin dans le texte qu’elle devient « une excellente pâtissière », remarque pleine d’humour s’il en est, et qui n’est pas sans évoquer le premier chapitre. Certains commentateurs ont cru déceler ici une certaine tendresse de l’auteur pour son héroïne. Je serai personnellement plus réservé : en fait, même à la fin du conte, Cunégonde est maintenue dans la sphère privée, dans une posture de dominée et de dépendance, et sans doute ne serait-il pas faux de parler d’attitude discriminatoire.

De fait, alors que Candide s’est libéré, les autres personnages du livre semblent condamnés par un déterminisme héréditaire, social ou sexuel qui n’est pas sans évoquer la question de l’ambiguïté de l’écrivain à l’égard de ses créatures : tantôt Voltaire semble s’identifier à ses protagonistes comme pour la dernière réplique de Candide (c’est bien Voltaire qui parle), tantôt il les abandonne à la trivialité de leur condition…

Conclusion

La question est donc de savoir si la fin justifie toujours les moyens ? De fait, si Voltaire a été le grand écrivain de la raison et du refus des préjugés, il n’a pas pour autant renoncé à exploiter inconsciemment ou à dessein certains clichés ou stéréotypes, et Jacqueline Feldman a bien raison d’affirmer à propos des Lumières que « la rationalité est avant tout le privilège de ceux qui détiennent le pouvoir » (³). C’est précisément le sens du cri de révolte lancé par Olympe de Gouges en 1791 dans sa célèbre « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne« . Deux ans plus tard, elle sera guillotinée…

© Bruno Rigolt
Lycée en Forêt (Montargis, France) / Espace Pédagogique Contributif

NOTES

(1) D. J. Adams La Femme dans les contes et les romans de Voltaire, Nizet Paris 1974.
(2) On a presque envie de dire de Cunégonde « qu’elle l’a bien cherché ». J’ose à peine ici faire référence à ces sketchs bien connus intitulés « Le viol de Monique » (Coluche) ou « Le lâcher de s… » (Bigard) et qui semblent s’inscrire dans le droit fil de ce registre burlesque. En fait, il faut noter que dans cette insistance des stéréotypes les plus éculés réside une profonde discrimination qui paraît aller à l’encontre de tout humanisme et de toute modernité sociale.
(3) Jacqueline Feldman « Le savant et la sage-femme », Impact, Unesco (volume 25, n°1, 1975).

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Les représentations de la femme dans « Candide » de Voltaire

Support de Cours

La femme et ses représentations

dans Candide

Stéréotypes et Sexisme

Introduction

Traduit dans le monde entier, Candide est unanimement reconnu comme le « chef-d’œuvre » voltairien, et plus largement comme un monument emblématique de la critique de la société entreprise par le siècle des Lumières. Impertinent, subversif, généreux, ce conte philosophique est donc l’un de ces classiques de la littérature universelle dont nul n’oserait récuser le décisif ascendant qu’il a pris depuis sa parution en 1759 pour imposer la grande idée des droits de l’homme. Nous avons vu dans une étude précédente combien, s’il fallait relativiser la portée purement « philosophique » de ce roman d’apprentissage, il convenait néanmoins de saluer l’intention idéologique de Voltaire d’avoir opposé aux absolus spéculatifs un nouvel ordre de vie et de valeurs par l’action et le travail : c’est en effet le sens qu’il convient de donner à la fameuse métaphore du jardin au chapitre trente.

Cela étant dit, faut-il pour autant se priver d’une relecture critique du texte voltairien ? Certains auteurs, et non des moindres ont par exemple montré combien Voltaire n’avait pas échappé à de nombreux stéréotypes liés à son combat contre la morale judéo-chrétienne. J’en veux pour preuve l’ouvrage de Léon Poliakov qui dans son Histoire de l’antisémitisme n’hésite pas à ranger Voltaire parmi d’autres écrivains judéophobes. Il semblerait donc que l’auteur de Candide, tout en rejetant explicitement les ethnocentrismes, n’ait pas moins été victime des idées reçues et parfois des graves dérives d’une pensée qui se voulait pourtant  progressiste et n’avait d’autre but que de combattre les préjugés. Plus particulièrement dans le cadre de la Journée Internationale de la Femme, je vous invite à une réinterprétation plus sociologique de certains passages de Candide, au regard de la condition féminine.

La difficulté quand on lit ce conte philosophique, c’est de se défaire d’une certaine lecture d’impulsion, caractéristique du registre burlesque : reconnaissons-le, les femmes dans Candide font l’objet de toutes les railleries. L’auteur impose avant tout une certaine image identificatrice qui, constituant tout à la fois le paradoxe et la réussite de ce livre, n’en conforte pas moins les lecteurs dans des rôles assez stéréotypés : on a envie de rire plus que de réfléchir quand on lit par exemple ce passage bien connu du chapitre un :

« Madame la baronne, qui pesait environ trois cent cinquante livres, s’attirait par là une très grande considération, et faisait les honneurs de la maison avec une dignité qui la rendait encore plus respectable. Sa fille Cunégonde, âgée de dix-sept ans, était haute en couleur, fraîche, grasse, appétissante. »

L’ironie, arme favorite de Voltaire, joue ici à plein régime : la présentation très tendancieuse de Cunégonde (qui n’a que dix-sept ans), ridicule plutôt que noble, en fait d’emblée une sorte d’objet de consommation, à la limite de la « denrée » humaine, de la pâtisserie « copieuse », lourde à digérer de surcroît ! Toute cette mise en scène est également, si j’ose dire, une « mise en bouche » pour le lecteur : ici, la déformation fictionnelle du corps de la femme, sa plasticité physique exagérée provoque un effet de sens très ambigu : l’aspect « alimentaire » de Cunégonde annonce son appétence « sensuelle » évoquée très explicitement quelques lignes plus loin à l’occasion de la fameuse « leçon de physique expérimentale » de Pangloss :

Un jour, Cunégonde, en se promenant auprès du château, dans le petit bois qu’on appelait parc, vit entre des broussailles le docteur Pangloss qui donnait une leçon de physique expérimentale à la femme de chambre de sa mère, petite brune très jolie et très docile. Comme Mlle Cunégonde avait beaucoup de dispositions pour les sciences, elle observa, sans souffler, les expériences réitérées dont elle fut témoin ; elle vit clairement la raison suffisante du docteur, les effets et les causes, et s’en retourna tout agitée, toute pensive, toute remplie du désir d’être savante, songeant qu’elle pourrait bien être la raison suffisante du jeune Candide, qui pouvait aussi être la sienne.

Le problème ici tient à ce que j’appellerai l’instrumentalisation du corps de la femme à des fins « philosophiques » : certes, on dira que le but de Voltaire est de s’attaquer au monde aristocratique, mais la difficulté vient des moyens employés : l’auteur ne tend-il pas à imposer ou à reproduire une image déviée et dégradante de la femme, utilisée surtout comme faire-valoir ? Certains commentateurs ont souligné à propos de ce passage l’importance accordée par Voltaire à la « complexité » de la sensualité féminine  (¹). Mais Cunégonde ne serait-elle pas davantage le type même de « l’objet consommable » ? Son attitude posturale très ridiculisée induit également une posture psychique infériorisante, dénuée précisément de « complexité » : sensualité, hypocrisie, sottise et passivité, autant de traits présumés de la femme qui en dessinent un portrait imaginaire, largement conditionné par les stéréotypes. Le chapitre huit de Candide est sur ce point très représentatif :

« J’étais dans mon lit et je dormais profondément, quand il plut au ciel d’envoyer les Bulgares dans notre beau château de Thunder-ten-tronckh ; ils égorgèrent mon père et mon frère, et coupèrent ma mère par morceaux. Un grand Bulgare, haut de six pieds, voyant qu’à ce spectacle j’avais perdu connaissance, se mit à me violer ; cela me fit revenir, je repris mes sens, je criai, je me débattis, je mordis, j’égratignai, je voulais arracher les yeux à ce grand Bulgare, ne sachant pas que tout ce qui arrivait dans le château de mon père était une chose d’usage : le brutal me donna un coup de couteau dans le flanc gauche dont je porte encore la marque. » – Hélas ! j’espère bien la voir, dit le naïf Candide. – Vous la verrez, dit Cunégonde ; mais continuons. – Continuez, dit Candide.

Elle reprit ainsi le fil de son histoire : « Un capitaine bulgare entra, il me vit toute sanglante, et le soldat ne se dérangeait pas. Le capitaine se mit en colère du peu de respect que lui témoignait ce brutal, et le tua sur mon corps. Ensuite il me fit panser, et m’emmena prisonnière de guerre dans son quartier. Je blanchissais le peu de chemises qu’il avait, je faisais sa cuisine ; il me trouvait fort jolie, il faut l’avouer ; et je ne nierai pas qu’il ne fût très bien fait, et qu’il n’eût la peau blanche et douce ; d’ailleurs peu d’esprit, peu de philosophie : on voyait bien qu’il n’avait pas été élevé par le docteur Pangloss. Au bout de trois mois, ayant perdu tout son argent et s’étant dégoûté de moi, il me vendit à un Juif nommé don Issacar, qui trafiquait en Hollande et en Portugal, et qui aimait passionnément les femmes. Ce Juif s’attacha beaucoup à ma personne, mais il ne pouvait en triompher ; je lui ai mieux résisté qu’au soldat bulgare. Une personne d’honneur peut être violée une fois, mais sa vertu s’en affermit. »

Comme vous le voyez, un certain nombre de lieux communs traversent ce passage. La femme ici est non seulement animalisée mais elle est aussi « objetisée » : victime complaisante, elle semble accepter sa condition de femme passive. Voltaire n’hésite pas à en rajouter, raillant même l’attention que Cunégonde porte à son ravisseur durant le viol par un comportement où la sensualité rivalise avec l’honneur. L’arrière-plan nécrophile et sado-masochiste de cet extrait valorise par ailleurs une scénographie agressive d’autant plus tendancieuse qu’elle légitime un certain nombre d’images résiduelles du viol dans l’imaginaire masculin, et qui sont encore largement répandues dans la société contemporaine (²).

Derrière la dévalorisation de l’idéal amoureux, c’est surtout l’image de la femme qui semble ici discréditée : le tempérament outrancièrement « sensuel » et « insatiable » de Cunégonde présentée comme une « femme-potiche », joint à une existence avilissante de « femme boniche » amènent à questionner cette violence symbolique voulue par Voltaire : les mots d' »honneur » ou de « vertu » employés ici par antiphrase font de Cunégonde l’archétype de la femme « sans tête » : elle n’est qu’un corps dénué d’esprit, un bien échangeable selon une logique consumériste :

Le grand inquisiteur m’aperçut un jour à la messe, il me lorgna beaucoup, et me fit dire qu’il avait à me parler pour des affaires secrètes. Je fus conduite à son palais ; je lui appris ma naissance ; il me représenta combien il était au-dessous de mon rang d’appartenir à un Israélite. On proposa de sa part à don Issacar de me céder à monseigneur. Don Issacar, qui est le banquier de la cour et homme de crédit, n’en voulut rien faire. L’inquisiteur le menaça d’un auto-da-fé. Enfin mon Juif, intimidé, conclut un marché, par lequel la maison et moi leur appartiendraient à tous deux en commun : que le Juif aurait pour lui les lundis, mercredis et le jour du sabbat, et que l’inquisiteur aurait les autres jours de la semaine.

Il est évident que l’image de Cunégonde dans ce chapitre se rattache aux rôles archétypiques que la société reconnaît à la femme soumise : elle n’est présentée qu’à travers l’espace domestique : salle de bain, salle à manger, cuisine, chambre à coucher (« Je blanchissais le peu de chemises qu’il avait, je faisais sa cuisine ; il me trouvait fort jolie, il faut l’avouer ; et je ne nierai pas qu’il ne fût très bien fait, et qu’il n’eût la peau blanche et douce »). Séductrice, disponible, Cunégonde est aussi dispensatrice de fantasmes, au premier rang desquels figure sa condition de « présentoir » et d’objet consommable.

La question que l’on pourrait poser est donc la suivante : par quel mécanisme convenu nul n’oserait sourire au chapitre dix-neuf qui dénonce le caractère ignoble de l’esclavage, et pourquoi nous prend-il ici l’envie de rire alors qu’il est question de viol et d’asservissement ? Car la réalité décrite est bien celle de la femme violée, battue, menacée, enfermée et marchandisée par ceux-là même qui l’ont achetée ! Certains diront sans doute que Voltaire use du registre réaliste ou burlesque pour mieux dénoncer le mal et l’absurdité de la vie. Certes, on peut admettre en effet que dans les chapitres sur la guerre ou l’Inquisition, l’antiphrase et l’ironie servent clairement ce but.

Mais ici, la dégradation de Cunégonde n’aboutit pas à une réflexion sur la femme dans son statut et sa condition. Bien au contraire, loin d’inviter à une lecture réflexive, ce passage cantonne le lecteur de Candide dans une lecture impulsive (encourageant au passage les poncifs sur la figure du banquier juif ou la corruption des hommes d’Église) : les nombreuses critiques que Voltaire dirigera une grande partie de sa vie contre le sexe féminin ont d’ailleurs maintenu ses héroïnes dans un imaginaire social largement façonné par les stéréotypes masculins et les conventions sociales de son époque. Il est quand même navrant de constater que l’émancipation de Cunégonde, à la différence de celle de Candide ne peut s’exprimer uniquement que sur le terrain sentimental ou domestique. Il n’est dès lors pas étonnant que la fin du texte la présente comme vieillie et peu désirable :

Le tendre amant Candide, en voyant sa belle Cunégonde rembrunie, les yeux éraillés, la gorge sèche, les joues ridées, les bras rouges et écaillés, recula trois pas saisi d’horreur, et avança ensuite par bon procédé. Elle embrassa Candide et son frère ; on embrassa la vieille : Candide les racheta toutes deux. Il y avait une petite métairie dans le voisinage : la vieille proposa à Candide de s’en accommoder, en attendant que toute la troupe eût une meilleure destinée. Cunégonde ne savait pas qu’elle était enlaidie, personne ne l’en avait avertie : elle fit souvenir Candide de ses promesses avec un ton si absolu que le bon Candide n’osa pas la refuser.

Alors que Candide, parvenu au terme de son apprentissage intellectuel, arrive à s’affranchir des enseignements factices de Pangloss, Cunégonde n’est même plus dans le « Sois belle et tais-toi » du chapitre huit. Elle perd ici son statut de femme pour se cantonner dans la fausseté de l’idéal sentimental. Dans le passage peut d’ailleurs se lire une peur anthropologique latente liée à la question de la reproduction : en faisant de Cunégonde une femme vieille, on comprend que lui sera parallèlement dénié son statut de mère : une récurrence remarquable est la présence du champ lexical de la laideur et de la vieillesse : « rembrunie, éraillés, sèche, écaillés » etc.

Autant de termes qui la condamnent : d’objet consommable, Cunégonde devient objet jetable. Sur le plan symbolique et moral, on pourrait voir dans cet enlaidissement la conséquence de son égoïsme et de sa lâcheté. À la fin du conte, Cunégonde n’a plus rien à espérer de la vie : elle n’est sauvée que par le comportement « vertueux » d’un Candide militant et « citoyen » qui semble presque la « racheter » de ses fautes passées, et lui éviter ainsi de finir dans le malheur et la solitude.

Nous apprendrons un peu plus loin dans le texte qu’elle devient « une excellente pâtissière », remarque pleine d’humour s’il en est, et qui n’est pas sans évoquer le premier chapitre. Certains commentateurs ont cru déceler ici une certaine tendresse de l’auteur pour son héroïne. Je serai personnellement plus réservé : en fait, même à la fin du conte, Cunégonde est maintenue dans la sphère privée, dans une posture de dominée et de dépendance, et sans doute ne serait-il pas faux de parler d’attitude discriminatoire.

De fait, alors que Candide s’est libéré, les autres personnages du livre semblent condamnés par un déterminisme héréditaire, social ou sexuel qui n’est pas sans évoquer la question de l’ambiguïté de l’écrivain à l’égard de ses créatures : tantôt Voltaire semble s’identifier à ses protagonistes comme pour la dernière réplique de Candide (c’est bien Voltaire qui parle), tantôt il les abandonne à la trivialité de leur condition…

Conclusion

La question est donc de savoir si la fin justifie toujours les moyens ? De fait, si Voltaire a été le grand écrivain de la raison et du refus des préjugés, il n’a pas pour autant renoncé à exploiter inconsciemment ou à dessein certains clichés ou stéréotypes, et Jacqueline Feldman a bien raison d’affirmer à propos des Lumières que « la rationalité est avant tout le privilège de ceux qui détiennent le pouvoir » (³). C’est précisément le sens du cri de révolte lancé par Olympe de Gouges en 1791 dans sa célèbre « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne« . Deux ans plus tard, elle sera guillotinée…

© Bruno Rigolt
Lycée en Forêt (Montargis, France) / Espace Pédagogique Contributif

NOTES

(1) D. J. Adams La Femme dans les contes et les romans de Voltaire, Nizet Paris 1974.
(2) On a presque envie de dire de Cunégonde « qu’elle l’a bien cherché ». J’ose à peine ici faire référence à ces sketchs bien connus intitulés « Le viol de Monique » (Coluche) ou « Le lâcher de s… » (Bigard) et qui semblent s’inscrire dans le droit fil de ce registre burlesque. En fait, il faut noter que dans cette insistance des stéréotypes les plus éculés réside une profonde discrimination qui paraît aller à l’encontre de tout humanisme et de toute modernité sociale.
(3) Jacqueline Feldman « Le savant et la sage-femme », Impact, Unesco (volume 25, n°1, 1975).

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Classe de Seconde 12… "La Mort à Venise" (Thomas Mann)

 

Introduction à la nouvelle de Thomas Mann
La Mort à Venise (1912)

venise2.1236328738.jpgLa séquence 6 qui va débuter mi-mars va être l’occasion de lire une nouvelle de l’écrivain allemand Thomas Mann : La Mort à Venise (Der Tod in Venedig) et de la rapprocher du film de Luchino Visconti Morte a Venezia (1971). La nouvelle est considérée comme lue à partir de la rentrée de mars 2009.

Si l’on s’en tient à l’histoire, la nouvelle de Thomas Mann ne réserve que peu d’action. Le schéma narratif est lui-même assez prévisible. Voici comment l’encyclopédie en ligne Wikipedia la résume : « Le personnage principal est Gustav von Aschenbach, un écrivain munichois reconnu (et anobli) dans la cinquantaine. Troublé par une mystérieuse rencontre lors d’une promenade, il part en voyage sur la côte adriatique et finit par aboutir à Venise, une ville dans laquelle il ne s’est jamais senti à l’aise. Dans son hôtel du Lido, Aschenbach découvre Tadzio, un jeune adolescent polonais qui le fascine par sa beauté. Il n’ose l’aborder et le suit dans la ville de Venise. Aschenbach, en proie à une sombre mélancolie et une sorte de fièvre dionysiaque, succombe à l’épidémie de choléra asiatique qui fait alors rage dans la ville. Il meurt sur la plage en contemplant une dernière fois l’objet de sa fascination. » Comme vous le voyez, point de suspens et encore moins d’action. C’est donc davantage dans une optique symbolique et intertextuelle qu’il nous faudra lire La Mort à Venise.

Publiée dès 1912 en tirage limité et un an plus tard pour le grand public, venise1.1236335549.jpgla nouvelle de Thomas Mann préfigure le processus de décadence qui affecte la société bourgeoise, et plus largement la crise de valeurs qui va précipiter l’Europe dans la première guerre mondiale. Ce n’est pas un hasard si Aschenbach est l’archétype (le modèle) même de l’artiste : apolitique, au sommet de la gloire littéraire, anobli, il mène dans un quartier chic de Munich une existence de bourgeois, sans se préoccuper le moins du monde des tensions croissantes qui vont déclencher le retournement majeur de l’économie et de la société juste avant la guerre. Il y a d’ailleurs une part autobiographique dans la nouvelle : en premier lieu Thomas Mann avait entrepris un voyage à Venise au printemps 1911 avec son frère et sa femme Katia, précisément au Grand Hôtel des Bains du Lido, là même où descend Aschenbach. Mais il y a également un rapport d’analogie très net entre l’écrivain et le personnage de la nouvelle : tous deux sont conservateurs politiquement et l’on pourrait voir dans le journal que Thomas Mann publiera en 1918 Considérations d’un apolitique, un écho à l’apolitisme d’Aschenbach. Il  y a aussi dans la nouvelle de Thomas Mann une profonde nostalgie perceptible : celle du mythe romantique d’une Allemagne forte et conquérante en contradiction avec les bouleversements de l’histoire.

Quand Thomas Mann écrit La Mort à Venise, il a trente-six ans, mais il est en proie à cette époque à une profonde crise existentielle. En premier lieu, sa rencontre avec le compositeur Gustav Mahler, va le bouleverser. Lui si conservateur va être révélé à une musique profondément novatrice qui va influencervenise5.1236329948.jpg d’ailleurs sa conversion politique et intellectuelle après la guerre (Thomas Mann se ralliera aux idées libérales). Visconti dans son film fera d’ailleurs d’Aschenbach un compositeur. Le fameux adagietto de la Cinquième symphonie de Mahler rythme sur le plan musical de nombreuses scènes du film de Visconti (pour écouter cet « adagietto », cliquez ici). Il est donc certain que la rencontre avec Mahler introduit un renouveau dans la vie de Thomas Mann. À cet égard, le grand critique littéraire allemand Hans Mayer a écrit que « Thomas Mann tue son Aschenbach pour […] se débarrasser des conflits et des maximes esthétiques de son existence antérieure » (Hans Mayer, Thomas Mann, PUF 1994).

Au niveau des thèmes, il ne vous aura pas échappé que le « mythe romantique » et la mort hantent la nouvelle : pourquoi Aschenbach va-t-il mourir? D’un point de vue autobiographique, comme je l’indiquais plus haut, les événements rapportés dans la nouvelle eurent lieu vers la fin mai, début juin 1911. Thomas Mann et sa femme Katia avaient rencontré à l’Hôtel des Bains une famille polonaise. Le jeune baron qui s’appelait Vladislav et que l’on appelait Wiachio est le portrait du jeune Tadzio dans la nouvelle. Quant au choléra, on releva vers 1911 plusieurs cas. Mais ce qui surprend  à la lecture du texte, c’est qu’on a l’impression que Tadzio est une sorte de messager de la mort. Ne vous attachez surtout pas à un quelconque aspect « sexuel » dans cette nouvelle : l’amour d’Aschenbach pour Tadzio est la métaphore d’une impossible quête : venise4.1236329820.jpgquête de l’impossible désir d’un amour lui-même impossible. C’est donc davantage à un niveau allégorique que vous devez appréhender la nouvelle de Thomas Mann. Une allégorie est la représentation concrète d’une idée abstraite. Ici Tadzio est l’allégorie et de la perfection esthétique et de l’interdit. C’est ce qui va précipiter Aschenbach vers la mort.

Autant dans le film de Visconti, c’est l’aspect politique qui est mis en avant, comme d’ailleurs dans beaucoup d’autres de ses réalisations (ici la décomposition d’une classe sociale, la bourgeoisie ; dans Le Guépard l’effondrement de l’aristocratie), autant dans la nouvelle de Thomas Mann c’est plutôt le thème romantique de la mort qui est mis en scène, et même de la mort choisie au terme d’un processus d’auto-destruction : Aschenbach meurt précisément parce qu’il prend conscience qu’il n’a plus rien à dire. Vous avez à cet égard certainement remarqué en lisant l’ouvrage, les nombreuses allusions à la Grèce antique. Elles ont sur le plan symbolique une signification capitale et se rapportent à l’opposition Apollon/Dionysos. L’antithèse entre l’aspect « dionysiaque » de l’œuvre (ce qui renvoie à la passion, à la sensualité, à l’excitation, etc.) et l’aspect « apollinien » (ce qui évoque davantage l’ordre, la mesure et ici l’épuisement, la fatalité) est essentielle pour comprendre le dualisme du texte.

brunorigolt-venise.1241641957.jpgIl faut enfin noter bien évidemment l’importance symbolique de Venise. La ville est en effet source d’un conflit intérieur : la traversée de la cité des Doges par exemple est l’apothéose dans la nouvelle de la lutte symbolique entre l’envie voluptueuse et dionysiaque de fuir vers une destination « exotique », et le tragique « métier de vivre » qui ramène l’écrivain à son devoir moral, selon une logique davantage apollinienne. Dans cette lutte, l’image de Venise, ville mouvante, instable (la lagune) s’impose comme principe régulateur du récit : avant d’être une ville, elle est d’abord un espace onirique et symbolique : un lieu et un non-lieu à la fois…

Crédit photographique : Bruno Rigolt (pour l’ensemble des images)

Classe de Seconde 12… « La Mort à Venise » (Thomas Mann)

 

Introduction à la nouvelle de Thomas Mann

La Mort à Venise (1912)

venise2.1236328738.jpgLa séquence 6 qui va débuter mi-mars va être l’occasion de lire une nouvelle de l’écrivain allemand Thomas Mann : La Mort à Venise (Der Tod in Venedig) et de la rapprocher du film de Luchino Visconti Morte a Venezia (1971). La nouvelle est considérée comme lue à partir de la rentrée de mars 2009.

Si l’on s’en tient à l’histoire, la nouvelle de Thomas Mann ne réserve que peu d’action. Le schéma narratif est lui-même assez prévisible. Voici comment l’encyclopédie en ligne Wikipedia la résume : « Le personnage principal est Gustav von Aschenbach, un écrivain munichois reconnu (et anobli) dans la cinquantaine. Troublé par une mystérieuse rencontre lors d’une promenade, il part en voyage sur la côte adriatique et finit par aboutir à Venise, une ville dans laquelle il ne s’est jamais senti à l’aise. Dans son hôtel du Lido, Aschenbach découvre Tadzio, un jeune adolescent polonais qui le fascine par sa beauté. Il n’ose l’aborder et le suit dans la ville de Venise. Aschenbach, en proie à une sombre mélancolie et une sorte de fièvre dionysiaque, succombe à l’épidémie de choléra asiatique qui fait alors rage dans la ville. Il meurt sur la plage en contemplant une dernière fois l’objet de sa fascination. » Comme vous le voyez, point de suspens et encore moins d’action. C’est donc davantage dans une optique symbolique et intertextuelle qu’il nous faudra lire La Mort à Venise.

Publiée dès 1912 en tirage limité et un an plus tard pour le grand public, venise1.1236335549.jpgla nouvelle de Thomas Mann préfigure le processus de décadence qui affecte la société bourgeoise, et plus largement la crise de valeurs qui va précipiter l’Europe dans la première guerre mondiale. Ce n’est pas un hasard si Aschenbach est l’archétype (le modèle) même de l’artiste : apolitique, au sommet de la gloire littéraire, anobli, il mène dans un quartier chic de Munich une existence de bourgeois, sans se préoccuper le moins du monde des tensions croissantes qui vont déclencher le retournement majeur de l’économie et de la société juste avant la guerre. Il y a d’ailleurs une part autobiographique dans la nouvelle : en premier lieu Thomas Mann avait entrepris un voyage à Venise au printemps 1911 avec son frère et sa femme Katia, précisément au Grand Hôtel des Bains du Lido, là même où descend Aschenbach. Mais il y a également un rapport d’analogie très net entre l’écrivain et le personnage de la nouvelle : tous deux sont conservateurs politiquement et l’on pourrait voir dans le journal que Thomas Mann publiera en 1918 Considérations d’un apolitique, un écho à l’apolitisme d’Aschenbach. Il  y a aussi dans la nouvelle de Thomas Mann une profonde nostalgie perceptible : celle du mythe romantique d’une Allemagne forte et conquérante en contradiction avec les bouleversements de l’histoire.

Quand Thomas Mann écrit La Mort à Venise, il a trente-six ans, mais il est en proie à cette époque à une profonde crise existentielle. En premier lieu, sa rencontre avec le compositeur Gustav Mahler, va le bouleverser. Lui si conservateur va être révélé à une musique profondément novatrice qui va influencervenise5.1236329948.jpg d’ailleurs sa conversion politique et intellectuelle après la guerre (Thomas Mann se ralliera aux idées libérales). Visconti dans son film fera d’ailleurs d’Aschenbach un compositeur. Le fameux adagietto de la Cinquième symphonie de Mahler rythme sur le plan musical de nombreuses scènes du film de Visconti (pour écouter cet « adagietto », cliquez ici). Il est donc certain que la rencontre avec Mahler introduit un renouveau dans la vie de Thomas Mann. À cet égard, le grand critique littéraire allemand Hans Mayer a écrit que « Thomas Mann tue son Aschenbach pour […] se débarrasser des conflits et des maximes esthétiques de son existence antérieure » (Hans Mayer, Thomas Mann, PUF 1994).

Au niveau des thèmes, il ne vous aura pas échappé que le « mythe romantique » et la mort hantent la nouvelle : pourquoi Aschenbach va-t-il mourir? D’un point de vue autobiographique, comme je l’indiquais plus haut, les événements rapportés dans la nouvelle eurent lieu vers la fin mai, début juin 1911. Thomas Mann et sa femme Katia avaient rencontré à l’Hôtel des Bains une famille polonaise. Le jeune baron qui s’appelait Vladislav et que l’on appelait Wiachio est le portrait du jeune Tadzio dans la nouvelle. Quant au choléra, on releva vers 1911 plusieurs cas. Mais ce qui surprend  à la lecture du texte, c’est qu’on a l’impression que Tadzio est une sorte de messager de la mort. Ne vous attachez surtout pas à un quelconque aspect « sexuel » dans cette nouvelle : l’amour d’Aschenbach pour Tadzio est la métaphore d’une impossible quête : venise4.1236329820.jpgquête de l’impossible désir d’un amour lui-même impossible. C’est donc davantage à un niveau allégorique que vous devez appréhender la nouvelle de Thomas Mann. Une allégorie est la représentation concrète d’une idée abstraite. Ici Tadzio est l’allégorie et de la perfection esthétique et de l’interdit. C’est ce qui va précipiter Aschenbach vers la mort.

Autant dans le film de Visconti, c’est l’aspect politique qui est mis en avant, comme d’ailleurs dans beaucoup d’autres de ses réalisations (ici la décomposition d’une classe sociale, la bourgeoisie ; dans Le Guépard l’effondrement de l’aristocratie), autant dans la nouvelle de Thomas Mann c’est plutôt le thème romantique de la mort qui est mis en scène, et même de la mort choisie au terme d’un processus d’auto-destruction : Aschenbach meurt précisément parce qu’il prend conscience qu’il n’a plus rien à dire. Vous avez à cet égard certainement remarqué en lisant l’ouvrage, les nombreuses allusions à la Grèce antique. Elles ont sur le plan symbolique une signification capitale et se rapportent à l’opposition Apollon/Dionysos. L’antithèse entre l’aspect « dionysiaque » de l’œuvre (ce qui renvoie à la passion, à la sensualité, à l’excitation, etc.) et l’aspect « apollinien » (ce qui évoque davantage l’ordre, la mesure et ici l’épuisement, la fatalité) est essentielle pour comprendre le dualisme du texte.

brunorigolt-venise.1241641957.jpgIl faut enfin noter bien évidemment l’importance symbolique de Venise. La ville est en effet source d’un conflit intérieur : la traversée de la cité des Doges par exemple est l’apothéose dans la nouvelle de la lutte symbolique entre l’envie voluptueuse et dionysiaque de fuir vers une destination « exotique », et le tragique « métier de vivre » qui ramène l’écrivain à son devoir moral, selon une logique davantage apollinienne. Dans cette lutte, l’image de Venise, ville mouvante, instable (la lagune) s’impose comme principe régulateur du récit : avant d’être une ville, elle est d’abord un espace onirique et symbolique : un lieu et un non-lieu à la fois…

Crédit photographique : Bruno Rigolt (pour l’ensemble des images)

EAF Classes de Première : "Candide" ou le combat des Lumières

Support de cours
Candide ou le combat des Lumières
____________________________________
Introduction

Publié anonymement à Genève en janvier 1759, Candide ou l’optimisme de Voltaire a emblématisé depuis sa parution le genre du conte philosophique. S’il prend la forme d’un violent réquisitoire contre la théorie leibnizienne de l’harmonie préétablie, force est d’admettre cependant que la critique voltairienne de la pensée de Leibniz se place davantage au niveau de la caricature que sur le plan du débat de concepts ou d’idées. C’est à juste titre qu’André Julliot faisait remarquer combien « nulle part dans ce roman il n’est question d’une pensée philosophique digne de ce nom […]. Les inepties proférées par Pangloss et les doutes non moins ridicules de Candide ne sauraient, en effet, concerner les thèses de Leibniz et encore moins leur ressembler »¹. Ces propos d’un philosophe illustrent à eux seuls la difficulté d’appréhender le texte voltairien selon l’acception conventionnelle du mot « philosophie » : savoir totalisant et questionnement abstrait visant à une interprétation globale du monde et de l’existence humaine.

C’est donc davantage sur le terrain politique et idéologique que celui de l’idéalisme philosophique qu’il faut envisager l’œuvre. En ce sens, Voltaire serait davantage un philosophe au sens moderne que le terme va prendre à partir des Lumières : dans cette perspective, le philosophe est celui qui par le développement du savoir et de la rationalité scientifique doit permettre une amélioration des conditions sociales et politiques. Il est essentiel de bien comprendre ce renouveau épistémologique à partir du dix-huitième siècle pour saisir à sa juste valeur la révolution sans précédent qu’a amenée le système de pensée de Voltaire. Aussi je vous propose dans ce support de cours de réfléchir à Candide selon une double perspective : la destruction d’un système métaphysique, et la justification d’une morale critique de la société.

Le système philosophique de Leibniz et son discrédit par Voltaire

Exposée en 1710 dans ses Essais de Théodicée sur la bonté de Dieu, la liberté de l’homme et l’origine du mal, la théorie de Leibniz se fonde sur le concept d’optimisme ( « doctrine du meilleur »). Au dix-huitième siècle, il s’agit d’un néologisme dérivé du terme « optimum », superlatif de « bonum ». Philosophiquement parlant, l’optimisme se fonde sur une conception de la vie et de l’univers d’après laquelle tout est bien, ou le mieux possible grâce à une « harmonie préétablie » par Dieu : dans sa sagesse, « l’auteur des choses […] ne fait rien sans harmonie et sans raison » |source|. La question que pose Leibniz est donc la suivante : Pourquoi Dieu, par définition parfait, a-t-il créé un monde imparfait ? |source| La réponse proposée dans la Théodicée valorise le libre-arbitre des hommes : c’est en effet parce que Dieu les a voulu libres qu’ils peuvent faire le mal.

Mais ces « mauvaises » actions vont pourtant contribuer au perfectionnement du monde. Comme le dit Leibniz, « la limitation ou l’imperfection originale des créatures fait que même le meilleur plan de l’univers ne saurait être exempté de certains maux, mais qui y doivent tourner à un plus grand bien. Ce sont quelques désordres dans les parties, qui relèvent merveilleusement la beauté du tout; comme certaines dissonances, employées comme il faut, rendent l’harmonie plus belle » |source|. Le Mal est donc un moindre mal en vue d’un mieux : telle est la définition de l’optimisme. Chez Leibniz, la Théodicée constitue ainsi une réponse au débat philosophique sur l’origine du mal, le libre-arbitre de l’homme et l’idée d’harmonie universelle voulue par Dieu.

En délaissant intentionnellement cette grande question, éminemment philosophique, Voltaire a inscrit Candide dans un contexte beaucoup plus contingent et fantaisiste qui ne pouvait que discréditer, de par la simplification excessive et l’anticléricalisme implicite du texte, le concept d’optimisme². Faire de Pangloss le double de Leibniz, ce serait en effet se méprendre sur les intentions de Voltaire, ou tout au moins sur la portée de sa « philosophie ». Quelques mots ou expressions pris au hasard (« bien », « mieux », « meilleur des mondes possibles », « cause », « effet », « raison suffisante », etc.)  et répétés à l’envi particulièrement dans les premiers chapitres, sont autant d’effets de rhétorique qui inscrivent la démonstration métaphysique de Leibniz dans la parodie. Plus fondamentalement, sa réflexion sur la causalité porte Voltaire à vouloir changer le monde par une pensée de l’engagement et de l’action, qui discrédite les systèmes de pensée a priori, les postulats idéalistes, et plus généralement ce qu’on pourrait appeler « l’intellectualisme ».

S’il dénonce aussi sévèrement la philosophie optimiste, c’est que derrière son apparence rationnelle, elle serait responsable selon Voltaire d’une illusion métaphysique qui légitime le mal et l’injustice. Ce que l’auteur réfute dans les absolus spéculatifs, c’est bien leur prétention à imposer au monde un dogmatisme d’autant plus arbitraire qu’il est énoncé sans preuves et sans rationalité. Comme vous l’avez vu à de nombreuses reprises, Pangloss est à ce titre le type même de l’intellectuel qui a réponse à tout candide.1236196052.jpg(d’où son nom) et qui philosophe dans le vide. Son systématisme le porte à croire que « tout est au mieux » :

« Pangloss enseignait la métaphysico-théologo-cosmolonigologie. Il prouvait admirablement qu’il n’y a point d’effet sans cause, et que, dans ce meilleur des mondes possibles, le château de monseigneur le baron était le plus beau des châteaux et madame la meilleure des baronnes possibles. »

« Il est démontré, disait-il, que les choses ne peuvent être autrement : car, tout étant fait pour une fin, tout est nécessairement pour la meilleure fin. Remarquez bien que les nez ont été faits pour porter des lunettes, aussi avons-nous des lunettes. Les jambes sont visiblement instituées pour être chaussées, et nous avons des chausses. Les pierres ont été formées pour être taillées, et pour en faire des châteaux, aussi monseigneur a un très beau château ; le plus grand baron de la province doit être le mieux logé ; et, les cochons étant faits pour être mangés, nous mangeons du porc toute l’année : par conséquent, ceux qui ont avancé que tout est bien ont dit une sottise ; il fallait dire que tout est au mieux. »

Comme on le remarque ici (mais l’on aurait pu évoquer tant d’autres passages sur la légitimation de la guerre, de l’Inquisition, des fanatismes religieux, de l’esclavage, etc.), la faute morale de Pangloss tient à une erreur de départ : l’inspiration métaphysique de sa doctrine accrédite en effet des présupposés qui ne découlent d’aucune expérience. En fait, même si Voltaire ne l’a jamais vraiment avoué et a préféré se faire le porte-parole d’un certain déisme, il y a chez lui un rejet implicite de Dieu qui explique en partie l’antipathie répétée pour l’auteur de la Théodicée, le manichéisme de l’œuvre, et plus fondamentalement le rejet de toutes les doctrines métaphysiques, à commencer par la preuve cosmo-théologique de l’existence de Dieu chère à Leibniz. Mais en fait, comme nous allons le voir, c’est moins le philosophe allemand qui est visé que l’Occident judéo-chrétien dans son ensemble.

La spécificité du conte voltairien : de l’idéalisme métaphysique à l’idéalisme rationaliste

Qu’il s’agisse du paradis ethnocentriste et chimérique de Thunder-ten-Tronckh ou de l’optimisme aveugle de Pangloss, l’erreur de l’idéalisme métaphysique pour Voltaire est de réduire la réalité à une dimension illusoire et close sur elle-même qui subvertit le sens de l’histoire. Cette thèse nourrit dans le livre une vaste réflexion sociale à travers laquelle Voltaire ébranle les fondements idéologiques de l’Occident chrétien en le soumettant à une lecture politique. Les mots bien connus de Candide au chapitre dix-neuf expriment à cet égard le cri de révolte de Voltaire lui-même face au système de l’optimisme : « Ô Pangloss ! s’écria Candide, tu n’avais pas deviné cette abomination ; c’en est fait, il faudra qu’à la fin je renonce à ton optimisme. -Qu’est-ce qu’optimisme ? disait Cacambo. -Hélas ! dit Candide, c’est la rage de soutenir que tout est bien quand on est mal. »

En contrepoint de l’idéalisme métaphysique, c’est donc l’idéalisme rationaliste qui apporte le plus grand démenti à l’optimisme de Candide, et traduit le mieux le point de vue de Voltaire. Même le bonheur de l’Eldorado, trop utopique, ou l’apologue du derviche, trop spéculatif sans doute, ne sauraient pour l’auteur constituer une fin en soi de par leur présupposé idéaliste ou transcendantal. Comme le chapitre trente le suggère très bien, le véritable bonheur est à la fois « prise de conscience » et « crise de conscience » d’un système idéologique marqué par l’ancien régime. La fameuse phrase qui conclut l’odyssée de Candide (« Il faut cultiver notre jardin ») ébauche à la fois un principe de sagesse et de modération, et un principe d’économie politique très proche de « l’ordre naturel » des Physiocrates, basé sur le travail, l’échange et les lois de la nature. « Cultiver son jardin », c’est pour Voltaire refuser tout ce qui détourne l’homme de ses finalités concrètes. C’est en ce sens que ce conte philosophique redéfinit la place des hommes dans le monde selon une nouvelle vision politique qui fait de l’action la source du bonheur humain.

Une telle prise de conscience, nourrie de la pensée des Lumières, ne peut dès lors se comprendre qu’en replaçant Candide dans sa spécificité historique et idéologique : l’ouvrage reprend sur le plan narratif l’une des principales revendications de la bourgeoisie : accorder aux mérites personnels de l’individu plus d’importance qu’à la noblesse de naissance et aux spéculations métaphysiques, sources de dérives en tout genre. Cet aspect est essentiel pour appréhender la visée didactique de l’oeuvre comme roman d’apprentissage. Si les malheurs de la vie font l’éducation de Candide, le héros en ressort sans doute meurtri mais plus sage, au terme d’un parcours initiatique qui le révèle à lui-même, suivant la pédagogie habituelle des contes philosophiques voltairiens. C’est donc en fonction de cette acception qu’il convient de situer la « philosophie » de Voltaire du fait qu’elle marque l’émergence d’une nouvelle conception de l’homme et du monde.

Conclusion

Plutôt que de sacrifier le bonheur aux chimères d’un avenir utopique ou d’une quelconque Providence théologique, l’auteur de L’Ingénu invite davantage à une réflexion sur le rôle de l’intellectuel dans l’Histoire ; et s’il n’a pas vraiment renouvelé le contenu conceptuel de la philosophie, Voltaire en a cependant redéfini les enjeux politiques par une littérature du vécu et de l’engagement qui trouve son inspiration dans le changement social, la pression sur les opinions publiques et le refus des ethnocentrismes, chemin privilégié pour la quête de soi.

Copyright © mars 2009, Bruno Rigolt
Lycée en Forêt / Espace Pédagogique Contributif

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1. André Julliot, « Candide, un roman philosophique ? » in Analyses et réflexions sur Candide, Collectif, Ellipses, Paris 1995

2. Qu’il me soit permis de renvoyer le lecteur à ce magnifique texte de Leibniz :
[…] il faut reconnaître d’abord, du fait qu’il existe quelque chose plutôt que rien, qu’il y a, dans les choses possibles ou dans la possibilité même, c’est-à-dire dans l’essence, une certaine exigence d’existence, ou bien, pour ainsi dire, une prétention à l’existence, en un mot, que l’essence tend par elle-même à l’existence. D’où il suit encore que tous les possibles, c’est-à-dire tout ce qui exprime une essence ou réalité possibles, tendent d’un droit égal à l’existence, en proportion de la quantité d’essence ou de réalité, c’est-à-dire du degré de perfection qu’ils impliquent. Car la perfection n’est autre chose que la quantité d’essence.

Par là, on comprend de la manière la plus évidente que, parmi l’infinité des combinaisons et des séries possibles, celle qui existe est celle par laquelle le maximum d’essence ou de possibilité est amené à exister. Il y a toujours, dans les choses, un principe de détermination, qu’il faut tirer de la considération d’un maximum et d’un minimum, à savoir que le maximum d’effet soit fourni avec un minimum de dépense. […]

Par là, on comprend avec admiration comment, dans la formation originelle des choses, Dieu applique une sorte de mathématique divine ou de mécanisme métaphysique, et comment la détermination du maximum y intervient. Ainsi, en géométrie l’angle déterminé parmi tous les angles est l’angle droit. Ainsi un liquide placé dans un autre, hétérogène, prend la forme qui a le maximum de capacité, à savoir la forme sphérique. Ainsi encore et surtout en mécanique ordinaire, de l’action de plusieurs graves concourant entre eux résulte le mouvement par lequel en fin de compte se réalise la plus grande descente. Et de même que tous les possibles tendent d’un droit égal à exister, en proportion de leur réalité, ainsi tous les poids tendent aussi d’un droit égal à descendre, en proportion de leur gravité ; de même qu’ici se produit le mouvement dans lequel se remarque le maximum de descente des graves, de même le monde qui se réalise est celui qui réalise le maximum de possibles.

G. W. Leibniz, De la production originelle des choses prises à sa racine, textes réunis et traduits par P. Schrecker, Librairie philosophique J. Vrin, 2001, pp. 84 et s.

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EAF Classes de Première : « Candide » ou le combat des Lumières

Support de cours

Candide ou le combat des Lumières

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Introduction

Publié anonymement à Genève en janvier 1759, Candide ou l’optimisme de Voltaire a emblématisé depuis sa parution le genre du conte philosophique. S’il prend la forme d’un violent réquisitoire contre la théorie leibnizienne de l’harmonie préétablie, force est d’admettre cependant que la critique voltairienne de la pensée de Leibniz se place davantage au niveau de la caricature que sur le plan du débat de concepts ou d’idées. C’est à juste titre qu’André Julliot faisait remarquer combien « nulle part dans ce roman il n’est question d’une pensée philosophique digne de ce nom […]. Les inepties proférées par Pangloss et les doutes non moins ridicules de Candide ne sauraient, en effet, concerner les thèses de Leibniz et encore moins leur ressembler »¹. Ces propos d’un philosophe illustrent à eux seuls la difficulté d’appréhender le texte voltairien selon l’acception conventionnelle du mot « philosophie » : savoir totalisant et questionnement abstrait visant à une interprétation globale du monde et de l’existence humaine.

C’est donc davantage sur le terrain politique et idéologique que celui de l’idéalisme philosophique qu’il faut envisager l’œuvre. En ce sens, Voltaire serait davantage un philosophe au sens moderne que le terme va prendre à partir des Lumières : dans cette perspective, le philosophe est celui qui par le développement du savoir et de la rationalité scientifique doit permettre une amélioration des conditions sociales et politiques. Il est essentiel de bien comprendre ce renouveau épistémologique à partir du dix-huitième siècle pour saisir à sa juste valeur la révolution sans précédent qu’a amenée le système de pensée de Voltaire. Aussi je vous propose dans ce support de cours de réfléchir à Candide selon une double perspective : la destruction d’un système métaphysique, et la justification d’une morale critique de la société.

Le système philosophique de Leibniz et son discrédit par Voltaire

Exposée en 1710 dans ses Essais de Théodicée sur la bonté de Dieu, la liberté de l’homme et l’origine du mal, la théorie de Leibniz se fonde sur le concept d’optimisme ( « doctrine du meilleur »). Au dix-huitième siècle, il s’agit d’un néologisme dérivé du terme « optimum », superlatif de « bonum ». Philosophiquement parlant, l’optimisme se fonde sur une conception de la vie et de l’univers d’après laquelle tout est bien, ou le mieux possible grâce à une « harmonie préétablie » par Dieu : dans sa sagesse, « l’auteur des choses […] ne fait rien sans harmonie et sans raison » |source|. La question que pose Leibniz est donc la suivante : Pourquoi Dieu, par définition parfait, a-t-il créé un monde imparfait ? |source| La réponse proposée dans la Théodicée valorise le libre-arbitre des hommes : c’est en effet parce que Dieu les a voulu libres qu’ils peuvent faire le mal.

Mais ces « mauvaises » actions vont pourtant contribuer au perfectionnement du monde. Comme le dit Leibniz, « la limitation ou l’imperfection originale des créatures fait que même le meilleur plan de l’univers ne saurait être exempté de certains maux, mais qui y doivent tourner à un plus grand bien. Ce sont quelques désordres dans les parties, qui relèvent merveilleusement la beauté du tout; comme certaines dissonances, employées comme il faut, rendent l’harmonie plus belle » |source|. Le Mal est donc un moindre mal en vue d’un mieux : telle est la définition de l’optimisme. Chez Leibniz, la Théodicée constitue ainsi une réponse au débat philosophique sur l’origine du mal, le libre-arbitre de l’homme et l’idée d’harmonie universelle voulue par Dieu.

En délaissant intentionnellement cette grande question, éminemment philosophique, Voltaire a inscrit Candide dans un contexte beaucoup plus contingent et fantaisiste qui ne pouvait que discréditer, de par la simplification excessive et l’anticléricalisme implicite du texte, le concept d’optimisme². Faire de Pangloss le double de Leibniz, ce serait en effet se méprendre sur les intentions de Voltaire, ou tout au moins sur la portée de sa « philosophie ». Quelques mots ou expressions pris au hasard (« bien », « mieux », « meilleur des mondes possibles », « cause », « effet », « raison suffisante », etc.)  et répétés à l’envi particulièrement dans les premiers chapitres, sont autant d’effets de rhétorique qui inscrivent la démonstration métaphysique de Leibniz dans la parodie. Plus fondamentalement, sa réflexion sur la causalité porte Voltaire à vouloir changer le monde par une pensée de l’engagement et de l’action, qui discrédite les systèmes de pensée a priori, les postulats idéalistes, et plus généralement ce qu’on pourrait appeler « l’intellectualisme ».

S’il dénonce aussi sévèrement la philosophie optimiste, c’est que derrière son apparence rationnelle, elle serait responsable selon Voltaire d’une illusion métaphysique qui légitime le mal et l’injustice. Ce que l’auteur réfute dans les absolus spéculatifs, c’est bien leur prétention à imposer au monde un dogmatisme d’autant plus arbitraire qu’il est énoncé sans preuves et sans rationalité. Comme vous l’avez vu à de nombreuses reprises, Pangloss est à ce titre le type même de l’intellectuel qui a réponse à tout candide.1236196052.jpg(d’où son nom) et qui philosophe dans le vide. Son systématisme le porte à croire que « tout est au mieux » :

« Pangloss enseignait la métaphysico-théologo-cosmolonigologie. Il prouvait admirablement qu’il n’y a point d’effet sans cause, et que, dans ce meilleur des mondes possibles, le château de monseigneur le baron était le plus beau des châteaux et madame la meilleure des baronnes possibles. »

« Il est démontré, disait-il, que les choses ne peuvent être autrement : car, tout étant fait pour une fin, tout est nécessairement pour la meilleure fin. Remarquez bien que les nez ont été faits pour porter des lunettes, aussi avons-nous des lunettes. Les jambes sont visiblement instituées pour être chaussées, et nous avons des chausses. Les pierres ont été formées pour être taillées, et pour en faire des châteaux, aussi monseigneur a un très beau château ; le plus grand baron de la province doit être le mieux logé ; et, les cochons étant faits pour être mangés, nous mangeons du porc toute l’année : par conséquent, ceux qui ont avancé que tout est bien ont dit une sottise ; il fallait dire que tout est au mieux. »

Comme on le remarque ici (mais l’on aurait pu évoquer tant d’autres passages sur la légitimation de la guerre, de l’Inquisition, des fanatismes religieux, de l’esclavage, etc.), la faute morale de Pangloss tient à une erreur de départ : l’inspiration métaphysique de sa doctrine accrédite en effet des présupposés qui ne découlent d’aucune expérience. En fait, même si Voltaire ne l’a jamais vraiment avoué et a préféré se faire le porte-parole d’un certain déisme, il y a chez lui un rejet implicite de Dieu qui explique en partie l’antipathie répétée pour l’auteur de la Théodicée, le manichéisme de l’œuvre, et plus fondamentalement le rejet de toutes les doctrines métaphysiques, à commencer par la preuve cosmo-théologique de l’existence de Dieu chère à Leibniz. Mais en fait, comme nous allons le voir, c’est moins le philosophe allemand qui est visé que l’Occident judéo-chrétien dans son ensemble.

La spécificité du conte voltairien : de l’idéalisme métaphysique à l’idéalisme rationaliste

Qu’il s’agisse du paradis ethnocentriste et chimérique de Thunder-ten-Tronckh ou de l’optimisme aveugle de Pangloss, l’erreur de l’idéalisme métaphysique pour Voltaire est de réduire la réalité à une dimension illusoire et close sur elle-même qui subvertit le sens de l’histoire. Cette thèse nourrit dans le livre une vaste réflexion sociale à travers laquelle Voltaire ébranle les fondements idéologiques de l’Occident chrétien en le soumettant à une lecture politique. Les mots bien connus de Candide au chapitre dix-neuf expriment à cet égard le cri de révolte de Voltaire lui-même face au système de l’optimisme : « Ô Pangloss ! s’écria Candide, tu n’avais pas deviné cette abomination ; c’en est fait, il faudra qu’à la fin je renonce à ton optimisme. -Qu’est-ce qu’optimisme ? disait Cacambo. -Hélas ! dit Candide, c’est la rage de soutenir que tout est bien quand on est mal. »

En contrepoint de l’idéalisme métaphysique, c’est donc l’idéalisme rationaliste qui apporte le plus grand démenti à l’optimisme de Candide, et traduit le mieux le point de vue de Voltaire. Même le bonheur de l’Eldorado, trop utopique, ou l’apologue du derviche, trop spéculatif sans doute, ne sauraient pour l’auteur constituer une fin en soi de par leur présupposé idéaliste ou transcendantal. Comme le chapitre trente le suggère très bien, le véritable bonheur est à la fois « prise de conscience » et « crise de conscience » d’un système idéologique marqué par l’ancien régime. La fameuse phrase qui conclut l’odyssée de Candide (« Il faut cultiver notre jardin ») ébauche à la fois un principe de sagesse et de modération, et un principe d’économie politique très proche de « l’ordre naturel » des Physiocrates, basé sur le travail, l’échange et les lois de la nature. « Cultiver son jardin », c’est pour Voltaire refuser tout ce qui détourne l’homme de ses finalités concrètes. C’est en ce sens que ce conte philosophique redéfinit la place des hommes dans le monde selon une nouvelle vision politique qui fait de l’action la source du bonheur humain.

Une telle prise de conscience, nourrie de la pensée des Lumières, ne peut dès lors se comprendre qu’en replaçant Candide dans sa spécificité historique et idéologique : l’ouvrage reprend sur le plan narratif l’une des principales revendications de la bourgeoisie : accorder aux mérites personnels de l’individu plus d’importance qu’à la noblesse de naissance et aux spéculations métaphysiques, sources de dérives en tout genre. Cet aspect est essentiel pour appréhender la visée didactique de l’oeuvre comme roman d’apprentissage. Si les malheurs de la vie font l’éducation de Candide, le héros en ressort sans doute meurtri mais plus sage, au terme d’un parcours initiatique qui le révèle à lui-même, suivant la pédagogie habituelle des contes philosophiques voltairiens. C’est donc en fonction de cette acception qu’il convient de situer la « philosophie » de Voltaire du fait qu’elle marque l’émergence d’une nouvelle conception de l’homme et du monde.

Conclusion

Plutôt que de sacrifier le bonheur aux chimères d’un avenir utopique ou d’une quelconque Providence théologique, l’auteur de L’Ingénu invite davantage à une réflexion sur le rôle de l’intellectuel dans l’Histoire ; et s’il n’a pas vraiment renouvelé le contenu conceptuel de la philosophie, Voltaire en a cependant redéfini les enjeux politiques par une littérature du vécu et de l’engagement qui trouve son inspiration dans le changement social, la pression sur les opinions publiques et le refus des ethnocentrismes, chemin privilégié pour la quête de soi.

Copyright © mars 2009, Bruno Rigolt
Lycée en Forêt / Espace Pédagogique Contributif

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1. André Julliot, « Candide, un roman philosophique ? » in Analyses et réflexions sur Candide, Collectif, Ellipses, Paris 1995

2. Qu’il me soit permis de renvoyer le lecteur à ce magnifique texte de Leibniz :
[…] il faut reconnaître d’abord, du fait qu’il existe quelque chose plutôt que rien, qu’il y a, dans les choses possibles ou dans la possibilité même, c’est-à-dire dans l’essence, une certaine exigence d’existence, ou bien, pour ainsi dire, une prétention à l’existence, en un mot, que l’essence tend par elle-même à l’existence. D’où il suit encore que tous les possibles, c’est-à-dire tout ce qui exprime une essence ou réalité possibles, tendent d’un droit égal à l’existence, en proportion de la quantité d’essence ou de réalité, c’est-à-dire du degré de perfection qu’ils impliquent. Car la perfection n’est autre chose que la quantité d’essence.

Par là, on comprend de la manière la plus évidente que, parmi l’infinité des combinaisons et des séries possibles, celle qui existe est celle par laquelle le maximum d’essence ou de possibilité est amené à exister. Il y a toujours, dans les choses, un principe de détermination, qu’il faut tirer de la considération d’un maximum et d’un minimum, à savoir que le maximum d’effet soit fourni avec un minimum de dépense. […]

Par là, on comprend avec admiration comment, dans la formation originelle des choses, Dieu applique une sorte de mathématique divine ou de mécanisme métaphysique, et comment la détermination du maximum y intervient. Ainsi, en géométrie l’angle déterminé parmi tous les angles est l’angle droit. Ainsi un liquide placé dans un autre, hétérogène, prend la forme qui a le maximum de capacité, à savoir la forme sphérique. Ainsi encore et surtout en mécanique ordinaire, de l’action de plusieurs graves concourant entre eux résulte le mouvement par lequel en fin de compte se réalise la plus grande descente. Et de même que tous les possibles tendent d’un droit égal à exister, en proportion de leur réalité, ainsi tous les poids tendent aussi d’un droit égal à descendre, en proportion de leur gravité ; de même qu’ici se produit le mouvement dans lequel se remarque le maximum de descente des graves, de même le monde qui se réalise est celui qui réalise le maximum de possibles.

G. W. Leibniz, De la production originelle des choses prises à sa racine, textes réunis et traduits par P. Schrecker, Librairie philosophique J. Vrin, 2001, pp. 84 et s.

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La citation de la semaine… Marcel Proust…

« L’édifice immense du souvenir… »

« Un jour d’hiver, comme je rentrais à la maison, ma mère, voyant que j’avais froid, me proposa de me faire prendre, contre mon habitude, un peu de thé. Je refusai d’abord et, je ne sais pourquoi, me ravisai. Elle envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d’une coquille de Saint-Jacques. Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d’un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j’avais laissé s’amollir un morceau de madeleine. Mais à l’instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi. […]

Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu. Ce goût c’était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray […] ma tante Léonie m’offrait après l’avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine proust.1236146581.jpgne m’avait rien rappelé avant que je n’y eusse goûté […]. Mais, quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir.

Et dès que j’eus reconnu le goût du morceau de madeleine trempé dans le tilleul que me donnait ma tante […] aussitôt la vieille maison grise sur la rue, où était sa chambre, vint comme un décor de théâtre […] et avec la maison, la ville, la Place où on m’envoyait avant déjeuner, les rues où j’allais faire des courses depuis le matin jusqu’au soir et par tous les temps, les chemins qu’on prenait si le temps était beau […] et les nymphéas de la Vivonne, et les bonnes gens du village et leurs petits logis et l’église et tout Combray et ses environs, tout cela qui prend forme et solidité, est sorti, ville et jardins, de ma tasse de thé. »

Marcel Proust, « Combray », Du coté de chez Swann, À la Recherche du temps perdu, 1913

Cet épisode est en partie autobiographique : c’est lors d’une expérience en janvier 1909 que Proust, en trempant une biscotte de pain grillé dans du thé, songea à l’importance de la mémoire involontaire. Quelques années plus tard il amplifia considérablement ce souvenir au point d’en faire l’un des éléments déclencheurs de la Recherche du temps perdu. Dans ce passage en effet, le narrateur tente de reconstruire le « temps perdu » de l’enfance. Un épisode a priori banal et fortuit (la dégustation d’une « madeleine » trempée dans le thé) fait ressurgir en lui « l’édifice immense du souvenir ». C’est par la réminiscence involontaire que le narrateur retrouve des sensations et des sentiments qu’il croyait avoir à jamais oubliés. De dévoilement en dévoilement, c’est le « temps retrouvé » qui ressurgit… Ce passage à la fois psychologique et métaphysique a suscité un véritable « mythe », entre légende, littérature et psychanalyse. Dans un essai à juste titre célèbre (La Place de la Madeleine, Écriture et fantasme chez Proust) Serge Doubrovsky a d’ailleurs suggéré que le narrateur jouait ici avec les initiales : la Petite Madeleine serait-elle une signature inconsciente de l’auteur lui-même : Proust Marcel ?

Publication des supports de cours en ligne. Calendrier prévisionnel [4-11 mars 2009]

Classe de Seconde 12

  • Support de cours Séquence 6. Introduction à La Mort à Venise (Thomas Mann). Mise en ligne : jeudi 5 mars mis en ligne

Classes de Première

  • Support de cours Séquence 3 Candide ou le combat des Lumières : mise en ligne reportée au mercredi 4 mars mis en ligne
  • Support de cours Séquence 3 Le style de Voltaire dans Candide : mise en ligne vendredi 6 mars, 21:00
  • Support de cours Séquence 3 Voltaire et les représentations de la femme dans Candide. Stéréotypes et sexisme : mise en ligne dimanche 8 mars mis en ligne

BTS 2

  • Sociologie du détour : crise des modèles et ruptures sociétales : mise en ligne reportée au samedi 7 mars.
  • Entraînement BTS n°3 (« Faire voir ») : mise en ligne mercredi 11 mars mis en ligne
  • (« Faire voir ») L’image de soi à la télévision ; du corps biologique au corps médiatique : mise en ligne reportée après les vacances d’hiver.
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Culture générale-BTS Langage figuré et Sémiotique du détour

bts2009.1232872062.jpgThème BTS (2009 et 2010) : le détour

Nous avons déjà vu (voir les autres études sur le thème du détour) que c’est par rapport à la société, à ses modèles, à ses schémas de représentation et de symbolisation que doit être envisagé le concept de détour. Je voudrais dans ce support de cours approfondir ce point de vue en invitant les étudiant(e)s à réfléchir au détour selon une approche sémiotique.

Langage figuré et Sémiotique du détour

On entend par Sémiotique l’étude des conditions de production du sens par rapport à un contexte donné. À ce titre, on se reportera utilement pour commencer cette étude à la problématique proposée par les Instructions Officielles : « À l’heure du mythe d’une communication immédiate et transparente, la société contraint toujours à des détours de langage […]. Tout discours est médiation. » Cette précision invite à une réflexion sur ce que j’appellerai ici la « sémiotique du détour », c’est-à-dire l’étude des mots et des langages dans leur rapport aux codes et aux modèles sociétaux.

Le langage figuré…

Le langage figuré par exemple, en brouillant les repères, et en orientant le texte vers son aspect connotatif, détermine l’une des plus fortes caractéristiques du détour. Loin de se limiter à une fonction purement ornementale ou décorative, il devient ambivalent car chargé de valeurs symboliques, qui sont à la base même du métaphorique, de l’implicite et du non-dit. C’est en ce sens qu’il est presque impossible de définir intrinsèquement le détour. Par sa polysémie même, le mot de détour fait passer d’une vision du discours homogène à un sens de plus en plus hétérogène qu’il s’agit de déchiffrer. J’en veux pour exemple les fameux Exercices de style de Raymond Queneau (1947). Le  narrateur y raconte le même fait divers, mais de quatre-vingt-dix-neuf manières différentes! Par les choix énonciatifs qu’il manifeste, l’ouvrage de Queneau fournit un outil précieux pour étudier le détour d’un point de vue sémiotique. Comme vous allez le voir, l’énoncé de base est volontairement référentiel :

« Notations : Dans l’S (1), à une heure d’affluence. Un type dans les vingt-six ans, chapeau mou avec cordon remplaçant le ruban, cou trop long comme si on lui avait tiré dessus. Les gens descendent. Le type en question s’énerve contre un voisin. Il lui reproche de le bousculer chaque fois qu’il passe quelqu’un. Ton pleurnichard qui se veut méchant. Comme il voit une place libre, se précipite dessus.  Deux heures plus tard, je le rencontre Cour de Rome, devant la gare Saint-Lazare. Il est avec un camarade qui lui dit : « Tu devrais faire mettre un bouton supplémentaire à ton pardessus. » Il lui montre où (à l’échancrure) et pourquoi. »

Considérons maintenant quelques variations de cet énoncé de base :

« Litotes : Nous étions quelques-uns à nous déplacer de conserve. Un jeune homme, qui n’avait pas l’air très intelligent, parla quelques instants avec un monsieur qui se trouvait à côté de lui, puis il alla s’asseoir.
Deux heures plus tard, je le rencontrai de nouveau; il était en compagnie d’un camarade et parlait chiffons ».

Par rapport à l’euphémisme (qui est une figure d’atténuation), la litote consiste à dire moins, mais pour suggérer davantage. C’est une figure du détour puisqu’elle amène à un écart entre l’information véhiculée et le système expressif utilisé. Si nous percevons comme une litote l’expression « qui n’avait pas l’air très intelligent », c’est parce que nous avons de bonnes raisons de penser en regard du contexte, qu’il serait plus juste d’affirmer : « qui avait l’air bête ». L’arrangement lexico-syntaxique du texte manipule ici l’information première au point d’obliger le lecteur à adapter ses codes de lecture. Mais la reconstruction du sens dénoté ne peut se faire qu’en pointillés : en fait, le langage figuré, une fois déchiffré, ne renvoie pas vraiment au sens littéral mais à un sens dérivé qui accentue plus encore l’ordre du détournement. Trois exemples empruntés toujours aux Exercices de style sont encore plus caractéristiques de ce détournement :

« Métaphoriquement : Au centre du jour, jeté dans le tas des sardines voyageuses d’un coléoptère à l’abdomen blanchâtre, un poulet au grand cou déplumé harangua soudain l’une, paisible, d’entre elles […]. 
Dans un morne désert urbain, je le revis le jour même […]. »

Dans cet exemple, le détour n’existe que dans la distance qui sépare le sens dérivé du sens littéral : l’énoncé en effet n’est identifiable qu’à condition de savoir que les sardines désignent non pas un animal mais la foule. Même remarque pour le « morne désert urbain » de la cour de Rome. Le message, prenant place dans un fonctionnement polysémique du langage, est ici détourné de sa fonction référentielle première en créant un sens figuré, des effets de décalage, d’incongruité, d’écart sémantique par référence aux normes et aux systèmes de valeur du langage commun. Tout le discours métaphorique renvoie donc à un sens détourné de sa valeur initiale, qu’il s’agit d’exprimer par détours. La métaphore est ainsi capable de transporter (méta-phora) le sens littéral vers un ailleurs plus implicite et virtuel, constitutif du dualisme entre le « sens tout tracé » et le détour.

Regardez maintenant ces deux passages :

« Ampoulé : À l’heure où commencent à se gercer les doigts roses de l’aurore, je montai tel un dard rapide dans un autobus à la puissante stature et aux yeux de vache de la ligne S au trajet sinueux. Je remarquai, avec la précision et l’acuité de l’Indien sur le sentier de la guerre, la présence d’un jeune homme dont le col était plus long que celui de la girafe au pied rapide, et dont le chapeau de feutre mou fendu s’ornait d’une tresse, tel le héros d’un exercice de style. La funeste Discorde aux seins de suie vint de sa bouche empestée par un néant de dentifrice, la Discorde, dis-je, vint souffler son virus malin entre ce jeune homme au col de girafe et à la tresse autour du chapeau, et un voyageur à la mine indécise et farineuse. Celui-là s’adressa en ces termes à celui-ci: «Dites moi, méchant homme, on dirait que vous faites exprès de me marcher sur les pieds!» Ayant dit ces mots, le jeune homme au col de girafe et à la tresse autour du chapeau s’alla vite asseoir.
Plus tard, dans la Cour de Rome aux majestueuses proportions, j’aperçus de nouveau le jeune homme au cou de girafe et à la tresse autour du chapeau, accompagné d’un camarade arbitre des élégances qui proférait cette critique que je pus entendre de mon oreille agile, critique adressée au vêtement le plus extérieur du jeune homme au col de girafe et à la tresse autour du chapeau: «Tu devrais en diminuer l’échancrure par l’addition ou l’exhaussement d’un bouton à la périphérie circulaire. »

« Vulgaire : L’était un peu plus dmidi quand j’ai pu monter dans l’esse. Jmonte donc, jpaye ma place comme de bien entendu et voilàtipas qu’alors jremarque un zozo l’air pied, avec un cou qu’on aurait dit un télescope et une sorte de ficelle autour du galurin. […] Jrepasse plus tard Cour de Rome et jl’aperçois qui discute le bout de gras avec autre zozo de son espèce. Dis donc, qu’i lui faisait l’autre, tu d’vrais, qu’i lui disait, mettre un ottbouton, qu’il ajoutait, à ton pardingue, qu’i concluait. »

Le détour… Mais par rapport à quoi?

Comme on le pressent à travers ces deux citations, c’est par rapport à une norme de langage, à un « bon usage » du discours qu’il faut envisager les écarts stylistiques : le texte de Queneau joue à la fois sur l’usage que nous faisons des mots, et sur la relation arbitraire entre leur signifiant et leurs signifiés. Les composantes langagières du lyrisme ampoulé ou de l’argot dans les textes ci-dessus déconstruisent le langage courant et obligent en effet le lecteur à tester plusieurs grilles d’interprétation entre ce qu’il perçoit et ce qu’il interprète, selon une logique de cryptage et de déchiffrement qui fait passer le message du dénoté au connoté, du référentiel au symbolique. Cette vision esthétisante détourne le champ sémantique des mots : quand Queneau écrit « À l’heure où commencent à se gercer les doigts roses de l’aurore » ou bien « L’était un peu plus dmidi », on comprend que l’énoncé perd intentionnellement son caractère référentiel pour permettre un usage parodique du discours qui en valorise la fonction poétique au sens jakobsonien. L’auteur va jusqu’à provoquer ludiquement le lecteur en comparant le jeune homme au « héros d’un exercice de style ».

On peut alors parler de « détournement » du sens selon une logique digressive. Randa Sabry faisait justement remarquer que « toutes les définitions de la digression se ramènent à un constat d’écart. Qui digresse s’éloigne du sujet, s’écarte de son propos, s’égare en quittant la grand-route. Invariablement revient la référence à un plan discursif plus ou moins lointain duquel ou sur lequel se détache la digression » (2).

Le détour est un évitement référentiel…

Nous l’avons compris : les difficultés d’approche du détour tiennent à ce que le mot fait à la fois figure d’euphémisme et qu’il désigne une « clandestinité » (« se détourner de ») souvent transgressive. On peut alors affirmer que le détour est un « évitement référentiel », une ruse de langage, un stratagème. Deux exemples peuvent nous intéresser ici. Tout d’abord l’écriture automatique, inventée par André Breton en 1924. Caractéristique du Surréalisme, l’écriture automatique est selon l’auteur une « dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale » (3). L’exemple ci-dessous en est une parfaite illustration :

« Il y avait une fois un dindon sur une digue. Ce dindon n’avait plus que quelques jours à s’allumer au grand soleil et il se regardait avec mystère dans une glace de Venise disposée à cet effet sur la digue. »

Michael Riffaterre (4) faisait justement remarquer que « l’écriture automatique propose une phrase qui, à première vue, ne semble pas être un cas de non-sens. […]. Ce n’est que rétroactivement que l’absurdité saute aux yeux. » Comme on le comprend en effet, le texte est construit de manière à mystifier, à berner le lecteur, afin de rendre toute lecture référentielle impossible. Le détour, au niveau du langage, introduit donc une incompatibilité sémantique : le réel est certes décrit minutieusement, mais en fait tout semble se dérober : le sens véritable, c’est bien le sens dérivé !

Sous-entendu et implicite

On pourrait à cet égard s’interroger : le détour n’est-il pas précisément le mode du « non vouloir dire » pour mieux dire? Le marivaudage, si caractéristique des échanges amoureux dans les pièces de Marivaux (1688-1763) est sans aucun doute un bon exemple de détour. Synonyme de badinage galant, de préciosité, de discours alambiqué, le marivaudage est précisément un détour de langage fondé sur le jeu, la séduction et le quiproquo. Ce dialogue amoureux du Jeu de l’amour et du hasard (Acte I, scène 6) en est une bonne illustration.

« DORANTE. Ma foi, l’amour a plus de tort qu’elle, j’aimerais mieux qu’il me fût permis de te demander ton cœur, que d’avoir tous les biens du monde.
SILVIA, à part. Nous voilà grâce au ciel en conversation réglée. Haut. Bouguignon, je ne saurai me fâcher des discours que tu me tiens ; mais je t’en prie, changeons d’entretien, venons à ton maître ; tu peux te passer de me parler d’amour, je pense ?
DORANTE. Tu pourrais bien te passer de m’en faire sentir, toi.
SILVIA. Ahi ! je me fâcherai, tu m’impatientes, encore une fois laisse là ton amour.
DORANTE. Quitte donc ta figure. 
SILVIA, à part. À la fin, je crois qu’il m’amuse … Haut. Eh bien, Bourguignon, tu ne veux donc pas finir, faudra-t-il que je te quitte ? À part. Je devrais déjà l’avoir fait.
DORANTE. Attends, Lisette, je voulais moi-même te parler d’autre chose ; mais je ne sais plus ce que c’est.
SILVIA. J’avais de mon côté quelque chose à te dire ; mais tu m’as fait perdre mes idées aussi, à moi.
DORANTE. Je me rappelle de t’avoir demandé si ta maîtresse te valait.
SILVIA. Tu reviens à ton chemin par un détour, adieu. 
DORANTE. Eh non, te dis-je, Lisette, il ne s’agit ici que de mon maître.
SILVIA. Eh bien, soit, je voulais te parler de lui aussi, et j’espère que tu voudras bien me dire confidemment ce qu’il est ; ton attachement pour lui m’en donne bonne opinion, il faut qu’il ait du mérite puisque tu le sers.
DORANTE. Tu me permettras peut-être bien de te remercier de ce que tu me dis là, par exemple ?
SILVIA. Veux-tu bien ne prendre pas garde à l’imprudence que j’ai eue de le dire ?
DORANTE. Voilà encore de ces réponses qui m’emportent ; fais comme tu voudras, je n’y résiste point, et je suis bien malheureux de me trouver arrêté par tout ce qu’il y a de plus aimable au monde. 
SILVIA. Et moi je voudrais bien savoir comment il se fait que j’ai la bonté de t’écouter, car assurément, cela est singulier ! »

Ces jeux verbaux faits de sous-entendus et d’implicites traduisent ludiquement une sorte de « fictionnalisation » du réel propre à évoquer les troubles du cœur. Comme le fait remarquer justement Amalia Rodriguez Somolinos, « les pièces de Marivaux traduisent le jeu de la vie, un jeu qui est fait de masques, de personnages qui se cachent derrière des mots, qui ignorent leurs propres sentiments et qui ne les découvrent qu’à travers le langage. Le langage reflète donc ce jeu qu’est la vie et il sert à la fois à lever le masque ; il constitue un instrument de démasquage » (5). Ainsi, ce qu’il y a de stimulant intellectuellement dans l’idée de détour, c’est qu’elle introduit une altérité dans le fonctionnement du discours en lui niant précisément son caractère déterministe par l’introduction de l’écart et de la digression.

« Faire catleya »

Avant de terminer cette étude, je voudrais évoquer un passage très connu d’À la Recherche du temps perdu de Marcel Proust. Plus précisément dans Un amour de Swann, le narrateur use d’une métaphore non moins célèbre « faire catleya »… (Le cattleya, écrit avec un seul « t » par Proust, est une orchidée originaire d’Amérique du sud). Je vous laisse lire le texte avant de le commenter :

« Mais il était si timide avec elle, qu’ayant fini par la posséder ce soir-là,  en commençant par arranger ses catleyas, soit crainte de la froisser, soit peur de paraître rétrospectivement avoir menti, soit manque d’audace pour formuler une exigence plus grande que celle-là (qu’il pouvait renouveler puisqu’elle n’avait pas fâché Odette la première fois), les jours suivants il usa du même prétexte. Si elle avait des catleyas à son corsage, il disait : « C’est   malheureux, ce soir, les catleyas n’ont pas besoin d’être arrangés, ils n’ont pas été déplacés comme l’autre soir ; il me semble pourtant que celui-ci n’est pas très droit. Je peux voir s’ils ne sentent pas plus que les autres ? » Ou bien, si elle n’en avait pas : « Oh ! pas de catleyas ce soir, pas moyen de me livrer à mes petits arrangements.» De sorte que, pendant quelque temps, ne fut pas changé l’ordre qu’il avait suivi le premier soir, en débutant par des attouchements de doigts et de lèvres sur la gorge d’Odette et que ce fut par eux encore que commençaient chaque fois ses caresses ; et, bien plus tard quand l’arrangement (ou le simulacre d’arrangement) des catleyas, fut depuis longtemps tombé en désuétude, la métaphore «faire catleya», devenue un simple vocable qu’ils employaient sans y penser quand ils voulaient signifier l’acte de la possession physique —où d’ailleurs l’on ne possède rien— survécut dans leur langage, où elle le commémorait, à cet usage oublié. Et peut-être cette manière particulière de dire « faire l’amour » ne signifiait-elle pas exactement la même chose que ses synonymes. »

Comme vous le voyez, l’expression « faire catleya » euphémise la réalité physique selon une logique de détournement qui transforme le sens littéral (« faire l’amour ») en « caresse verbale », et qui amène à penser que le sens littéral pourrait être un leurre. Le sous-entendu constitue donc le véritable objet du message. Le détour amène ainsi à l’incertitude et au code secret entre Swann et Odette. La rhétorique amoureuse du cattleya semble détourner le signifié amoureux de son contexte référentiel pour le situer davantage dans l’ordre du pur signifiant, de l’émotionnel et de l’esthétiqueOn pourrait d’ailleurs affirmer de la Recherche du temps perdu que c’est un roman du détour : la réalité semblant échapper perpétuellement au narrateur. Pour Swann, se représenter le réel, c’est s’en détourner. Aussi le narrateur n’arrête-t-il d’explorer le réel tout en s’en distançant. Le thème de l’amour impossible ne cesse d’habiter ce roman du retour en arrière : entre le réel et l’irréel, entre la présence et l’absence, la femme désirée apparaît dans toute son opacité, son étrangeté, comme une fleur inaccessible. La « recherche du temps perdu » est donc bien celle d’un impossible détour…

Conclusion :  le détour a-t-il un « sens » ?

Comment conclure cette étude? En premier lieu, j’insisterai sur les rapports entre détour et digression. Dans tous les textes que nous avons parcourus, c’est bien la distance, la séparation, la digression qui font naître le détour. Maurice Laugaa faisait remarquer à propos de la digression qu’elle « représente bien dans un texte quelconque la fiction d’un ailleurs substitutive et intercalaire, elle s’insère à la place du rien » (6). Parce qu’il est digressif, le détour appartient donc à l’ordre de la transgression : nous avons vu avec Queneau ou Breton par exemple qu’il mettait en jeu délibérément une capacité à la dérision, à la provocation. Peut-être est-ce là son sens véritable ? Le détour serait ainsi une invitation à franchir la limite du « comme il faut », du non-sens pour retrouver le sens véritable. Je vous laisse méditer en conclusion ce passage de l’Exégèse des lieux communs de Léon Bloy :

« Être comme il faut. Règle sans exception. Les hommes dont il ne faut pas ne peuvent jamais être comme il faut. Par conséquent, exclusion, élimination immédiate et sans passe-droit de tous les gens supérieurs. Un homme comme il faut doit être, avant tout, un homme comme tout le monde. Plus on est semblable à tout le monde, plus on est comme il faut. C’est le sacre de la Multitude. »

Face à ce « sacre de la multitude », le détour ne serait-il pas finalement un retour à soi-même ?

© Bruno Rigolt, Lycée en Forêt (Montargis, France)

___________________

(1) Nom d’une ligne de tramway (Contrescarpe-Champerret) dans le Paris contemporain de l’auteur ; (2) Randa Sabry, Stratégies discursives… Digression, transition, suspens. EHESS Paris 1992 ; (3) André breton, Manifeste du Surréalisme, 1924 ; (4) Michael Riffaterre, Sémiotique de la poésie, éditions du Seuil, Paris 1983 ; (5) Amalia Rodriguez Somolinos, Énonciation et pragmatique : le marivaudage. Pour lire l’étude en ligne, cliquez ici ; (6) Maurice Laugaa, « Le Théâtre de la digression dans le discours classique », Semiotica IV, La Haye, 1971 
NetÉtiquette : article protégé par copyright ; l’usage privé est libre. La diffusion publique est autorisée sous réserve d’indiquer le nom de l’auteur ainsi que la source : http://brunorigolt.blog.lemonde.fr/

Entraînement au BTS… Thème 1 : "faire voir… entre charité et voyeurisme"

bts2009.1232872062.jpgLes entraînements BTS

Entraînement n°2 : Thème 1 : « faire voir… la misère » : humanité ou voyeurisme ?

Je vous propose dans cet entraînement de réfléchir à la place actuelle de l’image dans le spectacle et l’information, et plus particulièrement à la relation entre la représentation de la misère et le miss_sdf.1235595819.jpgvoyeurisme. Deux événements actuels qui font polémique me paraissent mériter un traitement particulier dans l’optique du thème « Faire voir », précisément parce qu’ils sont caractéristiques de notre « société du spectacle » : d’abord en Belgique l’élection de Miss SDF ; par ailleurs le film de Danny Boyle « Slumdog millionnaire ».

Pas de consigne spécifique pour cette activité qui sera plutôt l’occasion de prendre en considération (sans a priori négatif) d’une part le fonctionnement de la télé-réalité et son impact sur l’opinion publique (« racolage » médiatique ou questionnement documentaire?), et d’autre part slumdog.1235594347.jpgnotre relation à l’altérité (comment voit-on l’autre?), et la façon dont l’image est source d’information et de spectacularisation. C’est bien entendu la question de la déontologie des médias qui se trouve posée ici.  

Plus globalement, dans un monde qui subit actuellement une crise sans précédent de la citoyenneté, cette problématique (qui est tout à fait dans l’axe des questionnements possibles pour le BTS 2009) doit être méditée dans une double perspective : l‘influence des médias sur la société ainsi que les enjeux contemporains des technologies de communication pour la démocratie. Tous les documents sont disponibles en ligne : soyez attentifs aux différentes prises de position avant de proposer votre propre point de vue.

Élection de miss SDF :

Slumdog millionnaire :

Certaines ou certains m’ont fait part de leur souhait que leurs analyses soient publiées en ligne. Je veux bien autoriser les commentaires ou questionnements pour les entraînements BTS, sous réserve qu’ils respectent l’esprit et la tenue de ce Cahier de texte.

Entraînement au BTS… Thème 1 : « faire voir… entre charité et voyeurisme »

bts2009.1232872062.jpgLes entraînements BTS

Entraînement n°2 : Thème 1 : « faire voir… la misère » : humanité ou voyeurisme ?

Je vous propose dans cet entraînement de réfléchir à la place actuelle de l’image dans le spectacle et l’information, et plus particulièrement à la relation entre la représentation de la misère et le miss_sdf.1235595819.jpgvoyeurisme. Deux événements actuels qui font polémique me paraissent mériter un traitement particulier dans l’optique du thème « Faire voir », précisément parce qu’ils sont caractéristiques de notre « société du spectacle » : d’abord en Belgique l’élection de Miss SDF ; par ailleurs le film de Danny Boyle « Slumdog millionnaire ».

Pas de consigne spécifique pour cette activité qui sera plutôt l’occasion de prendre en considération (sans a priori négatif) d’une part le fonctionnement de la télé-réalité et son impact sur l’opinion publique (« racolage » médiatique ou questionnement documentaire?), et d’autre part slumdog.1235594347.jpgnotre relation à l’altérité (comment voit-on l’autre?), et la façon dont l’image est source d’information et de spectacularisation. C’est bien entendu la question de la déontologie des médias qui se trouve posée ici.  

Plus globalement, dans un monde qui subit actuellement une crise sans précédent de la citoyenneté, cette problématique (qui est tout à fait dans l’axe des questionnements possibles pour le BTS 2009) doit être méditée dans une double perspective : l‘influence des médias sur la société ainsi que les enjeux contemporains des technologies de communication pour la démocratie. Tous les documents sont disponibles en ligne : soyez attentifs aux différentes prises de position avant de proposer votre propre point de vue.

Élection de miss SDF :

Slumdog millionnaire :

Certaines ou certains m’ont fait part de leur souhait que leurs analyses soient publiées en ligne. Je veux bien autoriser les commentaires ou questionnements pour les entraînements BTS, sous réserve qu’ils respectent l’esprit et la tenue de ce Cahier de texte.

La citation de la semaine… Léon Bloy…

« L’affamé représente une souffrance quelconque, une souffrance de tous les siècles… »

 

« L’appétit vient en mangeant. »

Bonne réponse à un homme qui meurt de faim :
« Malheureux, vous ne savez pas ce que vous demandez. Si vous mangiez, vous voudriez manger encore et vous seriez, de plus en plus, à la charge des honnêtes gens qui se ruineraient sans parvenir à vous rassasier. Quand on ne se sent pas capable de rester sur son appétit, on reste sur sa faim et on ne demande pas l’aumône à dix heures du soir. Je me regarderais comme un criminel, si je vous donnais un centime. »

Décor de neige. Celui qui parle est un gros homme congestionné par un délicieux dîner. Il vient de sortir du restaurant et attend sa voiture qui décrit une courbe financière pour venir à lui. L’affamé représente une souffrance quelconque, une souffrance de tous les siècles. L’affameur ne représente rien que le Désespoir, le désespoir rouge tuméfié et crépitant. 

Léon Bloy, Exégèse des lieux communs (CLXII), 1902

 

Léon Bloy est un écrivain « à part », engagé, révolté contre les injustices de toute sorte, volontiers « anti-social », refusant pêle-mêle les protocoles littéraires, les matérialismes ou les dogmes. Par sa violence pamplhlétaire, l’Exégèse des lieux communs est plus qu’un brillant ouvrage satirique. C’est un monument de rébellion contre l’hypocrisie du monde adulte. Par sa verve satirique et sa véhémence lyrique, l’ouvrage mérite absolument qu’on s’y attarde au-delà d’une simple citation. L’auteur y décortique un à un tous les lieux communs, stéréotypes ou clichés d’une époque qui n’est au fond pas si éloignée de la nôtre. Pour lire en ligne le texte complet, cliquez ici : vous verrez combien le style « bloyen » tire sa singularité d’un humour corrosif, d’une soif d’absolu, et d’une exigence à la fois morale, spirituelle et poétique qui font de ce pélerin de l’absolu un maître incontesté de l’art oratoire.

 

BTS blanc du 20 février… Rapport du Jury…

Voici le rapport que j’ai établi pour ce BTS blanc, sur la base des remarques de ma collègue et de mes propres observations.

Rappel du sujet

  • Corpus :
  • Consignes :
    • Première partie (synthèse) : Vous ferez une synthèse concise, objective et ordonnée des documents du corpus
    • Deuxième partie (écriture personnelle) : Selon vous, le mot “star” a-t-il encore un sens aujourd’hui?
  • Un bilan fortement nuancé…

    La moyenne générale est de 8,77. Les écarts de notes entre correcteurs sont infimes pour la synthèse, à peine plus marqués pour l’écriture personnelle :

    • Synthèse : 17,7/40 pour le correcteur 1 (moi), 18/40 pour le correcteur 2 ;
    • Écriture personnelle : 07,3 pour le correcteur 1, 08,3/20 pour le correcteur 2.

    Reconnaissons-le : les notes sont décevantes. La raison principale tient au fait que beaucoup d’étudiantes n’ont sans doute pas mesuré les enjeux de cet examen blanc. Quand je suis arrivé dans la salle pour prendre la relève de la surveillance, j’ai été un peu « étonné » (c’est un euphémisme) de voir des téléphones portables posés sur certaines tables… De même, en parcourant l’intitulé des copies, j’ai lu « contrôle » sur l’une d’elles alors qu’il s’agit d’un examen… Ce sont des signes qu’il faut savoir interpréter : à l’évidence, vous n’avez pas suffisamment pris en compte la nature de l’épreuve. La préparation personnelle a d’ailleurs été insuffisante : au niveau de la synthèse de documents, les fautes les plus élémentaires se sont multipliées (textes non présentés parfois, annonce du plan oubliée dans l’introduction, etc.). Quant à l’écriture personnelle, oserais-je mentionner ici ce qui est plus grave encore ? Le fait d’avoir arrêté de travailler une heure avant la fin de l’épreuve pour la moitié d’entre vous. C’est tout bonnement inadmissible : quatre heures, c’est quatre heures, et pas trois heures trente, et encore moins trois heures ! Ma collègue et moi-même serons clairs sur ce point : la durée de l’épreuve revêt une importance cruciale : si vous n’utilisez pas le temps dont vous disposez, beaucoup d’entre vous ne pourront pas réussir.

    Je voudrais donc profiter de ce rapport pour dresser un bilan critique des problèmes qui se sont posés et rappeler un certain nombre de règles ou conseils utiles pour l’examen.

    L’orthographe et la syntaxe.

    Elles ont été pour quelques unes d’entre vous désastreuses. Si cette remarque vous fait sourire, n’oubliez pas qu’au-delà de l’examen du BTS, vous êtes censées être des professionnelles assistant des chefs d’entreprise. À la lecture de certaines copies, ma collègue et moi-même sommes restés sans voix : près de 50 fautes d’orthographe dans deux devoirs ! C’est tout bonnement inadmissible : sachez qu’un grand nombre d’impropriétés grammaticales dans une lettre de candidature à un emploi est éliminatoire. Pour en rester au niveau de l’examen, je peux vous dire qu’un correcteur au BTS interprète en général de tels manquements non pas comme l’indice d’une méconnaissance regrettable (surtout pour des fautes relevant de l’école primaire) mais comme un relâchement, une négligence coupable, une désinvolture à l’encontre de l’épreuve. Comment un candidat peut-il prétendre assister un chef d’entreprise, alors qu’il néglige ces bases les plus élémentaires de la communication que sont l’orthographe et la syntaxe ? On ne fait pas mieux pour dévaloriser un diplôme ! Pour parler chiffres, une orthographe et une syntaxe relâchées vous feront perdre entre 3 et 4 points.

    Voici par exemple quelques extraits qui en disent long sur les problèmes évoqués ci-dessus :

    « Le mot « star » a toujours un sens car, il y a une grande differénce qui permet de dire que le mot star signifit toujours quelque chose. Ces personnes célèbres pour la plus part, ils ont un réel talent ».

    Dans ce court extrait, l’accumulation des fautes pose évidemment problème : le mauvais placement de la virgule (après « car » au lieu d’être avant), la répétition de l’adverbe « toujours », l’accent aigu mal positionné sur le nom « différence », la terminaison du verbe « signifier », le mot « plupart » mal orthographié. Et que dire de la double faute sur « ils » : grammaticalement, c’est incorrect puisque le sujet est « personnes », nom féminin, mais syntaxiquement c’est une impropriété totale. Il aurait fallu écrire : « Ces personnes célèbres ont pour la plupart un réel talent ».
    « Le problème que l’on pourrait se poser est : est-ce que le mot « star » a-t-il encore un sens? » 
    Au lieu de : est-ce que le mot « star » a encore un sens? » ou bien : « le mot « star » a-t-il encore un sens? »

    Les impropriétés lexicales ou sémantiques

    « Tout d’abord, Edgar Morin dans Les Stars critique le capitalisme« .
    Il y a erreur ici : le but de l’auteur est d’envisager de façon critique le « star-system » et non de critiquer le système capitaliste.
    « Il serait alors intéressant de nous interroger sur la star et sa vie. Pouvons-nous dire que l’on aimerait vraiment vivre comme ces stars? »
    Le problème majeur de ce passage extrait d’une introduction de synthèse est qu’il problématise mal le corpus : la candidate sort du thème (la fascination exercée par les stars, le marketing, etc.) pour dévier sur un autre problème : « aimeriez-vous vivre comme les stars? ». Aucun auteur n’aborde explicitement ce questionnement!
    « En effet, pour certains, la star est assimilée à tout autre chose« 
     Les expressions « pour certains » ou « tout autre chose » ne sont pas judicieuses ici : qui sont « certains »? Des journalistes? Des critiques? Des essayistes? De même, l’expression « tout autre chose » ne renseigne en rien sur l’idée.
    « Le mot « star » ne renvoit pas à son sens premier qui est le talent mais à tout autre domaines« .
    Outre l’orthographe, ce qui est gênant ici c’est d’abord la relation analogique trop arbitraire entre le talent et la star, mais surtout l’expression « tout autre domaine » manque de précision, puisqu’elle n’éclaire pas  le lecteur.
    « De tout temps, on n’a jamais été donné à se faire voir« 
    Il s’agissait de la première phrase de l’introduction ! D’entrée, un tel charabia ne prédispose pas favorablement le correcteur!

    Les répétitions et incohérences logiques

    « Tout d’abord, nous verrons que dorénavant la star est assimilée à la société de consommation et donc tend plus à une destinée capitaliste. Cependant, nous verrons que toutefois… »
    La question que l’on pourrait poser ici est de savoir si la candidate s’est relue : le verbe voir répété deux fois, la multiplication des connecteurs logiques (tout d’abord, donc, cependant, toutefois) rend le texte difficile à  comprendre. On pourrait relever également l’expression « destinée capitaliste » qui n’a pas vraiment de sens ici.
    « Une vraie star est une personne très connue qui est et reste populaire pendant des années […].  Une vraie star est une personne qui est et reste connue des années« .
    De telles redites à quelques lignes d’intervalle sont évidemment lourdement pénalisées.

    Les erreurs sur les genres ou les types

    Beaucoup de candidates se sont trompées sur les genres des textes en qualifiant d' »article » ou même de « roman » l’essai d’Edgar Morin. De même, à propos d’Ingrid Caven de Jean-Jacques Schuhl, deux candidates ont parlé d’article ou d’essai. Pourtant, le paratexte devait vous mettre sur la voie : « Le narrateur évoque Ingrid Caven, chanteuse et actrice née en 1944 (elle vit actuellement avec l’auteur du roman) ». Les termes de « narrateur » et de « roman » étaient ici très clairs. Dans une copie, nous avons trouvé l’expression : « Edgar Morin raconte » : si l’auteur « raconte », c’est que le texte est narratif!

    Je pourrais multiplier les exemples à l’envi (*) ! Je me bornerai ici à rappeler quelques points essentiels.

    La gestion du temps pendant l’épreuve

    La gestion de votre temps est fondamentale. C’est elle qui conditionne en grande partie la réussite de l’épreuve.
    Vous disposez de 4 heures : vous devez donc être structurées par ces 4 heures (et non trois heures!). À chaque session, un nombre important de candidats perdent des points parce qu’ils ne prennent pas suffisamment en considération ces questions de gestion du temps. Si vous prenez trop de temps pour lire un texte, ou pour rechercher des informations, vous emmagasinerez trop de données, vous aurez du mal à les ordonner, et surtout à les hiérarchiser, d’où une perte de temps, qui sera préjudiciable à la qualité d’ensemble de votre travail. Un conseil que je vous avais déjà donné en cours : lisez rapidement les textes et ne vous perdez pas dans des questionnements indéfinis si vous n’avez pas compris un terme ou une expression. Allez à l’essentiel en adoptant une lecture rapide. Le premier avantage de la lecture rapide est évidemment le gain de temps : moins vous mettrez de temps pour lire le corpus, plus vous pourrez structurer le plan de votre synthèse et améliorer les qualités rédactionnelles de vos travaux.

    Attention toutefois, car lire vite et donc mieux est un atout mais le but de l’épreuve n’est pas de lire tous les documents en un minimum de temps ; c’est de les comprendre. Le bon lecteur absorbe un grand nombre d’informations, dépouille une documentation, cherche rapidement un chiffre ou une information dans un texte. Mais il ne suffit pas de les enregistrer, encore faut-il les traiter correctement en hiérarchisant les informations. Trois opérations sont indispensables, lors de l’épreuve :

    1. répartir son temps,
    2. analyser le sujet,
    3. mobiliser ses connaissances.

    _______________

    1. Répartir son temps : entraînez-vous impérativement chez vous pour savoir d’avance quels sont vos points forts et vos limites. Voici 2 exemples de gestion du temps pour l’écriture personnelle, en fonction de sensibilités et de compétences différentes. Voyez celui qui vous convient le mieux :

      • cas de figure n°1 : le travail d’écriture personnelle durant 1h30 environ (en comptant qu’on a passé 2h30 sur la synthèse), comptez 20 minutes pour la recherche des idées ; 10 minutes pour l’élaboration du plan ; 30 minutes pour le développement ; 10 minutes pour l’introduction ;10 minutes pour la conclusion ; 10 minutes pour la relecture.

      • cas de figure n°2 : analyse du sujet, 10 minutes. Pensez à Lire et à comprendre le sujet. Il exige toujours une grande rigueur logique dans l’appréciation de la problématique posée. Prise de notes pour la préparation du sujet : 20 minutes. Plan : thèse, antithèse, etc. 20 minutes. Rédaction : 40 minutes. Relecture : 10 minutes (5 minutes au pire). Votre relecture doit être attentive. L’idéal étant de relire votre copie comme si elle était écrite par un autre.

    2. Analyser le sujet : la plupart du temps, quand un étudiant échoue, c’est qu’il a mal compris le sujet. Le stress en effet pousse souvent à interpréter de manière hâtive un énoncé.Tout d’abord, lisez plusieurs fois la question et reformulez-la dans votre propre langage. Un conseil au passage : lisez l’intitulé du sujet d’écriture personnelle AVANT de lire le corpus. Pourquoi ? Parce que la plupart du temps, c’est le sujet d’écriture personnelle qui va conditionner et orienter votre lecture des documents.

    3. Mobiliser ses connaissances en cernant le sujet. Rappelez-vous de ces quatre lettres : « T.L.P.C. ».

      1. Le Thème (T) : il s’agit de déterminer le champ dans lequel se situe le sujet (par exemple « Faire voir » ou « le détour », et d’établir des comparaisons avec d’autres thèmes afin d’enrichir l’écriture personnelle.

      2. Les limites (L) : il est essentiel de déterminer les limites d’un thème, d’un sujet : une étudiante a cru bon dans le travail de synthèse d’évoquer Orwell et Big Brother : très franchement, quel rapport avec un sujet portant sur le star-system? Cette question des limites du thème est fondamentale. Ne pas en tenir compte, c’est courir le risque du hors-sujet. Prenons par exemple cet extrait de devoir : « Quant à l’affiche du quarante-sixième festival international du Film en 1993, elle nous montre bien l’importance de l’image de la star et combien ce film doit être spectaculaire… ». Ici, la candidate est en train de dévier sur une autre question qui est la spectacularisation de l’image dans les médias. Mais ce n’était pas du tout l’angle d’approche de ce corpus !

      3. La Problématique (P) : c’est-à-dire les différentes façons de poser le problème, d’envisager différents points de vue, les particularités, les solutions… Le plus important ici est de questionner le sujet : par exemple, pourquoi y a-t-il eu des stars? Par rapport à quoi ? Pourquoi parle-t-on davantage maintenant de « People » et moins de stars? etc.

      4. La Consigne (C). Vous devez évidemment la respecter scrupuleusement en vous posant toujours cette question : « Qu’est-ce qu’on attend de moi exactement? »

    La synthèse de documents.

    Le but de l’épreuve est de dégager les éléments essentiels d’un dossier et les organiser selon un point de vue et en fonction d’objectifs déterminés. Le corpus présenté, largement tourné autour de la sphère cinématographique, abordait deux aspects clés du « star-system » : la fascination et le marketing. Il était essentiel de bien cerner les limites du sujet et de ne pas s’en écarter. Certaines candidates ont cru bon d’aborder dans la synthèse la question des people et de la télé-réalité. Cela ne convenait pas, en tout cas, pour la synthèse.
    Trois grands champs de compétences sont évalués le jour de l’examen :
    1. La compréhension synthétique des documents (dégager les idées principales d’un texte et les reformuler) ;
    2. La visée démonstrative du raisonnement par confrontation des documents ;
    3. Les qualités d’expression, de style, etc.

    • Comme vous le voyez, la lecture des documents se doit d’abord d’être fidèle et synthétique : allez toujours vers l’interprétation textuelle globale. Un point de détail n’est intéressant à remarquer que s’il conduit vers une interprétation d’ensemble (mettre en évidence la problématique du corpus). Il est évident qu’une restitution fidèle des documents exige une lecture attentive et objective. L’exemple qui suit est caractéristique  de ce qui est fortement pénalisé lors d’une épreuve :

    « Dans le roman de J.-J. Schuhl, nous pouvons voir une mise en scène de la femme marionnette. L’auteur idéalise cette personne. Il n’y a plus de frontière entre le réel et le surnaturel. Le medium communique avec les choses matérielles. Nous pouvons donc rattacher ceci au Big Brother. Plus aucune limite entre la vie privée et professionnelle. Tout se sait grâce ou à cause d’une « police de la pensée ».

    Un tel texte laisse perplexe : la question qu’on peut en effet se poser est de savoir pourquoi la candidate a surinterprété un document pourtant assez simple (le texte de J.-J. Schuhl ne présentait aucune difficulté de compréhension) ? Quel rapport entre la star-pantin manipulée sur la scène et l’idée de manipulation politico-idéologique propre à la contre-utopie d’Orwell? Ici, non seulement nous avons affaire à un contresens mais qui plus est à un commentaire personnel (la « police de la pensée »). Je ferai une remarque assez similaire concernant une étudiante qui dans un devoir très sérieux par ailleurs fait référence explicitement à Shakespeare en affirmant à propos du texte de Schuhl et de l’affiche de Cannes que « le monde entier est un théâtre ». Cette citation n’a rien à faire dans la synthèse puisque le propre de l’épreuve est de s’en tenir au corpus. De plus, elle faussait l’interprétation des documents. À la rigueur, on pouvait l’exploiter dans l’écriture personnelle (Stars et télé-réalité) même si ce passage d’une tirade célèbre convient peut-être mieux pour des problématiques comme la politique-spectacle, le vrai et l’illusion, le réel et le virtuel, etc.

    Comprenez bien que le but n’est pas de stigmatiser ici tel ou tel candidat au BTS, mais de bien faire comprendre les exigences de forme et de fond attendues lors de l’épreuve. La synthèse de documents est un exercice qui ne s’improvise pas : c’est avant tout un exercice de rigueur et de réflexion.

    • Attention aussi à ne pas oublier de document ! Une étudiante sans doute peu inspirée par le texte de J.-J. Schuhl a tout simplement oublié d’en parler dans sa synthèse ! Je vous rappelle donc les instructions officielles : vous devez faire une référence explicite à tous les documents du corpus : toute omission est lourdement sanctionnée.

    • Au niveau de l’organisation de la synthèse, quelques candidates, abusées peut-être par la simplicité apparente du dossier, se sont limitées à un plan « linéaire », se contentant de juxtaposer de façon mécanique et non réfléchie les analyses de documents : cela les a amenées trop souvent à écrire ce qui leur venait à l’esprit, sans logique thématique ou démonstrative, et bien sûr à faire de la paraphrase de textes au détriment d’une confrontation critique. N’oubliez pas que cela entraîne presque toujours le refus de la moyenne. Vous devez adopter un plan « dynamique » vous amenant à mettre en perspective les documents entre eux.

    • Concernant l’introduction (je ne reviens pas sur ce que j’ai déjà évoqué), je rappelle que si vous ne présentez pas les documents en introduction, vous devez impérativement les identifier précisément lors de leur première utilisation : à ce sujet, que d’oublis de date, éditeurs, année de publication, date de parution pour un article de journal, etc. J’insiste en outre sur la nécessité de rappeler le thème et de situer la problématique par rapport à ce thème. Quant au plan, il est bien entendu nécessaire de l’annoncer dans l’introduction.

    • La conclusion : certaines candidates se croient toujours obligées malgré tout ce qui a été dit, de proposer une « conclusion personnelle ». Dans la mesure où l’on vous demande ensuite de rédiger un travail d’écriture personnelle, il s’avère donc inutile (et souvent maladroit) de rédiger quelques lignes, le plus souvent indigentes, quant à votre point de vue. Tenez-vous-en au corpus en employant quelques formules conclusives amenant à un bilan global.

    L’écriture personnelle

    La longueur attendue est de deux pages. Les jurys d’examen souhaitent un travail achevé (introduction, développement, conclusion) et construit selon une logique démonstrative. Dans le cas présent, la question posée vous invitait implicitement à opposer la star d’hier, objet de rêve et de fascination, aux people d’aujourd’hui. Le supplément de cours publié récemment sur ce site (« Les people et l’image : entre sublimation et désublimation« ) constituait une aide appréciable, à la condition évidemment d’avoir travaillé sérieusement sur le sujet. Le problème qui s’est posé pour certaines d’entre vous a été la redite du corpus : l’écriture personnelle, comme son intitulé l’indique, se doit d’amener et de justifier un point de vue personnel : ce n’est donc pas une paraphrase des textes. Une bonne copie est celle qui, prenant la problématique du corpus comme un point de départ, est capable de défendre une prise de position nourrie de réflexions personnelles vis-à-vis des thèses des auteurs. À ce titre, que de plans catalogue dont l’argumentation ne progressait pas!

    Vous avez souvent opté pour un plan en deux parties. C’était tout à fait acceptable, sous réserve cependant qu’on perçoive une discussion critique. Attention au caractère parfois très sclérosant du plan antithétique, qui finit par un travail du type : le pour et le contre. De là des essais argumentatifs amenant à la présentation stéréotypée et impersonnelle d’un problème, quand le jury recherche avant tout la qualité de la discussion d’idées ou d’une thèse, la progression du raisonnement, la rigueur de la démonstration, la capacité du candidat à réfléchir par lui-même.

    Au risque de surprendre peut-être certaines étudiantes, je rappelle que l’écriture personnelle n’est pas un paragraphe argumentatif, encore moins une rédaction « au fil de la plume ». Il s’agit d’évaluer les capacités de l’étudiant à mobiliser ses connaissances et sa culture tout en utilisant des outils intellectuels nécessaires à la conduite cohérente et logique d’une démonstration visant à une prise de position. On attendait à ce titre un minimum de culture générale. Je ne reviens pas sur l’orthographe et la syntaxe : j’en ai longuement parlé au début : je rappelle simplement que trop de maladresses de style ou d’expression est extrêmement pénalisant : jusqu’à 3 points (sur 20) rien que pour l’écriture personnelle !

    Proposition de remédiation

    Je souhaite que les étudiantes volontaires reprennent ce travail de façon sérieuse et méthodique, Vous possédez en effet largement le potentiel pour réussir : ce relatif échec comme je l’ai dit est dû essentiellement à un relâchement ponctuel. Si vous n’avez pas gardé le sujet avec vous, demandez-le moi : je vous le ferai parvenir par courriel. J’attacherai la plus grande importance à ce travail de remédiation. Il n’est nullement obligatoire bien entendu mais je vous recommande fortement de le faire.

    Dans tous les cas, vos travaux complets devront me parvenir par voie électronique avant le 16 mars 2009, afin que je puisse vous rendre vos travaux le 23 mars, jour de votre reprise.  Les deux étudiantes absentes doivent évidemment traiter le sujet.

    Pour vous aider concernant le plan de la synthèse… Dans une première partie, vous pouvez vous intéresser au statut de la star. Premier  paragraphe : Quoi? Définitions du mot (performances, talent, toute-puissance, etc.), deuxième paragraphe : Comment ? Exposition médiatique, manipulation, etc. Dans une deuxième partie, vous pouvez aborder la question de la fascination qu’exercent les stars (Pour quoi?) selon une double perspective : pensez à confronter les documents : E. Morin ou la journaliste R. Azimi ont une vision plus matérielle et mercantile de la star, tandis que Jean-Jacques Schuhl ou l’affiche du festival de Cannes semblent célébrer davantage sa dimension quasi mythique.

    Quant à l’écriture personnelle, je fais confiance à votre investissement. Inutile cependant d’en écrire trop : rédigez un travail fortement structuré et argumenté, avec un bon niveau de connaissance, d’analyse et de réflexion personnelle. N’oubliez pas de consulter la fiche de synthèse distribuée en cours sur les essais (Morin, Debord, etc.). Vous devez l’exploiter. Je serai intraitable concernant l’orthographe et j’appliquerai à la lettre les consignes données aux correcteurs lors de l’examen :

    • Jusqu’à 10 fautes, on ne pénalise pas
    • Entre 10 et 15 fautes : -1/20
    • Entre 16 et 20 fautes : -2/20
    • Au-delà : -3 à -4/20

    Pensez à m’envoyer vos travaux avant le 16 mars. Si vous avez besoin d’un conseil sur un point précis, vous pouvez m’adresser un courriel. Bon courage pour votre stage. N’oubliez pas de consulter régulièrement le cahier de texte afin de vous entraîner (il y aura d’autres supports de cours ainsi que des exercices d’entraînement).

    Bruno Rigolt

    __________

    (*) à l’envi : toujours plus, à l’excès.

    BTS blanc du 20 février… Résultats et rapport du jury…

    Comme pour tous les examens blancs, j’ai adopté le principe de la double correction : une collègue de l’académie de Paris corrigera également vos copies (qui ont été anonymées pour l’occasion). Dans un esprit de bienveillance, seule la plus élevée des deux notes sera retenue. Nous corrigeons en ce moment les devoirs.

    • Les résultats finaux seront consultables lundi 23 février à 17 heures sur Pronote.
    • Les notes de détail (synthèse, écriture personnelle, note du correcteur 1, note du correcteur 2) seront également publiées sur ce site : pour permettre une identification facile tout en préservant l’anonymat des candidates, seule la première lettre du prénom et les deux dernières lettres du nom apparaîtront.
    • À l’issue de cette correction, j’établierai un « rapport du jury » qui sera diffusé en ligne le mercredi 25 février à 17 heures sur la base des remarques de ma collègue et de mes propres observations.

    La citation de la semaine… Marie Darrieussecq…

    À l’Ouest tout est bleu. Le regard est happé par ce bleu qui ouvre la géographie d’angle…

    mer.1234957907.jpg

    Est-ce la mer qui arrive sur la côte ? Ou la côte qui arrive sur la mer ? Est-ce la terre qui interrompt la masse de l’eau, ou l’eau qui limite la terre ? Je me tiens devant la mer, la mer de chez moi, celle qui touche la côte basque et me sert de repère pour regarder les autres mers. En face il y a l’Amérique, mais d’abord, à quelques milles à peine, de très profondes fosses, une fracture, un mur jusqu’au fond de l’eau. Au Nord, il y a la forêt. Au Sud, la frontière de l’Espagne. À l’Est, la masse du continent. À l’Ouest tout est bleu. Le regard est happé par ce bleu qui ouvre la géographie d’angle…

    Marie Darrieussecq, Prévisions sur les vagues (texte complémentaire au roman Le Mal de mer, © éditions P.O.L, 33, rue Saint-André-des-Arts, Paris 1999).

    Née en 1969, Marie Darrieussecq est écrivaine et universitaire. Dans ce court récit où la précision de l’observation « naturaliste » se mêle aux brumes de la mer, l’auteure nous entraîne vers d’autres rivages. Son style d’écriture est à lui seul la symbiose d’une perception physiologique et poétique de l’univers. À la fois précis et suggestifs, les mots jettent sur la grève du quotidien des sensations iodées qui trouvent leur achèvement dans le voyage et l’ailleurs. Un beau texte, entre vents et marées…

    Allemand en Seconde 12 : fin du dispositif de continuité pédagogique.

    Bonne nouvelle : un professeur remplaçant d’Allemand prendra en charge la classe de Seconde 12 dès ce vendredi. Eu égard à la démarche bienveillante de M. Baumgartner, je demande néanmoins aux élèves intéressés de s’investir dans l’énigme qu’il vous a proposée (distribuée ce mercredi : voir le cahier de texte de février en cliquant ici). Merci.

    Bientôt le Salon de l'Étudiant – Paris 2009

    Orientation Seconde 12

    orientattion1.1234762342.jpgL’orientation pour certains, c’est aller en S, en ES, en STG ou en L… Pour le reste… c’est cocher une case sur la fiche navette… en oubliant souvent qu’on s’engage dans un processus à long terme qui va bien au-delà de la Première ou de la Terminale. S’orienter, au sens où vous l’avez compris en préparant votre CV projectif, c’est au contraire élaborer une démarche personnelle d’anticipation stratégique : dès la Seconde (et a fortiori en Première), vous devez en effet apprendre à maîtriser votre futur sur le long terme. Aussi, je ne saurai trop vous conseiller (surtout si vous avez raté le salon d’Orléans) de vous rendre en mars 2009 au Salon de l’Étudiant qui aura lieu du 6 au 8 mars à Paris-Expo (Porte de Versailles, Pavillon 2 niveau 1). De fait, voir un salon régional, c’est bien mais voir d’autres salons, et particulièrement un salon très ouvert à l’international, c’est l’occasion d’élargir ses horizons, de se confronter à d’autres lieux, à d’autres visages, d’envisager différemment son projet personnel et vocationnel (présence d’un pôle international, débats avec des professionnels, etc.). Vous pourrez obtenir de nombreux renseignements sur les filières courtes (BTS, DUT), les filières universitaires, les cursus médicaux, et bien sûr les grandes écoles dont Science-Po… De plus, avec le site letudiant.fr, bénéficiez d’une invitation gratuite. En moins d’une heure de train (55 minutes jusqu’à Paris-Bercy) ou un peu plus en voiture, c’est aussi l’occasion rêvée d’une balade sympa.

    Bientôt le Salon de l’Étudiant – Paris 2009

    Orientation Seconde 12

    orientattion1.1234762342.jpgL’orientation pour certains, c’est aller en S, en ES, en STG ou en L… Pour le reste… c’est cocher une case sur la fiche navette… en oubliant souvent qu’on s’engage dans un processus à long terme qui va bien au-delà de la Première ou de la Terminale. S’orienter, au sens où vous l’avez compris en préparant votre CV projectif, c’est au contraire élaborer une démarche personnelle d’anticipation stratégique : dès la Seconde (et a fortiori en Première), vous devez en effet apprendre à maîtriser votre futur sur le long terme. Aussi, je ne saurai trop vous conseiller (surtout si vous avez raté le salon d’Orléans) de vous rendre en mars 2009 au Salon de l’Étudiant qui aura lieu du 6 au 8 mars à Paris-Expo (Porte de Versailles, Pavillon 2 niveau 1). De fait, voir un salon régional, c’est bien mais voir d’autres salons, et particulièrement un salon très ouvert à l’international, c’est l’occasion d’élargir ses horizons, de se confronter à d’autres lieux, à d’autres visages, d’envisager différemment son projet personnel et vocationnel (présence d’un pôle international, débats avec des professionnels, etc.). Vous pourrez obtenir de nombreux renseignements sur les filières courtes (BTS, DUT), les filières universitaires, les cursus médicaux, et bien sûr les grandes écoles dont Science-Po… De plus, avec le site letudiant.fr, bénéficiez d’une invitation gratuite. En moins d’une heure de train (55 minutes jusqu’à Paris-Bercy) ou un peu plus en voiture, c’est aussi l’occasion rêvée d’une balade sympa.

    Culture générale BTS2… Les "People" et l'image : entre sublimation et désublimation

    Spécial entraînement BTS : bts2009.1232872062.jpgThème 1 « Faire voir »

    Publié à la fin des années Cinquante, puis complété et réédité à plusieurs reprises, l’ouvrage du sociologue Edgar Morin intitulé Les Stars est une réflexion incontournable pour qui cherche à déchiffrer de façon critique les mécanismes du « star system ». En partant du Hollywood des années 1910, jusqu’au phénomène occidental de banalisation de la star à partir des années Soixante, l’enquête d’Edgar Morin aboutit à une réflexion stimulante sur le « mythe de la star », c’est-à-dire ce que l’auteur appelle « le processus de divinisation que subit l’acteur de cinéma et qui fait de lui l’idole des foules ». J’ai souhaité ici élargir le champ de questionnement de ce livre au contexte actuel de la production d’image dans la presse People…

    Les « People » et leur image

    Entre sublimation et désublimation.

    cannes.1234708900.jpgPartons d’abord d’un constat d’Edgar Morin : pour lui, la distance entre la star et ses admirateurs est tellement importante qu’elle ne peut se résorber que sous le mode religieux : celui d’un rituel, d’une « liturgie stellaire ». C’est en effet par la distance et l’inaccessibilité que la star existe. Philippe Marion (Université catholique de Louvain, Observatoire du récit médiatique) note très justement :

    « L’inaccessibilité devient alors une source de motivation, une quête, une stimulation. L’importance du fossé qui sépare les deux mondes est peut-être à la mesure du désir de le franchir grâce à l’imaginaire projectif. C’est le principe de ces machines à désir que constituent les épopées et les contes de fées: le temps d’un récit, le lecteur se trouve propulsé dans les faits et gestes des princes et des puissants. Cet esprit de conte de fée, sorte de quintessence de la fiction, s’est idéalement incarné dans la première partie de la saga médiatique vécue par la princesse Diana. Lors du mariage de celle-ci, l’archevêque de Canterbury proférait : « Ceci est de l’étoffe dont sont faits les contes de fées ». « Premier chapitre d’un conte de fée », résumait alors Paris Match, tandis que VSD titrait: « Il était une fois… » […]. Le merveilleux féerique, ostensiblement revendiqué ici, célébrait l’entrée d’une obscure jeune fille dans ce monde des images people. Tout se passe comme si le lecteur populaire de la presse people était appelé à se téléporter dans un univers qui lui est étranger, mais qu’il a l’occasion de domestiquer par cette téléportation elle-même (*) ».

    Sacralité des lieux…

    Les lieux choisis sont en effet déterminants : si vous croisiez une star tous les matins dans l’ascenseur, elle perdrait précisément son pouvoir magique. C’est parce qu’elle est inaccessible, isolée du reste du monde, que la star se présente comme le symbole d’un rêve impossible à l’homme, donc d’un pouvoir réservé à la divinité mais que les « profanes » tenteront d’obtenir peu à peu. Précisément, c’est dans les « grand-messes » télévisées, les shows hyper médiatisés, que la star se dévoile : le public va enfin pouvoir « consommer » du People. On pourrait évoquer ici ce que Philippe Marion appelle la « mise en proximité » de la star, c’est-à-dire le passage de l’inaccessibilité au rapprochement avec le public. L’auteur remarque :

    Cette proximisation s’opère aussi sous le mode d’une dramaturgie de l’humain moyen. Car que découvre-t-on dans ces palais et palaces ? De l’humain, basique, universel: celui du relationnel et de l’affect. Des passions amoureuses qui naissent et qui meurent, de la jalousie, des coups de gueule, des divorces, des réconciliations, des naissances, des violences, des déprimes… Bref, tout ce qui forme ce magma de vécu du commun des mortels. Non seulement le gotha n’hésite pas à nous recevoir dans son intimité, mais en plus il ne se distingue que fort peu de nous: voilà ce que la presse people suggère » (*). 

    Comme nous le voyons, d’objet interdit et culte, la star devient objet de consommation et fétiche. Un fétiche en effet est un objet auquel on va attribuer un pouvoir bénéfique du fait qu’il est magique : on cherchera par exemple à approcher le plus près possible les People, à les toucher, gala.1234713097.jpgà s’approprier leur corps selon une logique métonymique (la partie pour le tout) : un autographe, un tee shirt, un mouchoir. Comme le fait remarquer si bien Edgar Morin, « c’est un peu de l’âme et du corps de la star que l’acheteur s’appropriera, consommera, intégrera à sa personnalité ».

    L’image comme espace projectif

    Mais allons plus loin, et réfléchissons au phénomène People dans son rapport au voyeurisme et à l’exhibitionnisme. Ce n’est pas tant la définition de l’image en tant que représentation du réel (voir à ce sujet l’article intitulé : Les métamorphoses de l’image, de Lascaux à Big Brother) qui nous intéressera ici mais plutôt sa représentation mentale et inconsciente : l’image comme espace projectif. J’emploie ce terme de « projectif » en référence au concept d’identification projective introduit par la psychanalyste Mélanie Klein pour désigner un mécanisme fantasmatique, où le sujet introduit sa propre personne à l’intérieur de l’objet pour lui nuire, le posséder et le contrôler. Termes trop forts direz-vous? Mais que l’on interroge notre rapport à l’intime : que faisons-nous, en achetant une revue People, sinon nous approprier l’image intime d’un autre « inaccessible » pour la posséder : il y a toujours, dans l’admiration pour les People, quelque chose qui relève de la transgression et d’une manipulation de l’intimité (« J’en sais plus sur lui qu’il ne le voudrait »). Car paradoxalement, les « People », c’est le peuple mais sans le peuple ! De là un passage du rêve à l’envie et à la frustration. Frustration qui est à la base du concept éditorial de la presse People. On comprend mieux le slogan d’un célèbre magazine : « dans Public, tout est public », y compris la banalité et l’intime : les images ou propos volés deviennent des éléments clés d’une jalousie projective inconsciente. Le témoignage de certains lecteurs est édifiant ; en voici un au hasard (il s’agit d’une lectrice) :

    « Cela fait déjà plus d’un an, que je lis plus régulièrement l’un de mes magazine chouchou, j’ai nommée (sic) : PUBLIC. Explications : PUBLIC, MAIS POURQUOI CE NOM ? Tout simplement, parce que dans Public : tout est public ! Ne soyez pas choquer (sic) que dans ce magazine, on vous montre la cellulite d’Alicia Keys, ou bien les britney.1234709745.jpgbourrelets de Britney Spears, et bien d’autres encore… Public, c’est le seul qui vous montre également les défauts des stars ».

    Le « cannibalisme » médiatique

    « Défauts » ! Le mot est lâché ! Tout le discours vise ici à dégrader l’autre, et plus particulièrement le corps : corps honteux, laid, infériorisé… Car ce qui intéresse, au-delà du rêve (le corps envié et transfiguré de la star), c’est bien l’image « interdite », les « défauts » que la star cherche à cacher et que le magazine va rendre « public », selon une démarche d’apparente objectivité dont le credo pourrait être : « le public est en droit de savoir »! Cette confusion entre le fait social et démocratique (la liberté de la presse, le rôle des journalistes) et le voyeurisme, fausse évidemment le rapport au réel. Essayons de déchiffrer ce mécanisme d’inversion des valeurs. Si on lit une revue « People », c’est d’abord dans le but d’entrer en communication avec la star. Mais très vite, on se rend compte que cette communion tant rêvée est impossible : la star ne figure que sur du papier. L’autre tendance consiste donc à évacuer cet état d’esprit douloureux dû au manque, dans la haine de l’autre pour obtenir un soulagement, une compensation à la frustration qu’on éprouve de ne pas être reconnu comme « People », ce qui conduit à vouloir entrer de force dans l’intimité de la star, fantasmatiquement, avec l’intention de la contrôler dans une relation de dénégation, de récusation, et de dégradation ontologique. De là l’arbitraire des photographies : la star bouffie par l’alcool, la star droguée, débauchée malgré les apparences : les lecteurs deviennent ainsi une sorte de tribunal de la bonne conscience et de la morale populiste grâce aux images volées qui vont jouer le rôle d’un procureur, et renforcer la légitimité de la presse people. Le but est bien de prendre possession de l’autre, de se l’approprier, selon un rituel qui relève de ce que j’appellerai le « cannibalisme médiatique » : traquer les « défauts » de la star et pouvoir les dévoiler sur la place publique, c’est enlever la protection dont elle bénéficiait pour la « prostituer » au regard des autres et la livrer à la vindicte populaire. Dès lors, la star perd son apparence illusoire, c’est-à-dire sa légitimité et sa crédibilité : la « bonne image » qu’on avait d’elle est réduite à néant… La presse people, c’est donc le mythe devenu réalité, banalité, simple marchandise : devenu appauvri, il se consumérise.

    Image et sacrifice

    Ce va et vient entre sublimation et désublimation est essentiel pour comprendre les modes de fonctionnement de la presse People : d’un côté, comme nous l’avons vu, il y la fusion avec la star, mais conséquemment en perdant une part de soi (puisqu’on vit « par procuration » dans l’autre), on lui en veut de cette perte référentielle et on la dégrade : dégradation de la valeur du corps et dégradation morale (l’image de la mauvaise mère par exemple). Je voudrais évoquer aussi une exposition qui a eu lieu à la Maison Européenne de la Photographie (Paris) en 2007, intitulée « Expo Trash : Les stars sortent leurs poubelles« . Deux anciens photographes du magazine Paris-Match étaient à l’initiative de cette démarche : Bruno Mouron et Pascal Rostain dévoilaient en effet « artistiquement » le contenu des poubelles des grandes stars d’Hollywood. La présentation se voulait « Pop’art » mais ne nous leurrons pas : si l’on vient pour contempler les déchets de Clint Eastwood, Arnold Schwarzenegger, Nicholas Cage, Mel Gibson, Tom Cruise, Sharon Stone ou Madonna, c’est que l’art seul ne saurait être en jeu !

    J’évoquerai ici plutôt une démarche sacrificielle. « Le fondement métaphysique du sacrifice, c’est le sacrifice éternel de Dieu », rappelle Jean Hani. Dès lors, comment sacrifier la star sinon en la désublimant : la photo volée ou le dévoilement public du contenu d’une poubelle obéissent au même principe : ils trouvent un écho particulier dans le domaine de la profanation religieuse. L’image devient un « iconoclasme », au sens littéral du terme : elle « casse » l’icone, c’est-à-dire le mythe qui postule la non-représentation de la star. Dans l’imaginaire, la star appartient en effet au domaine du sacré, de l’interdit, du non-représenté et donc du fantasme. La photo « poubelle » détruit ainsi le mythe par la représentation iconoclaste : elle représente la star certes, mais en la dégradant. D’un point de vue psychanalytique, le lecteur-spectateur oscillera entre l’attitude narcissique et projective (je m’identifie à l’autre « parce que je le vaux bien ») et le refoulement : la photo « moche » et « trash » est l’occasion de « sacrifier » la star en la désublimant. Se fait ici, d’une manière implicite, une équivalence entre le désir d’être autre et le sacrifice de l’autre, selon la logique bien connue du refoulement.

    Une perte du sens ?

    C’est à juste titre que certains journalistes ont repris le terme d' »extimité » forgé par l’écrivain Michel Tournier pour désigner la tendance à rendre public ce qui relève de la vie privée. La société du spectacle et de l’apparence dans laquelle nous nous trouvons oblige donc à réfléchir, au-delà du « marketing de l’image » au changement de comportement que les nouvelles technologies numériques ont introduit.  Récemment d’ailleurs, la firme de téléphonie Nokia a parfaitement perçu ce phénomène dans sa campagne publicitaire (”Mon téléphone sait tout de moi”)nokia.1234709963.jpg : “Et si vous trouviez mon téléphone, vous regarderiez à l’intérieur?” Qu’importent les précautions oratoires de la question ! Bien sûr que oui, nous regarderions à l’intérieur ! À cet égard, le développement des réseaux participatifs amènera forcément à une réflexion sur le voyeurisme social. Comme le remarque à juste titre l’avocat Vincent Dufief :

    « Si Internet a toujours menacé la vie privée des personnes, le développement des sites de socialisation donne une nouvelle dimension à ce risque, en encourageant les utilisateurs à sacrifier eux-mêmes leur propre vie privée. En effet, le principe de ces sites de socialisation est d’inciter leurs utilisateurs à révéler le maximum d’éléments de leur intimité, de préférence au plus grand nombre de personnes. Sur ces sites, il est effectivement nécessaire de dévoiler un peu de sa vie privée si l’on veut accéder à celle des autres et le système fait qu’il est aussi très délicat de refuser les sollicitations… » (Pour lire l’article complet, cliquez ici).

    Cet article sur le phénomène People nous a donc amené à définir une sorte d’échelle de valeurs de la star : du plus noble au plus dégradant. C’est sur cette échelle axiologique que se fonde la mythologie People : tout comportement d’adoration ne vise-t-il pas aussi à mépriser ce qu’il adore? Cette relation entre sublimation et désublimation se pose de façon plus alarmante de nos jours, en raison de l’impact de l’image et des nouvelles technologies sur nos représentations. Au-delà d’une réflexion sur le rapport à l’image dans les médias, je crois que la difficulté, c’est bien de réfléchir à la déstructuration des fondements normatifs qu’ont introduite les nouvelles technologies numériques. En fait, la presse People n’est qu’un aspect d’un phénomène plus général : la « peopolisation » de la société constitue la réalité inquiétante d’un nouveau monde virtuel… Face aux oligarchies médiatiques ou technocratiques, qu’espérer pour l’homme dans un monde où la mise en scène de soi, le spectacle, rivalisent avec une société profondément bouleversée et fragilisée dans ses mécanismes institutionnels, sa légitimité démocratique et ses fondements humanistes?

    Bruno Rigolt

    NetÉtiquette : article protégé par copyright ; la diffusion publique est autorisée sous réserve d’indiquer le nom de l’auteur ainsi que la source : http://brunorigolt.blog.lemonde.fr/

    ______________

    (*) Philippe Marion, Université catholique de Louvain Observatoire du récit médiatique. « De la presse people au populaire médiatique ». Article consultable en ligne : cliquez ici pour accéder au document.

    Culture générale BTS2… Les « People » et l’image : entre sublimation et désublimation

    Spécial entraînement BTS : bts2009.1232872062.jpgThème 1 « Faire voir »

    Publié à la fin des années Cinquante, puis complété et réédité à plusieurs reprises, l’ouvrage du sociologue Edgar Morin intitulé Les Stars est une réflexion incontournable pour qui cherche à déchiffrer de façon critique les mécanismes du « star system ». En partant du Hollywood des années 1910, jusqu’au phénomène occidental de banalisation de la star à partir des années Soixante, l’enquête d’Edgar Morin aboutit à une réflexion stimulante sur le « mythe de la star », c’est-à-dire ce que l’auteur appelle « le processus de divinisation que subit l’acteur de cinéma et qui fait de lui l’idole des foules ». J’ai souhaité ici élargir le champ de questionnement de ce livre au contexte actuel de la production d’image dans la presse People…

    Les « People » et leur image

    Entre sublimation et désublimation.

    cannes.1234708900.jpgPartons d’abord d’un constat d’Edgar Morin : pour lui, la distance entre la star et ses admirateurs est tellement importante qu’elle ne peut se résorber que sous le mode religieux : celui d’un rituel, d’une « liturgie stellaire ». C’est en effet par la distance et l’inaccessibilité que la star existe. Philippe Marion (Université catholique de Louvain, Observatoire du récit médiatique) note très justement :

    « L’inaccessibilité devient alors une source de motivation, une quête, une stimulation. L’importance du fossé qui sépare les deux mondes est peut-être à la mesure du désir de le franchir grâce à l’imaginaire projectif. C’est le principe de ces machines à désir que constituent les épopées et les contes de fées: le temps d’un récit, le lecteur se trouve propulsé dans les faits et gestes des princes et des puissants. Cet esprit de conte de fée, sorte de quintessence de la fiction, s’est idéalement incarné dans la première partie de la saga médiatique vécue par la princesse Diana. Lors du mariage de celle-ci, l’archevêque de Canterbury proférait : « Ceci est de l’étoffe dont sont faits les contes de fées ». « Premier chapitre d’un conte de fée », résumait alors Paris Match, tandis que VSD titrait: « Il était une fois… » […]. Le merveilleux féerique, ostensiblement revendiqué ici, célébrait l’entrée d’une obscure jeune fille dans ce monde des images people. Tout se passe comme si le lecteur populaire de la presse people était appelé à se téléporter dans un univers qui lui est étranger, mais qu’il a l’occasion de domestiquer par cette téléportation elle-même (*) ».

    Sacralité des lieux…

    Les lieux choisis sont en effet déterminants : si vous croisiez une star tous les matins dans l’ascenseur, elle perdrait précisément son pouvoir magique. C’est parce qu’elle est inaccessible, isolée du reste du monde, que la star se présente comme le symbole d’un rêve impossible à l’homme, donc d’un pouvoir réservé à la divinité mais que les « profanes » tenteront d’obtenir peu à peu. Précisément, c’est dans les « grand-messes » télévisées, les shows hyper médiatisés, que la star se dévoile : le public va enfin pouvoir « consommer » du People. On pourrait évoquer ici ce que Philippe Marion appelle la « mise en proximité » de la star, c’est-à-dire le passage de l’inaccessibilité au rapprochement avec le public. L’auteur remarque :

    Cette proximisation s’opère aussi sous le mode d’une dramaturgie de l’humain moyen. Car que découvre-t-on dans ces palais et palaces ? De l’humain, basique, universel: celui du relationnel et de l’affect. Des passions amoureuses qui naissent et qui meurent, de la jalousie, des coups de gueule, des divorces, des réconciliations, des naissances, des violences, des déprimes… Bref, tout ce qui forme ce magma de vécu du commun des mortels. Non seulement le gotha n’hésite pas à nous recevoir dans son intimité, mais en plus il ne se distingue que fort peu de nous: voilà ce que la presse people suggère » (*). 

    Comme nous le voyons, d’objet interdit et culte, la star devient objet de consommation et fétiche. Un fétiche en effet est un objet auquel on va attribuer un pouvoir bénéfique du fait qu’il est magique : on cherchera par exemple à approcher le plus près possible les People, à les toucher, gala.1234713097.jpgà s’approprier leur corps selon une logique métonymique (la partie pour le tout) : un autographe, un tee shirt, un mouchoir. Comme le fait remarquer si bien Edgar Morin, « c’est un peu de l’âme et du corps de la star que l’acheteur s’appropriera, consommera, intégrera à sa personnalité ».

    L’image comme espace projectif

    Mais allons plus loin, et réfléchissons au phénomène People dans son rapport au voyeurisme et à l’exhibitionnisme. Ce n’est pas tant la définition de l’image en tant que représentation du réel (voir à ce sujet l’article intitulé : Les métamorphoses de l’image, de Lascaux à Big Brother) qui nous intéressera ici mais plutôt sa représentation mentale et inconsciente : l’image comme espace projectif. J’emploie ce terme de « projectif » en référence au concept d’identification projective introduit par la psychanalyste Mélanie Klein pour désigner un mécanisme fantasmatique, où le sujet introduit sa propre personne à l’intérieur de l’objet pour lui nuire, le posséder et le contrôler. Termes trop forts direz-vous? Mais que l’on interroge notre rapport à l’intime : que faisons-nous, en achetant une revue People, sinon nous approprier l’image intime d’un autre « inaccessible » pour la posséder : il y a toujours, dans l’admiration pour les People, quelque chose qui relève de la transgression et d’une manipulation de l’intimité (« J’en sais plus sur lui qu’il ne le voudrait »). Car paradoxalement, les « People », c’est le peuple mais sans le peuple ! De là un passage du rêve à l’envie et à la frustration. Frustration qui est à la base du concept éditorial de la presse People. On comprend mieux le slogan d’un célèbre magazine : « dans Public, tout est public », y compris la banalité et l’intime : les images ou propos volés deviennent des éléments clés d’une jalousie projective inconsciente. Le témoignage de certains lecteurs est édifiant ; en voici un au hasard (il s’agit d’une lectrice) :

    « Cela fait déjà plus d’un an, que je lis plus régulièrement l’un de mes magazine chouchou, j’ai nommée (sic) : PUBLIC. Explications : PUBLIC, MAIS POURQUOI CE NOM ? Tout simplement, parce que dans Public : tout est public ! Ne soyez pas choquer (sic) que dans ce magazine, on vous montre la cellulite d’Alicia Keys, ou bien les britney.1234709745.jpgbourrelets de Britney Spears, et bien d’autres encore… Public, c’est le seul qui vous montre également les défauts des stars ».

    Le « cannibalisme » médiatique

    « Défauts » ! Le mot est lâché ! Tout le discours vise ici à dégrader l’autre, et plus particulièrement le corps : corps honteux, laid, infériorisé… Car ce qui intéresse, au-delà du rêve (le corps envié et transfiguré de la star), c’est bien l’image « interdite », les « défauts » que la star cherche à cacher et que le magazine va rendre « public », selon une démarche d’apparente objectivité dont le credo pourrait être : « le public est en droit de savoir »! Cette confusion entre le fait social et démocratique (la liberté de la presse, le rôle des journalistes) et le voyeurisme, fausse évidemment le rapport au réel. Essayons de déchiffrer ce mécanisme d’inversion des valeurs. Si on lit une revue « People », c’est d’abord dans le but d’entrer en communication avec la star. Mais très vite, on se rend compte que cette communion tant rêvée est impossible : la star ne figure que sur du papier. L’autre tendance consiste donc à évacuer cet état d’esprit douloureux dû au manque, dans la haine de l’autre pour obtenir un soulagement, une compensation à la frustration qu’on éprouve de ne pas être reconnu comme « People », ce qui conduit à vouloir entrer de force dans l’intimité de la star, fantasmatiquement, avec l’intention de la contrôler dans une relation de dénégation, de récusation, et de dégradation ontologique. De là l’arbitraire des photographies : la star bouffie par l’alcool, la star droguée, débauchée malgré les apparences : les lecteurs deviennent ainsi une sorte de tribunal de la bonne conscience et de la morale populiste grâce aux images volées qui vont jouer le rôle d’un procureur, et renforcer la légitimité de la presse people. Le but est bien de prendre possession de l’autre, de se l’approprier, selon un rituel qui relève de ce que j’appellerai le « cannibalisme médiatique » : traquer les « défauts » de la star et pouvoir les dévoiler sur la place publique, c’est enlever la protection dont elle bénéficiait pour la « prostituer » au regard des autres et la livrer à la vindicte populaire. Dès lors, la star perd son apparence illusoire, c’est-à-dire sa légitimité et sa crédibilité : la « bonne image » qu’on avait d’elle est réduite à néant… La presse people, c’est donc le mythe devenu réalité, banalité, simple marchandise : devenu appauvri, il se consumérise.

    Image et sacrifice

    Ce va et vient entre sublimation et désublimation est essentiel pour comprendre les modes de fonctionnement de la presse People : d’un côté, comme nous l’avons vu, il y la fusion avec la star, mais conséquemment en perdant une part de soi (puisqu’on vit « par procuration » dans l’autre), on lui en veut de cette perte référentielle et on la dégrade : dégradation de la valeur du corps et dégradation morale (l’image de la mauvaise mère par exemple). Je voudrais évoquer aussi une exposition qui a eu lieu à la Maison Européenne de la Photographie (Paris) en 2007, intitulée « Expo Trash : Les stars sortent leurs poubelles« . Deux anciens photographes du magazine Paris-Match étaient à l’initiative de cette démarche : Bruno Mouron et Pascal Rostain dévoilaient en effet « artistiquement » le contenu des poubelles des grandes stars d’Hollywood. La présentation se voulait « Pop’art » mais ne nous leurrons pas : si l’on vient pour contempler les déchets de Clint Eastwood, Arnold Schwarzenegger, Nicholas Cage, Mel Gibson, Tom Cruise, Sharon Stone ou Madonna, c’est que l’art seul ne saurait être en jeu !

    J’évoquerai ici plutôt une démarche sacrificielle. « Le fondement métaphysique du sacrifice, c’est le sacrifice éternel de Dieu », rappelle Jean Hani. Dès lors, comment sacrifier la star sinon en la désublimant : la photo volée ou le dévoilement public du contenu d’une poubelle obéissent au même principe : ils trouvent un écho particulier dans le domaine de la profanation religieuse. L’image devient un « iconoclasme », au sens littéral du terme : elle « casse » l’icone, c’est-à-dire le mythe qui postule la non-représentation de la star. Dans l’imaginaire, la star appartient en effet au domaine du sacré, de l’interdit, du non-représenté et donc du fantasme. La photo « poubelle » détruit ainsi le mythe par la représentation iconoclaste : elle représente la star certes, mais en la dégradant. D’un point de vue psychanalytique, le lecteur-spectateur oscillera entre l’attitude narcissique et projective (je m’identifie à l’autre « parce que je le vaux bien ») et le refoulement : la photo « moche » et « trash » est l’occasion de « sacrifier » la star en la désublimant. Se fait ici, d’une manière implicite, une équivalence entre le désir d’être autre et le sacrifice de l’autre, selon la logique bien connue du refoulement.

    Une perte du sens ?

    C’est à juste titre que certains journalistes ont repris le terme d' »extimité » forgé par l’écrivain Michel Tournier pour désigner la tendance à rendre public ce qui relève de la vie privée. La société du spectacle et de l’apparence dans laquelle nous nous trouvons oblige donc à réfléchir, au-delà du « marketing de l’image » au changement de comportement que les nouvelles technologies numériques ont introduit.  Récemment d’ailleurs, la firme de téléphonie Nokia a parfaitement perçu ce phénomène dans sa campagne publicitaire (”Mon téléphone sait tout de moi”)nokia.1234709963.jpg : “Et si vous trouviez mon téléphone, vous regarderiez à l’intérieur?” Qu’importent les précautions oratoires de la question ! Bien sûr que oui, nous regarderions à l’intérieur ! À cet égard, le développement des réseaux participatifs amènera forcément à une réflexion sur le voyeurisme social. Comme le remarque à juste titre l’avocat Vincent Dufief :

    « Si Internet a toujours menacé la vie privée des personnes, le développement des sites de socialisation donne une nouvelle dimension à ce risque, en encourageant les utilisateurs à sacrifier eux-mêmes leur propre vie privée. En effet, le principe de ces sites de socialisation est d’inciter leurs utilisateurs à révéler le maximum d’éléments de leur intimité, de préférence au plus grand nombre de personnes. Sur ces sites, il est effectivement nécessaire de dévoiler un peu de sa vie privée si l’on veut accéder à celle des autres et le système fait qu’il est aussi très délicat de refuser les sollicitations… » (Pour lire l’article complet, cliquez ici).

    Cet article sur le phénomène People nous a donc amené à définir une sorte d’échelle de valeurs de la star : du plus noble au plus dégradant. C’est sur cette échelle axiologique que se fonde la mythologie People : tout comportement d’adoration ne vise-t-il pas aussi à mépriser ce qu’il adore? Cette relation entre sublimation et désublimation se pose de façon plus alarmante de nos jours, en raison de l’impact de l’image et des nouvelles technologies sur nos représentations. Au-delà d’une réflexion sur le rapport à l’image dans les médias, je crois que la difficulté, c’est bien de réfléchir à la déstructuration des fondements normatifs qu’ont introduite les nouvelles technologies numériques. En fait, la presse People n’est qu’un aspect d’un phénomène plus général : la « peopolisation » de la société constitue la réalité inquiétante d’un nouveau monde virtuel… Face aux oligarchies médiatiques ou technocratiques, qu’espérer pour l’homme dans un monde où la mise en scène de soi, le spectacle, rivalisent avec une société profondément bouleversée et fragilisée dans ses mécanismes institutionnels, sa légitimité démocratique et ses fondements humanistes?

    Bruno Rigolt

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    (*) Philippe Marion, Université catholique de Louvain Observatoire du récit médiatique. « De la presse people au populaire médiatique ». Article consultable en ligne : cliquez ici pour accéder au document.

    La citation de la semaine… William Shakespeare…

    « Le monde entier est un théâtre… »

     

    shakespeare.1234290265.jpgAll the world’s a stage,
    And all the men and women merely players;
    They have their exits and their entrances,
    And one man in his time plays many parts…

    Le monde entier est un théâtre,
    Et tous les hommes et les femmes seulement des acteurs;
    Ils ont leurs entrées et leurs sorties,
    Et un homme dans le cours de sa vie joue différents rôles…

    William Shakespeare, As You Like It (Comme il vous plaira), acte II, scène 7

    Pour lire l’intégralité de la scène (en Anglais cliquez ici, en Français, cliquez ici).

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    Cette citation s’inscrit parfaitement dans la démarche baroque selon laquelle les certitudes ou vérités humaines ne seraient que des illusions. Dans une approche plus contemporaine, ce texte nous invite aussi à une réflexion sur les rapports humains, les normes et les codes sociaux. Que l’on songe par exemple aux romans que Balzac regroupa sous le titre si célèbre de La Comédie humaine… Pour ces auteurs, nul doute que la société est une sorte de théâtre où chacun « joue un rôle ». La mission de l’écrivain est précisément de faire tomber les masques et de mettre à jour le simulacre de « l’inhumaine comédie »… Cette problématique est très riche dans la mesure où elle met à jour notre rapport aux autres et à nous-même. Dans une société du spectacle et de l’apparence, tout ne serait-il qu’illusion au détriment de la vérité ? Divertissement au sens pascalien, surmédiatisation et mise en scène de soi au détriment de la morale ?